Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du jeudi 21 février 2019 à 15h00
Protéger la population des dangers de la malbouffe — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran :

On a coutume de dire qu'il n'y a pas de bons ou de mauvais aliments, mais qu'il y a de bonnes et de mauvaises façons de les consommer.

Je l'ai d'ailleurs affirmé dans cet hémicycle lors d'une précédente tentative visant à obliger les industriels à utiliser le Nutri-score dans les publicités.

Mais à la réflexion, il existe tout de même de mauvais aliments.

Quand on lit les études scientifiques qui ont été publiées dernièrement concernant les plats ultra-transformés – comme ces lasagnes industrielles dans lesquelles on trouve du sucre, ce chorizo, également au sucre, et tous ces aliments gorgés d'additifs – , peut-on considérer que pris individuellement, même si on en consomme peu, ils sont bons ?

Sans doute pas.

Ce qui est en tout cas sûr, c'est que la principale cause de la malbouffe dans notre pays – mais aussi du surpoids, qui touche 32 % des Français, et de l'obésité, qui en touche 15 %, ce qui n'est pas rien, car cela signifie que presque la moitié de la population française est aujourd'hui en surpoids – est à chercher dans une alimentation complètement désynchronisée de la tradition gastronomique française.

En effet, la France est plutôt le pays de la gastronomie, le pays – pardonnez-moi l'expression – de la bonne bouffe.

C'est le pays dans lequel on a toujours consommé de la blanquette de veau, du hachis Parmentier et du gratin dauphinois ; mais on savait que si on avait bien déjeuné, on allait le soir dîner plus léger, plus light – par exemple d'une soupe – et manger davantage de fibres, de fruits et de légumes.

Comme cela a été dit tout à l'heure par le rapporteur, tout va très vite lorsqu'on fait ses courses au supermarché : on choisit des plats que l'on va pouvoir cuisiner ou réchauffer assez vite, et on a finalement assez peu de repères.

Entre un plat de lasagnes préparées et un autre, on ne sait pas lequel contient beaucoup trop de sel et lequel en contient seulement trop.

Or les conséquences sanitaires de la malbouffe et de cette alimentation désynchronisée de notre tradition gastronomique sont importantes.

Une personne souffrant d'obésité meurt par exemple en moyenne huit ans plus tôt qu'une personne n'en souffrant pas.

En outre, les inégalités sociales devant l'alimentation sont extrêmement fortes, et c'est insupportable : le taux d'obésité chez les enfants est quatre fois plus élevé dans les familles d'ouvriers que dans les familles de cadres.

Que faire dans ces conditions ?

Certains voudraient interdire, et sans doute certaines mesures de régulation peuvent-elles être proposées.

Je crois cependant très sincèrement que la base de la prévention en santé, c'est l'information – l'information libre, loyale et appropriée des consommateurs.

Or à quoi assistons-nous aujourd'hui ? Plutôt à de la désinformation.

J'ai déjà pris l'exemple ici de céréales que l'on donne aux enfants.

Je regardais encore récemment, avec mes enfants, des publicités – naturellement diffusées au milieu des dessins animés – qui en vantent les mérites. J'ai retenu le slogan : mange ces céréales, « et le tigre est en toi. »

Quelle information donne-t-on dans ce cas à l'enfant ? Une information en contradiction avec la qualité nutritionnelle du produit.

Autre exemple : sur l'emballage d'autres céréales figure une silhouette très fine. On vous fait presque croire que plus vous en mangerez, parce que l'été arrive, plus vous allez mincir, alors qu'en réalité leur score nutritionnel est aussi mauvais – en tout cas pas terrible – que celui d'autres céréales qui paraissent pourtant beaucoup plus sucrées.

Encore une fois, l'information est la base de la prévention.

Or cette information existe aujourd'hui, au moins en théorie : il s'agit du score nutritionnel Nutri-score, qui n'a pas été inventé par les députés, mais par le professeur Serge Hercberg.

Marisol Touraine l'avait inséré dans la loi de 2014 : nous avions, à l'époque, voulu l'imposer aux industriels sur l'ensemble des étiquettes alimentaires, mais cette disposition aurait contrevenu au droit européen.

Celui-ci fait que l'on ne peut pas imposer un logo qui n'est pas reconnu comme une norme à l'échelle européenne ; nous avons donc dû en passer par une expérimentation de ce score en réel. Elle a depuis été menée.

Ses résultats sont impressionnants.

Les études internationales réalisées dans douze pays nous l'ont encore montré récemment : 300 % d'amélioration de l'information nutritionnelle des consommateurs, 68 % d'amélioration du comportement du consommateur face à des aliments, et 3,4 % de baisse de la mortalité par maladie chronique – ce n'est pas rien lorsqu'on sait ce qu'elles recouvrent dans l'ensemble – sont observés lorsqu'on utilise un score nutritionnel.

Rien n'est impératif dans cette démarche. Elle ne gêne en rien la façon de consommer des consommateurs : on ne fait que leur fournir de l'information.

On ne peut pas généraliser cette information sur les emballages, en tout cas pas aujourd'hui, même si l'Europe progresse en la matière – l'Espagne et la Belgique viennent d'adopter le Nutri-score, et sept autres pays sont en passe de faire de même, notamment grâce à l'action déterminée de la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn. On peut en revanche contraindre les industriels à utiliser le Nutri-score lorsqu'ils font de la publicité, et ce quel qu'en soit le support : internet, télévision, radio, presse écrite.

Il faudrait que cela soit partout obligatoire : ce serait une façon de contrebalancer la désinformation, mais aussi de fournir aux consommateurs de l'information qualitative.

J'entends tous les arguments, ceux tenant entre autres aux risques procéduraux, à la charte de bonnes pratiques, à la concertation, etc. Ce sont les mêmes qu'au moment de la discussion de la loi Évin, les mêmes qu'à propos du diesel et de beaucoup d'autres domaines.

Il n'empêche que toutes les avancées majeures en matière de santé publique ne sont pas passées par des chartes : elles ont généralement été dues au volontarisme de la représentation publique.

Je consacrerai tout à l'heure deux minutes de plus à vous détailler cet amendement.

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