Mardi 29 janvier 2019
La séance est ouverte à seize heures vingt.
Présidence de M. Bruno Studer, président de la Commission
————
La commission des Affaires Culturelles et de l'Éducation auditionne M. Roch-Olivier Maistre, dont la nomination à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est envisagée par le Président de la République.
Mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour émettre un avis sur la nomination de M. Roch-Olivier Maistre à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Cette nomination fait partie de celles sur lesquelles notre commission, compétente en matière de médias, doit se prononcer au préalable en application de l'article 13 de la Constitution.
Je rappelle qu'aux termes de cette procédure, si l'addition des suffrages négatifs émis dans les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat atteint les trois cinquièmes du total des suffrages exprimés, le Président de la République ne peut procéder à la nomination.
Avant d'émettre notre avis, monsieur Maistre, nous allons vous entendre. Vous vous rendrez demain à onze heures devant nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat pour le même exercice. En conséquence, le dépouillement des votes des deux commissions aura lieu de manière concomitante, demain en fin de matinée.
Je vous souhaite la bienvenue devant notre commission, que vous connaissez déjà bien. Vous êtes actuellement président de chambre à la Cour des comptes. Votre carrière – d'abord comme administrateur de la Ville de Paris puis à la Cour des comptes – vous a très tôt conduit à vous spécialiser dans les politiques publiques de la culture et de la communication.
Je n'énumérerai pas ici les très nombreuses missions et fonctions que vous avez remplies – vous nous parlerez peut-être de certaines d'entre elles – mais, de la Comédie-Française au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), du Médiateur du cinéma à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), en passant le comité d'éthique du groupe NextRadio TV ou la Philharmonie de Paris, vous possédez une grande connaissance des différents secteurs culturels et médiatiques français.
Vous étiez membre du cabinet de François Léotard en 1986, au moment de la préparation et du vote de la loi relative à la liberté de communication. Aujourd'hui, sa réforme est au coeur de toutes les réflexions : nous allons bien entendu en parler.
Cette audition va également vous permettre de nous exposer votre projet pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, ainsi que la façon dont vous concevez votre rôle de président d'une instance collégiale.
Nous serons attentifs aux priorités que vous retiendrez, ainsi qu'aux évolutions que vous envisagez pour l'action du Conseil et l'exercice de ses très nombreuses compétences. À ce propos, l'activité du CSA repose encore en grande partie sur les conventions passées avec les chaînes : est-ce pour vous un modèle d'avenir ?
Vous le savez, notre commission a conduit une mission d'information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l'ère numérique en 2018. Le rapport rédigé par Aurore Bergé avance des préconisations claires et argumentées sur les évolutions à mettre en oeuvre, tant au niveau législatif et réglementaire qu'en matière de régulation. Lesquelles vous paraissent les plus urgentes pour préserver l'avenir économique et culturel du secteur audiovisuel français ?
La réforme législative à venir devra également assurer la transposition de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA), récemment adoptée par l'Union européenne, avant août 2020. Cette directive soulève quelques problèmes d'interprétation, notamment en ce qui concerne la participation d'acteurs comme Netflix à la création et à la production françaises. Selon vous, quelles règles conviendrait-il de retenir ?
Enfin, à terme, la réforme de la contribution à l'audiovisuel public apparaît inéluctable : êtes-vous favorable à son universalisation ? Le rapport d'Aurore Bergé estime qu'en maintenant son montant au niveau actuel, il serait alors possible de financer l'arrêt de la publicité sur les antennes de Radio France et sur une chaîne du service public : quelle est votre position ? Dans le contexte actuel, une telle réforme est-elle possible ?
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre accueil. En me présentant devant votre commission cet après-midi et en me soumettant à vos suffrages, j'ai pleinement conscience de l'importance de la mission que le Président de la République a proposé de me confier. La perspective d'oeuvrer dans un secteur au coeur des libertés publiques et de l'expression culturelle française est bien plus qu'un honneur, c'est une grande responsabilité.
Je me présenterai en quelques mots – même si votre commission me connaît déjà, le président l'a rappelé. Je souhaite surtout vous exposer ma vision de certains enjeux auxquels le Conseil supérieur de l'audiovisuel – et donc son président – sont et seront confrontés. Je veux mettre mon expérience au service de cette grande institution. Actuellement président de chambre à la Cour des comptes où j'exerce les fonctions de rapporteur général, j'ai consacré toute ma vie au service public et, en particulier, au monde de la culture et de la communication. Avec Michel Boyon – qui fut plus tard président du CSA – et Xavier Gouyou-Beauchamps – qui vient malheureusement de nous quitter –, j'étais tout jeune conseiller au cabinet du ministre de la culture et de la communication lorsque la grande loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, dite loi « Léotard », a été élaborée. Aujourd'hui encore, elle fixe le cadre législatif applicable au secteur.
J'ai vécu en direct ce moment particulier pour l'audiovisuel et pour les Français, marqué par la fin d'un quasi-monopole public. Depuis plus trente ans, le paysage s'est totalement métamorphosé. Les différentes fonctions que j'ai occupées ou missions que j'ai remplies pour les gouvernements successifs m'ont permis de suivre en « spectateur engagé » – pour reprendre une belle formule de Raymond Aron – cette extraordinaire évolution. J'en ai pris la mesure aux côtés du président Jacques Chirac, dont j'ai été pendant cinq ans le conseiller « éducation, culture et communication ». J'ai ainsi vécu l'émergence de la télévision numérique terrestre (TNT). Je me souviens très précisément des oppositions qu'elle a suscitées. Mais le projet a finalement été mené à bien, avec le président du CSA Dominique Baudis, et cette révolution a transformé les rapports des Français avec la télévision.
C'est aussi de cette époque que datent la genèse et le lancement de France 24 – que le Président appelait à l'époque le « CNN à la française ». Mais j'ai surtout vécu le formidable combat réussi pour la reconnaissance de l'exception culturelle. J'ai à nouveau pris la mesure des mutations du secteur audiovisuel en participant en 2017 et 2018 aux réflexions sur l'évolution de notre audiovisuel public avec mon ami Marc Tessier, ancien président de France Télévisions.
Je pense avoir acquis une bonne connaissance des acteurs et des problématiques de l'univers des médias audiovisuels et de presse écrite. Je suis également très attaché à tous les créateurs, qui font la vitalité de notre vie culturelle, de notre cinéma, de notre production audiovisuelle, de notre théâtre, de notre musique et, en définitive, participent à notre rayonnement mondial.
En outre, mon parcours m'a permis de me confronter à deux reprises à l'exercice singulier de la régulation : dans l'univers du cinéma d'abord, en qualité de Médiateur – fonction que j'ai occupée pendant six ans ; dans le domaine de la presse écrite ensuite, en qualité de président de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, pendant cinq ans. Cette double expérience m'a appris que la régulation est un art subtil et exigeant, la recherche permanente d'un équilibre entre le droit et les acteurs en présence, afin de préserver les principes essentiels posés par le législateur. Cet art exige capacité d'écoute, diplomatie, impartialité, équité dans la décision et sens de l'intérêt général, mais aussi souvent du courage.
Enfin, grâce à mes différentes responsabilités à la Ville de Paris, à la direction générale de la Comédie-Française, comme président du conseil d'administration de la Cité de la musique ou comme administrateur de France Médias Monde, je crois avoir acquis une solide expérience de la gestion publique et de l'animation d'une équipe de collaborateurs. Mes années passées comme magistrat de la Cour des comptes, outre l'indépendance et la neutralité qu'elles m'ont enseignées, n'ont fait que renforcer cette expérience. Elles ont aussi conforté ma conviction – c'est un point important concernant le CSA – que la délibération collective et la collégialité ne peuvent qu'enrichir le processus de décision. Fort de ces expériences diversifiées et d'un attachement profond aux valeurs républicaines qui fondent les missions du CSA, je souhaite m'engager dans cette nouvelle mission.
Je le fais en considération du moment que nous vivons. J'ai évoqué les « évolutions » intervenues depuis l'adoption de la loi de 1986. J'aurais pu parler de révolution, tant les mutations à l'oeuvre sont puissantes. Elles constituent autant d'enjeux pour le CSA.
Je souhaite partager trois convictions. La première, c'est que le CSA est une institution au coeur de la demande sociale : l'environnement dans lequel il inscrit son action est en profonde mutation – le récent rapport de votre mission d'information l'a parfaitement mis en lumière. Révolution numérique, multiplication et fragmentation de l'offre, transformation des usages avec la diversification des écrans et des modes de réception du média radio – et le déploiement de la radio numérique terrestre –, irruption de nouveaux acteurs, et en particulier Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM), disparition des barrières nationales : à la télévision, à la radio, sur tous les supports, les puissantes forces à l'oeuvre n'ont pas fini de faire sentir leurs effets.
Dans ce contexte mouvant, j'estime que les principes posés par la loi de 1986 demeurent d'une brûlante actualité : défense du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion – à l'heure où l'audiovisuel est concurrencé par les réseaux sociaux et les sites internet –, vigilance sur la diversité et la juste représentation de toutes les composantes de la société et de tous les territoires, promotion inlassable de la parité, protection de l'enfance et de l'adolescence, respect de la dignité de la personne humaine et de ses représentations, lutte contre la diffusion de contenus contraires à toutes les valeurs de la République. Chacun de ces principes fait écho à de fortes attentes de la société : nécessaire éducation aux images et aux écrans, lutte contre les contenus haineux, racistes et antisémites – un rapport a été remis par Mme Avia, M. Amellal et M. Taieb –, inquiétant développement du phénomène des fausses nouvelles qui met en péril le débat public. De même, où est la liberté d'informer quand les journalistes sont attaqués dans l'exercice de leur métier ? Pourtant, cette liberté est protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ».
Avec l'explosion des réseaux sociaux, la question de la déontologie de l'information est devenue centrale : centrale pour la confiance de citoyens envers l'information, centrale pour les professionnels eux-mêmes, centrale pour notre vie collective et notre démocratie. La dernière étude du CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, dresse le constat cruel de la défiance de nos concitoyens à l'égard de la sphère publique et des médias. Du fait de son champ d'intervention, le CSA a un rôle éminent à jouer : en amont, par les recommandations qu'il émet et le dialogue qu'il engage avec les éditeurs ; en aval, par les mises en demeure et les sanctions qu'il peut être amené à prononcer, dans les cas les plus difficiles. En adoptant la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information – que vous connaissez mieux que personne, monsieur le président –, le Parlement a conforté et étendu ce rôle.
Alors que se dessine une importante réforme de notre audiovisuel public, le Conseil doit également, et en toute indépendance, tenir toute sa place pour que les valeurs et les spécificités du service public, son rôle majeur en matière d'information, d'éducation, de culture, de savoirs, soient préservés et confortés. Il doit être attentif à ce que le service public accélère sa transformation numérique pour rajeunir ses audiences et conforte ses offres de proximité. S'il n'appartient pas au régulateur de se substituer à l'État pour définir la réforme à venir, il lui reviendra – et j'y veillerai – de donner son avis et d'accompagner sa mise en oeuvre.
Ma deuxième conviction, c'est que le CSA a déjà beaucoup évolué, mais qu'il est encore appelé à se transformer. Aux attentes de la société répondent celles de tous les acteurs de la filière audiovisuelle : ils aspirent à une régulation des rapports entre les différents maillons de la chaîne – création production, diffusion ; auteurs, producteurs, diffuseurs, distributeurs – afin de défendre la création et de garantir son financement conformément aux principes de l'exception culturelle.
Face aux asymétries de régulation, beaucoup d'acteurs de la filière aspirent aussi à la restauration d'une concurrence équitable avec les nouveaux acteurs du numérique. Si l'on veut préserver durablement notre modèle au service de la création, il faut entendre ces attentes. Nul ne saurait ignorer la dimension économique et culturelle de la sphère audiovisuelle, formidable atout pour notre pays et puissant vecteur de rayonnement au-delà de nos frontières.
Ces attentes interrogent sur le périmètre, les règles du jeu applicables et les modalités de la régulation. Dans le prolongement de l'intégration des chaînes non-hertziennes, puis des services de vidéo à la demande, il faut poursuivre l'adaptation du périmètre de la régulation et intégrer les nouveaux acteurs – plateformes de diffusion ou réseaux sociaux.
Des avancées importantes ont été obtenues dans le cadre de la nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels (SMA), qui constituent une première étape encourageante dans la perspective d'une meilleure régulation des GAFAM : modification du périmètre de la régulation, adaptation des règles du jeu et de la réglementation – sa stratification et sa complexité la rendent en partie inintelligible et souvent inadaptée à la nouvelle donne.
La loi de 1986, consolidée après plus de quatre-vingts modifications – que je relisais la semaine dernière – est devenue un document extraordinairement volumineux et totalement inintelligible. Il est temps de codifier les règles applicables, mais aussi d'assouplir et d'étendre ce qui doit l'être.
Nous devons adapter les modalités de la régulation. Notre modèle fait intervenir une pluralité d'acteurs et repose sur une approche profondément normative : c'est probablement lié au goût français pour le choc de simplification… Face à des évolutions toujours plus rapides, et comme s'y est d'ailleurs engagé le collège du CSA et le président Schrameck – dont je salue l'action –, nous devons donner une place accrue au droit souple et à la corégulation : les principes généraux doivent être posés par la loi, déclinés dans des engagements négociés avec les acteurs, puis mis en oeuvre sous la supervision du régulateur. Nous devons développer les chartes, énonçant des principes que les parties s'engagent à respecter, la médiation et la conciliation. Nous devons jouer la carte de la responsabilité des acteurs : nous avons plus besoin de régulation que de réglementations supplémentaires.
Dans le même esprit, une collaboration renforcée entre les différents régulateurs s'impose pour tendre vers plus de mutualisation, plus de cohérence et plus d'efficacité dans l'action. Le projet de loi annoncé par le Gouvernement pour cette année sera naturellement décisif. Le collège du CSA, qui a récemment formulé de nombreuses propositions pour refonder la régulation, jouera le rôle qui lui revient.
Ma troisième conviction : le CSA doit être toujours plus ouvert sur l'extérieur. L'indépendance, qui est sa marque et que j'entends défendre et préserver, ne saurait être synonyme d'isolement et de repli sur soi. Comment bien réguler sans être à l'écoute de l'écosystème ? Le CSA doit d'abord être ouvert à la représentation nationale. En la matière, ma vision est simple et sans ambiguïté : je me tiendrai toujours à la disposition du Parlement, en particulier de votre commission, pour enrichir nos travaux, expliquer nos objectifs et nos choix, mais aussi imaginer ensemble les évolutions souhaitables et utiles.
Il appartient au seul législateur de définir nos missions et d'allouer à l'institution les ressources nécessaires à leur exécution. Il nous revient de les remplir au mieux et au meilleur coût pour les Françaises et les Français. Le dialogue permanent entre le Parlement et le Conseil est essentiel pour asseoir la pleine légitimité de son action.
Ouvert à la représentation nationale, le CSA doit également l'être envers nos concitoyens, premiers destinataires de la liberté de communication. Au-delà du traitement – normal – des plaintes, l'institution doit s'attacher à prendre en compte les attentes des Français ; elle doit veiller à la transparence de ses interventions, à la pédagogie de ses initiatives et de ses décisions car la régulation aura une dimension de plus en plus participative.
L'institution doit également s'ouvrir aux acteurs, afin d'anticiper les mutations économiques, technologiques et sociologiques, de se projeter dans le futur et de prendre la juste mesure des problématiques du moment. Bien malin celui qui peut dire ce que sera notre paysage dans les années qui viennent… Il est très important que le CSA renforce sa capacité prospective – comme il a commencé à le faire avec le CSA Lab – pour tenter d'anticiper ces évolutions.
L'institution doit également continuer à s'ouvrir sur le monde, et plus particulièrement sur l'Europe et la francophonie. J'entends poursuivre les efforts de coopération engagés, notamment avec la création du Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels – European Regulators Group for Audiovisual Media Services (ERGA) – et avec le réseau des autorités de régulation francophones. L'émergence d'une Europe des médias constitue un enjeu majeur ; en témoignent les initiatives en cours sur la responsabilité et le régime fiscal des acteurs du numérique, traduites dans la nouvelle directive SMA et, demain, je le souhaite, dans la nouvelle directive relative aux droits d'auteur.
La conception européenne des médias ne doit pas se réduire à la seule régulation d'un marché : elle est indissociable de l'histoire du continent et de la richesse de sa culture. J'observe avec confiance et optimisme les évolutions en cours et souhaite que l'Europe s'attache à mieux préserver son exception culturelle.
Face à ces défis, trente ans après sa création, je suis convaincu que le CSA dispose de solides atouts pour se renouveler : richesse et diversité des expériences des membres de son collège ; compétence et sens du bien public de ses trois cents collaborateurs. Sans sous-estimer la tâche, c'est avec conviction et détermination que je souhaite m'engager dans cette belle mission.
Je donne d'abord la parole à Mme Kuster, en charge du suivi du CSA au sein de notre commission.
Monsieur Maistre, soyez le bienvenu dans cette commission que vous connaissez bien. Je vous remercie pour ces propos liminaires qui font écho à votre expérience au sein du service public de la culture et nous mettent en confiance.
Vous l'avez évoqué, le CSA est aujourd'hui manifestement inadapté aux enjeux de régulation que posent les acteurs du numérique. La directive SMA apporte bien sûr des réponses, en matière de financement de la création ou de diffusion d'oeuvres européennes, mais elle ne règle pas tout, loin s'en faut. D'ailleurs, votre prédécesseur en appelait récemment au législateur pour qu'il renforce les pouvoirs du CSA à l'égard des plateformes numériques. Partagez-vous cette conviction ? Si tel est le cas, qu'attendez-vous du prochain projet de loi audiovisuel ?
Par ailleurs, entendez-vous poursuivre la voie tracée par Olivier Schrameck, qui considérait le CSA non seulement comme un organe de régulation, mais aussi de corégulation, voire de suprarégulation, et comme un lieu de concertation où les acteurs du secteur, y compris sur des enjeux économiques, sont susceptibles de dialoguer ? J'ai cru comprendre que vous vous inscriviez dans cette logique.
Autre dossier saillant : la cartographie de la régulation. Vous avez parlé de « collaboration renforcée ». Olivier Schrameck, quant à lui, s'est toujours déclaré hostile à une fusion avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Dans son rapport, notre collègue Aurore Bergé défend quant à elle une fusion avec la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Les tentations de regroupement sont légion : quelle est votre position à ce sujet ?
Autre point d'importance : les pouvoirs confiés au CSA par la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Les plateformes sont tenues à un devoir de coopération qui les laisse libres de définir des mesures de lutte contre les fake news. Le CSA devra s'assurer que les plateformes s'acquittent bien de ce devoir et réaliser un bilan d'application. Comment envisagez-vous cette nouvelle compétence, alors que vous prendrez vos fonctions dans le contexte des élections européennes ?
Enfin, votre prédécesseur nous avait donné l'opportunité de mieux comprendre le fonctionnement du CSA en nous permettant d'assister à une session plénière. Envisagez-vous de poursuivre en ce sens ? J'ai cru le comprendre.
Je donne maintenant la parole à Mme Bergé, auteur du rapport auquel j'ai fait référence et sur lequel Mme Kuster s'est aussi appuyée.
Cher Roch-Olivier Maistre, Mme Kuster a raison, nous sommes en confiance et impatients de vous voir à l'oeuvre, mais souhaitons vous poser certaines questions avant de valider la proposition soumise à notre Assemblée par le Président de la République.
Vous avez rappelé les valeurs qui guideront votre action : écoute, diplomatie, équité, courage, indépendance et collégialité. En quoi votre expérience à la Cour des Comptes sera-t-elle utile, notamment en matière de régulation économique, essentielle au CSA ? Olivier Schrameck, dont nous saluons tous l'action, avait insisté sur ce sujet.
S'agissant de vos relations avec les autres régulateurs, notre rapport recommande une fusion du CSA avec la HADOPI, afin que les contenus soient régulés par une instance unique. Quelle est votre position ? Est-elle de principe ou considérez-vous que certains rapprochements seraient utiles pour aller vers moins de réglementation et plus de régulation ? Si oui, lesquels ?
Avec l'ancienne ministre George Pau-Langevin, nous avons rédigé l'an dernier un rapport d'évaluation de la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse. Vous avez été président de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse et avez géré l'épineux dossier Presstalis. Quelles bonnes pratiques issues de votre expérience comptez-vous importer au CSA ?
Monsieur Maistre, votre carrière illustre votre expérience considérable dans les milieux de la culture et de l'audiovisuel. Vous pourrez donner votre pleine mesure au CSA. J'ai noté avec intérêt que vous entendiez approfondir les avancées obtenues au niveau européen par le président Schrameck en matière de régulation des médias. Comment pensez-vous obtenir des évolutions des instances européennes ?
Concernant la régulation de la radio, il y a quelques jours, le Salon de la radio s'est tenu à Paris. Les acteurs s'interrogent sur la concurrence des plateformes de streaming, les quotas francophones et le marché publicitaire. Comment envisagez-vous une régulation plus souple des différents acteurs ? La radio numérique terrestre, désormais appelée « DAB+ » devient quant à elle une réalité en France. Pour les habitants de certains quartiers, comme le mien, porte de Bagnolet, cette technologie permettra enfin de recevoir la radio. Comment comptez-vous assurer le succès du DAB+ ? Enfin, le CSA a formulé plusieurs propositions pour la modernisation des règles applicables aux radios, notamment la simplification du dispositif des quotas francophones. Or la francophonie est très importante pour notre pays : comment le CSA pourrait-il jouer un rôle plus important de médiateur et favoriser le développement d'offres de streaming en ligne ?
Monsieur Maistre, vos compétences sont reconnues et multiples et votre expertise poussée dans le domaine culturel. Comment cette dernière influencera-t-elle votre action à la tête du CSA si votre nomination est confirmée ?
Vos propos me touchent. Madame Kuster, la directive SMA est une étape majeure : elle étend la régulation à de nouveaux acteurs – plateformes de partage de vidéos sur les réseaux sociaux ou services de diffusion en direct ; elle assure une meilleure protection des mineurs contre les contenus qui peuvent porter atteinte à leur bon développement ; elle sanctionne les contenus incitant à la haine ou à la violence ; elle reconnaît l'importance de la régulation puisqu'elle invite tous les pays de l'Union européenne à se doter d'une structure de régulation indépendante du type du CSA. En outre, les objectifs culturels de l'Union européenne sont renforcés puisqu'elle impose un quota de 30 % d'oeuvres européennes dans les catalogues et oblige à les mettre en valeur.
Il s'agit de perspectives intéressantes. La directive permettra surtout de réguler des acteurs situés hors de notre territoire mais qui y diffusent leurs contenus. Ce changement de perspective de régulation va nous permettre de corriger les actuelles asymétries de régulation.
Le président Schrameck et le CSA ont souhaité aller plus loin et, dans la perspective du futur projet de loi audiovisuel, le collège a formulé une vingtaine de propositions. Après avoir pris mes fonctions, je prendrai mon bâton de pèlerin pour plaider notre cause.
S'agissant de la corégulation, la directive SMA l'encourage. Je crois beaucoup à cette responsabilisation des acteurs et m'attacherai à établir des liens de confiance – et non de connivence, car nous sommes une autorité indépendante – avec eux. Qu'est-ce que le droit souple et la corégulation, défendus par Olivier Schrameck et le collège du CSA ? Des engagements sont négociés avec les acteurs et, grâce à ses pouvoirs, y compris de sanction, le régulateur s'assure de leur respect.
Vous avez également évoqué notre collaboration avec les autres régulateurs. C'est le charme de la France : le paysage de notre régulation est une mosaïque riche de nombreux régulateurs qui interviennent dans différents secteurs. Certes, comme le disent les mathématiciens, il y a des zones d'intersection avec la HADOPI, la CNIL, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) – pour ce qui concerne le sport sur internet ou e-sport – ou l'Autorité de la concurrence.
Nous devons renforcer notre collaboration – ce point n'est pas négociable. Pourquoi ? Tout simplement car nos interlocuteurs, a fortiori lorsqu'ils sont étrangers, sont les mêmes. Une approche dispersée nous fait perdre en efficacité.
Quel doit être notre degré de collaboration ? Plusieurs formes sont envisageables : partage d'expertise, rapprochement des services ou mutualisation des services ou des compétences – par exemple par la mise à disposition de spécialistes –, dialogue renforcé ou réunions d'études communes.
Des formes d'intégration plus poussées sont envisageables, mais il faut garder en tête que chaque régulateur a une mission dominante et un champ de compétences particulier : les différentes options doivent donc être scrupuleusement évaluées.
Plusieurs rapports ont par le passé évoqué une possible fusion du CSA avec l'ARCEP, mais je constate qu'on l'évoque moins depuis quelques années. Je considère que la régulation du monde des télécoms est très spécifique, même s'il existe des zones d'intersection – les entreprises de télécommunications sont très présentes dans le monde des médias. Nous devons développer nos collaborations et l'expertise des services de l'ARCEP peut être très utile au CSA sur certains dossiers. Mais je ne suis pas convaincu par le scénario de la fusion…
Le CSA et la CNIL ont évidemment des zones d'intersection en ce qui concerne le traitement des données, puisque la CNIL assure la protection des données personnelles et la mise en oeuvre du Règlement général sur la protection des données (RGPD), et que la problématique de la valorisation des données dans la sphère audiovisuelle va prendre une importance considérable dans les années qui viennent, notamment en raison du développement des plateformes. Cependant, le CSA et la CNIL ont des métiers fondamentalement différents et, même si la Cour des comptes m'a donné le goût de la rationalisation, j'estime qu'il est suffisant que les deux institutions collaborent et qu'une fusion n'est pas souhaitable.
Un éventuel rapprochement entre le CSA et la HADOPI, évoqué dans plusieurs rapports, pourrait faire sens, puisque les deux institutions s'intéressent aux contenus et peuvent toutes deux être amenées à lutter contre le piratage, encourager le développement de l'offre légale et assumer une mission de contrôle des conditions de financement, mais aussi de protection et de valorisation de la création. Cela nécessiterait sans doute de résoudre quelques questions d'ordre juridique, mais l'idée peut sembler intéressante. En tout état de cause, elle relève de la compétence exclusive du législateur, et ce n'est pas le seul président du CSA qui pourrait prendre une décision à ce sujet.
Enfin, vous avez évoqué la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, qui donne au CSA une double compétence en la matière – qu'il nous reviendra de mettre en oeuvre à très brève échéance. Il va d'abord s'agir de la possibilité d'interrompre le signal d'un éditeur détenu par une puissance étrangère qui diffuserait en période électorale des messages de nature à altérer le scrutin – une responsabilité lourde, a fortiori dans un contexte électoral. Par ailleurs, le CSA sera chargé de s'assurer que les opérateurs de plateforme en ligne prennent, comme ils en ont désormais l'obligation, des mesures en vue de lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public ou d'altérer la sincérité du scrutin. Sur ce dernier point, vous comprendrez que je reste prudent dans mon expression, puisque cette évolution suppose à la fois une organisation interne au CSA pour remplir cette mission et une délibération du collège ayant pour objet d'arrêter les modalités de mise en oeuvre du nouveau dispositif – mais en tout état de cause, nous exercerons cette nouvelle compétence législative qui vient de nous être confiée.
Madame Bergé, vous m'avez interrogé sur ma qualité de magistrat à la Cour des comptes. J'espère que ce n'est pas cette seule qualité qui a conduit à ce que mon nom soit proposé : si j'ai l'esprit de corps, je ne porte pas en étendard mon appartenance à la Cour des comptes ! Plusieurs membres de la Cour ont déjà fait partie du collège du CSA mais, si vous validiez ma nomination, ce serait la première fois qu'un membre de la Cour le présiderait.
Un magistrat se trouve, par définition, soumis à des obligations particulières, notamment le devoir de respecter un principe d'indépendance et un principe d'impartialité. Plus spécifiquement, le fonctionnement de la Cour des comptes repose sur deux principes cardinaux, à savoir la collégialité et la contradiction, en vertu desquels la Cour n'émet aucune production sur laquelle il n'ait été délibéré collégialement. À titre d'exemple, le rapport public annuel de la Cour que nous allons remettre lundi prochain au Président de la République a été adopté par la Cour dans sa formation la plus collégiale – la chambre du conseil, qui rassemble l'ensemble des conseillers maîtres. Je suis très attaché à ce principe de collégialité, car il protège l'institution. J'insiste sur le fait que les productions de la Cour ne sont pas les productions d'une personne, mais toujours celles de l'institution. Pour le CSA également, la délibération collective me paraît très importante : on trouve au sein du collège des profils et des expériences différentes, qu'il faut valoriser par la délibération collective, qui fait la force de la force de l'institution.
Durant les années que j'ai passées à la Cour des comptes, j'ai consacré beaucoup de temps à l'activité juridictionnelle stricto sensu, puisque j'ai été pendant trois ans premier avocat général au parquet général de la Cour, c'est-à-dire adjoint du procureur général de la Cour, mais également membre de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) pendant un peu plus de quatre ans. Ma connaissance de la procédure juridictionnelle me sera utile au sein d'une institution qui peut elle-même être amenée à engager des procédures de sanction.
Enfin, la Cour des comptes a évidemment une dimension économique, qui conduit lorsqu'on y travaille à examiner des chiffres très fréquemment et à devenir familier des finances publiques, deux compétences également très utiles lorsqu'on aborde la sphère de l'audiovisuel public. Au cours des dernières années, la Cour a contrôlé France Télévisions, mais aussi Radio France – dont il sera question dans son prochain rapport public annuel – et le CSA – il y a deux ans, si j'ai bonne mémoire. Cette activité a nourri mon expérience, que je souhaite aujourd'hui mettre au service de l'institution.
Monsieur Garcia, vous m'avez interrogé sur mon expérience dans le secteur de la presse. Sur ce point, je vais faire un petit aparté pour souligner qu'il me paraît nécessaire de distinguer ce qui relève de la régulation stricto sensu de ce qui relève d'une problématique industrielle. Toutes les difficultés de l'entreprise Presstalis ne sont pas liées à des problématiques de régulation : ce sont les problématiques auxquelles peut être confrontée toute entreprise dotée d'une structure à coûts fixes et devant faire face à un marché en recul constant – en l'occurrence, celui de la presse. Presstalis a mis beaucoup de temps à s'adapter à son marché – finissant, si j'ose dire, par courir après – et a pour cela fait de gros efforts, tout comme l'État, qui a accompagné le financement de la réforme mise en oeuvre. L'enseignement que j'en ai tiré en matière de régulation, c'est que notre système de régulation de la distribution de la presse est compliqué – c'est un système bicéphale, où les attributions sont partagées entre le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP). Je sais qu'un projet de réforme, s'inscrivant dans le prolongement du rapport rendu à ce sujet par mon collègue Marc Schwartz, est en cours d'élaboration. Quand on imagine des schémas de rapprochement avec d'autres institutions, il faut garder à l'esprit qu'un bon régulateur, c'est un régulateur dont les missions sont clairement affichées par le législateur – ce qui me semble être le cas du Conseil supérieur de l'audiovisuel – et qui dispose de ressources adaptées pour exécuter ces missions.
Madame Pau-Langevin, je vous remercie de votre appréciation positive sur ma candidature. La régulation au niveau européen est indispensable, et je vais me mettre dans les traces de mon prédécesseur pour prendre une part active au sein du réseau ERGA, reconnu par la directive SMA et qui aura vocation à jouer un rôle en matière d'interprétation de cette directive afin de faciliter son application.
Si le fait d'évoquer le CSA fait tout de suite penser à la télévision, on oublie parfois qu'il a également des attributions en ce qui concerne ce média formidable qu'est la radio, que je vous remercie d'avoir cité. Les Français sont très attachés à la radio, à laquelle ils consacrent près de trois heures par jour en moyenne, ce qui n'est pas négligeable, et chaque auditeur est en général très fidèle aux antennes qu'il affectionne. Comme tout le monde, j'ai mes habitudes en la matière, je me lève avec la radio et je m'endors souvent avec elle. C'est un média chaleureux, dont la force réside précisément dans le fait de ne pas diffuser d'images, et qui possède une tonalité particulière – cela m'a beaucoup frappé quand j'ai entendu la présidente de Radio France évoquer la façon dont le conflit des Gilets jaunes a été couvert : la lecture radiophonique est très particulière par rapport aux autres modes de lecture audiovisuelle.
La radio est un média confronté à des éléments spécifiques, qu'il faut prendre en compte. Il s'agit des tensions constatées sur le marché publicitaire ; d'un certain vieillissement de l'auditorat de la radio – dont il faut prendre la mesure et qui est assez largement lié au développement des nouvelles plateformes de streaming musical, qui présentent un attrait important pour les plus jeunes en raison de leurs prix raisonnables ; enfin, du fait que la modernisation de la bande FM à laquelle a procédé le CSA arrive à son terme, et qu'il devient extrêmement difficile d'attribuer de nouvelles fréquences, en particulier dans certaines zones – je pense à Lyon, à Strasbourg ou à Lille –, un problème auquel on envisage de remédier au moyen de deux solutions.
La première solution est celle du DAB+, c'est-à-dire la radio numérique terrestre, une technologie qui est longtemps restée la Belle au bois dormant, si je puis dire : si elle a fait l'objet de nombreux rapports, elle est restée au point mort pendant des années. Les choses ont enfin fini par se mettre en mouvement, et des appels ont été lancés sur les multiplexes nationaux et locaux, suscitant de nombreuses candidatures – 40 au niveau national, 170 au niveau local. Ce dossier sera l'un des plus importants parmi ceux qui attendront le nouveau collège et son président. Le DAB+ offrira une qualité sonore exceptionnelle, tout en permettant aux utilisateurs en mobilité d'éviter toute rupture du signal. Dans ce domaine, nous avons franchi une étape et, de ce point de vue, 2019 sera sans doute considérée comme une année charnière.
Pour ce qui est des quotas, comme vous le savez, j'ai eu l'occasion de conduire il y a peu de temps une mission portant sur le projet de création d'un Centre national de la musique – vous m'aviez d'ailleurs auditionné ici même à ce sujet. J'estime que la question des quotas va devoir être remise à plat : le fait d'avoir intégré dans la loi autant de paramètres contraignants dans un univers par nature mouvant, et qui se trouve totalement bouleversé par le développement des plateformes de streaming, change la donne. Si nous sommes tous attachés à la défense de la chanson française, le sujet est très délicat, et nous allons devoir définir des modes de régulation plus souples et pouvant s'adapter aux évolutions du marché et des technologies.
Vous m'avez demandé, madame Descamps, si mon profil en matière culturelle donnerait une coloration particulière à la fonction que je suis appelé à exercer. Je dirai que je le souhaite : je suis très attaché à ces questions, j'ai beaucoup d'admiration pour les créateurs et beaucoup d'amis dans la sphère de la création, notamment dans le milieu du théâtre – j'ai dirigé la Comédie-Française, où j'ai laissé une partie de mon coeur – et si je peux apporter au CSA une sensibilité particulièrement attentive à la défense de la création, ce qui correspond déjà à l'état d'esprit de cette institution, j'en serai très heureux.
Monsieur Maistre, je tiens tout d'abord à saluer votre engagement constant au service de l'État, qui a pu compter sur votre grande expertise. Vous êtes aujourd'hui appelé à de nouvelles fonctions, et je ne doute pas que votre expérience dans le domaine culturel, comme médiateur du cinéma ou directeur de la Comédie-Française, constitue un indéniable atout pour votre candidature, qui fait sens – d'autant que vous avez participé à l'élaboration de la loi sur l'audiovisuel, qui régit aujourd'hui le CSA.
Quel serait justement votre bilan de ce texte, alors que vous vous apprêtez à prendre la présidence de l'organe que vous avez contribué à créer ? Par ailleurs, vous semble-t-il nécessaire d'y apporter des évolutions ?
Cher Roch-Olivier Maistre, je vous remercie pour votre propos liminaire, qui nous a permis de prendre connaissance de votre feuille de route et surtout des grands principes que vous vous fixez dans le contexte d'une évolution des médias qui se fait tous azimuts, tant en ce qui concerne leurs supports que leurs usages. En ce qui concerne le comportement des usagers, on constate actuellement avec effroi une surenchère des thèses complotistes aboutissant parfois à des actions délictueuses à l'encontre des journalistes – à ce sujet, j'ai aujourd'hui une pensée particulière pour la rédaction de France Bleu Isère, dont les locaux ont été incendiés.
Pour ce qui est de la prochaine réforme de l'audiovisuel, que pensez-vous des décisions prises en matière de chronologie des médias dans le cadre de l'accord du 21 décembre dernier ? Plus largement, pouvez-vous nous faire part de votre avis sur la gouvernance de l'audiovisuel public et notamment sur le rapprochement éventuel des directions ? Enfin, suite à la disparition de France 4, seriez-vous, comme moi, favorable à ce que France Info reprenne le canal 14 ?
Monsieur Maistre, je vous remercie pour votre exposé liminaire extrêmement complet. Votre expérience témoigne sans équivoque de votre attachement à notre modèle, qui est celui de la diversité culturelle, et surtout à la capacité d'adapter la régulation afin de préserver ce modèle dans le monde de demain.
En matière de rapprochements, vous avez évoqué des collaborations, tout en repoussant l'idée de procéder à des fusions, ce qui me paraît justifié si l'on considère que la Cour des comptes a dénoncé dans ses rapports les dérives de certaines fusions. Iriez-vous cependant jusqu'à l'idée de constituer des collèges communs ?
Pour ce qui est de l'asymétrie dont ont bénéficié jusqu'à présent les GAFA, comme vous l'avez dit, la révision de la directive SMA a constitué une étape essentielle – il y aura un avant et un après. Cependant, tout reste encore à mettre en oeuvre, et les choses ne seront pas simples. Des conventions ont été signées avec Canal + et OCS, comportant des engagements extrêmement divers qui ne sont évidemment pas prévus par la transposition. Avez-vous mis au point une stratégie, ou au moins une méthode, afin de procéder, en coopération avec le CNC et d'autres acteurs, au rapprochement effectif des modèles ?
Monsieur Maistre, nous avons auditionné Mme Léridon il y a une quinzaine de jours en vue de sa nomination au CSA, et je l'avais alors interrogée sur l'indépendance de cette instance et sur son rôle dans le rétablissement de la confiance dans la fiabilité de l'information. Ces deux sujets me paraissant constituer des enjeux majeurs, je souhaite aujourd'hui vous poser la même question.
Il y a un an, le CSA a révoqué Mathieu Gallet, alors président directeur général de Radio France, suite à une condamnation en première instance pour favoritisme. Il n'en fallait pas plus pour relancer la polémique sur l'indépendance du CSA, qui n'avait pourtant le choix qu'entre deux options, l'une pouvant être taxée de laxisme et l'autre de complaisance envers le pouvoir politique. Cette suspicion pesant sur l'indépendance du CSA n'est pas nouvelle : périodiquement, on voit surgir de toutes parts, aussi bien du monde politique – toutes tendances confondues – que de la société civile, des reproches portant sur un manque d'indépendance du Conseil. Le fait que la nomination des membres du CSA soit aujourd'hui confiée au Président de la République et aux présidents des deux assemblées n'est pas étranger à ces critiques répétées. Cependant, les doutes exprimés au sujet de l'indépendance du Conseil revêtent à l'heure actuelle un caractère particulier, car ils s'inscrivent dans un climat de défiance généralisée où tout peut être considéré comme suspect et donne rapidement lieu à des polémiques hystérisées.
À mon sens, il est urgent de rétablir le lien de confiance entre les citoyens et les institutions, entre les citoyens et les médias, entre les citoyens et la démocratie. Selon vous, comment la réforme de l'audiovisuel peut-elle renforcer la confiance dans l'indépendance du CSA, donner à celui-ci un rôle accru dans la lutte contre les « infox » sur internet, rétablir la confiance dans la fiabilité de l'information télévisée et radiophonique, et préserver la qualité du travail journalistique à l'ère de l'information en continu ?
Monsieur Maistre, ma question a trait à une problématique au sujet de laquelle nous partageons la préoccupation de nombreux professionnels de l'information, à savoir le traitement médiatique par les chaînes d'information en continu du mouvement des Gilets jaunes. Nous nous demandons en effet si le CSA est assez présent, réactif, outillé et légitime pour apprécier et éventuellement dénoncer le traitement médiatique qui a pu être fait de ce mouvement. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le 25 novembre dernier, quand les Gilets jaunes réunissaient 8 000 personnes à Paris, la manifestation « Nous toutes contre les violences sexistes et sexuelles » mobilisait plus de 12 000 personnes. Or, le jour même, le journal télévisé consacrait vingt minutes aux Gilets jaunes, mais seulement une minute à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles…
De nouveaux « actes » ont été organisés durant tous les week-ends qui ont suivi et, le 10 janvier, le CSA a réuni les responsables des rédactions des chaînes d'info en continu pour aborder les questions soulevées par le traitement à l'antenne du mouvement des Gilets jaunes – le temps consacré, le choix des images, la sélection des intervenants, l'équilibre des points de vue, l'effet sur l'opinion et le rôle des réseaux sociaux. Vous avez souligné tout le courage dont il faut faire preuve pour assurer la présidence du CSA : comment agirez-vous si cette fonction vous est confiée, et comment voyez-vous l'intervention du collège pour favoriser un meilleur traitement de l'information relative à ce type de phénomène sociétal ?
Monsieur Maistre, la loi sur l'audiovisuel qui est en cours de préparation par le Gouvernement prévoit de retirer au CSA son pouvoir de désignation des dirigeants de l'audiovisuel public. Que pensez-vous de cette évolution et par qui, selon vous, doivent être nommés les dirigeants de l'audiovisuel public ?
Monsieur Maistre, en tant que membre de la mission sur la réforme de l'audiovisuel, j'ai été très attentive à vos propos sur la réforme à venir et sur la transposition de la directive SMA. À l'heure du grand débat citoyen, on est frappé, quand on se rend sur le terrain, par l'ampleur du phénomène de désinformation – qui touche toutes les générations – et de la défiance exprimée à l'encontre de toute forme d'institution. Si le CSA est une institution suscitant un peu moins de défiance que les autres en raison de son rôle et de sa vocation à défendre les valeurs républicaines, on ne peut s'empêcher de s'interroger sur sa capacité à prendre part aux efforts que nous devons entreprendre pour rétablir une forme de confiance entre les citoyens et les institutions – c'est-à-dire la démocratie participative telle qu'elle existe actuellement – ainsi que sur les moyens qu'il entend employer pour cela. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Il y a quelques semaines, dans le cadre de sa lettre trimestrielle de suivi statistique de l'information télévisée, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) soulignait la faible visibilité des outre-mer et des cultures ultramarines dans l'audiovisuel public, mais aussi dans l'audiovisuel privé, où le phénomène est encore plus criant. Alors que le Premier ministre a confirmé, en juillet dernier, la prochaine suppression de la chaîne France Ô de la TNT, la visibilité des outre-mer me paraît devoir être assurée autrement qu'à travers le prisme habituel des catastrophes et des situations de crise – ou, à l'inverse, des représentations idylliques ressemblant davantage à des cartes postales qu'à une véritable information. Or, la représentation des outre-mer ne fait aujourd'hui l'objet d'aucune obligation formelle ni d'aucun quota à la charge des chaînes publiques ou privées. En l'absence de chaîne dédiée aux cultures ultramarines, par quels moyens comptez-vous veiller à la bonne représentation des outre-mer et à la juste représentation de toutes les populations et de tous les territoires, que vous avez évoquée dans votre propos liminaire ?
Monsieur Maistre, je vous remercie pour votre exposé liminaire et je partage avec vous l'idée selon laquelle la régulation est un art subtil et exigeant. L'idée de contrôler les contenus publiés sur les médias sociaux se heurte à la nécessité de préserver la liberté d'expression. L'internet est un média mondial reliant des personnes qui ont différentes cultures juridiques, politiques et historiques. L'approche européenne prévoit un système d'immunité relative, considérant que les médias sociaux doivent rendre des comptes lorsqu'ils publient des contenus illicites, tandis que l'approche américaine applique aux géants du net une sorte d'immunité absolue. Le Conseil de l'Europe consacre actuellement des travaux aux réseaux sociaux et aux droits de l'homme, ainsi qu'à l'éducation dans un nouvel environnement médiatique. Pour votre part, que pensez-vous de l'idée consistant à mettre en place à l'échelle européenne un ombudsman ou un médiateur chargé des questions liées à l'internet ?
En juillet 2011, le CSA a signé la Charte de la diversité dans les médias audiovisuels et en 2012, il s'est vu délivrer le label Diversité, qui a pour objet de promouvoir une meilleure représentation de la diversité de la société française. J'aimerais connaître votre avis sur le fait que la chaîne France Ô soit amenée à disparaître prochainement du canal hertzien, et savoir quels moyens vous comptez mettre en oeuvre pour que la réalité ultramarine soit présente de façon efficiente aux heures de grande écoute sur toutes les chaînes publiques, plusieurs fois par mois et sur tous les sujets.
Par ailleurs, comme vous le savez, nos collègues du groupe Les Républicains ont interpellé cette semaine le CSA au sujet des différentes interventions du Président de la République dans le cadre du Grand Débat national, en demandant à l'instance régulatrice de veiller scrupuleusement à ce que l'équilibre des temps de parole soit respecté. Quelle est votre position sur ce point, ainsi que sur la régulation numérique des réseaux sociaux pendant la prochaine campagne des élections européennes ?
Enfin, dans une étude que le CSA vient de publier au sujet de la production audiovisuelle pour internet, il est question de la nécessaire adaptation des modèles entre acteurs traditionnels et nouveaux modes de production. L'économie de la sphère audiovisuelle représente un enjeu capital pour notre pays et son rayonnement. Quelles sont les pistes aujourd'hui envisagées par le CSA pour adapter une régulation encore trop axée sur les acteurs traditionnels face aux nouveaux enjeux de la production digitale et numérique ?
Monsieur Maistre, je vous remercie pour votre propos introductif et je relève deux points importants dans votre parcours : d'une part, votre engagement continu dans le service public, d'autre part, votre large connaissance de la culture et des médias, issue d'une riche expérience acquise au gré des mutations de notre secteur audiovisuel, de sa modernisation, de sa fragmentation, mais également de ses besoins croissants de régulation. Vous nous avez dit disposer des qualités d'écoute, de diplomatie, d'équité, du sens de l'intérêt général, mais aussi du courage nécessaire pour endosser les larges responsabilités qui vous seront confiées en tant que président du CSA, et cela nous semble extrêmement rassurant.
Dans votre future mission à la tête du CSA, vous serez confronté aux lourdes exigences de cette institution et, comme ma collègue Céline Calvez, je tiens à souligner l'importance de la mission consistant à assurer, dans le respect du pluralisme, l'expression des différents courants d'opinion, une importance que les récents événements n'ont fait que confirmer – il est permis de penser que le traitement médiatique des manifestations liées au mouvement des Gilets jaunes n'est pas sans rapport avec la défiance soudainement accrue des Français envers leurs médias. Quelles actions de régulation ou de communication le CSA peut-il entreprendre afin de garantir ce respect et par là même, contribuer à restaurer la confiance de nos concitoyens ? Comme vous l'avez dit, la régulation passe par la responsabilisation des acteurs. Si j'en suis également convaincue, cela me conduit à vous poser une question peut-être un peu naïve : comment se fait-il que ce ne soit pas déjà le cas ?
Monsieur Minot, vous m'avez posé une vaste question, celle du bilan que l'on peut dresser de la loi de 1986 sur l'audiovisuel. Je suis tenté de vous dire qu'avec cette loi, on a changé de monde… En 1986, la mission de l'institution consistait essentiellement à attribuer à des éditeurs des fréquences gratuites du domaine public et à vérifier que lesdits éditeurs respectaient les quelques obligations qu'ils se voyaient assigner en contrepartie – c'est à ce titre que le CSA a été surnommé « le gendarme de l'audiovisuel ». Le Conseil exerce aujourd'hui encore cette fonction et, en dépit des critiques émises par certains d'entre vous, il me semble que nous pouvons être fiers de ce régulateur qui, à l'heure de la maturité – cela fait plus de trente ans qu'il est dans le paysage –, a gagné la confiance des Français, qui ont désormais le réflexe de faire appel à lui : je rappelle que plus de 80 000 saisines lui ont été adressées en 2018, que ce soit pour se plaindre d'une émission ou d'un manque de pluralisme, ou pour tout autre motif.
Aujourd'hui, nous nous apprêtons à changer à nouveau de monde car, avec la directive SMA et la loi sur l'audiovisuel en cours de préparation, le champ de la régulation va s'étendre à de nouveaux acteurs. Si je devais définir l'enjeu essentiel du mandat du futur président du CSA, je dirais qu'il va consister à faire entrer la régulation de plain-pied dans l'ère numérique. Pour cela, il va falloir choisir parmi les nombreuses propositions qui ont été mises sur la table et, une fois les changements inscrits dans les textes, les traduire dans l'organisation et dans le fonctionnement de l'institution. La donne va se trouver bouleversée : comme Frédérique Dumas l'a souligné dans son intervention, le CSA a aujourd'hui pour mission de réguler des acteurs historiques, qui se voient imposer des obligations importantes, notamment en matière de financement, et qui se trouvent pris dans un champ concurrentiel avec des acteurs non moins puissants et de dimension internationale qui, eux, ne sont pas soumis à la régulation et viennent donc déstabiliser l'économie du dispositif – ce qui peut constituer une menace pour le financement de la création française. La correction des asymétries de régulation constitue un enjeu absolument fondamental si l'on veut arriver à préserver notre modèle. Pour résumer mon propos, je dirai que la loi de 1986 est une bonne loi, une loi qui a fait la preuve de son efficacité, puisque l'institution est désormais inscrite dans le paysage et que son autorité est incontestablement reconnue. Cependant, il lui appartient maintenant d'ouvrir une nouvelle page de son histoire, ce qui constitue pour l'institution un challenge aussi difficile que stimulant.
Monsieur Bois, vous m'avez interrogé sur la chronologie des médias. Ce que j'en pense, c'est que si un accord vient d'être signé à ce sujet, l'histoire ne s'arrête pas là… En la matière, le paysage est tellement mouvant, et les conditions d'accès aux images se renouvellent à une telle vitesse, qu'il faut s'attendre à ce que les règles posées aujourd'hui fassent régulièrement l'objet d'adaptations – au fil de ce qu'on pourrait appeler une « chronologie de la chronologie des médias », si je puis dire.
La question qui m'a été posée sur la gouvernance de l'audiovisuel public est double, et elle rejoint celle qui portait sur les modalités de nomination des dirigeants. Il n'appartient pas, bien entendu, au président du CSA de statuer sur des sujets de cette nature. Ce sont des choix éminemment politiques qui peuvent faire l'objet de points de vue différents, et il revient donc au législateur de se prononcer en la matière. Puisque j'ai le privilège de l'âge dans cette salle, me semble-t-il (Sourires), permettez-moi de replacer le sujet dans une certaine perspective historique. Je reste surpris par la singularité française qui existe dans ce domaine : à chaque élection nationale, on remet en question les modalités de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public. Il y a un moment où il va falloir que l'on arrive à trouver un dispositif enfin stable dans le temps. J'ajoute que l'on ne se pose pas cette question dans les autres pays.
Il n'y a pas de système absolument parfait ou idéal. Nous parlons d'entreprises pour lesquelles un principe d'indépendance doit être respecté : la lecture que fait le Conseil constitutionnel de la loi de 1986 le conduit à être très vigilant sur l'indépendance des entreprises et de leurs dirigeants, ainsi que sur les modalités de leur nomination. Le système actuel est celui d'une nomination par une autorité indépendante. Il existe un collège composé de personnalités nommées par des autorités différentes, avec un dispositif de renouvellement périodique des membres – ce sont donc des autorités différentes qui peuvent être amenées à faire des nominations. Il en résulte une vraie diversité, et le fait que ce soit une autorité indépendante qui nomme a pu être considéré comme un élément plutôt protecteur en termes d'indépendance.
La critique qui est faite est double, en réalité. Certains considèrent, en effet, que l'institution serait juge et partie : elle nomme les dirigeants des entreprises, puis elle vérifie l'exécution du cahier des charges et du contrat d'objectifs et de moyens afin de s'assurer que les entreprises remplissent bien leurs missions. En cas de difficulté dans ce domaine, le collège du CSA pourrait alors se trouver dans une position compliquée. Est-ce un obstacle insurmontable ? On peut se poser la question. Si l'on retire ce pouvoir au CSA, son président se conformera à la loi : il appliquera les dispositions législatives en vigueur.
J'ajoute qu'on a déjà connu les scénarios alternatifs, en particulier celui d'une nomination par le pouvoir exécutif – quitte à s'entourer de garanties parlementaires, dans le cadre de majorités qualifiées et éventuellement après avis du CSA. Ce dispositif a suscité beaucoup de débats et de suspicions, à l'époque, autour de l'idée d'une reprise en main des entreprises de l'audiovisuel par l'exécutif. Une autre option, évoquée ici ou là, consisterait à aller vers le droit commun des sociétés : ce serait le conseil d'administration des entreprises qui choisirait les dirigeants, à l'instar de ce qui existe dans les entreprises de droit commun, si je puis dire. Cette idée est tout à fait séduisante sur le plan intellectuel, mais elle pose tout de suite une question : comment compose-t-on le conseil d'administration et qui nomme les administrateurs de la société si l'on veut que l'entreprise soit indépendante ? Quelle que soit l'option retenue, et je vous réponds le plus franchement possible, vous voyez bien que le choix ne peut relever que du législateur. Le régulateur prendra acte du dispositif.
La numérotation des chaînes est une des belles missions du CSA, et ce ne sera pas nécessairement la plus facile compte tenu du sort prévu pour France 4 et France Ô – la question de la numérotation se posera alors. La loi a prévu un certain nombre de principes et de garde-fous, et la jurisprudence du Conseil d'État aussi. Il faut bien évidemment prendre en compte le confort du téléspectateur – je pense que c'est un élément crucial. Il n'y a rien de plus terrible, quand on est devant sa télévision, que d'avoir à chercher une chaîne qui n'est pas placée de manière logique par rapport aux autres. Vous comprendrez que je n'aille pas plus loin : cela suppose une instruction du dossier et une délibération du collège.
En ce qui concerne les modes de collaboration entre autorités de régulation, Mme Dumas a souligné à juste titre que l'on peut tout fait imaginer des formules de délibération collective – même si je n'en ai pas parlé tout à l'heure, j'avais ce scénario en tête. Une sorte de collège commun pourrait traiter des sujets d'intérêt collectif, sans remettre en cause l'autonomie de chaque institution. C'est une piste intéressante. Ce serait une « conférence des présidents », si je peux employer cette image.
J'en viens aux correctifs à apporter à l'asymétrie liée aux GAFAM, dans un contexte marqué par la mise en oeuvre de la directive SMA et par le fait que de nouveaux acteurs vont entrer dans le périmètre de la régulation – on sera en mesure de leur imposer des obligations dans le pays de destination de leurs activités. Je ne vais pas dévoiler ma stratégie, en effet, mais je crois qu'il faut avoir une approche de politique publique globale. Vous avez cité le CNC : nous avons besoin, en effet, d'une approche prenant en compte cet acteur qui jouera un rôle très important. Il y a aussi les différents acteurs de la chaîne, que vous connaissez très bien, des auteurs aux distributeurs en passant par les producteurs et les diffuseurs. Il faut imaginer un scénario global et construire un chemin. Vous avez eu raison de dire que ce sera un des beaux chantiers des six prochaines années.
Vous m'avez interrogé sur la suspicion qui pèserait sur le CSA, monsieur Berta. Je n'ai pas cette perception, pour ma part, et vous n'en serez peut-être pas surpris. Je crois qu'il y a des signes de confiance à l'égard de cette institution, notamment l'explosion du nombre de saisines qui a eu lieu l'an dernier. Il me semble que le mode de désignation des membres du collège, par des autorités différentes, permet quand même de préserver l'autonomie et l'indépendance du conseil. C'est la même question que pour la nomination des dirigeants de l'audiovisuel public : quel scénario alternatif pourrait-on imaginer ? Serait-il préférable que les membres du CSA soient désignés au sein des grands corps de l'État ? Ils sont très critiqués, eux aussi, y compris au sein du Parlement, sous l'angle de leur « entre-soi ». Je n'ai pas votre lecture un peu sombre de la situation, si je puis me permettre. Je crois qu'il y a vraiment des signes de force du côté du CSA. L'indépendance et l'exemplarité ne se proclament pas : elles se prouvent, elles se démontrent. Je le dis modestement, mais j'appréhende la fonction dans cette logique. Le CSA est une autorité indépendante : à nous de faire vivre cette indépendance, de la démontrer, de la prouver. C'est ainsi que l'on répond à la question de la confiance, selon moi.
Le traitement des Gilets jaunes a suscité beaucoup de débats, y compris dans les rédactions des chaînes d'information en continu. Face à ce phénomène très inédit par sa forme, sa nature et son caractère insaisissable, dans la mesure où il n'y a pas de représentants institutionnels comme c'est le cas pour la vie politique « normale », le fonctionnement même des chaînes peut avoir un effet de loupe : certains ont eu le sentiment que, tout à coup, il n'y avait plus que ce type d'informations.
Il ne faut jamais perdre de vue, et j'y veillerai, que la loi de 1986 est fondamentalement une loi de liberté – elle est d'ailleurs intitulée « loi relative à la liberté de communication ». Dans ce domaine, l'une des premières libertés est éditoriale. Les éditeurs autorisés, dans le cadre des conventions qu'ils ont conclues, ont la responsabilité de leur ligne éditoriale. C'est à eux de l'assumer, et le régulateur n'a aucunement vocation à s'immiscer dans la ligne éditoriale d'une entreprise. On imagine bien comment serait perçue une intervention du régulateur. Il n'a aucun titre pour agir.
Le législateur, dans sa sagesse, a néanmoins posé un certain nombre de garde-fous en 1986 et dans les lois ultérieures, en demandant au CSA de les faire respecter : le respect du pluralisme et de la diversité des expressions, la représentation de toutes les composantes de la société, ainsi que la protection de la jeunesse et de l'ordre public – c'est explicitement mentionné dans la loi. Ces principes se déclinent dans les conventions conclues entre le CSA et les éditeurs – je précise d'ailleurs qu'on peut les trouver sur le site internet du CSA. Beaucoup de clauses de nature déontologique s'appliquent, et il appartient au CSA de s'assurer de leur respect, toujours a posteriori et non a priori. En cas de transgression, il est de la responsabilité du CSA d'utiliser les dispositions que le législateur lui a confiées, en adoptant des mises en garde, des mises en demeure et, le cas échéant, des sanctions.
Dans la situation actuelle, je crois que le CSA s'est saisi de quelques épisodes. Il me semble que le fait de réunir les acteurs concernés serait une initiative heureuse. J'ai évoqué tout à l'heure l'esprit de responsabilité des acteurs dans lequel j'appréhende mes fonctions : le fait de mettre autour de la table l'ensemble des acteurs, sans trop tarder, afin qu'ils puissent simplement échanger sous le regard du régulateur, qui se trouve à équidistance des uns et des autres, constituerait probablement une réponse appropriée à des phénomènes aussi inhabituels et circonstanciels. J'insiste beaucoup sur la dimension de liberté de la loi de 1986 : il faut faire très attention en la matière.
Vous savez que le Gouvernement a confié à l'ancien président-directeur général de l'Agence France-Presse, Emmanuel Hoog, une mission relative à la déontologie de la presse dont les conclusions devraient être connues dans quelques jours. Nous verrons alors quelles sont les propositions. S'agira-t-il de créer un nouvel organisme, un conseil de déontologie ? Attendons de voir ce qu'il en est. Si un organisme de ce type doit voir le jour, il sera important de regarder quelle sera son articulation avec le CSA et ses attributions. Je pense que les questions de déontologie sont avant tout un sujet de responsabilité qui doit trouver une réponse dans les entreprises et les rédactions.
Je crois avoir déjà répondu à la question relative aux dirigeants de l'audiovisuel public que Mme Bazin-Malgras m'a posée.
Mme Bannier m'a interrogé, d'une certaine manière, sur la relation entre le CSA et les Français. Je crois avoir répondu un peu à cette question dans mon propos liminaire lorsque j'ai évoqué l'idée d'une régulation participative. Je pense que le CSA doit être à l'écoute des Français. Ils regardent beaucoup la télévision, ils écoutent beaucoup la radio aussi, et ils ont des choses à dire, chacun ayant son point de vue, bien entendu. Il faut que l'institution soit ouverte et à l'écoute. Nous ne sommes pas dans une démocratie directe, en l'espèce, mais une bonne régulation consiste à entendre non seulement ce que disent les acteurs économiques en présence mais aussi les Français. Le législateur a confié au CSA un rôle en matière d'éducation aux médias, et il existe une série d'initiatives en la matière. Je crois qu'il faudrait aller plus vite, plus fort et plus loin dans le domaine, car c'est de nature à contribuer à la confiance.
La question de la désinformation a déjà été évoquée tout à l'heure, au sujet de la loi de décembre 2018. Nous allons mettre ce texte en oeuvre et nous verrons ce que cela donnera. Il faudra faire un bilan et tirer des enseignements, mais nous avons d'abord à appliquer la loi.
J'ai été très sensible à la question de M. Gérard sur l'outre-mer. Je crois que c'est un vrai sujet. Il y a tout de même des obligations pesant sur les chaînes publiques, qui figurent dans les cahiers des charges et les contrats d'objectifs et de moyens. Malgré le raffinement qui a eu lieu dans ce domaine au fil des années, force est de constater que le résultat n'est pas au rendez-vous. La situation n'est pas satisfaisante : les outre-mer doivent être présents dans l'ensemble des compartiments de l'offre de service public. Cela va de la météo – il existe maintenant une réponse dans ce domaine – à l'information, à la fiction et aussi au fait d'avoir des émissions de prime time consacrées à l'outre-mer. Il n'est pas normal qu'il y ait une sous-représentation. Cela fait partie des réflexions sur la réforme de l'audiovisuel public, comme vous le savez. La présidente de France Télévisions, qui a été entendue il y a peu de temps par la délégation sénatoriale aux outre-mer, a eu l'occasion de le souligner. C'est vraiment un sujet sur lequel il faut réaliser des progrès, telle est ma conviction. Outre-mer 1ère est un dispositif qui fonctionne bien, et France info devrait bientôt être présente outre-mer. Il est essentiel que l'outre-mer ait toute sa place au sein de l'offre de service public, dans sa globalité. C'est pour moi un élément qui doit être tangible : je pense qu'il faudrait se donner, dans le cadre des cahiers des charges et des contrats d'objectifs et de moyens, des indicateurs concrets pour suivre la question de près. Je rappelle que le CSA fait des comptes rendus annuels sur l'exécution des cahiers des charges et des contrats d'objectifs et de moyens des sociétés nationales.
M. Reiss m'a interrogé sur la création d'un ombudsman européen : c'est une belle ambition, mais elle dépasse un peu ma modeste condition. Vous avez compris qu'une bonne partie des débats qui vont nous animer dans le cadre de la nouvelle régulation à l'ère du numérique se passera, par définition, au niveau européen. Je veux être positif et confiant : je trouve que la situation bouge, car les opinions publiques évoluent en Europe. Les préoccupations qui sont les nôtres, et que l'on retrouve déjà en grande partie dans notre législation, existent aussi dans les autres pays. Je suis frappé de constater que dans le débat sur la taxation des géants d'internet, même si l'on n'est pas encore arrivé au bout du chemin, les choses ont quand même bougé assez radicalement en peu de temps. Je préfère avoir cette lecture confiante de l'avenir. Par ailleurs, la dimension européenne est bien sûr tout à fait centrale.
Mme Petit a évoqué la question de la diversité. Je me suis exprimé au sujet de France Ô et des réponses qu'il faut apporter en ce qui concerne le service public. Plus globalement, j'ai été très frappé par le dernier baromètre de la diversité qui a été publié par le CSA. Des années que j'ai passées à la Présidence de la République, j'ai notamment gardé le souvenir, personnel, d'un Président de la République qui a réuni pour la première fois les patrons de toutes les entreprises de l'audiovisuel afin de les mettre au pied du mur sur ce thème, en leur disant qu'il était scandaleux que les présentateurs, la fiction et l'ensemble du dispositif donnent une image aussi biaisée de la réalité de la société française. C'était il y a déjà longtemps, au début des années 2000. Nous sommes en 2019, mais quand je regarde le baromètre de la diversité, je me dis qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. C'est un enjeu de cohésion sociale. Le législateur, dans les obligations qu'il fait peser sur le CSA, lui demande de regarder les initiatives qu'il peut prendre, ou en tout cas d'accompagner les actions susceptibles de contribuer à la cohésion sociale. Le sujet dont nous parlons est à l'évidence majeur sur ce plan. C'est une question centrale dans les débats qui traversent la société française depuis quelques semaines, et même quelques mois. Il faudra donc être très attentif.
Je ne reviens pas sur la régulation à l'ère du numérique, car je pense avoir traité ce sujet à plusieurs reprises. Ce sera, je l'ai dit, l'un des enjeux les plus importants pour le CSA dans les six années qui viennent.
Le pluralisme est un principe tout à fait essentiel pour le CSA, singulièrement dans la période qui va s'ouvrir, puisque nous allons entrer dans une période électorale. Vous savez que les règles en vigueur depuis de nombreuses années, dites des « trois tiers » – un tiers du temps de parole pour l'exécutif, un tiers pour la majorité et un autre tiers pour l'opposition –, ont été revues par le CSA après les élections de 2017, à l'issue d'une concertation assez élargie : une nouvelle délibération, datant de novembre 2017, est entrée en vigueur au mois de janvier suivant. Hors période électorale, ce qui est encore le cas à l'heure actuelle, la règle est qu'un tiers du temps est réservé à l'exécutif – c'est-à-dire le Président de la République, ses collaborateurs et le Gouvernement, étant entendu que l'on comptabilise les interventions du Président de la République quand il intervient dans le « débat politique national », et non dans le cadre de son action de chef d'État – et que le reste du temps doit être réparti entre les autres formations politiques, en fonction de leur représentativité, laquelle est appréciée par le CSA selon une série de critères. Cette délibération est publique, et on peut la trouver sur le site internet du CSA. Les chaînes ont l'obligation de déclarer au CSA les temps de parole dans l'ensemble de leurs programmes. Le CSA procède lui-même à des vérifications, par ses propres services, et il communique aux autorités politiques, à l'Assemblée nationale, au Sénat et aux partis politiques des informations sur les temps de parole. Les chaînes doivent assurer le pluralisme par un équilibre entre les interventions. On regardera ainsi quelle est la comptabilisation des temps de parole au premier trimestre 2019 et comment les chaînes ont suivi leur obligation de respecter la diversité des points de vue.
Mme Brugnera m'a enfin interrogé sur la manière dont on pourrait redonner de la confiance. Je pense qu'on ne l'a pas perdue à l'égard du CSA – pardonnez-moi ce plaidoyer pro domo. C'est une mise en question des médias eux-mêmes. Même s'il faut avoir une lecture assez subtile du document publié par La Croix, il est vrai qu'il y a un climat de suspicion générale. Le CSA doit veiller à ce que les acteurs ayant conclu des conventions avec lui respectent les règles auxquelles ils sont soumis. Je ferai en sorte que ce soit le cas, non pas de façon tatillonne, mais en souhaitant vraiment que l'on joue la carte de la responsabilité des acteurs et que l'on aille dans le sens de la corégulation. Cela dit, le régulateur a une responsabilité à exercer dans certaines circonstances. Je reviens sur la notion de courage : il y a des moments où il faut savoir utiliser les armes dont on dispose. Quand j'étais Médiateur du cinéma – c'est une autorité qui a un petit pouvoir d'injonction, le Médiateur pouvant imposer une solution aux parties, à un moment donné –, j'ai utilisé ce pouvoir à plusieurs reprises, à chaque fois que cela me paraissait nécessaire. Le CSA a également des pouvoirs, et il est normal qu'il utilise les armes qui sont les siennes en cas d'infractions sérieuses à des principes législatifs fondamentaux.
La décision de supprimer la diffusion hertzienne de France Ô et de France 4 a été annoncée : ces deux chaînes doivent basculer sur le numérique, avec des programmes délinéarisés, ce que je regrette profondément. Je m'associe évidemment aux préoccupations exprimées par Raphaël Gérard et Maud Petit au sujet de France Ô, et j'ai personnellement des doutes importants sur le projet numérique qui est annoncé.
S'agissant de l'évolution de France 4, en dehors de la catastrophe que cela peut représenter pour l'industrie du dessin animé, notamment outre-mer et à La Réunion en particulier, je rappelle que tous les experts recommandent expressément aux parents de contrôler et de réduire, pour des raisons de santé, le temps que nos enfants passent devant les écrans d'ordinateurs et les tablettes. J'aimerais avoir votre avis sur le basculement de France 4 en numérique : cela contraindra, de fait, les enfants à consommer encore plus de temps d'écran, de tablettes et d'ordinateurs, ce qui va à l'encontre de toutes les recommandations et préconisations des spécialistes de l'enfance. Par ailleurs, les programmes linéarisés sont variés : ils proposent aux enfants de découvrir des sujets qu'ils n'auraient pas visionnés naturellement ou spontanément, et qui éveilleront par conséquent leur curiosité. Ne craignez-vous pas qu'une diffusion numérique de programmes délinéarisés encourage les enfants à ne regarder, parfois en boucle, que ce qu'ils aiment ou connaissent déjà ?
Je voulais aussi vous parler de France 4 et des émissions pour la jeunesse. La suppression de cette chaîne, qui va avoir lieu très vite, est une source de préoccupation. Quelle politique comptez-vous mettre en place pour la jeunesse, et en particulier les plus petits ? On sait que les enfants regardent de plus en plus tôt les tablettes et les écrans, souvent en boucle, comme cela vient d'être dit. Quelles mesures – presque de santé publique – envisagez-vous ? Il s'agit notamment de conforter l'éducation aux médias, mais aussi la confiance qui leur est accordée.
Votre parcours témoigne d'une implication au plus haut niveau pour le rayonnement de la culture dans notre pays. Nous partageons avec vous la volonté de rendre la culture accessible au plus grand nombre, et plus particulièrement aux jeunes. Ma question est simple, elle tient en sept mots : quel est votre rêve pour le CSA ?
Je vous remercie de votre présence et de votre disponibilité pour répondre à nos questions. J'ai lu divers articles de presse présentant votre conception de la gouvernance et du fonctionnement du CSA. Pouvez-vous nous exposer votre vision à court, moyen et long termes ? Pouvez-vous aussi nous dire comment vous concevez les relations entre le CSA et l'audiovisuel ? Les enjeux évoluant extrêmement vite dans ce domaine, je souhaiterais connaître votre point de vue sur les outils numériques. Considérez-vous qu'il est nécessaire pour le CSA d'étendre ses compétences et ses missions vers les nouveaux supports audiovisuels ? Dans quelle mesure et avec quels moyens ? Je pense bien sûr au lien possible avec l'éducation aux médias.
J'aimerais revenir plus spécifiquement sur les « gilets jaunes » : comment le CSA envisage-t-il la couverture de ce mouvement lors des élections européennes, dans le cadre de l'équité qui doit être garantie entre ce mouvement – sa liste officielle mais aussi les autres « tendances » qui pourraient perdurer – et les partis politiques traditionnels ?
Face aux questions que se posent les citoyens sur les problèmes sociétaux, mais aussi face à la multiplication des fausses informations, les auditeurs sont à la recherche d'informations fiables – et de la vérité. Or on constate qu'il y a peu d'émissions dédiées à la vulgarisation et à la culture scientifique, qui peuvent pourtant redonner de la confiance aux citoyens. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Au-delà de ses missions de régulation et d'administration, le CSA s'attache à faire respecter les valeurs qui sont à la base de son action – la dignité humaine, l'expression pluraliste des courants d'opinion, la protection des jeunes téléspectateurs et des consommateurs, la défense de la langue française et l'accessibilité des médias. Le CSA possède une sorte de droit de regard a posteriori. Il réagit en général après des alertes adressées par les téléspectateurs. En 2017, il a ainsi enregistré près de 90 000 plaintes, ce qui constitue un record.
Dans le discours sur les violences faites aux femmes qui a été prononcé le 25 novembre 2017, le président Emmanuel Macron a dévoilé son intention d'étendre les compétences du CSA à la régulation des contenus sur internet. C'est un enjeu majeur auquel je suis particulièrement sensible en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes. La violence dirigée contre elles ne connaît pas de frontières, et elle est particulièrement prégnante sur le Web, comme nous l'avons montré au sein de la délégation lors de l'examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
L'attribution d'une compétence dans ce domaine au CSA devrait permettre de lutter plus efficacement contre les violences faites aux femmes. Le CSA est-il prêt à relever ce défi ? Comment entendez-vous mettre en oeuvre cette nouvelle prérogative, et comment le CSA pourrait-il faire pour lutter efficacement contre les violences subies par les femmes sur internet ? Enfin, permettez-moi de saluer l'action de Sylvie Pierre-Brossolette au sein du CSA : elle s'est beaucoup battue sur les enjeux de l'égalité entre les femmes et les hommes, et j'espère que la personne qui lui succédera saura également prendre à coeur cette problématique cruciale pour l'avenir de notre société.
Je voudrais vous interroger sur le sport. La diffusion des rencontres sportives de haut niveau est soumise à un piratage et à un streaming de plus en plus conséquents. La Ligue de football estime ainsi à 500 millions d'euros le manque à gagner. Il est très compliqué de lutter contre ce problème. La valeur du direct est essentielle en ce qui concerne le sport, et c'est la base même du modèle économique dans ce domaine. À l'heure où l'on réfléchit à de grandes orientations pour le sport français, notamment à l'approche des grands événements, quelle est la stratégie pour la lutte contre le piratage des émissions sportives que vous envisagez ?
Mon interrogation peut paraître simpliste, mais le candidat que vous êtes va peut-être m'éclairer. Michèle Léridon se tenait à votre place il y a quelques jours et, si mes notes sont exactes, on peut notamment retenir de son audition que le CSA est une autorité indépendante et une instance de régulation, mais qu'il n'a juridiquement aucun pouvoir : c'est un gendarme de l'audiovisuel qui ne dispose pas de moyens coercitifs. Vous avez rappelé, pour votre part, l'intérêt de la collégialité et la relation qui existe avec les autres régulateurs, en précisant aussi que prévenir avant de sanctionner reste une mission du CSA. Vous avez indiqué que les enjeux de la régulation renvoient à la responsabilité des acteurs, mais vous avez aussi relevé que pas moins de 80 000 saisines ont été adressées au CSA par les Français en 2018. Pour gagner en efficacité dans le cadre d'une redéfinition des missions de cette institution face à un environnement numérique dont on connaît les excès, ne faudrait-il pas attribuer, via le législateur, un pouvoir coercitif direct au CSA ? Cela existe-t-il ailleurs, notamment chez nos voisins européens ?
Monsieur Claireaux, vous m'avez interrogé sur les programmes à destination de la jeunesse, compte tenu de l'évolution probable de France 4. Les choix du Gouvernement s'imposent au régulateur, c'est l'État actionnaire qui décide de ce qu'il attend du service public de l'audiovisuel, et le Parlement qui vote les ressources qui lui sont affectées. Je n'ai pas à porter d'appréciation sur des choix de cette nature.
Je crois néanmoins que nos capacités de production dans ce secteur constituent un enjeu formidable. Le savoir-faire français est internationalement reconnu, et il faut y être extrêmement attentif. Il serait très dommageable d'altérer nos capacités de production de ces programmes particuliers, pour lesquels nous avons un réel savoir-faire.
S'agissant des programmes jeunesse, une approche un peu différente s'impose en fonction des tranches d'âge. Les petits et les adolescents ont des modalités d'accès à l'image différentes, et les vecteurs sont différents, notamment pour le secteur public.
Les adolescents et les jeunes adultes représentent un enjeu majeur pour le service public, qui est confronté au vieillissement des téléspectateurs. Si le service public doit retrouver le chemin de la jeunesse, il faut qu'il emprunte les vecteurs utilisés par la jeunesse. J'ai quatre enfants, mon dernier fils va avoir quinze ans, et je constate son mode de consommation : il s'initie à la musique en regardant YouTube, et il utilise les écrans de façon privilégiée.
Qu'une offre à destination de la jeunesse soit construite en s'appuyant sur des vecteurs numériques ne me choque pas, et dans le cadre du développement de l'investissement numérique de France Télévisions dans la réforme en cours, le ciblage des jeunes par la voie numérique peut avoir du sens.
C'est moins évident en ce qui concerne les plus jeunes, et notamment pour le confort et la sécurité des parents. Regarder la télévision de manière classique devant son écran offre l'assurance que les programmes sont maîtrisés et connus, alors que sur internet, on est tout de suite amenés à se poser des questions.
En résumé, l'enjeu de la jeunesse est très important pour le service public, et il faut que nous y soyons attentifs.
Madame Mette, vous m'avez posé une question de nature comparable, j'espère y avoir répondu.
Madame Provendier, vous m'avez posé une très belle question, demandant quel est mon rêve. J'en ai déjà évoqué un, bien que ce soit peut-être plus une ambition qu'un rêve : il consiste à faire entrer le régulateur de plain-pied dans l'ère numérique. Si nous réussissons cette réforme, nous aurons franchi un grand pas. Chaque génération apporte sa pierre à l'édifice, surtout dans les institutions. J'ai eu la chance de travailler dans de grandes institutions de la République, et c'est ainsi que je vois les choses. Quand je suis arrivé à la Comédie-Française, mon ambition était de livrer cette maison à mes successeurs dans un meilleur état que celui dans lequel je l'avais reçue. Pour le CSA, l'enjeu du numérique est majeur. Et si le CSA peut contribuer à renouer le lien de confiance entre les Français et le monde des médias, nous aurons aussi réalisé un joli rêve.
S'agissant de ma stratégie à court, moyen et long terme, je pense l'avoir esquissée dans mon propos liminaire : j'ai l'ambition, comme je viens de le dire, de faire entrer ce régulateur de plain-pied dans l'ère du numérique en le dotant des outils nécessaires.
À cette occasion, madame Thill, vous m'avez demandé quel type de relation devait exister avec les acteurs du secteur. C'est une question très importante, que j'ai un peu évoquée dans mon propos liminaire. Il faut que l'institution soit ouverte, et que nous dialoguions avec les acteurs, sinon nous ne pourrons pas faire une bonne régulation. Il faut donc entretenir un dialogue régulier avec tous ceux qui font partie de l'écosystème. En même temps, une déontologie propre s'applique à ces institutions, à laquelle je suis très attachée, mon profil de magistrat y contribue probablement. Je crois donc qu'il ne faut pas être dans l'isolement, ni dans la connivence. Si l'on veut pouvoir réguler correctement, il faut que chacun soit à sa place, et que l'autorité soit à l'écoute, dialogue, mais en gardant la distance nécessaire pour exercer son magistère. C'est ainsi que je perçois la relation avec les professionnels.
Je crois avoir abordé à plusieurs reprises la question de l'éducation aux médias : c'est l'une des missions qui incombent au CSA de par la loi. Il développe une série d'activités en la matière, je trouve que c'est un très bel enjeu, et le CSA n'est pas seul sur ce sujet : j'aurai prochainement l'occasion de rencontrer le ministre de l'Éducation nationale, et je compte bien évidemment m'en entretenir avec lui. L'effort doit être partagé entre ce qui relève de la sphère de l'État stricto sensu, des acteurs du paysage audiovisuel, et du régulateur.
Monsieur Testé, vous m'avez interrogé sur la campagne pour les élections européennes. Cela fait partie des chantiers que va trouver le nouveau président. Le CSA, avant le démarrage des campagnes électorales, publie toujours une recommandation générale qui fixe le cadrage du traitement médiatique et des équilibres qui doivent être respectés dans la campagne des élections européennes. C'est probablement l'un des premiers chantiers sur lequel je serais amené à me pencher si vous validez la proposition de nomination faite par le Président de la République. J'ai évoqué le principe qui prévaut en période électorale depuis le dernier dispositif mis en place par le CSA : c'est celui de l'équité. Toutes les formations politiques doivent être traitées selon un principe d'équité, et le CSA veille par ses interventions au respect de ce principe. Si des listes « Gilets jaunes » se présentent aux élections, elles devront être traitées comme les autres au regard de ce principe.
Madame Hérin, vous m'avez interrogé sur la vulgarisation scientifique, et je suis sensible à votre intervention. Je n'ai peut-être pas un panorama suffisamment complet de l'offre télévisuelle, mais il est vrai que, vu de l'extérieur, c'est quelque chose qui manque peut-être dans le paysage. Un peu de rationalité scientifique ne nuirait pas.
Madame Rixain, sur la question des femmes, je m'associe en premier lieu à votre hommage à Sylvie Pierre-Brossolette, qui a fait un très beau travail sur ce sujet. J'ai été plutôt rasséréné par le dernier baromètre qu'elle a présenté avant de partir : à l'inverse de la situation en matière de diversité, nous voyons que la place des femmes dans l'ensemble des compartiments – information, fiction – est en progression, même si les femmes expertes n'ont pas toujours celle qu'elles devraient avoir dans les débats. La loi a confié une série de missions sur ce thème au CSA : il conduit assez régulièrement des études sur cette question, il édite ce baromètre régulier. Il peut être amené à prendre des sanctions, et il l'a fait à plusieurs reprises en 2017 et 2018 quand la dignité de la personne n'est pas respectée, ou face à des stéréotypes. C'est un point auquel je suis personnellement très attaché, et lors de la constitution de l'équipe, puisqu'il appartient au président entrant de ventiler les portefeuilles entre les nouveaux membres et les membres qui restent, je serai très attentif à ce que cette question ait sa juste place, toute sa place, et une bonne place.
Je suis content qu'une question m'ait été posée sur le sport, car c'est un thème qui m'est cher. Un premier phénomène est très problématique : c'est l'éviction du sport des chaînes gratuites. Visiblement, monsieur Roussel, vous connaissez le sujet. Cette situation est largement liée à l'envolée du prix des droits sportifs. Seules les chaînes payantes trouvent un équilibre économique. Le dispositif réglementaire prévu par le décret de 2004 sur les événements d'importance majeure permet de préserver la diffusion, notamment sur le service public, de grands événements sportifs : le Tour de France, Roland-Garros ou la finale de la Coupe de France de football. Il faut y être très attentif, notamment dans la perspective des Jeux Olympiques. Comme vous le savez, les droits des Jeux Olympiques ont été cédés à Discovery, il serait inconcevable que les Françaises et les Français ne puissent pas avoir accès dans de bonnes conditions aux images de ces Jeux Olympiques qui se dérouleront en France. Je sais que France Télévisions y travaille en partenariat avec d'autres acteurs, mais il faut que nous restions très vigilants sur cette question.
Vous avez évoqué le piratage, et j'ai découvert récemment ce qu'il en était en m'intéressant au sujet et en étudiant les activités de la HADOPI. J'ai été effaré de constater l'ampleur du piratage des événements sportifs, notamment des matchs du Paris Saint-Germain, qui sont massivement diffusés en streaming. Le sénateur Assouline a produit un rapport il y a deux ans sur le sport à la télévision, et il y a formulé une série de propositions. Vous mettez le doigt sur un problème, je ne peux pas vous faire de réponse plus précise à ce stade, mais c'est une question à laquelle je m'intéresserai.
Monsieur Kerlogot, je ne peux pas laisser dire que le CSA soit une autorité sans pouvoir, car elle a des pouvoirs de sanction. Elle adopte l'approche de la riposte graduée : elle commence par mettre en garde, et beaucoup d'interventions ne sont pas visibles mais font partie du quotidien de l'institution. Elle adresse un courrier aux éditeurs de chaînes en les alertant que sur tel programme, une anomalie au regard de certains principes posés par le législateur a été constatée. L'échelon suivant est la mise en demeure, prévue explicitement par la loi tandis que la mise en garde n'est qu'une pratique, elle n'est pas prévue en tant que telle par les textes. La mise en demeure est le dernier avertissement sans frais pour placer les interlocuteurs face à leurs responsabilités. Et au bout du compte, les sanctions peuvent être très importantes, notamment des amendes dont on a beaucoup parlé récemment à propos d'un animateur célèbre. C'est l'une des dernières sanctions que le CSA a prononcée, et le montant de l'amende a été confirmé par le Conseil d'État quand cette décision a fait l'objet d'un pourvoi. Ces armes existent, il faut les appliquer dans un certain nombre de circonstances, car c'est l'autorité du CSA qui est en jeu.
Comme vous l'aurez compris, je pense que la responsabilité des acteurs est un axe essentiel. On peut trouver des faiblesses au paysage audiovisuel, mais les acteurs y sont présents depuis longtemps. Ce paysage est mouvant, mais il est mature. On peut donc essayer d'avoir des relations de confiance, fondées sur la mise en responsabilité. C'est l'esprit de la notion de corégulation que nous avons évoquée à plusieurs reprises cet après-midi : souscrire des engagements négociés avec les acteurs, dont l'application est assurée par le régulateur. Mais les acteurs s'engagent à s'autoréguler. C'est dans ce sens qu'Olivier Schrameck avait parlé de « supra-régulation ».
La Commission procède ensuite au vote, en application de l'article 13 de la Constitution et dans les conditions prévues par l'article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Roch-Olivier Maistre à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.
______
En application de l'article 5, alinéa 2 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la Commission procède au dépouillement du scrutin mercredi 30 janvier 2019, en fin de matinée, simultanément avec la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants : 40
Bulletins blancs ou nuls : 0
Abstentions : 2
Suffrages exprimés : 38
POUR : 37
CONTRE : 1
En conséquence, la Commission émet un avis favorable à la nomination de M. Roch-Olivier Maistre à la présidence du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Présences en réunion
Réunion du mardi 29 janvier à 16 heures 15
Présents. - Mme Géraldine Bannier, Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Aurore Bergé, M. Philippe Berta, M. Bruno Bilde, M. Pascal Bois, M. Bertrand Bouyx, Mme Anne Brugnera, Mme Céline Calvez, Mme Sylvie Charrière, Mme Fannette Charvier, M. Francis Chouat, M. Stéphane Claireaux, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Frédérique Dumas, M. Laurent Garcia, M. Raphaël Gérard, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Florence Granjus, M. Pierre Henriet, Mme Danièle Hérin, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Gaël Le Bohec, Mme Brigitte Liso, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, Mme Sandrine Mörch, Mme Cécile Muschotti, Mme George Pau-Langevin, Mme Maud Petit, Mme Florence Provendier, M. Frédéric Reiss, Mme Cécile Rilhac, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Cédric Roussel, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Agnès Thill, Mme Michèle Victory
Excusés. - Mme Annie Genevard, Mme Josette Manin
Assistaient également à la réunion. - M. Fabien Di Filippo, M. Michel Zumkeller