Intervention de Benjamin Smith

Réunion du mardi 22 janvier 2019 à 17h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Benjamin Smith, directeur général d'Air France-KLM :

(Interprétation de l'anglais). Les négociations se déroulent très bien avec les pilotes, qui constituent le facteur le plus important pour nos opérations. Ils ont passé une grande partie de leur carrière à investir du temps et de l'argent pour arriver là où ils sont, et ils réalisent un travail extrêmement technique. L'ensemble des négociations repose sur quelques principes très simples : il faut réaliser beaucoup d'efforts en vue de gagner la confiance et le respect, dans une pleine transparence mais aussi un environnement de confidentialité. C'est ainsi que nous avons lancé l'ensemble des négociations, avec toutes nos équipes : cela constitue une très bonne base pour avoir d'excellentes discussions avec tous, en particulier au sein d'Air France. Je pense que c'est un aspect essentiel du succès que nous avons rencontré. Je suis également heureux de dire que les équipes d'Air France sont extrêmement professionnelles. Elles sont très fières de leur entreprise et elles ont beaucoup d'expérience. Elles veulent qu'Air France soit gagnante et qu'elle puisse représenter au mieux l'image de la France.

Je vais essayer de répondre en même temps à plusieurs questions, car elles présentaient des points communs.

J'espère que le travail réalisé au cours des dernières semaines avec les pilotes d'Air France conduira demain à un vote positif du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL). Si c'est le cas, nous saurons dans quelques semaines, après un référendum chez les pilotes, si nous avons un nouvel accord avec eux. Le cas échéant, nous aurons conclu les principales négociations qui devaient être conduites avant de commencer à travailler sur la future stratégie du groupe. Pourquoi procédons-nous dans cet ordre ? Il est très important d'avoir un dialogue social positif et de bonnes relations de travail avec l'ensemble des équipes, afin de nous assurer qu'elles participent à l'avenir d'Air France et à ce qui sera notre stratégie. Dans l'environnement qui est le nôtre, c'est le seul moyen de réussir à développer ensemble notre stratégie future.

Il y a eu dans la presse quelques articles sur la place du luxe et du haut de gamme dans la stratégie d'Air France. Vous savez que c'est un domaine dans lequel la France et Air France excellent, mais aussi que c'est un segment très réduit au sein du transport aérien. Une partie de la flexibilité que nous avons pu obtenir dans le cadre des négociations qui viennent d'avoir lieu, et que nous espérons obtenir également avec les pilotes, devrait nous permettre de participer d'une manière beaucoup plus efficace à ce secteur.

En ce qui concerne la majeure partie du marché, à laquelle Air France participe déjà de façon importante, vous avez notamment demandé quels sont nos projets pour le long courrier low-cost. C'est un segment qui est encore relativement nouveau et qui doit faire ses preuves. Nous examinons la situation très attentivement, afin de voir si nous souhaitons participer à ce secteur du marché. Si nous choisissons de le faire, ce ne sera qu'avec l'accord de l'ensemble du personnel.

S'agissant du court-courrier et du moyen-courrier low cost, nous avons déjà une marque fantastique, Transavia, que j'ai présentée tout à l'heure. Transavia réussit très bien, en France comme aux Pays-Bas. Nous sommes aujourd'hui limités à 40 avions en France, et nous n'en sommes pas encore là, ce qui signifie que nous avons encore de la marge pour nous développer. Une fois que les relations avec les pilotes d'Air France se seront améliorées, grâce à une plus grande confiance et à davantage de respect, nous espérons que nous pourrons développer Transavia d'une manière significative.

Il existe de nombreux segments au sein du marché, je l'ai dit. Air France est déjà très bien positionnée sur beaucoup d'entre eux. Grâce aux nouveaux accords que nous espérons mettre en place, celui avec les pilotes, mais aussi ceux que nous avons déjà conclus avec le personnel navigant commercial (PNC) et avec le personnel au sol, je pense que nous aurons la flexibilité nécessaire pour participer plus largement au marché. Je le répète : nous allons construire notre plan pour l'avenir avec l'ensemble des parties prenantes.

J'ai déjà parlé de Hop ! tout à l'heure. Nous considérons que le marché intérieur français est extrêmement important pour Air France. Nous avons une longue histoire sur ce marché, dans le cadre d'Air France mais aussi d'Air Inter. Hop !, fusion récente de trois compagnies aériennes, continue à rencontrer des défis sur le plan opérationnel. Beaucoup d'efforts ont été engagés pour améliorer les opérations de Hop !, qui ne sont pas au niveau nécessaire. Je consacre beaucoup d'attention à ce sujet, comme le font aussi mes équipes. Je m'attends à ce que les performances s'améliorent, et j'espère que nous pourrons conserver l'ensemble des liaisons que nous desservons avec Hop !. C'est notre souhait, mais aucun d'entre vous ne sera surpris si je dis que nous rencontrons des défis en termes de rentabilité sur certaines lignes. Nous sommes une entreprise, et nous devons trouver un moyen de rendre ces lignes rentables afin d'assurer leur viabilité.

En ce qui concerne Roissy-Charles de Gaulle, quels sont les enjeux essentiels pour Air France à court terme ? Vous savez tous que nous avons un problème important au niveau des accès routiers et autoroutiers au terminal 2, qui sont très limités. Il y a parfois des bouchons de 30 minutes, ce qui est évidemment très gênant pour nos clients. Nous aimerions que davantage d'efforts soient faits pour résoudre cette difficulté à court terme. Ceux qui prennent des vols internationaux savent aussi que le temps d'attente aux contrôles aux frontières, lorsque l'on arrive à Paris, est inacceptable. Les ressources humaines sont insuffisantes pour gérer les flux de passagers entrants, ce qui nuit à Air France, mais aussi à Paris et à la France. Dans l'intérêt de tous, nous aimerions que davantage de ressources soient déployées dans ce domaine.

Nos relations avec ADP sont bonnes. J'ai rencontré ses dirigeants à plusieurs reprises depuis mon arrivée. ADP, et en particulier Roissy-Charles-de-Gaulle, est un élément extrêmement important pour nos opérations. Quand on dirige une compagnie aérienne et que l'on a un « hub » majeur, la plateforme aéroportuaire et les relations avec ceux qui la dirigent sont des aspects fondamentaux. Il faut que nous puissions mener nos opérations d'une manière compétitive, au bon coût et avec le bon niveau d'efficacité.

Nous sommes absolument favorables à l'augmentation des capacités de Roissy. Nous comprenons qu'une grande étude environnementale soit nécessaire dans ce cadre : c'est évidemment important. Mais nous aimerions nous assurer que toutes les options permettant d'augmenter les capacités de Roissy restent ouvertes durant cette phase. Il y a deux options principales à l'heure actuelle : construire un grand terminal T4, mais aussi, et c'est une option qui est également intéressante à nos yeux, étendre les terminaux 2E et 2F – outre les satellites S3 et S4, on pourrait envisager de construire un satellite S5. Cette dernière option aurait un impact très limité pour nous durant la période de transition. Ce que nous avons vu, jusqu'à présent, des projets concernant le terminal 4 aurait, en revanche, un impact important pour nous pendant la phase de transition. Nous travaillons étroitement avec ADP pour trouver une solution à laquelle nous pourrions apporter notre soutien.

Outre la configuration du terminal, les coûts opérationnels sont une question majeure pour nous. Il y a de très grands « hubs » compétitifs en Europe. Notre partenaire KLM opère, à Amsterdam, depuis l'un des aéroports les plus efficaces au monde, et il existe aussi une forte compétition avec les aéroports de Munich, de Zurich, de Londres-Heathrow, de Copenhague et de Madrid. Il est extrêmement important de réussir le nouveau terminal qui doit être construit à Paris pour répondre aux besoins du trafic aérien depuis et vers la France au cours des prochaines décennies. Il y a des aéroports et des villes qui ont répondu à ce défi avec beaucoup d'efficacité, ce qui a contribué au développement des services aériens – et c'est très bon pour le tourisme et pour les affaires. Nous devons également saisir cette opportunité à Paris. Il nous incombe, à tous, de veiller à ce que le projet dont nous parlons soit réalisé au mieux.

Que cherchons-nous à réaliser dans le cadre des négociations et des nouveaux contrats que j'ai évoqués ? Nous voulons nous assurer que nous avons la flexibilité dont l'entreprise et ses employés ont besoin afin de participer à tous les segments du marché où nous sentons que nous pourrons réussir et être rentables, notamment la première, la business class, la premium economy, la classe économique et le low cost – je crois, en revanche, qu'il n'est pas réaliste d'envisager que nous participions au segment de l'ultra low cost. Il y a les court-courriers, les moyen-courriers, les long-courriers, les dessertes régionales et la question de savoir si nous cherchons à investir dans d'autres compagnies, en dehors d'Air France-KLM et de notre participation dans Virgin : il existe beaucoup d'opportunités. Nous devons nous assurer que nous avons des accords qui nous donnent la flexibilité nécessaire pour saisir ces opportunités sans que cela nuise à nos salariés.

Vous m'avez demandé comment nous sommes parvenus à conclure avec succès certaines négociations. Nous l'avons fait d'une manière qui ne met pas en danger l'avenir financier d'Air France, bien entendu : cette compagnie doit être compétitive et elle doit se développer d'une façon soutenable. Toutes les négociations sont conduites de manière à bénéficier à tous nos employés mais aussi à permettre à Air France de se développer et de réaliser des profits. Je le redis : ces négociations reposent sur l'idée qu'il faut gagner la confiance et le respect, dans un contexte de transparence mais aussi de confidentialité, et cela a bien fonctionné. Vous avez remarqué, je l'espère, que la presse parle beaucoup moins d'Air France que par le passé. C'est le fruit d'un effort conscient et délibéré de la part de toutes nos équipes. Cela nous a aidés à avoir de bonnes discussions, sans interférences extérieures.

Vous m'avez demandé de décrire mes six premiers mois en France, alors que je viens d'un environnement anglo-saxon – en réalité, cela ne fait que quatre mois que je suis arrivé. La France est un pays formidable : je n'ai aucun problème à le dire, et c'est bien de l'entendre dans la bouche de quelqu'un qui vient de l'extérieur. La France est un pays extraordinaire. La qualité de vie y est fantastique. Vous pouvez compter sur moi pour faire de la publicité pour la France, et je le ferai sans demander de rémunération. (Sourires). J'ai notamment été très impressionné, je le redis, car c'est une force, par la fierté des équipes d'Air France.

Dans le passé, j'ai travaillé pour une société dont les collaborateurs étaient très fiers, et j'ai eu l'occasion de collaborer avec des dizaines de compagnies aériennes dans le monde entier. Je puis donc le dire : la fierté des salariés d'Air France est vraiment quelque chose de formidable. Nous avons une nouvelle campagne, au sein de la compagnie, qui s'intitule : « J'aime Air France. I love Air France ». Le taux de participation est extraordinaire, car cela correspond à ce que ressentent les salariés. C'est une force extraordinaire dans un secteur où l'objectif est de fournir des services à des clients. Les choses sont très claires lorsqu'il y a une telle cohérence entre les dirigeants et le personnel. Air France a toutes les clés pour réussir ; c'est ce qui m'a poussé à saisir l'occasion qui m'était offerte de la diriger. J'étais persuadé que le succès était possible, en France, en renforçant la compagnie. Je suis donc optimiste quant au fait que, lors de notre prochaine rencontre, j'aurai des résultats substantiels et solides à vous présenter. Je suis vraiment très optimiste quant à l'avenir, et j'espère que je pourrai vous faire partager cet optimisme au fur et à mesure des semaines.

Le Brexit n'aura pas d'impact matériel sur les activités du groupe Air France-KLM. Il y a, bien sûr, un impact potentiel sur les lignes entrant et sortant du Royaume-Uni. Nous avons un partenariat important avec Delta et nous détenons une part du capital de Virgin Atlantic mais, je le répète, en ce qui concerne Air France-KLM, nous ne prévoyons pas d'impact matériel.

J'ai déjà un peu parlé de Paris Aéroport et de la compétitivité de cette société. L'essentiel, pour Air France, est d'avoir de la visibilité quant à la gouvernance future. Ma collègue et moi-même l'avons déjà dit devant le Sénat : pour nous, que la société soit privatisée ou non importe peu tant que l'impact de la situation sur Air France n'est pas négatif. Roissy-Charles-de-Gaulle, et même Orly, sont vitaux pour notre succès, sur le plan financier comme en termes de développement économique. Nous devons avoir de la visibilité quant au coût des prestations et à la capacité offerte par Roissy. Il est impossible d'investir dans un avion qui coûte 150 millions d'euros – voire davantage – et que nous conserverons dans notre flotte pendant quinze ou vingt ans sans savoir quels seront les frais d'exploitation à Roissy. Il serait totalement irresponsable de ma part de recommander à notre conseil d'administration de réaliser de tels investissements s'il n'y a pas de visibilité quant aux frais d'exploitation à Roissy.

En ce qui concerne la question importante du climat et de l'impact du transport aérien, et celle de la fiscalité pesant sur le transport aérien, en comparaison avec le ferroviaire ou les autres modes de transport, nous avons à l'évidence, en tant que compagnie aérienne, des responsabilités ; nous les prenons au sérieux et nous faisons vraiment tout ce qui est en notre pouvoir pour réduire l'empreinte carbone de nos activités. Nous avons commandé un grand nombre d'Airbus A350 et de Boeing 787, qui sont les avions les plus sobres sur le marché en termes de consommation de carburant. Par la suite, à moyen terme, le renouvellement de notre flotte de moyens courriers – composée de 110 appareils – est envisagé. Cela aussi nous permettra de réduire notre empreinte carbone.

Vous m'avez demandé comment j'envisage la responsabilité de notre compagnie et comment nous pouvons concilier les intérêts des différentes parties prenantes. L'activité d'un grand nombre de villes que nous desservons se trouverait affectée si nous mettions un terme à nos activités : cela aurait un impact sur l'activité économique et le tourisme. Par ailleurs, un grand nombre de passagers préfèrent l'avion pour certains trajets. La conséquence de notre activité sur l'environnement est une de nos préoccupations, et elle est partagée par nos partenaires comme par nos concurrents, mais notre secteur est ce qu'il est. Pour tous les moyens de transport, la meilleure manière de réduire drastiquement les émissions est de mettre un terme à l'activité. Ce n'est bien sûr pas ce que nous ferons. Néanmoins, nous prenons la question très au sérieux ; nous souhaitons une démarche équilibrée, prenant en compte tous les acteurs concernés par nos activités. Nous aimons à dire qu'Air France-KLM est à la pointe dans le domaine, et nous entendons y rester.

S'agissant de Joon, la compagnie avait été créée, comme vous le savez, il y a à peine plus d'un an. Le projet d'entreprise était intéressant. L'objectif était de pallier l'incapacité d'Air France à assurer un certain nombre de trajets moyens courriers et longs courriers. Malheureusement, la manière dont la compagnie a été lancée a brisé la confiance entre la direction et les personnels navigants commerciaux (PNC), mais aussi entre Air France et nombre de ses clients. Cela a rendu quasiment impossible le succès de l'entreprise. Nous avons donc pris une décision, car nous devions éviter que cette filiale compromette la réussite future d'Air France. Cet épisode va-t-il accroître les coûts pour Air France ? À moyen et long termes, absolument pas. Nous avons pu revoir nos accords avec les PNC en introduisant une flexibilité importante, et nous avons beaucoup travaillé au rétablissement de la confiance, qui était nécessaire si nous voulions aller de l'avant. Nous avons introduit de la flexibilité et étudié les différentes parties du marché. À court et moyen termes, les économies que nous entendions réaliser grâce à Joon seront obtenues par d'autres moyens au sein d'Air France.

Vous m'avez interrogé au sujet de la compétitivité d'Air France au regard de la rémunération des pilotes. Avec l'accord que nous avons conclu, qui concerne aussi bien les rémunérations des pilotes que leurs avantages, Air France est très compétitive. Là où nous ne le sommes pas, c'est en ce qui concerne les taxes payées sur ces rémunérations, sans oublier les taxes supplémentaires auxquelles Air France est soumise. C'est un désavantage considérable. Si je prends l'exemple de la liaison avec Dubaï – mon itinéraire préféré – opérée par un Boeing 777, le coût du Paris-Dubaï pour Air France est significativement supérieur à celui du Dubaï-Paris pour Emirates. Par conséquent, le prix du billet pour le client n'est pas le même : si nous voulons faire des bénéfices, nous devons lui faire payer davantage. Le principal risque pour Air France tient au fait que, dans la compétition avec les autres compagnies aériennes, nous ne soyons pas à égalité en raison des charges et de la fiscalité. Pour renforcer Air France et embaucher plus en France, pour développer le tourisme et rendre le pays plus attractif pour les investissements étrangers, il est impératif que toutes les parties prenantes – le Gouvernement, les aéroports et les compagnies – y mettent du leur pour trouver des solutions positives. Il en est bien sûr question dans le cadre des Assises du transport aérien, mais Air France, par ma voix et celle de Mme Anne-Marie Couderc, aimerait avoir encore davantage d'occasions d'en discuter car, je le répète, le niveau de la fiscalité est vraiment le principal risque pour notre avenir.

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