Monsieur Claireaux, vous m'avez interrogé sur les programmes à destination de la jeunesse, compte tenu de l'évolution probable de France 4. Les choix du Gouvernement s'imposent au régulateur, c'est l'État actionnaire qui décide de ce qu'il attend du service public de l'audiovisuel, et le Parlement qui vote les ressources qui lui sont affectées. Je n'ai pas à porter d'appréciation sur des choix de cette nature.
Je crois néanmoins que nos capacités de production dans ce secteur constituent un enjeu formidable. Le savoir-faire français est internationalement reconnu, et il faut y être extrêmement attentif. Il serait très dommageable d'altérer nos capacités de production de ces programmes particuliers, pour lesquels nous avons un réel savoir-faire.
S'agissant des programmes jeunesse, une approche un peu différente s'impose en fonction des tranches d'âge. Les petits et les adolescents ont des modalités d'accès à l'image différentes, et les vecteurs sont différents, notamment pour le secteur public.
Les adolescents et les jeunes adultes représentent un enjeu majeur pour le service public, qui est confronté au vieillissement des téléspectateurs. Si le service public doit retrouver le chemin de la jeunesse, il faut qu'il emprunte les vecteurs utilisés par la jeunesse. J'ai quatre enfants, mon dernier fils va avoir quinze ans, et je constate son mode de consommation : il s'initie à la musique en regardant YouTube, et il utilise les écrans de façon privilégiée.
Qu'une offre à destination de la jeunesse soit construite en s'appuyant sur des vecteurs numériques ne me choque pas, et dans le cadre du développement de l'investissement numérique de France Télévisions dans la réforme en cours, le ciblage des jeunes par la voie numérique peut avoir du sens.
C'est moins évident en ce qui concerne les plus jeunes, et notamment pour le confort et la sécurité des parents. Regarder la télévision de manière classique devant son écran offre l'assurance que les programmes sont maîtrisés et connus, alors que sur internet, on est tout de suite amenés à se poser des questions.
En résumé, l'enjeu de la jeunesse est très important pour le service public, et il faut que nous y soyons attentifs.
Madame Mette, vous m'avez posé une question de nature comparable, j'espère y avoir répondu.
Madame Provendier, vous m'avez posé une très belle question, demandant quel est mon rêve. J'en ai déjà évoqué un, bien que ce soit peut-être plus une ambition qu'un rêve : il consiste à faire entrer le régulateur de plain-pied dans l'ère numérique. Si nous réussissons cette réforme, nous aurons franchi un grand pas. Chaque génération apporte sa pierre à l'édifice, surtout dans les institutions. J'ai eu la chance de travailler dans de grandes institutions de la République, et c'est ainsi que je vois les choses. Quand je suis arrivé à la Comédie-Française, mon ambition était de livrer cette maison à mes successeurs dans un meilleur état que celui dans lequel je l'avais reçue. Pour le CSA, l'enjeu du numérique est majeur. Et si le CSA peut contribuer à renouer le lien de confiance entre les Français et le monde des médias, nous aurons aussi réalisé un joli rêve.
S'agissant de ma stratégie à court, moyen et long terme, je pense l'avoir esquissée dans mon propos liminaire : j'ai l'ambition, comme je viens de le dire, de faire entrer ce régulateur de plain-pied dans l'ère du numérique en le dotant des outils nécessaires.
À cette occasion, madame Thill, vous m'avez demandé quel type de relation devait exister avec les acteurs du secteur. C'est une question très importante, que j'ai un peu évoquée dans mon propos liminaire. Il faut que l'institution soit ouverte, et que nous dialoguions avec les acteurs, sinon nous ne pourrons pas faire une bonne régulation. Il faut donc entretenir un dialogue régulier avec tous ceux qui font partie de l'écosystème. En même temps, une déontologie propre s'applique à ces institutions, à laquelle je suis très attachée, mon profil de magistrat y contribue probablement. Je crois donc qu'il ne faut pas être dans l'isolement, ni dans la connivence. Si l'on veut pouvoir réguler correctement, il faut que chacun soit à sa place, et que l'autorité soit à l'écoute, dialogue, mais en gardant la distance nécessaire pour exercer son magistère. C'est ainsi que je perçois la relation avec les professionnels.
Je crois avoir abordé à plusieurs reprises la question de l'éducation aux médias : c'est l'une des missions qui incombent au CSA de par la loi. Il développe une série d'activités en la matière, je trouve que c'est un très bel enjeu, et le CSA n'est pas seul sur ce sujet : j'aurai prochainement l'occasion de rencontrer le ministre de l'Éducation nationale, et je compte bien évidemment m'en entretenir avec lui. L'effort doit être partagé entre ce qui relève de la sphère de l'État stricto sensu, des acteurs du paysage audiovisuel, et du régulateur.
Monsieur Testé, vous m'avez interrogé sur la campagne pour les élections européennes. Cela fait partie des chantiers que va trouver le nouveau président. Le CSA, avant le démarrage des campagnes électorales, publie toujours une recommandation générale qui fixe le cadrage du traitement médiatique et des équilibres qui doivent être respectés dans la campagne des élections européennes. C'est probablement l'un des premiers chantiers sur lequel je serais amené à me pencher si vous validez la proposition de nomination faite par le Président de la République. J'ai évoqué le principe qui prévaut en période électorale depuis le dernier dispositif mis en place par le CSA : c'est celui de l'équité. Toutes les formations politiques doivent être traitées selon un principe d'équité, et le CSA veille par ses interventions au respect de ce principe. Si des listes « Gilets jaunes » se présentent aux élections, elles devront être traitées comme les autres au regard de ce principe.
Madame Hérin, vous m'avez interrogé sur la vulgarisation scientifique, et je suis sensible à votre intervention. Je n'ai peut-être pas un panorama suffisamment complet de l'offre télévisuelle, mais il est vrai que, vu de l'extérieur, c'est quelque chose qui manque peut-être dans le paysage. Un peu de rationalité scientifique ne nuirait pas.
Madame Rixain, sur la question des femmes, je m'associe en premier lieu à votre hommage à Sylvie Pierre-Brossolette, qui a fait un très beau travail sur ce sujet. J'ai été plutôt rasséréné par le dernier baromètre qu'elle a présenté avant de partir : à l'inverse de la situation en matière de diversité, nous voyons que la place des femmes dans l'ensemble des compartiments – information, fiction – est en progression, même si les femmes expertes n'ont pas toujours celle qu'elles devraient avoir dans les débats. La loi a confié une série de missions sur ce thème au CSA : il conduit assez régulièrement des études sur cette question, il édite ce baromètre régulier. Il peut être amené à prendre des sanctions, et il l'a fait à plusieurs reprises en 2017 et 2018 quand la dignité de la personne n'est pas respectée, ou face à des stéréotypes. C'est un point auquel je suis personnellement très attaché, et lors de la constitution de l'équipe, puisqu'il appartient au président entrant de ventiler les portefeuilles entre les nouveaux membres et les membres qui restent, je serai très attentif à ce que cette question ait sa juste place, toute sa place, et une bonne place.
Je suis content qu'une question m'ait été posée sur le sport, car c'est un thème qui m'est cher. Un premier phénomène est très problématique : c'est l'éviction du sport des chaînes gratuites. Visiblement, monsieur Roussel, vous connaissez le sujet. Cette situation est largement liée à l'envolée du prix des droits sportifs. Seules les chaînes payantes trouvent un équilibre économique. Le dispositif réglementaire prévu par le décret de 2004 sur les événements d'importance majeure permet de préserver la diffusion, notamment sur le service public, de grands événements sportifs : le Tour de France, Roland-Garros ou la finale de la Coupe de France de football. Il faut y être très attentif, notamment dans la perspective des Jeux Olympiques. Comme vous le savez, les droits des Jeux Olympiques ont été cédés à Discovery, il serait inconcevable que les Françaises et les Français ne puissent pas avoir accès dans de bonnes conditions aux images de ces Jeux Olympiques qui se dérouleront en France. Je sais que France Télévisions y travaille en partenariat avec d'autres acteurs, mais il faut que nous restions très vigilants sur cette question.
Vous avez évoqué le piratage, et j'ai découvert récemment ce qu'il en était en m'intéressant au sujet et en étudiant les activités de la HADOPI. J'ai été effaré de constater l'ampleur du piratage des événements sportifs, notamment des matchs du Paris Saint-Germain, qui sont massivement diffusés en streaming. Le sénateur Assouline a produit un rapport il y a deux ans sur le sport à la télévision, et il y a formulé une série de propositions. Vous mettez le doigt sur un problème, je ne peux pas vous faire de réponse plus précise à ce stade, mais c'est une question à laquelle je m'intéresserai.
Monsieur Kerlogot, je ne peux pas laisser dire que le CSA soit une autorité sans pouvoir, car elle a des pouvoirs de sanction. Elle adopte l'approche de la riposte graduée : elle commence par mettre en garde, et beaucoup d'interventions ne sont pas visibles mais font partie du quotidien de l'institution. Elle adresse un courrier aux éditeurs de chaînes en les alertant que sur tel programme, une anomalie au regard de certains principes posés par le législateur a été constatée. L'échelon suivant est la mise en demeure, prévue explicitement par la loi tandis que la mise en garde n'est qu'une pratique, elle n'est pas prévue en tant que telle par les textes. La mise en demeure est le dernier avertissement sans frais pour placer les interlocuteurs face à leurs responsabilités. Et au bout du compte, les sanctions peuvent être très importantes, notamment des amendes dont on a beaucoup parlé récemment à propos d'un animateur célèbre. C'est l'une des dernières sanctions que le CSA a prononcée, et le montant de l'amende a été confirmé par le Conseil d'État quand cette décision a fait l'objet d'un pourvoi. Ces armes existent, il faut les appliquer dans un certain nombre de circonstances, car c'est l'autorité du CSA qui est en jeu.
Comme vous l'aurez compris, je pense que la responsabilité des acteurs est un axe essentiel. On peut trouver des faiblesses au paysage audiovisuel, mais les acteurs y sont présents depuis longtemps. Ce paysage est mouvant, mais il est mature. On peut donc essayer d'avoir des relations de confiance, fondées sur la mise en responsabilité. C'est l'esprit de la notion de corégulation que nous avons évoquée à plusieurs reprises cet après-midi : souscrire des engagements négociés avec les acteurs, dont l'application est assurée par le régulateur. Mais les acteurs s'engagent à s'autoréguler. C'est dans ce sens qu'Olivier Schrameck avait parlé de « supra-régulation ».