La fibrillation, trouble du rythme cardiaque pouvant conduire à une mort subite, est encore la cause de 40 000 à 50 000 décès par an dans notre pays. En attendant l'arrivée des secours, le comportement et l'action des premiers témoins dans les minutes suivant la perte de connaissance sont déterminants pour la survie d'une victime. Encore faut-il que ces témoins puissent agir !
La proposition du groupe La République en marche que nous examinons aujourd'hui vise principalement à faire diminuer le nombre de ces décès par arrêt cardiaque. Cet objectif ne peut que réunir l'assentiment de notre groupe et nous souhaitons remercier le rapporteur pour avoir fait inscrire cette thématique à l'ordre du jour de nos travaux.
Votre texte s'articule autour de trois axes principaux. Il prévoit tout d'abord la création d'un statut de citoyen sauveteur. Comme je l'ai déjà indiqué en commission, l'intention est louable, mais je crains que vous ne rajoutiez du droit au droit ; or, lorsque le droit bavarde, le citoyen ne l'écoute plus. Je ne suis pas fondamentalement opposé à la création de ce statut, mais je ne perçois pas réellement l'intérêt de votre dispositif : la loi prévoit déjà qu'une personne qui porte secours à autrui ne peut être tenue pour responsable des dommages que son intervention peut provoquer. Avez-vous des exemples de jurisprudence démontrant le bien-fondé de cette mesure ?
Il ne faudrait pas que ce nouveau statut, créé pour protéger l'intervenant, ne provoque l'effet inverse en accroissant les contentieux et les procédures en réparation inutiles. Si le citoyen n'intervient pas, ce n'est pas, je pense, par crainte de poursuites judiciaires, mais tout simplement par peur de mal faire, parce qu'il n'est pas suffisamment formé.
Permettre au citoyen de mieux faire, c'est le second axe de votre proposition. En matière de sensibilisation et de formation aux gestes qui sauvent, la France est loin de répondre aux standards de base et accuse un retard certain sur ses voisins européens, avec seulement 30 % de la population formée. Notre groupe partage donc largement votre constat : il est nécessaire d'améliorer l'éveil aux gestes qui sauvent et ce, dès le plus jeune âge. À titre d'exemple, en Norvège, les élèves de 7 à 16 ans sont formés aux techniques de base dans le cadre scolaire par leurs enseignants depuis 1961.
Vous déclinez ce volet relatif à la formation à trois moments clefs de la vie d'une personne. La sensibilisation et la formation débutent à l'école, puisque les enfants se montrent souvent très réceptifs et peuvent, à terme, devenir des ambassadeurs auprès de leurs proches. La version originale de votre proposition se bornait à l'enseignement primaire, mais la réécriture de l'article 2 a introduit la notion de « continuum éducatif » pour que l'élève puisse être sensibilisé et formé pendant toute sa scolarité. Nous approuvons cette modification.
Le code de l'éducation dispose déjà que « tout élève bénéficie, dans le cadre de sa scolarité obligatoire, [… ] d'un apprentissage des gestes élémentaires de premier secours ». Or, dans les faits, cette initiation n'est pas systématique ; elle dépend en grande partie de la disponibilité des acteurs compétents, de la volonté du corps professoral ou de la mobilisation des académies. Pour pallier cette difficulté, notre groupe proposera tout à l'heure un amendement visant à inscrire l'apprentissage des gestes qui sauvent dans les programmes, afin de nous assurer que les élèves sont formés.
La sensibilisation se poursuivra ensuite au moment du permis de conduire : c'est une bonne idée que nos voisins autrichiens ont déjà adoptée, puisque la formation aux premiers secours est, dans ce pays, un préalable à l'obtention du permis de conduire. La France pourrait s'en inspirer et ajouter, par la voie réglementaire, un test obligatoire de connaissances des gestes qui sauvent lors de l'examen du permis.
Nous souscrivons également à votre proposition d'intégrer à la formation des arbitres et des jeunes une sensibilisation à la reconnaissance des signes d'alerte de l'arrêt cardiaque.
La formation se poursuit dans le cadre de l'entreprise, pour le salarié, avant un départ à la retraite. Mais pourquoi cette formation ne devrait-elle pas se faire tout au long de la vie professionnelle ? Les études montrent que les gestes doivent être régulièrement révisés pour être complètement assimilés. Puisque la pédagogie est l'art de la répétition, il est important de former régulièrement le citoyen aux trois gestes qui sauvent : alerter les secours, masser et défibriller. Monsieur le rapporteur, vous avez précisé à plusieurs reprises que le coût de la formation ne serait pas de nature à mettre en péril la santé financière des entreprises ; elle est même parfois gratuite. Pourquoi donc ne pas proposer plus de formations obligatoires dans le cadre de l'entreprise ?
Le troisième axe de votre proposition est consacré aux défibrillateurs automatisés externes – DAE. Comme beaucoup l'ont déjà fait, je tiens à saluer le formidable travail déjà accompli sur ce sujet lors de la précédente législature par mon prédécesseur, Jean-Pierre Decool. À l'époque député du Nord, il avait fait adopter une proposition de loi relative au défibrillateur cardiaque qu'il a ensuite défendue, l'année dernière, en sa nouvelle qualité de sénateur. Vos ambitions s'inscrivent dans le prolongement de sa loi et je ne peux donc qu'y souscrire.
Le défibrillateur est un maillon essentiel dans la chaîne de survie ; nous en dénombrons entre 120 000 et 150 000, répartis sur tout le territoire. Je ne peux d'ailleurs m'empêcher de rappeler que Jean-Pierre Decool et l'ancien sénateur du Nord Alex Türk mettaient une bonne partie de leur réserve parlementaire à la disposition des communes afin de les aider à acquérir de tels équipements. Nous avons la preuve que cette initiative a sauvé des vies.
Si le réseau de DAE commence peu à peu à mailler notre territoire, nous devons améliorer la signalisation afférente pour que nos concitoyens puissent les utiliser. Pour être utile, le DAE doit vivre et ne pas rester caché dans un bâtiment. Vous avez indiqué en commission qu'un arrêté harmonisant la signalétique des défibrillateurs serait prochainement pris en application de la loi Decool ; en conséquence, l'article 12 du texte a été supprimé. Mais quand cet arrêté sera-t-il pris ? Disposez-vous d'un calendrier ?
J'en viens à votre proposition de création d'une journée de la lutte contre la mort subite et de sensibilisation aux gestes de premiers secours. Nous nourrissons quelques doutes sur la portée concrète d'une telle initiative. À trop vouloir faire de la communication, les messages vont se perdre ! Beaucoup de journées, nationales ou mondiales, sont déjà consacrées au sujet : nous avons, par exemple, la journée mondiale du coeur, la journée mondiale des premiers secours ou encore la journée européenne de sensibilisation à l'arrêt cardiaque. In fine, reste-t-il encore des jours dans le calendrier pour placer votre proposition ? Cette déclaration d'intention pourrait n'avoir aucun effet. Avant de créer de nouvelles journées, sans doute vaudrait-il mieux faire connaître l'existant ! Et permettez-moi d'ajouter que rien ne sert de multiplier les journées de sensibilisation et d'information si l'on ne dégage pas les moyens qui permettront aux associations de mener à bien leurs actions.
Malgré cette petite critique, le groupe UDI, Agir et indépendants votera en faveur de votre proposition de loi : l'objectif d'améliorer les chances de survie des victimes de fibrillation nous est commun. Toutefois, puisque de nombreux aspects de votre texte relèvent du domaine réglementaire, il vous faudra être très vigilant sur le « service après loi », afin que les dispositions proposées trouvent une application concrète.