Avant d'en venir au contenu de cette proposition de loi, je souhaite, au nom du groupe Socialistes et apparentés, exprimer notre regret que, sur un sujet aussi important et passionnel, la majorité ait fait le choix de déposer une motion de procédure. À quelques jours de la clôture du grand débat engagé par le Président de la République, n'est-il pas extrêmement étrange de vouloir promouvoir le débat partout dans le pays, sauf ici, au sein de l'Assemblée nationale, lorsqu'il s'agit d'une niche parlementaire de l'opposition ? Nous le savons, une motion de renvoi en commission, quand on a une seule journée par an pour les niches parlementaires, cela équivaut à une fin de non-recevoir définitive...
Si le groupe Socialistes et apparentés a connu meilleur sort lors de sa propre journée réservée, puisque nous avons pu avoir un débat sur la majorité de nos textes, la plupart de nos propositions ont été totalement édulcorées ou vidées de leur substance lorsqu'elles ont été adoptées : on ne peut s'empêcher de penser qu'il aurait été plus honnête de nous dire non dès le départ, en rejetant nos propositions de loi... Je ferme cette parenthèse, mais le groupe majoritaire aura à démontrer, lors des prochaines journées réservées à l'opposition, que sa volonté de débattre n'est pas qu'un slogan.
J'en viens à la proposition de loi de notre collègue Bénédicte Taurine et de son groupe. Le 27 novembre 2017, le comité d'appel de la Commission européenne a prorogé l'autorisation de la substance active glyphosate dans l'Union européenne pour cinq ans. Le même jour, le Président de la République s'est engagé à interdire son usage dans notre pays, au plus tard dans trois ans, soit le 27 novembre 2020.
Notre rapporteure nous propose de mettre en oeuvre concrètement cet engagement en fixant dans la loi l'interdiction de l'usage de la substance active glyphosate au plus tard le 27 novembre 2020. Les députés du groupe Socialistes et apparentés adhèrent pleinement à cet objectif de sortie la plus rapide possible de l'agrochimie en général et du glyphosate en particulier – nous avions d'ailleurs proposé des amendements en ce sens dans le cadre du projet de loi EGALIM, avec une sortie de l'utilisation du glyphosate à l'horizon 2021.
Toutefois, ce combat commun ne pourra être mené sans – ou contre – nos agriculteurs. Nous pensons en effet qu'il faut lutter avec la même énergie contre l'agri-bashing, qui veut culpabiliser nos agriculteurs sur les modes de production qui sont les leurs, qu'ils ont été fortement incités à suivre dans le passé, qu'ils sont encore nombreux à être contraints de suivre pour des raisons économiques, et dont ils sont les premières victimes.
On pourra établir ici un parallèle avec le débat qui a émergé autour du diesel dans le cadre de la mobilisation des gilets jaunes : de même qu'on ne peut demander à nos paysans de modifier leurs pratiques du jour au lendemain, on ne peut sanctionner ceux qui routent au diesel parce qu'on leur a dit de le faire pendant quinze ans, et alors qu'ils n'ont pas les moyens de changer de voiture.
Si nous voulons réussir la transition vers l'agroécologie – un combat des socialistes depuis de nombreuses années – et permettre la sortie des produits phytopharmaceutiques, alors il nous faut accompagner cette transition. Afin d'atteindre ces objectifs, le groupe Socialistes et apparentés proposera donc, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, un paquet social et fiscal permettant d'accompagner concrètement la transformation des modes de production à l'horizon 2021.
Alors que la dette des agriculteurs a triplé en trente ans et que leurs revenus stagnent ou baissent, nous ne pouvons accepter qu'ils supportent seuls la charge d'un tel mouvement, qui concerne toute notre société. Ce combat, pour être pleinement effectif, devra être mené au niveau européen par la France, afin que l'agroécologie devienne le modèle productif de l'Union européenne, dans l'intérêt des consommateurs, des producteurs et de nos terres.
L'interdiction du glyphosate en France, telle que promise, ne sera pas suffisante, si nous continuons d'importer des produits qui en contiennent provenant de nos voisins européens. Cela placerait, par ailleurs, nos producteurs dans une situation concurrentielle défavorable. Nous devons le faire en France, au plus vite, et exporter chez nos partenaires européens ces bonnes pratiques que la santé publique nous impose. Nous appelons donc le Président de la République à mener ce combat, lors du nouveau mandat européen et à l'occasion de l'examen du futur budget de l'Union européenne. À quelques mois des élections européennes, nous devons, plus que jamais, défendre une Europe qui place le progrès au coeur de son projet. La santé avant les marchés ! L'environnement avant les lobbys !
Nous craignons, cependant, que le Gouvernement ne partage pas totalement cette ambition. En effet, le 1er février dernier, celui-ci a soumis à une consultation publique un projet d'ordonnance concernant la mise en oeuvre des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques. Or les dispositions envisagées apparaissent contraires à l'intérêt général au sens de la santé humaine, de la qualité environnementale et de notre économie rurale, ainsi qu'à l'esprit des trois lois ayant trait à ce dispositif. Les CEPP créent une obligation, pour les distributeurs, d'appliquer des solutions permettant de s'affranchir, progressivement, de la dépendance à l'usage excessif de la phytopharmacie. L'innovation repose sur le caractère progressif de la mesure et sur la capacité pour les parties prenantes de trouver des solutions au sein des filières et des territoires.
Ce dispositif a été adopté dans la loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle du 20 mars 2017. Et l'article 88 de la loi EGALIM s'est inscrit dans cette dynamique, en visant à renforcer par voie d'ordonnance les dispositifs au-delà de la phase expérimentale.
Sur la forme, ce projet d'ordonnance, en supprimant toute perspective de sanction, revient, sans le dire, à annuler une loi, en outrepassant ainsi les prérogatives du pouvoir exécutif au détriment de celles du pouvoir législatif.
Sur le fond, le texte est absurde, au regard des affirmations du Gouvernement en faveur de l'agroécologie et du discours du Président de la République à Rungis en 11 octobre 2017. Comment pouvons-nous priver l'action publique du seul dispositif contraignant de nature à contribuer à rompre le cercle pernicieux de la hausse du recours aux solutions phytopharmaceutiques ? Notre collègue M. Dominique Potier a donc, officiellement, saisi le Premier ministre sur la conformité de cette ordonnance aux textes législatifs qui la fondent. Nous espérons qu'il apportera une réponse positive, qui témoignerait, concrètement, de l'engagement du Gouvernement à avancer dans ce dossier.
Enfin, sortir de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, et du glyphosate notamment, implique de réparer les conséquences de leur utilisation dans le temps. C'est la prise en compte des phytovictimes et de leur préjudice. Les socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat ont travaillé, depuis plusieurs mois, sur la mise en oeuvre d'un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytosanitaires, dont le principe de création a été arrêté pour le 1er janvier 2020. Si nous n'avons, malheureusement, pas pu mener à bien l'examen de ce texte dans notre propre journée réservée, nous avons entendu l'engagement de la ministre à créer ce fonds, dans le cadre du prochain PLFSS – projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Nous nous satisfaisons également de certaines évolutions dans la position du Gouvernement sur ce sujet, au gré des débats. Mais, lorsque le dispositif annoncé sera présenté au Parlement, nous veillerons, évidemment, à ce que celui-ci soit à la hauteur des enjeux et des attentes.