Cet ensemble de questions émanant de tous les groupes offre un tour d'horizon assez global de l'agriculture française et européenne. J'essaierai de répondre précisément à toutes en évitant de me répéter.
Plusieurs questions portent sur la loi EGALIM et ses suites. L'an dernier, ce que vous avez dit avec la loi EGALIM, ce que le Président de la République a dit lorsqu'il a prononcé son discours à Rungis, c'est que nous étions arrivés au bout d'un système. Il n'est pas possible que l'agriculture soit la seule filière économique en France qui ne décide pas de ses prix de vente et à qui il peut même être imposé de vendre à un prix inférieur au coût de revient. Il faut donc transformer les choses. Vous avez donc, Mesdames et Messieurs les députés, donné plus de poids aux interprofessions en leur demandant de fixer des indicateurs de coût. Cela a été fait, et cela fonctionne plutôt bien.
Vous avez également, notamment dans le titre Ier de la loi, fait en sorte qu'il y ait une meilleure répartition de la valeur des produits issus de l'agriculture. Pour ce faire, la loi comporte des habilitations au Gouvernement pour prendre des ordonnances. La première d'entre elles a pris effet le 1er janvier de cette année et concerne les promotions qui ne peuvent plus excéder 34 %. Alors que, jusqu'à présent on pouvait proposer un produit offert pour un produit acheté, les promotions devront désormais se limiter à un produit offert pour deux produits achetés. En pratique, les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vont suivre sur le terrain l'application de l'ordonnance, qui ne devrait pas poser de problème. La seconde ordonnance concerne la majoration de 10 % du seuil de revente à perte et prendra effet au 1er février prochain.
Malgré un contexte économique difficile, nous avons pris ces ordonnances immédiatement, car c'était un engagement de votre part et qu'il fallait que les négociations puissent se faire sur d'autres bases. Il reste encore du chemin à parcourir, mais je travaille actuellement avec tous les acteurs de la filière pour faire bouger les lignes. La grande distribution, les industries agroalimentaires, les coopératives, toutes doivent faire des efforts pour que les agriculteurs voient leurs revenus augmenter. Cela se fera marche après marche, et 2019 sera une année test : si la situation ne s'améliore pas, alors on pourra dire que cette loi n'a servi à rien, mais je suis convaincu que ce ne sera pas le cas – c'est du moins la conviction que je tire des retours positifs qui me remontent du terrain.
J'ajoute enfin qu'il ne faut pas stigmatiser la grande distribution, et que chacun a des efforts à fournir.
Pour ce qui concerne les autres ordonnances, celle portant sur la définition des prix anormalement bas va être publiée prochainement. Quant aux deux autres – celle sur la gouvernance des coopératives et celle sur la séparation des activités de vente et de conseil en matière de produits phytosanitaires –, elles sont beaucoup plus complexes à élaborer et exigent des concertations interministérielles, lesquelles sont en cours.
Que cela plaise ou non, nous devons aujourd'hui accélérer la mutation de notre agriculture, et c'est notre rôle d'accompagner cette transition. Cela passe par une amélioration des prix agricoles mais également par un changement de pratiques.
Jamais je ne montrerai du doigt ceux à qui on a demandé, dans les années 1950, de produire à marche forcée pour nourrir la France et l'Europe, et ce d'autant moins que – je vais peut-être en choquer certains – nous avons encore besoin aujourd'hui d'une agriculture productive qui soutienne nos exportations. Certes, notre balance commerciale agricole est excédentaire de 6 milliards d'euros, mais elle l'était de 10 milliards il n'y a pas si longtemps. On peut donc être un peu chauvins et se féliciter, mais il faut aussi regarder la réalité en face.
Reste que la diminution des produits phytopharmaceutiques est absolument indispensable, et la France entend être un leader européen en la matière, malgré la difficulté de la tâche. La baisse du glyphosate est une nécessité. C'est une demande de nos concitoyens, à laquelle nos agriculteurs sont prêts à répondre. Le Président de la République l'a dit : on ne laissera personne sans solution. Dans certaines filières, on sait qu'il sera difficile de sortir du glyphosate au 1er janvier 2021, mais nous serons là pour aider ceux qui en ont besoin. L'ordonnance sur la séparation entre la vente et le conseil nous mène dans la bonne direction – nous pouvons tous nous entendre sur ce point –, mais il ne s'agit de handicaper ni les coopératives, ni les chambres d'agriculture.
J'ai aussi évoqué l'ordonnance sur la gouvernance des coopératives. Là encore, réformer ne signifie pas montrer du doigt les cinq ou six grosses coopératives dotées de filiales – y compris à l'étranger – qui leur font remonter de l'argent. Ces coopératives-là en effet sont aussi celles qui font vivre nos dizaines de milliers d'agriculteurs et font entrer de l'argent dans le pays. C'est la raison pour laquelle nous repensons leur gouvernance, en donnant notamment davantage de pouvoir au Haut Conseil de la coopération agricole (HCCA) et au médiateur de la coopération agricole, sans pour autant, je le répète, stigmatiser personne.
Vous avez été plusieurs à évoquer les retards de versement des aides européennes. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, il s'agit d'une défaillance des services de l'État : appelons un chat un chat et ne tournons pas autour du pot. On peut évidemment se réjouir que les aides au titre des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), celles à la filière bio, ainsi que les aides à l'installation pour les jeunes agriculteurs bio de 2016 soient en passe d'être soldées, mais ce retard est un scandale absolu vis-à-vis des agriculteurs, notamment les jeunes agriculteurs qui s'installent, car c'est précisément lors des deux ou trois premières années que les aides sont vitales.
Sans doute la responsabilité de cette défaillance incombe-t-elle à notre organisme payeur, mais cette dernière est également liée aux 9 200 critères qui doivent être étudiés pour l'attribution des aides. Vous êtes tous là pour protester d'une seule voix que l'on ne peut pas continuer comme ça. Croyez-moi, si je suis toujours à ce poste lors des prochaines négociations sur la PAC, je n'hésiterai pas à simplifier le système, mais ne venez pas me réclamer, après avoir salué le principe de cette simplification, telle ou telle dérogation au nom de la spécificité de vos territoires respectifs ! C'est ainsi que l'on arrive à ces 9 200 critères, dont nous portons tous la responsabilité, parlementaires, élus locaux, organisations professionnelles agricoles, et enfin l'administration, mais dont je ne tolérerai pas qu'on dise qu'elle est la seule coupable.
Quoi qu'il en soit, croyez-moi, nous simplifierons à tout-va lorsqu'on négociera la prochaine PAC, car c'est la seule façon de réintroduire de l'équité dans le système.
L'exemple des zones défavorisées simples (ZDS) illustre bien mon propos. À l'occasion de la refonte de la carte de ces zones, plusieurs milliers de communes et d'agriculteurs ont été intégrés dans ces ZDS, sans un merci ; en revanche, on ne compte plus les protestations de ceux qui en sont sortis ! Mesdames et Messieurs les députés, vous êtes des experts en budget : les budgets ne vont pas augmenter dans les années qui viennent, et on ne fait pas rentrer deux litres de lait dans une bouteille d'un litre.
Madame Battistel, vous vous êtes inquiétée du budget de la PAC. Sur ce point, la position de la France est très claire : nous n'accepterons pas une baisse du budget de la PAC. C'est une réponse ferme à laquelle je renvoie tous ceux qui chicanent sur le fait de savoir si nous parlons en euros constants ou en euros courants.
Il en va de même pour la pêche, et je suis désolé de dire à M. Sébastien Jumel que, lors du dernier conseil des ministres européens de la pêche, nous avons obtenu ce que nous souhaitions – et je remercie ici M. Fasquelle pour l'aide qu'il nous a apportée. Quant à la pêche électrique, la France y est défavorable, et l'a fait clairement savoir.
La PAC est la première politique commune européenne. Elle est intégrée, il faut qu'elle le reste. Beaucoup de pays d'Europe de l'Est souhaiteraient plus de subsidiarité et une renationalisation partielle, mais la France y est très opposée et ne conçoit les mécanismes de solidarité qu'à l'échelle européenne.
Je ne suis pas non plus favorable à des bascules entre les deux piliers. Le premier pilier – les aides directes – est essentiel. Les agriculteurs veulent vivre du revenu de leur travail mais, avant qu'ils y parviennent complètement, il leur faut encore quelques aides – nous parlons ici de 9,7 milliards d'euros. Nous allons donc conserver un premier pilier fort, bien que je vous aie entendus : oui, il y a des inégalités, mais l'Europe est par essence inégalitaire, et l'agriculture n'est pas la même en France, au Luxembourg, en Allemagne ou en Roumanie. Si M. Stéphane Le Foll a milité en son temps pour le maintien de la surprime aux cinquante-deux premiers hectares, c'est parce qu'il s'agit de la taille moyenne des exploitations d'élevage en France.
Le second pilier en revanche mérite d'être revu, car la PAC doit continuer à être un outil de rééquilibrage des inégalités territoriales. C'est tout l'objet des MAEC et de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN). Tout ce que nous mettons en oeuvre doit permettre d'accélérer la transition agroécologique – je préfère ce terme à celui de verdissement, qui n'est pas toujours bien compris – en Europe.
Enfin, la PAC doit aussi nous protéger des aléas économiques, environnementaux, climatiques et sanitaires ; nous avons, avec d'autres États membres, la volonté d'insister tout particulièrement sur ce point.
À ce sujet, Madame Battistel, lundi prochain à 13 heures, lors du conseil des ministres à Bruxelles, la France et la Finlande ont invité les ministres de l'agriculture à une réunion pour aborder le sujet du prédateur, de la directive « Habitats » et de la convention de Berne.
Lorsque j'ai été nommé ministre de l'agriculture et de l'alimentation, j'ai averti le Président de la République que je ne renierais pas mes convictions. Lorsque je dois choisir entre l'éleveur et le prédateur, je choisis toujours l'éleveur. Je n'ai aucun problème avec la biodiversité, que je soutiens. Le plan loup fonctionne, puisque nous avons dépassé les 500 loups et qu'il ne s'agit plus d'une espèce en voie de disparition. Or lors du dernier comité permanent de la convention de Berne, la Suisse nous l'a jouée « à l'envers » à propos de son amendement de déclassement du loup, auquel le représentant européen s'est montré défavorable, ce qui ne rime à rien. Pour ma part, je ne lâche pas l'affaire. Je suis en contact avec la fédération nationale ovine pour réfléchir à la manière de faire évoluer la directive « Habitats », afin que nos éleveurs puissent pratiquer leur métier en toute tranquillité. Voilà quarante ans que les loups ont été réintroduits, avec les résultats que l'on connaît. C'est une bonne chose mais il faut absolument faire baisser le niveau de menace que représente le prédateur pour nos éleveurs.
En ce qui concerne la collecte du lait, ma réponse ne va pas vous satisfaire totalement, mais l'affaire est entre les mains de l'administration, et notamment du ministère des finances, avec lequel nous sommes en contact. Je connais très bien les spécificités de l'élevage laitier en montagne et les problèmes qu'il rencontre.
Quant au prix, M. Sébastien Jumel parlait tout à l'heure de 39 centimes le litre. Je préférerais même qu'on puisse aller jusqu'à 40, voire 42 centimes le litre, mais ne nous leurrons pas : nous n'en sommes pas là. Si nous concluons les négociations commerciales autour de 35 ou 37 centimes le litre, globalement nous aurons bien travaillé. En disant ça, je vais peut-être me faire tirer dessus à boulets rouges, mais l'essentiel est d'avancer progressivement.
En ce qui concerne la société Osmobio, Monsieur Leclerc, je suis au regret de vous dire que je ne peux pas intervenir sur les décisions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Par ailleurs, pour obtenir leur autorisation de mise sur le marché, les petites entreprises doivent fournir la preuve que leur produit est utile. Or j'ai cru comprendre qu'on n'en était pas encore tout à fait là, mais voyez éventuellement mes collaborateurs sur la situation précise d'Osmobio, car je suis preneur de toutes les solutions et suis prêt à aller chercher et à soutenir toutes les petites et moyennes entreprises (PME) et toutes les start-up qui nous aideront à nous passer des produits phytosanitaires, à développer le biocontrôle et à accélérer la transition agroécologique.