L'audition débute à onze heures cinq.
Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde sur la transition énergétique dans le transport aérien. Nous sommes très heureux d'accueillir Mme Nathalie Simmenauer, directrice du développement durable d'Air France, M. Laurent Timsit, directeur des affaires internationales et institutionnelles d'Air France et d'Air France KLM, Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat-transports du Réseau action climat (RAC), M. Stéphane Cueille, président du comité de pilotage du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice « Recherche et développement, espace et environnement » du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), M. Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile, Mme Anne-Laure Gaumerais, conseillère au cabinet de ce dernier, et M. Louis Teodoro, chef du bureau Environnement de la direction générale de l'aviation civile (DGAC).
Vous êtes très nombreux ; je vous demanderai donc de bien vouloir ne pas dépasser cinq minutes pour votre présentation liminaire. Je laisse en préalable la parole à M. Bruno Duvergé, rapporteur.
Je rappellerai très rapidement le cadre de réflexion de la mission relative aux freins à la transition énergétique. Nous explorons sept thématiques : la vision prospective – comment imagine-t-on notre monde en termes de mix de production et de consommation de nouvelles énergies dans dix, vingt et trente ans ? ; les productions d'énergies renouvelables – solaire, éolien, méthanisation, etc. ; la mobilité ; les économies d'énergie ; l'évolution des grands groupes de l'énergie face à cette transition ; l'appropriation territoriale, la production étant essentiellement locale ; la fiscalité, notre économie étant « accro » à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Je souhaiterais que vous ne vous attardiez pas sur les constats mais insistiez plutôt sur les freins et les solutions.
Les émissions de gaz à effet de serre dans l'aviation ne sont pas au coeur des enjeux climatiques puisque ce secteur ne représente que 2 % des émissions mondiales. Pour autant, cela ne justifie en rien que l'aviation ne prenne pas sa part, non seulement en France mais aussi ailleurs en Europe. Ce combat est mené à l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), organisation spécialisée des Nations unies en charge de l'aviation. La politique définie à l'OACI combine quatre mesures ; nous nous mobilisons sur chacune d'entre elles.
La première mesure porte sur l'amélioration de la performance énergétique des aéronefs. En France, la politique de recherche aéronautique – ancienne – a connu de multiples succès. Elle est menée par les grandes entreprises – de rang mondial – du secteur, en partenariat et avec le soutien significatif de l'État et d'organismes publics, au premier rang desquels l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA).
Nos échanges se déroulent au sein du comité de pilotage du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) ; M. Stéphane Cueille, président du CORAC, vous en parlera.
La deuxième mesure concerne les procédures de navigation aérienne. Nous essayons de mettre en place les routes les plus courtes possibles, afin de ne pas consommer inutilement du carburant. Des évolutions significatives sont intervenues dans le cadre du programme européen de la Coalition environnement et santé pour un transport aérien responsable (CESAR), les différentes structures de navigation aérienne travaillant de concert sur ce dossier.
En outre, au voisinage des aéroports, nous réfléchissons à l'amélioration des procédures de montée et de descente, afin d'aboutir à des descentes et montées continues. Grâce aux moyens satellitaires, désormais opérationnels, les procédures d'approche vont évoluer, alors qu'elles sont actuellement limitées : les avions ne peuvent réaliser que des arcs de cercle ou des segments de droite ; demain, ils pourront monter et tourner simultanément plus facilement et en toute sécurité. Cela permettra des progrès significatifs en matière de bruit et, moindres, sur les consommations.
Le troisième levier est lié au développement des biocarburants durables. L'aviation restera encore longtemps inféodée aux carburants chimiques car c'est l'énergie stockée dans la molécule chimique qui dégage de l'énergie en brûlant. Pour cela, on utilise actuellement du kérosène ; demain, peut-être, d'autres produits seront disponibles. Au regard du poids des batteries, l'avion électrique ne pourra se positionner que sur des trajets de très courte distance – ceux sur lesquels il existe déjà des moyens de transport de substitution.
Les molécules qui stockent l'énergie ont un inconvénient majeur : elles sont composées de carbone fossile. Si l'on arrive à substituer du carbone atmosphérique à ce carbone fossile, le problème pourrait être réglé – même si ce n'est pas si facile et si nous devrons rester attentifs aux éventuels effets pervers du cycle de production. La voie de travail sur des biocarburants durables est importante.
Enfin, quatrième mesure, dans le cadre de l'OACI, l'aviation internationale s'est engagée à ne pas dépasser le niveau de ses émissions de 2020, la croissance ultérieure devant être neutre en carbone. Les deux premières mesures nous permettent d'atteindre la moitié de notre objectif – ainsi que les biocarburants durables, pour le moment, dans une très faible proportion, mais nous devons progresser. L'aviation internationale s'est également engagée à financer des économies de carbone dans d'autres secteurs d'activité par le biais de l'accord de réduction et de compensation des émissions de dioxyde de carbone dans l'aviation internationale – Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation (CORSIA), voté à la quasi-unanimité des pays, avec beaucoup de difficultés.
Un dernier point, l'aviation intérieure n'est pas tenue par la convention de Chicago interdisant la taxation des billets d'avion, puisqu'elle est nationale. En conséquence, elle participe à la stratégie nationale et aux efforts liés aux engagements pris lors de la COP21. Son activité est en décroissance, la baisse étant fortement corrélée à la politique de déploiement des trains à grande vitesse (TGV) – les liaisons aériennes diminuent ou disparaissent sur les lignes radiales au fur et à mesure de l'apparition de liaisons TGV – et à l'amélioration générale des moyens de transport terrestre.
L'aviation intérieure reste pertinente pour les liaisons transversales, pour désenclaver les petites villes qui seront jamais reliées à un réseau ferroviaire efficace et pour les destinations encore distantes de Paris en l'absence de TGV ou malgré sa présence, comme Nice, Toulouse, Pau, Brest ou la Corse par exemple.
Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer comme opérateur aérien. À titre liminaire, je rappellerai que le transport aérien répond à un besoin sociétal de déplacement, très largement démocratisé au cours des quinze dernières années. C'est un vecteur de rapprochement des hommes et des cultures, d'ouverture, de progrès social, mais également de croissance économique et de désenclavement du territoire – cela a été rappelé.
Quel est son poids dans l'économie française ? Il représente 80 milliards d'euros de notre produit intérieur brut (PIB) et 1,14 million d'emplois, incluant les effets catalytiques. Le groupe Air France contribue pour plus d'un point au PIB national, générant 22 milliards d'euros de retombées économiques et plus de 300 000 emplois directs et indirects.
Même si le transport aérien ne représente que 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, il assume de longue date ses responsabilités environnementales par le biais de l'Association internationale du transport aérien – International air transport association (IATA). Dès 2009, il s'est fixé des objectifs ambitieux à court terme avec une amélioration de son efficacité énergétique de 1,5 % par an, à moyen terme en visant une croissance neutre en carbone à compter de 2020, et sur le long terme avec la réduction de ses émissions de CO2 de 50 % en 2050 par rapport à 2005.
Pour atteindre ces objectifs, les compagnies aériennes mettent en oeuvre tous les leviers à leur disposition pour réduire les consommations de carburant, en étroite coopération avec l'ensemble des acteurs de la chaîne du transport aérien – constructeurs, motoristes, aéroports, autorités, start-up innovantes, etc. Différents leviers sont actionnés : renouvellement de la flotte, allégement du poids embarqué à bord des avions, optimisation des programmes de vols et des coefficients de remplissage, adoption de procédures d'écopilotage et de roulage au sol plus durable – en coupant un des moteurs par exemple –, électrification de nos opérations au sol, optimisation des trajectoires de vol et mise en oeuvre du ciel unique européen.
En outre, nous nous acquittons des compensations carbone réglementaires depuis 2012 dans le cadre du système communautaire d'échange de quotas d'émission (SCEQE) – en anglais, Emission Trading System (ETS) – et, demain, dans le cadre de CORSIA, accord extrêmement important et contraignant qui s'imposera à l'ensemble des pays de l'OACI et des compagnies aériennes dès 2027.
Nous avons divisé par deux la consommation moyenne de nos appareils depuis les années quatre-vingt-dix et amélioré notre efficacité énergétique de plus de 13 % entre 2011 et 2018. Grâce à l'effet combiné de ces initiatives, les émissions nettes du groupe ont été quasiment stables entre 2005 et 2018, alors que le trafic passagers a augmenté de plus de 30 %. Si l'on intègre nos compensations d'émissions de CO2 dans d'autres secteurs d'activité, la réduction atteint plus de 10 %.
Faut-il pour autant s'en satisfaire ? Sans doute pas. En conséquence, nous devons renforcer la transition énergétique du secteur. Le renouvellement de la flotte reste un levier important et traduit concrètement les progrès de recherche et développement réalisés par les constructeurs et les motoristes. En exploitant nos nouveaux avions, nous constatons ces progrès extrêmement importants. En la matière, nos investissements sont conséquents : en 2017, sur nos 3 milliards d'euros de cash flow opérationnel, 2 milliards ont été consacrés au renouvellement de la flotte. La poursuite de cette politique très volontariste dépend de notre santé financière, et donc de l'environnement fiscal et social. Or, actuellement, notre situation est moins favorable que celle de nos compétiteurs. La flotte pourrait sans doute être renouvelée plus rapidement si des mesures incitatives – de type suramortissement ou crédit d'impôt – étaient adoptées pour les aéronefs ou les véhicules de piste. Nous l'avons d'ailleurs suggéré lors des Assises du transport aérien.
Il faut également être audacieux et poursuivre les investissements dans la recherche et le développement – Stéphane Cueille et le GIFAS en parleront mieux que moi – et dans la modernisation des outils de navigation aérienne, qui présentent un potentiel non négligeable de réduction des émissions de CO2.
Enfin, dans l'attente d'innovations de rupture et en complément des renouvellements de flottes à venir, le développement des carburants alternatifs durables, déjà testés en conditions opérationnelles et commerciales sur plusieurs milliers de vols dans le monde, notamment par Air France et par KLM, est une piste extrêmement intéressante. Ces kérosènes alternatifs sont parfaitement miscibles avec le kérosène fossile. Ils sont utilisables en toute sécurité et sans modification des aéronefs.
Pourtant, leur déploiement à échelle industrielle nécessite encore de lever de nombreux freins et soulève des questions : il faut s'aligner sur des critères de durabilité exigeants et acceptés par tous ; il faut s'assurer d'un accès en volume suffisant à cette biomasse durable ; il conviendrait peut-être de définir une politique d'achat prioritaire de ces carburants par les secteurs qui n'ont pas ou que peu d'alternatives aux carburants fossiles. Or les industriels – qui doivent gérer leurs investissements – et les utilisateurs finaux – pour s'engager sur des volumes – ont besoin de visibilité et, surtout, de stabilité. Enfin, pour amorcer la création de ces filières, des mécanismes incitatifs de soutien à la demande sont indispensables.
Pour conclure, il conviendrait d'inscrire l'ensemble de ces dispositions dans un cadre réglementaire global et international, pour ne pas créer de distorsions de concurrence. Seul un tel cadre peut garantir intégrité et bénéfice environnemental, mais également éviter les fuites de carbone en détournant le trafic aérien vers d'autres hubs.
Dans un contexte éminemment international et concurrentiel et dans l'attente d'un cadre réglementaire global harmonisé – indispensable –, l'accélération de la transition énergétique du secteur sera favorisée par des mesures incitatives d'accompagnement. Si tel est le cas, nous poursuivrons nos initiatives et entendons maintenir notre leadership d'acteur responsable.
Mme Riotton devant nous quitter avant la fin de la réunion, je me permets de lui donner la parole avant la troisième intervention.
Je suis députée de Haute-Savoie et, comme mes collègues, très investie dans les questions de transition énergétique. Vous êtes focalisés sur vos activités, mais notre mission doit dépasser le constat – déjà réalisé : le transport représente 10 % dans la non-atteinte des objectifs français. Nous souhaitons donc entendre vos propositions de réduction de consommation d'énergie et d'intégration des énergies renouvelables dans votre activité. En moins d'une heure, comment trouvons-nous collectivement les moyens d'accélérer la transition énergétique dans le secteur aérien ?
Je suis responsable des politiques de transport du Réseau Action Climat (RAC), réseau d'organisations non gouvernementales (ONG) nationales qui luttent ensemble contre les changements climatiques et qui comprend notamment la Fondation pour la nature et l'homme, France nature environnement (FNE), la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT), la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), Oxfam ou Greenpeace. Nous nous coordonnons afin de proposer des solutions pour accélérer la transition climatique dans tous les secteurs, en l'occurrence ici le transport aérien.
Je tiens en préalable à rétablir quelques vérités. On entend souvent que le transport aérien est responsable de 2 % des émissions internationales de CO2. Cette estimation est ancienne et ne tient pas compte des autres impacts du secteur sur les dérèglements climatiques – vapeurs d'eau qui créent des cirrus dans l'atmosphère, oxydes d'azote. Le pouvoir radiatif – donc réchauffant – du transport aérien est plutôt de l'ordre de 5 %. Il convient de le garder en tête, d'autant que ces impacts ne sont donc pas intégrés dans les accords comme CORSIA. Même si l'on s'en tient à 2 %, c'est l'équivalent de l'empreinte carbone de l'Allemagne, un des pays les plus industrialisés et les plus émetteurs au monde.
S'agissant des émissions de CO2 au niveau français, vous avez raison, celles du trafic aérien intérieur ont diminué, notamment grâce au développement du TGV. Mais l'analyse de l'ensemble des émissions de CO2 du trafic aérien national est plus mitigée : en additionnant les vols métropolitains et internationaux, la hausse est d'environ 60 % depuis 1990, alors que tous les autres secteurs – hors transports – ont réduit leurs émissions…
Il nous semble essentiel de rappeler que tous les secteurs doivent être mis à contribution pour réduire – donc non pas seulement limiter ou compenser – leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de tenir les engagements de l'accord de Paris. La logique est la même dans tous les secteurs : il faut faire moins, mieux et autrement. Certes, la performance énergétique ou les carburants alternatifs sont importants, mais un autre levier indispensable est pour le moment passé sous silence : la maîtrise de la demande.
Le trafic aérien européen et international a explosé et double environ tous les quinze ans. Les chercheurs du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), comme David Lee qui travaille plus spécifiquement sur le transport aérien, estiment qu'une réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien de l'ordre de 50 % à l'horizon 2050 passe aussi par un mécanisme de tarification de la pollution du transport aérien. Les scénarios de ces études prennent en compte les avancées technologiques et des substitutions très poussées de carburant fossile par des carburants alternatifs. Mais cela ne suffira pas… Une maîtrise de la demande par la tarification du CO2 est donc indispensable.
Quels sont les freins soulevés lorsque l'on évoque la mise en place d'une telle mesure ? Le premier est d'ordre juridique : on présente la Convention relative à l'aviation civile internationale, dite Convention de Chicago, comme un frein à la mise en place d'une taxe sur le carburant. C'est faux : ce sont les accords bilatéraux de services aériens passés entre États pour favoriser le transport aérien entre leurs pays qui l'interdisent, mais ils peuvent être revus. Cela n'a donc rien d'inéluctable.
En outre, la taxation du kérosène est possible au niveau intérieur et européen, entre les pays qui le souhaitent. Une étude de nos collègues de la Fédération européenne pour le transport et l'environnement vient d'être publiée sur le sujet, que je pourrai vous transmettre.
Le deuxième frein est social : c'est celui de l'acceptabilité. Vous avez parlé de la démocratisation du transport aérien ; elle est indéniable en Europe où de plus en plus de personnes ont accès à l'avion. Mais ce constat mérite d'être nuancé : à l'échelle internationale, le transport aérien reste un mode de déplacement réservé aux populations économiquement les plus favorisées ; même en France, je vous rappelle que 40 % de la population ne part pas en vacances. Elle ne prend donc pas l'avion… En outre, selon les enquêtes nationales transports et déplacements (ENTD), les 20 % de personnes les plus aisées prennent autant l'avion que les 80 % des plus pauvres. Les Français sont donc très inégaux face au transport aérien.
Le dernier argument opposé est économique : un tel blocage n'est d'ailleurs pas l'apanage du transport aérien. C'est un véritable défi pour la transition écologique dans tous les secteurs. Cela ne devrait pas nous empêcher d'avancer, comme c'est malheureusement le cas depuis des années : il est impossible de débattre d'une éventuelle taxation du kérosène sur les billets d'avion, car cet argument nous est toujours opposé. Pourtant, on peut trouver des solutions : des reconversions professionnelles sont envisageables si la transition est organisée dans le secteur, d'autant que des emplois peuvent être créés dans d'autres secteurs, en l'espèce dans le transport ferroviaire.
Nous avançons donc deux propositions : d'une part, mettre en place une contribution sur les billets d'avion nationaux, qu'ils soient métropolitains ou internationaux. La taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « Chirac », est très faible par rapport à celles applicables à l'étranger – en Suède, en Norvège, au Japon ou aux États-Unis par exemple.
En second lieu, il y a un combat complémentaire à mener à l'échelle européenne, dont on sait qu'il est long à cause des questions fiscales. Il faudra, à terme, mettre fin à l'exonération de taxe sur le kérosène, ce qui constituera une mesure bénéfique sur le plan écologique, mais aussi sur le plan économique et social.
Nous avons commandé au consultant néerlandais C E Delft une étude qui met en évidence les effets de l'institution d'une taxe sur les billets d'avion sur l'économie, sur les émissions de C02 ainsi que sur la réduction de la demande.
Je précise que je suis aussi directeur de la recherche et de l'innovation du groupe Safran. Je préside le CORAC, instance collective et paritaire entre les pouvoirs publics et l'industrie, qui oriente la recherche aéronautique.
S'agissant du pourcentage d'impact de l'aviation sur le réchauffement climatique, on peut prendre les études dans le sens que l'on veut ; il n'en est pas moins vrai que des incertitudes demeurent quant à un certain nombre de paramètres, notamment les traînées de condensation et les oxydes d'azote (NOx).
Le CORAC fait réaliser des études par les laboratoires du GIEC sur ces thèmes afin d'en mieux comprendre les effets ; on constate beaucoup d'incertitudes au sujet des traînées de condensation et moins au sujet des NOx, dont l'impact est plus avéré. Aussi, le thème fondamental demeure-t-il l'efficacité énergétique, donc le C02 qui est le principal contributeur.
Ce constat étant établi, les choses doivent être mises en perspective : si l'ordre de grandeur est de 2 %, c'est parce que nous avons réalisé des évolutions technologiques fondamentales au cours des quarante à cinquante dernières années. Comparé à ceux d'aujourd'hui, un jet conçu dans les années 1950 est énergétiquement cinq fois moins efficace. Ainsi un avion de dernière génération bien rempli consomme-t-il environ deux litres de kérosène au kilomètre par passager, ce qui est très efficace énergétiquement.
Cela traduit le fait que, dans un contexte de croissance, l'industrie française en particulier a gagné des parts de marché par l'apport de solutions propres à réduire la consommation de carburant des avions, singulièrement grâce à des avions plus légers et des moteurs dont la conception est en rupture avec ce qui se faisait auparavant. Cela était vrai hier et reste l'élément moteur premier de notre investissement dans le domaine de la recherche : la capacité à réduire l'impact énergétique et C02 de l'avion ; c'est l'objectif qui est devant nous.
Pour la seule filière française, nous dépensons environ 1,5 milliard d'euros de recherche pure, donc hors développement, très majoritairement financé par les acteurs et aidé par l'État au titre de l'effet de levier. C'est là l'élément fondamental.
Il faut en outre conserver à l'esprit que les solutions à trouver sur les avions doivent leur être adaptées, car sur le plan technique ils ne sont ni des trains ni des automobiles ; il existe des facteurs spécifiques, particulièrement la masse qui produit un effet « dramatique » – au sens anglais du terme, c'est-à-dire spectaculaire – sur l'efficacité énergétique. Cela fait que les solutions applicables au domaine terrestre, les batteries par exemple, ne sont pas applicables au cas de l'aviation commerciale dans un avenir raisonnablement proche.
À titre d'exemple, une batterie Tesla représente 200 wattheures par kilo de densité énergétique ; le kérosène fait soixante fois mieux. Et si je suppose que, dans vingt ans, j'aurai cinq fois cela, bien que ce qui est prévu aujourd'hui soit plutôt trois fois, j'aurai un avion trois fois plus gros et trois fois plus lourd pour accomplir la même mission, ce qui n'est pas viable avec de telles batteries.
Cela signifie que nous devons trouver d'autres solutions, car l'efficacité énergétique de l'avion en tant que telle demeure l'élément fondamental, ensuite la substitution du carburant est un élément important : en premier lieu parce que l'on a besoin de carburant chimique pour la masse, qui peut avoir un lien énergétique, en second lieu parce qu'une autre caractéristique de notre industrie est la production, non pas de biens de consommation, mais de biens d'équipement à forte valeur et de longue durée de vie.
Cela signifie qu'il est important de privilégier l'amélioration des avions en les remplaçant par des modèles plus modernes et plus efficaces. Si Air France remplace ses A320 par des avions de dernière génération, elle gagnera 15 % de consommation de carburant, ce qui est énorme. C'est là le premier levier. Mais nous sommes à la tête d'une flotte comprenant des avions appelés à rester quinze ou vingt ans en service, et il faut apporter des solutions à ces matériels.
L'accélération du renouvellement des appareils constitue le premier levier, en revanche, apporter des solutions sur le carburant ou d'autres solutions opérationnelles portant sur les avions existants est aussi très important, car il est alors possible d'agir sur l'ensemble de la masse de la flotte.
Un exemple précédemment mentionné réside dans le choix de ne plus utiliser les moteurs au sol pour propulser l'avion, ce qui est très inefficace, et recourir à des moteurs électriques pour cette phase ; les gains sont alors d'environ 3 % sur la consommation totale de l'appareil grâce à cette solution susceptible d'être mise en oeuvre sur l'existant.
Voilà les données du problème : l'aviation doit trouver des solutions technologiques, effort que nous avons fourni par le passé et que nous poursuivrons. Ces solutions seront spécifiques, et la question du carburant demeure fondamentale, du fait de l'inertie de la flotte, mais aussi des particularités de l'aviation en termes de masse.
À plusieurs reprises nous avons entendu qu'il fallait « emmener la molécule à bord » : pourquoi pas, s'il s'agit d'une molécule de biocarburant ? Des études ont-elles été conduites à ce sujet ?
Dans l'hypothèse où l'aviation serait la priorité, le biocarburant serait réservé à ce seul moyen de transport. Avez-vous quantifié en termes d'énergie disponible la biomasse disponible, sans entrer en concurrence avec l'exploitation de terre destinée à une production alimentaire ou avec la méthanisation ?
Où en êtes-vous de la mise en oeuvre du mécanisme mondial du marché carbone mis en oeuvre par l'OACI ? Les premières mesures de suivi et de déclaration devaient être opérationnelles au début du mois de janvier dernier.
Quel est le degré de réalisation de l'objectif de réduction de 33 % des émissions des avions ? Quels sont les leviers de performance énergétique de ces aéronefs ?
La question des carburants durables a été évoquée à plusieurs reprises ; pourriez-vous nous fournir des informations supplémentaires sur les progrès récents et à venir dans ce domaine ? Quelle est votre analyse au sujet des perspectives offertes par ces carburants ainsi qu'au sujet de leur coût ?
Enfin, dans le domaine des énergies durables, quelles sont les avancées du secteur aéronautique : avion électrique, projet d'avion régional Airbus, etc. ?
Nous savons que nous ne réduirons pas le volume du transport aérien, qui correspond à une demande sociétale ; il faut toutefois mesurer ce que cette activité apporte à ses utilisateurs sur le plan économique. Puisque le principe pollueur-payeur existe, je m'interroge sur le principe de la taxation des billets. À cette question est souvent opposé le modèle économique des vols intérieurs qui sont fragiles.
Par ailleurs, comme dans beaucoup d'autres domaines, le développement du low cost provoque une incapacité du consommateur et du citoyen à comprendre quel est le modèle économique et à partir de quel moment le billet qu'il achète est rentable en termes économiques et au regard de la pollution, car nous sommes dans un domaine erratique.
Les biocarburants sont de deux sortes : les drop-in, carburants mélangeables ou substituables au kérosène pouvant aisément être utilisés par la flotte ; les non-drop-in, carburants très différents dont l'hydrogène constitue l'exemple.
Dans le domaine du non-drop-in, existent un certain nombre de filières technologiques de transformation de biomasse en kérosène, qui sont qualifiées et dont on a pu démontrer techniquement la pertinence, notamment par des expériences conduites par Air France sur la ligne Paris-Toulouse. Le CORAC continue de travailler sur le plan technique à la bonne compréhension des propriétés de ces carburants afin notamment de s'assurer des conditions de sécurité de fonctionnement.
La technique est au point, mais la question de l'utilisation des biocarburants et de certification de la durabilité de la biomasse se pose à l'échelle globale, par-delà le seul secteur de l'aviation. Par ailleurs, sur le plan économique, le coût de ces carburants est très supérieur à celui du kérosène, ce qui freine son utilisation par les compagnies aériennes, mais également l'investissement par les acteurs économiques de l'énergie, qui, au regard de la demande éventuelle, ne voient pas la rentabilité possible.
Des travaux sont en cours sur le type et la quantification du volume de biomasse nécessaire à une incorporation substantielle de ce carburant au secteur de l'aviation. Ils ne sont pas encore achevés, ni ceux de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE) ni ceux résultant de l'engagement pour la croissance verte pris avec nos partenaires qui sont Safran, Total, Airbus et Suez.
Ces travaux portent sur tous les aspects de la question : critères de durabilité, estimation de la quantité de biomasse disponible afin de savoir si elle est suffisante, étude des modèles économiques permettant de dégager des modalités de développement de filières de biocarburants pour l'aviation, si possible en France.
Plusieurs filières de biocarburant font d'ores et déjà l'objet d'études, elles portent sur la question de leur durabilité, et en particulier sur l'évitement de tout conflit avec l'usage alimentaire. Dans l'exemple pris par Mme Nathalie Simmenauer, il s'agit de l'utilisation de biocarburants fabriqués à partir de l'huile usagée, qui ne sont donc pas concernés par ce conflit.
Les autres filières certifiées utilisent une biomasse issue de débris forestiers, de forêts dégradées, etc., ce qui ne s'inscrit pas non plus dans le cadre du conflit alimentaire.
Toutefois, plutôt qu'une question de disponibilité de biomasse, dans la mesure où beaucoup de technologies possibles et certifiées existent, le problème est surtout celui du coût. C'est un cercle vicieux, car moins on produit de biomasse, plus elle est chère, et plus elle est chère, moins on en produit.
En ce qui concerne l'OACI, le vote politique du CORSIA date de 2016, mais, comme chez nous, une fois la loi adoptée les décrets doivent être pris. La partie réglementaire s'est donc mise en place petit à petit et a été adoptée l'an dernier par le Conseil de l'OACI. C'est en 2019 que les premiers éléments doivent être rendus, toute la base réglementaire est donc en place, même si nous avons rencontré des difficultés notamment dues au changement de l'administration américaine qui, de moteur en 2016 est devenue plus suiveur, ce qui a poussé l'Europe en première ligne. Le CORSIA a malgré tout été adopté dans de bonnes conditions, et je ne perçois aucun signe négatif. Toutefois, je ne pourrai vous indiquer que tout est fait que dans un an seulement.
Pour ce qui regarde la valeur économique du système de transport aérien commercial, on peut dire que chaque fois que le TGV s'est développé, cela a conduit à annuler ou à réduire de façon importante l'avion sur la ligne concernée. Ainsi n'y a-t-il plus aujourd'hui de ligne aérienne reliant Paris à Bruxelles, qui était une ligne majeure, ni de ligne reliant Paris à Strasbourg, ce qui nous est d'ailleurs reproché. Il n'y a plus beaucoup de vols à destination de Nantes et de Lyon, sauf pour prendre de longs courriers ; mais pour les trajets de ville à ville il n'y en a quasiment plus. Le nombre de vols s'est un peu réduit sur Marseille et Bordeaux à cause du développement du TGV ; le trafic demeure important à Toulouse et à Nice parce que l'accès en train n'est pas très commode. Il reste important pour des villes éloignées comme Brest ou Pau, par exemple.
On constate un effet de substitution au fur et à mesure du développement des liaisons ferroviaires. Il n'y a en revanche pas de substitution possible sur les lignes de désenclavement. On cite souvent des villes comme Aurillac ou Rodez où il n'y aura jamais une massification suffisante pour justifier un transport ferroviaire puissant. Le transport routier n'étant pas non plus substituable, l'avion est nécessaire, faute de quoi il n'y aurait plus de chefs d'entreprise présents dans ces territoires.
En revanche, cet avion est très cher, même s'il est aidé ; ces lignes sont plus à considérer comme du transport d'affaires mutualisé, donc moins cher que du transport d'affaires pur, que comme un moyen de déplacement destiné à monsieur Tout-le-monde. En tout état de cause, il n'y aurait plus un seul chef d'entreprise dans de telles villes s'il n'y avait pas ces liaisons aériennes ; ce qui souligne l'importance de leur rôle.
Les lignes aériennes transversales sont aussi assez importantes ; nous travaillons à des lignes comme Limoges-Lyon, ville importante, qui est aussi un noeud pour Easyjet et Air France permettant d'aller un peu partout. Toutefois, la ligne ne se ferait pas spontanément, présentant un intérêt économique limité, elle a besoin d'un certain nombre d'aides.
Par ailleurs, le développement du low cost et des marchés touristiques accroît le trafic aérien, mais la croissance européenne est aussi en cause : l'augmentation du trafic a été beaucoup plus rapide dans les aéroports de province que dans les grands aéroports de Paris. Il s'agit principalement de liaisons internationales mi-touristiques, mi-professionnelles à destination de la plupart des capitales européennes, auxquelles il faut ajouter l'Afrique du Nord. Il y a encore très peu de long-courriers, mais à peu près toute la gamme du court-courrier est représentée.
Le long courrier va apparaître dans les grandes métropoles européennes ; c'est l'arrivée de l'A321 Neo long range, qui est une révolution, car des avions de 200 places pourront être utilisés pour le long courrier au lieu de gros avions d'environ 300 places. Ainsi, dans toutes les métropoles de province, verra-t-on apparaître une liaison vers New York, qui aujourd'hui n'existe pas, car il faut passer par Paris. Un certain nombre de choses seront ainsi rééquilibrées, et la demande augmentera peut-être, à des prix qui ne sont pas encore connus.
Dans ce contexte, qu'est-il possible de faire ?
La réduction du transport aérien ne peut être obtenue que par des mesures autoritaires, soit en renchérissant drastiquement les coûts, soit en limitant l'accès aux aéroports. Cela relève d'un choix politique qui n'appartient pas au secteur aérien, et qui est d'autant plus complexe que ce secteur est très tiré par le tourisme et que la France est le premier marché touristique mondial.
Les équilibres et les choix en cause excèdent largement le secteur aérien. Pour avoir été un des négociateurs du CORSIA, je suis profondément engagé dans la question du changement climatique et de l'effet de serre. Mais considérer cette dernière de façon analytique, secteur par secteur sans la prendre en compte dans sa globalité, a failli nous faire échouer dans le CORSIA. En effet, à part l'Europe qui poussait dans ce sens, tous les autres pays étaient contre : à un moment, nous avons eu le monde entier contre nous, aussi bien de grands pays que de petits, de pays riches que pauvres. Tous ont dit que le transport aérien leur était vital, qu'ils ne voulaient pas en brider la croissance ; qu'ils étaient d'accord pour travailler à émission de C02 constante, mais pas dans une perspective de réduction de la croissance.
Parmi ces pays, certains sont engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais veulent laisser le transport aérien se développer. Cette question est importante, nous ne disposons pas de structure démocratique à l'échelle mondiale plus forte que l'ONU ; c'est dans ce cadre que nous avons travaillé.
Je vous fais en quelque sorte part de mon désarroi, pour un sujet qui ne trouvera pas sa réponse dans le seul secteur de l'aviation, et constitue un sujet politique majeur.
Il est vrai que le Président de la République a considéré que l'on ne peut pas taxer les vols intérieurs parce qu'ils ne sont pas rentables. En termes de dépense publique, et de manque à gagner, ces vols représentent 350 millions d'euros au titre de l'exonération de TICPE. Si le kérosène était taxé comme l'essence, cette somme avoisinerait 600 millions d'euros ; ce qu'a montré l'étude réalisée par C E Delft, alors que, par ailleurs, la TVA ne pèse pas sur le carburant. Une TVA à taux réduit de 10 % est appliquée aux billets d'avion, si ce taux était porté à 20 %, le produit serait de 300 millions d'euros.
À ces montants viennent s'ajouter toutes les subventions accordées aux petits aéroports et aux compagnies aériennes. La FNAUT, association membre du Réseau Action Climat, estime entre 19 et 25 millions d'euros par an le montant des subventions d'investissement pour les aéroports, et à 25 millions d'euros par an celui des aides aux lignes soumises à une obligation de service public. Cette aide pourrait être aménagée si une nouvelle taxe sur le transport national était créée. Ces aides représentent généralement un montant situé entre 20 et 200 euros par passager utilisateur de ces lignes ; il s'agit donc d'un coût pour le contribuable au profit du transport aérien. Ces dispositifs induisent par ailleurs une inégalité de traitement au regard des autres moyens de transport.
Contrairement à ce qui a été dit, les lignes transversales du transport aérien sont en croissance, comme les liaisons Bordeaux-Lyon et Lyon-Nantes, autrefois assurées par des lignes ferroviaires classiques de type Intercités de jour et de nuit ; ce qui démontre la pertinence du train sur les longues distances.
Je ne souhaite pas donner l'impression que Réseau Action Climat soit anti-technologies, mais les pays qui ont instauré une taxation du kérosène utilisé par les avions, comme le Japon, connaissent une baisse significative des émissions de C02 dues au trafic aérien. Lorsque, vers les années 2010, cette taxe a dû être réaménagée pour être réduite de 10 % par an, une augmentation des émissions de C02 a été constatée. D'après l'ONG International Council on Clean Transportation (ICCT), l'examen des différences de performance énergétique entre les compagnies aériennes montre que, pour les axes transatlantiques, Norwegian est, avec 33 %, la mieux placée, alors que la Norvège est l'un des pays qui a institué une taxation sur le kérosène et les billets.
Cela démontre l'intérêt de la taxation pour améliorer l'efficacité énergétique et accélérer la transition vers des solutions énergétiques alternatives si elles existent, car le message que j'ai entendu ce matin est qu'en réalité les travaux continuent et que ce n'est pas technologiquement et économiquement viable, et il faut également viser l'impact sur le trafic et la demande.
Mme Bondiou-Clergerie a fort justement souligné l'importante problématique de la concurrence dans l'usage des terres, l'huile de palme n'est d'ailleurs pas la seule concernée, mais c'est le cas de toutes les cultures entrant en compétition avec l'alimentation. À l'instar de la compensation, il faut être très vigilant au sujet des conséquences pour les pays du Sud en termes d'accaparement et de dégradation des terres.
Je rappelle que la France est le deuxième pays d'Europe pour la taxation du trafic aérien, ce qu'a montré une étude récente réalisée par l'IATA. Au regard des autres pays européens, le niveau de taxe n'est donc absolument pas faible en France, bien au contraire.
L'équilibre économique du réseau domestique français est extrêmement fragile, et c'est un terme poli que j'emploie. On peut parfaitement taxer plus le transport aérien, mais, comme l'a dit Patrick Gandil, il faudrait en assumer les conséquences. Car pour certaines liaisons il n'existe pas aujourd'hui d'alternative ; par ailleurs de nombreux emplois sont concernés. Il s'agit donc d'un choix de politique publique dont il faudra assumer les conséquences en termes de déplacements, de désenclavement des territoires et d'emplois.
Comme l'a souligné Mme Simmenauer, une des marnières d'améliorer nos performances environnementales réside dans le renouvellement des flottes. Or, peser encore plus sur la santé financière des compagnies aériennes reviendrait à retarder ce renouvellement ; ce qui conduirait à une performance environnementale dégradée.
En ce qui concerne la question des subventions, il faut rappeler que le transport aérien, par rapport aux autres modes de transport, paie l'intégralité de ses coûts d'infrastructure, contribuant ainsi largement au budget de l'État. Par ailleurs, les subventions pour obligation de service public, donc aux lignes d'aménagement du territoire, existent bien, mais ne représentent que 30 millions d'euros par an, hors Corse ; on ne peut pas dire que ces sommes sont considérables.
Par ailleurs, il est vrai que certaines compagnies low cost bénéficient de montants assez élevés de subvention de la part des collectivités locales, sujet bien connu, et la compagnie à laquelle je fais allusion pratique les tarifs les plus bas du marché. Outre les subventions que j'ai mentionnées, ces bas tarifs sont aussi dus à des pratiques sociales dont la presse se fait très largement l'écho.
L'exemple de Norwegian est particulièrement intéressant. Ce qui vient en fait d'être démontré, c'est qu'une compagnie aérienne en fort développement qui a des avions neufs a une meilleure performance environnementale qu'une compagnie aérienne qui n'a pas les moyens de remplacer ses avions. Expliquer qu'en taxant la compagnie qui n'a pas les moyens de remplacer ses avions, sa performance va s'améliorer, c'est une contre-vérité. Des compagnies émergentes ayant des avions neufs ont forcément une meilleure performance énergétique, parce que les avions récents ont une bonne performance énergétique. Le premier levier, c'est la performance énergétique.
Je reviens sur la question politique. Si l'on supprime la demande, il faut offrir une substitution. La question est aussi économique : les moyens de substitution sont-ils économiquement efficaces ? On parle de la substitution des terres pour les biocarburants ; si je construis une ligne de chemin de fer à grande vitesse, le budget est colossal, cela se chiffre en dizaines de milliards d'euros, et je prélève des terres. La question qu'il faut donc se poser, dans un investissement, c'est si c'est la meilleure façon d'investir l'argent pour décarboner. S'il suffisait de construire des lignes de chemin de fer, cela se saurait. Dans le désenclavement, le point fort de l'aéronautique est qu'il ne nécessite pas d'infrastructures, l'empreinte au sol est très faible ; il suffit d'acheter des avions.
Sur les lignes transversales, les avions régionaux sont aujourd'hui très anciens. Il y a eu peu de progrès technologiques récents sur ces marchés car il n'existait pas d'impact économique pour les justifier chez les constructeurs. Demain, il se peut que des technologies sur lesquelles nous travaillons, notamment l'électrification, c'est-à-dire l'hybridation, le mélange de propulsion thermique et électrique, puissent changer la donne dans ces secteurs, car il s'agit de distances plus courtes, avec moins de passagers. Cela pourrait être plus intelligent que de dire : « j'arrête de voler et je prévois des solutions de substitution qui coûtent très cher ».
Je reviens sur votre question concernant les solutions techniques. Il faut distinguer la distance franchie et la taille de l'avion. L'électrification n'est pas viable pour des distances et des tailles d'avion importantes, et ce pour des raisons techniques : il existe des verrous techniques sur la puissance et sur la masse. Sur de courtes distances, en mélangeant le thermique et l'électrique, il y a peut-être des choses à faire, avec des avions de forme différente. Des travaux sont conduits en France à ce sujet, y compris par le CORAC. Pour les gros avions, à court terme on restera sur des leviers classiques, en poussant les technologies. Il y a encore beaucoup de progrès à faire sur les moteurs. Dans le facteur cinq que nous avons gagné, 70 % de ce gain est dû à la technologie des moteurs, qui a énormément progressé. Nous avons encore devant nous une ou deux générations d'amélioration. Au-delà, il faudra aller vers des moteurs et des avions différents. Nous avons aujourd'hui des avions de forme classique tube and wing, des moteurs sous aile, dans les nacelles, depuis quarante ans ; nous avons optimisé, allégé, amélioré l'aérodynamique, les moteurs… Le coup d'après, ce sera de faire des avions de forme différente, avec des moteurs intégrés différemment, donc de nouveaux types de moteurs qui permettront des gains supplémentaires mais présentent un niveau de risque plus important, ce qui nécessite de la recherche. C'est pourquoi l'investissement en recherche est fondamental, ainsi que l'accompagnement de la prise de risque par les pouvoirs publics pour chercher ces nouvelles technologies.
Ce que j'ai entendu sur le financement du transport aérien est excessif. Mettre en évidence comme aides à l'infrastructure les quelques aides de collectivités locales à de petits aéroports, c'est méconnaître tous les grands aéroports, qui sont entièrement payés par le transport aérien. Il n'en va pas du tout de même dans le ferroviaire, où les investissements se sont retrouvés dans la dette ferroviaire qui se chiffre en milliards et est un problème budgétaire majeur. Je ne dis pas qu'il ne fallait pas le faire, ce n'est pas mon propos ni ma responsabilité, mais il faut regarder les choses de façon équilibrée. Les constructions de lignes TGV ne sont pas non plus neutres en matière de carbone. Il faut tout regarder. Les dépenses de sûreté, contre le terrorisme, sont considérables dans l'aviation, environ un milliard d'euros par an ; l'équivalent ne se retrouve pas dans les autres modes, et c'est entièrement acquitté, en France, par le transport aérien.
Quant aux lignes aidées d'aménagement du territoire, les lignes de désenclavement – Aurillac, Rodez, Castres… – représentent à peu près 5 millions par an. Nous espérons l'augmenter un peu car nous sommes très étriqués mais c'est cet ordre de grandeur là. Le reste de l'enveloppe concerne la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, si je ne m'abuse, Wallis, et la desserte internationale de Strasbourg en raison du Parlement européen. Ce genre de service est absolument vital pour une partie des petites préfectures du sud de la France, notamment du Massif central, qui sont loin de Paris, et ne coûte pas très cher.
Je ne dis pas cela pour nier que le transport aérien bénéficie d'un certain nombre d'avantages fiscaux, mais chaque mode est aujourd'hui dans un type d'équilibre économique, et la question n'est pas de savoir s'il existe une équité entre les modes – je ne sais pas ce que cela veut dire – mais si nous voulons changer ces paramètres économiques pour réduire le nombre de passagers aériens, ce qui n'est pas sans conséquences. Et ce sont ces conséquences qu'il faut apprécier.
Ce sera peut-être une remarque un peu provocatrice de ma part, mais vous ramenez toujours tout aux vols intérieurs. Est-ce à dire que vous n'avez pas de solution à proposer à l'international, qui est tout de même le coeur du problème qui nous intéresse ? Avez-vous engagé une réflexion au niveau des usages ? Comment faire face à la demande qui explose ? Comment limiter le temps perdu lors des atterrissages, par exemple ? J'aimerais recentrer le débat sur l'international.
Par ailleurs, vous avez évoqué le chiffre d'un milliard pour la recherche et le développement. Quelle part du budget cela représente-t-il ?
Quand on parle de substituabilité et de politique de transport, c'est sur les vols intérieurs que l'on peut agir. Sur les vols internationaux, il n'y a pas de substituabilité possible. Aujourd'hui, Nantes-Bruxelles par le train, c'est au moins quatre heures, et Bruxelles est la ville européenne la plus accessible. L'accessibilité européenne par le train est trop longue et c'est pourquoi le mode aérien a été plébiscité et a connu une telle croissance. Sur les longues distances, le temps des paquebots est fini. Dans l'international, il n'y a donc pas de substituabilité possible. La question est de savoir s'il existe une pression économique pour aller vers moins, et c'est là un choix politique, mais on ne trouvera pas de réponse dans l'économique.
La croissance du trafic, les évolutions de la situation sécuritaire, le fait qu'aient été suspendues des facilités de la zone Schengen, que les contrôles de sûreté soient beaucoup plus exhaustifs en raison de l'antiterrorisme ont assez fortement dégradé la situation dans la plupart des grands pays. Cette dégradation n'a pas de coût particulier en termes de CO2. Cela occasionne des désagréments, qui nous désolent, pour les passagers aériens mais les réponses sont difficiles, elles passent par une augmentation du nombre de policiers.
Je souhaite dissiper le malentendu : la technologie sur laquelle nous travaillons concerne l'ensemble des vols. La discussion a beaucoup porté sur les vols intérieurs du fait de ce que vient d'expliquer Patrick Gandil.
La croissance du trafic aérien et la demande d'avions sont tirées essentiellement par des zones hors Europe, en particulier l'Asie du Sud-Est. La demande est dans ces pays-là, c'est donc leur politique qui compte. Nous avons la chance d'avoir une industrie capable de vendre à l'international et qui représente 17 milliards d'euros d'excédent commercial, ce qui n'est pas négligeable du point de vue budgétaire.
Nous travaillons sur l'ensemble du spectre des avions. Le régional est assez faible. Il pourrait être revitalisé par les nouvelles technologies qui le rendraient plus économique et écologiquement acceptable, mais le coeur du marché, ce sont les moyens et longs courriers.
Un milliard d'euros, c'est pour la recherche et technologie. Au-delà, il y a le développement des produits, qui coûte beaucoup plus cher. Si je prends l'exemple de Safran, le budget de recherche est, en autofinancement, c'est-à-dire hors subventions, de l'ordre de 460 millions en 2018 et tend vers plus de 600 millions en 2022, sur un chiffre d'affaires de quelque 20 milliards d'euros. C'est significatif. Si je rajoute le développement, c'est bien plus élevé. Nous sommes dans une industrie technologique et nous consentons un effort très important sur la technologie. Il est important d'intensifier l'effort dans l'hybridation car, à la fin des fins, l'efficacité énergétique sera fondamentale. Nous prenons largement notre part du fardeau pour répondre à ces enjeux.
Plus les avions vont loin, plus c'est technologiquement compliqué. Dans le futur, il pourra peut-être y avoir une petite part d'électrification sur les moyennes distances. Pour les longues distances, il faudra des révolutions technologiques pour que cela se produise. Cela signifie que nous allons trouver d'autres solutions : la forme de l'avion, peut-être de nouveaux types de carburant – l'hydrogène est compliqué car il pose des problèmes de stockage, pourquoi pas le gaz naturel ? Notre capacité à investir technologiquement est une part très importante de l'équation.
Je constate que nous ne sommes pas d'accord sur les chiffres de subventions, il serait donc utile de les rendre publiques. Depuis 2012, on ne trouve plus ces données sur le site de la DGAC, ou bien nous ne parvenons pas à les trouver… Il me semble très important, pour vos travaux, que vous ayez un état des lieux des subventions publiques accordées au transport aérien, en particulier aux aéroports et aux compagnies aériennes. Vous avez souligné l'inéquité que cela peut créer entre les compagnies low cost et les compagnies classiques.
Je reviens sur le fait qu'il existe un lien entre la taxation du kérosène et l'efficacité énergétique. Le kérosène représente environ 20 % des charges ; si ce prix augmente, tout acteur économique cherchant à baisser ses charges, il cherchera dans ce cas à augmenter son efficacité énergétique. Nous voyons des différences entre compagnies aériennes en matière de performance énergétique : cela varie de 50 % entre la moins efficace et la plus efficace en termes de CO2 par passager-kilomètre. Il est donc important de souligner cette efficacité du signal-prix.
Notre solution porte aussi sur l'échelon international. Le Canada est en train de réfléchir à une taxation du carbone dans le transport aérien au niveau fédéral. Cela commencerait par une taxation au sein des provinces. Si nous préconisons, à très court terme, la mise en place d'une taxation des compagnies aériennes sur les vols de la France, nous préconisons aussi la taxation du kérosène. Le développement parallèle de ce qui se passe à l'étranger permettra de taxer aussi les vols internationaux et pas seulement les vols au niveau intra-européen, car la demande, vous l'avez tous souligné, va continuer à augmenter. Que d'autres parties du monde voient leur trafic augmenter ne devrait pas nous dissuader d'agir mais nous inciter au contraire à assumer nos responsabilités en tant que pays du Nord, pour avoir émis le gaz à effet de serre qui se trouve dans l'atmosphère, et à réduire ces émissions le plus tôt possible.
Vous avez posé une question sur les objectifs 2020 de performance énergétique. Je crois que c'est de l'ordre de 2 %. Depuis 2010, le taux d'amélioration de l'efficacité énergétique est de 1,1 %, selon une étude ICCT, dont les données sont disponibles en ligne. Je me demande donc si cet engagement volontaire sera atteint, sachant que c'est l'an prochain.
Les données sont assez faciles à obtenir puisqu'il s'agit de diviser la consommation par le nombre de passagers-kilomètres. Ce n'est donc pas un chiffre mystérieux, contrairement à celui de l'empreinte carbone, qui est complexe et impose de recourir à des modèles climatiques compliqués. Vous avez dit 1,1 % ; Nos chiffres sont plutôt entre 1,5 % et 2 % que 1,1%, précédemment cité. Ce sont des chiffres publics de la communauté du transport aérien ; ils se trouvent sur les sites de l'IATA et du Groupe d'action pour le transport aérien – Air Transport Action Group (ATAG).
Je confirme ce dernier chiffre. J'ai apporté une brochure que nous éditons annuellement avec le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA). Nous aboutissons à une amélioration d'efficacité de 1,7 % en moyenne annuelle depuis 2011, donc dans la fourchette entre 1,5 % et 2 %.
Par ailleurs, sur la tarification du CO2, il faut rappeler le dispositif européen, l'Emission Trading System (ETS), système d'échange de quotas d'émission qui existe depuis 2012 dans l'aviation, le seul mode de transport soumis à ce dispositif. Si le système a connu quelques petits soubresauts à ses débuts, nous sommes à présent dans une phase de développement. Les prix des quotas étaient encore relativement bas il y a deux ou trois ans, autour de cinq euros la tonne, mais ils sont aujourd'hui dans des fourchettes entre 22 et 25 euros la tonne. Dire que le CO2 n'est pas tarifé, n'est donc pas vrai dans l'intra-européen.
L'audition s'achève à douze heures vingt-cinq.
Membres présents ou excusés
Réunion du jeudi 7 février 2019 à 11 h 00
Présents. - Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton, Mme Nathalie Sarles
Excusés. - Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Bouillon, M. Julien Dive, Mme Marjolaine Meynier-Millefert