Comment ne pas être interloqué par cette proposition qui, fort opportunément, tombe à point nommé, alors que doit s'ouvrir, d'ici à quelques semaines, un débat sur les institutions, lié au grand débat ? Ce n'est pas nous qui avons provoqué la situation actuelle mais je crois qu'il faut aussi savoir prendre du temps.
Je vous ferai d'abord remarquer, chers collègues, que vous n'avez pas le monopole du peuple ou de l'intérêt du peuple. Nous sommes dans une démocratie représentative et, à la fois sur le plan théorique, sur le plan juridique et sur le plan constitutionnel, les élus que nous sommes, les élus locaux ou nationaux, représentent pleinement le peuple.
Il faut revenir aux sources du droit constitutionnel. Vous faites une « savante » interprétation, mêlée, de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire. Je trouve cela vraiment dommageable, car, en réalité, en confondant souveraineté nationale et populaire – en les confondant non pas au sens de la confusion intellectuelle mais en les confondant pour n'en faire plus qu'une sorte –, vous entretenez, d'une certaine façon, la confusion au sein de la démocratie. C'est une négation des élus, de la part représentative de nos institutions.
Il n'y aurait ainsi aucun intermédiaire entre le peuple et ce que vous considérez comme le souverain, en tout cas celui qui est comme tel au plan exécutif. C'est une méconnaissance du fonctionnement de nos institutions, c'est aussi une méconnaissance de la sociologie électorale.
Le groupe Les Républicains trouve donc votre proposition très opportuniste, tout en reconnaissant qu'un certain nombre de questions se posent vraiment, et pas simplement pour des raisons d'opportunité. Quelle est la place du peuple dans l'intervalle qui sépare deux élections ? Comment mieux faire participer effectivement le peuple et les citoyens ? Car, dans une démocratie, nous ne l'oublions pas, le peuple, le citoyen, est bien le souverain. Nous pouvons répondre par des droits de pétition, par des référendums d'initiative partagée. C'est ce qui avait amené l'antépénultième majorité, entre 2007 et 2008, à s'accorder sur une réforme de l'article 11, par lequel, dès 1958, le référendum était reconnu en France, même si vous en avez largement dénoncé l'utilisation parce que vous associiez le recours au peuple au plébiscite – d'autres tenaient les mêmes propos, et, aujourd'hui, nous sommes presque à front renversé ; cela ne manque pas de sel. Dès 2008, donc, le référendum d'initiative partagée a été instauré. On peut, certes, s'interroger sur ses conditions d'utilisation, sur ces seuils qui imposent l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, mais force est de constater que nous en sommes aujourd'hui très éloignés, avec des référendums législatifs, abrogatifs, révocatoires – cela rappelle sans doute un peu le recall des États-Unis ou d'autres formules – et constituants.
Le peuple est évidemment respectable et incontournable dans une démocratie, mais, ici, il n'est pas l'élément central, il est quasiment l'élément unique. Je m'étonne, comme mes collègues, qu'il soit envisagé de permettre une révocation au bout d'un tiers de mandat. Cela veut dire que le processus électoral normal peut ne pas être respecté. La politique, la vie locale, la vie nationale a pourtant besoin de temps long. On ne peut pas, toutes les semaines, remettre en cause ce qui a été décidé par une majorité des électeurs ; c'est le principe même de la démocratie. C'est aussi le principe majoritaire, que la formule que vous envisagez pourrait, avec 2 % des citoyens, 900 000 personnes, renverser. Une minorité agissante pourrait presque en permanence et quand elle le souhaite remettre en cause la stabilité des institutions !
Vous posez une vraie question : quelle est la place du peuple et des citoyens dans une démocratie comme la nôtre, qui a sans doute besoin de se régénérer et doit évidemment se rappeler ses fondements démocratiques ? Le peuple est bien le fondement de démocratie mais, en oubliant ou en mettant de côté une part trop large des institutions représentatives, votre proposition de loi constitutionnelle passe à côté de la réponse et, telle qu'elle est formulée, s'apparente à une approche démagogique plutôt que réellement constructive.