Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du mercredi 13 février 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon, rapporteur :

J'espérais avoir convaincu du contraire, mais l'action politique repose sur l'optimisme – sinon, mieux vaut rentrer chez soi. Mettons d'emblée de côté un argument : je ne suis pas en train de vous dire que M. Macron a bien ou mal agi sur le sujet – ce n'est pas mon propos. J'ajoute que la nouvelle directive dont vous venez de vous réjouir a donné lieu à des discussions au Parlement européen, ce que je comprends, et des groupes classés à gauche ont voté en sa faveur, estimant qu'elle constitue un progrès.

On peut entendre l'idée selon laquelle elle est un progrès, mais je fais deux observations. Tout d'abord, nul n'est obligé d'être d'accord avec cette appréciation. Une cuiller de goudron suffit à gâcher un baril de miel : en l'occurrence, la mesure aura beau être intéressante et satisfaisante, elle ne permet pas de payer la sécurité sociale dans le pays d'accueil. Le dumping social – en effet, ne ramenons pas le problème à la seule question de la fraude – est réel : le prix d'une même tâche diffère d'un salarié à un autre sur la seule base de l'acquis social dont il peut se réclamer. C'est injuste.

Vous jugez cette proposition de loi caricaturale. De quoi est-elle la caricature ? Les rapports de force existent. Pensez-vous que le général de Gaulle ait été caricatural en adoptant la politique de la chaise vide parce qu'on refusait de lui céder sur la politique agricole commune ? Il est parti et les autres ont dû céder. Ce n'est pas la même chose de négocier à seize, comme ce fut le cas au début de cette affaire de travail détaché, et à vingt-huit aujourd'hui, avec des pays dont le droit social n'a pas plus de vingt ans, depuis la chute du mur – pays qui sont aussi obsédés de libéralisme qu'ils l'étaient auparavant de communisme, aussi idéologues et aveuglés dans leurs décisions politiques. Il faudra que tout cela se calme pour trouver un point d'équilibre.

Songez, madame, que lorsque nous nous comparons avec l'un des pays de l'ancien camp socialiste, le partage de la valeur ajoutée n'a rien à voir : en France, il est de l'ordre de 70-30 et nous considérons cela comme une abominable surexploitation capitaliste, tandis qu'il est de l'ordre de 50-50 là-bas : ce sont des taux de partage absolument inouïs entre un très petit nombre et le grand nombre. Voilà avec qui nous sommes en concurrence sociale. Pardon, mais cela peut être totalement déflagrateur.

Je ne résiste pas à conclure en relevant votre argument selon lequel ma vision serait essentiellement électoraliste. Pour un démocrate, cela me semble assez normal : j'assume d'être électoraliste si cela consiste à convaincre les gens. Ne les prenez pas pour plus bêtes qu'ils ne sont. Ce n'est pas parce que l'on se dit opposé au travail détaché qu'aussitôt tout le monde descend dans la rue pour se réjouir de cette bonne idée ! Il faut souvent à nos compatriotes le temps de comprendre. Je ne vois aucune honte à vouloir convaincre, et je veux convaincre qu'il existe une autre méthode susceptible de fonctionner en Europe. Encore une fois, cependant, ce n'est pas le sujet qui nous oppose ce matin. Notre débat ne consiste pas à dire oui ou non à l'Union européenne, mais à décider si l'on accepte que perdure une situation déséquilibrée et injuste pour les travailleurs et pour le système de protection sociale.

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