Intervention de Patrick Gandil

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 11h05
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile :

En ce qui concerne l'OACI, le vote politique du CORSIA date de 2016, mais, comme chez nous, une fois la loi adoptée les décrets doivent être pris. La partie réglementaire s'est donc mise en place petit à petit et a été adoptée l'an dernier par le Conseil de l'OACI. C'est en 2019 que les premiers éléments doivent être rendus, toute la base réglementaire est donc en place, même si nous avons rencontré des difficultés notamment dues au changement de l'administration américaine qui, de moteur en 2016 est devenue plus suiveur, ce qui a poussé l'Europe en première ligne. Le CORSIA a malgré tout été adopté dans de bonnes conditions, et je ne perçois aucun signe négatif. Toutefois, je ne pourrai vous indiquer que tout est fait que dans un an seulement.

Pour ce qui regarde la valeur économique du système de transport aérien commercial, on peut dire que chaque fois que le TGV s'est développé, cela a conduit à annuler ou à réduire de façon importante l'avion sur la ligne concernée. Ainsi n'y a-t-il plus aujourd'hui de ligne aérienne reliant Paris à Bruxelles, qui était une ligne majeure, ni de ligne reliant Paris à Strasbourg, ce qui nous est d'ailleurs reproché. Il n'y a plus beaucoup de vols à destination de Nantes et de Lyon, sauf pour prendre de longs courriers ; mais pour les trajets de ville à ville il n'y en a quasiment plus. Le nombre de vols s'est un peu réduit sur Marseille et Bordeaux à cause du développement du TGV ; le trafic demeure important à Toulouse et à Nice parce que l'accès en train n'est pas très commode. Il reste important pour des villes éloignées comme Brest ou Pau, par exemple.

On constate un effet de substitution au fur et à mesure du développement des liaisons ferroviaires. Il n'y a en revanche pas de substitution possible sur les lignes de désenclavement. On cite souvent des villes comme Aurillac ou Rodez où il n'y aura jamais une massification suffisante pour justifier un transport ferroviaire puissant. Le transport routier n'étant pas non plus substituable, l'avion est nécessaire, faute de quoi il n'y aurait plus de chefs d'entreprise présents dans ces territoires.

En revanche, cet avion est très cher, même s'il est aidé ; ces lignes sont plus à considérer comme du transport d'affaires mutualisé, donc moins cher que du transport d'affaires pur, que comme un moyen de déplacement destiné à monsieur Tout-le-monde. En tout état de cause, il n'y aurait plus un seul chef d'entreprise dans de telles villes s'il n'y avait pas ces liaisons aériennes ; ce qui souligne l'importance de leur rôle.

Les lignes aériennes transversales sont aussi assez importantes ; nous travaillons à des lignes comme Limoges-Lyon, ville importante, qui est aussi un noeud pour Easyjet et Air France permettant d'aller un peu partout. Toutefois, la ligne ne se ferait pas spontanément, présentant un intérêt économique limité, elle a besoin d'un certain nombre d'aides.

Par ailleurs, le développement du low cost et des marchés touristiques accroît le trafic aérien, mais la croissance européenne est aussi en cause : l'augmentation du trafic a été beaucoup plus rapide dans les aéroports de province que dans les grands aéroports de Paris. Il s'agit principalement de liaisons internationales mi-touristiques, mi-professionnelles à destination de la plupart des capitales européennes, auxquelles il faut ajouter l'Afrique du Nord. Il y a encore très peu de long-courriers, mais à peu près toute la gamme du court-courrier est représentée.

Le long courrier va apparaître dans les grandes métropoles européennes ; c'est l'arrivée de l'A321 Neo long range, qui est une révolution, car des avions de 200 places pourront être utilisés pour le long courrier au lieu de gros avions d'environ 300 places. Ainsi, dans toutes les métropoles de province, verra-t-on apparaître une liaison vers New York, qui aujourd'hui n'existe pas, car il faut passer par Paris. Un certain nombre de choses seront ainsi rééquilibrées, et la demande augmentera peut-être, à des prix qui ne sont pas encore connus.

Dans ce contexte, qu'est-il possible de faire ?

La réduction du transport aérien ne peut être obtenue que par des mesures autoritaires, soit en renchérissant drastiquement les coûts, soit en limitant l'accès aux aéroports. Cela relève d'un choix politique qui n'appartient pas au secteur aérien, et qui est d'autant plus complexe que ce secteur est très tiré par le tourisme et que la France est le premier marché touristique mondial.

Les équilibres et les choix en cause excèdent largement le secteur aérien. Pour avoir été un des négociateurs du CORSIA, je suis profondément engagé dans la question du changement climatique et de l'effet de serre. Mais considérer cette dernière de façon analytique, secteur par secteur sans la prendre en compte dans sa globalité, a failli nous faire échouer dans le CORSIA. En effet, à part l'Europe qui poussait dans ce sens, tous les autres pays étaient contre : à un moment, nous avons eu le monde entier contre nous, aussi bien de grands pays que de petits, de pays riches que pauvres. Tous ont dit que le transport aérien leur était vital, qu'ils ne voulaient pas en brider la croissance ; qu'ils étaient d'accord pour travailler à émission de C02 constante, mais pas dans une perspective de réduction de la croissance.

Parmi ces pays, certains sont engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais veulent laisser le transport aérien se développer. Cette question est importante, nous ne disposons pas de structure démocratique à l'échelle mondiale plus forte que l'ONU ; c'est dans ce cadre que nous avons travaillé.

Je vous fais en quelque sorte part de mon désarroi, pour un sujet qui ne trouvera pas sa réponse dans le seul secteur de l'aviation, et constitue un sujet politique majeur.

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