Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du lundi 18 février 2019 à 16h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Motion de rejet préalable (projet de loi organique)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Il est clair que l'institution judiciaire permet l'application du principe d'égalité des citoyens devant la loi, tel que défini à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Cette justice doit être médiatrice et impartiale. C'est l'un des piliers de la cohésion sociale, car elle permet de faire office de médiateur dans les conflits opposant les justiciables, évitant en principe que ceux-ci ne se rendent justice eux-mêmes – encore faut-il qu'ils aient un minimum confiance en la justice.

Il faut donc rejeter cette réforme de la justice qui se fait contre le justiciable et contre l'idée de justice.

Oui, il s'agit bien d'abord d'une justice « rentable » que celle proposée par votre réforme, madame la ministre, et c'est un danger pour les Français. Certes, Bercy n'a pas un oeil malveillant sur la chancellerie, dont le budget augmente. Mais faute de pouvoir augmenter les crédits de tous vos programmes, le problème vient de vos propres arbitrages internes : il faut bien, selon vous, construire des places de prison, ainsi que le magnifique futur logiciel annoncé pour 2022. Cette ventilation fait qu'en réalité, l'accroissement des crédits consacrés à la justice judiciaire ne dépasse pas 1,7 % pour 2019 – et non 5 %.

Et c'est pourquoi il vous faut privatiser certains secteurs. Or la dématérialisation, par exemple, dès lors qu'elle est vue comme une source d'économies, s'apparente à une désincarnation du contentieux, laquelle ne se concilie pas nécessairement avec l'idée que l'on peut se faire de la justice.

La même recherche de rentabilité s'applique aux fonctionnaires et aux magistrats avec la dégradation des statuts et du cadre d'emploi : on prévoit des pôles tournants de greffiers, on mutualise les greffes des tribunaux de prud'hommes situés à proximité d'autres tribunaux, on multiplie les magistrats placés, les magistrats temporaires, les magistrats honoraires… Le ministère n'ayant plus les moyens d'embaucher, on généralise les satellites de la fonction de juger.

Quant au projet de loi organique, il n'a de cesse de réduire les possibilités offertes au justiciable de recourir à un juge – en la matière, vous vous placez d'ailleurs dans une certaine forme de continuité.

La privatisation par les plateformes numériques sera une réalité demain. Non pas que notre groupe soit contre les plateformes dématérialisées – j'ai entendu dans l'hémicycle et dans certains médias de nombreuses âneries à ce sujet – , mais l'obligation de recourir à une médiation préalable va jeter des centaines de milliers de personnes dans la gueule du loup. Vous aurez beau prévoir une certification de ces plateformes en ligne, une certification facultative, au passage, vous n'empêcherez pas les gens de tomber sous la coupe de margoulins. Car il y a des margoulins sur internet – mon collègue Gosselin avait trouvé le mot juste, et je ne comprends pas ce qui a poussé Mme la rapporteure à l'employer contre le Conseil national des barreaux – , que ce projet de loi ne pourra que satisfaire.

Je rappelle par ailleurs que le Défenseur des droits publie régulièrement des rapports sur l'éloignement du numérique dont souffrent un certain nombre de nos concitoyennes et concitoyens. Vous affirmez qu'ils se rendront dans le SAUJ le plus proche de chez eux, mais encore faut-il qu'il en existe à proximité, et qu'il ait vraiment les moyens de fonctionner – car on connaît aussi les cadences infernales dans les services d'accueil unique du justiciable.

Vous allez également multiplier le recours à des structures dont le rôle n'est initialement pas de juger. L'exemple de la CAF est à cet égard particulièrement parlant : l'objectif est bien de confier à une autre structure une partie des dossiers dont s'occupent les juges aux affaires familiales, afin qu'ils puissent consacrer plus de temps à ceux qui leur resteront.

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