Intervention de Catherine Pignon

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 14h05
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Catherine Pignon, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice :

La question m'a également été posée de savoir dans quelle mesure les auteurs de délits pouvant être commis par voie de presse avaient pu être condamnés. Là encore, il ne m'est pas possible de vous dire précisément quel est le nombre des condamnations prononcées au titre de chacune des infractions concernées, faute de statistiques pertinentes disponibles. Je souhaite néanmoins appeler l'attention de votre commission sur le fait que la loi de juillet 1881 permet de réprimer toutes les infractions commises, quel qu'en soit le support. Par ailleurs, la possibilité est offerte au parquet d'utiliser une voie d'action sur le plan civil à travers ce que nous appelons la procédure de référé. La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique permet, en effet, d'imposer aux hébergeurs de sites, lorsqu'ils peuvent être touchés, le retrait des contenus illicites ou, à défaut, d'enjoindre aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer l'accès aux sites internet concernés ou aux contenus haineux sur le territoire national. Cette disposition a été récemment appliquée, il y a deux ou trois mois, par le parquet de Paris à propos du site « Démocratie participative », qui publiait ce type de propos haineux. C'est un fondement légal auquel on peut penser. La réponse judiciaire n'est donc pas nécessairement pénale : elle peut aussi être civile.

Vous nous avez demandé quelles peuvent être les conséquences de l'application de la loi organique et de la loi ordinaire du 22 décembre 2018 relatives à la lutte contre la manipulation de l'information en ce qui concerne les groupuscules d'extrême droite. Je répondrai très simplement qu'il s'agit d'un outil de plus pour les praticiens du droit afin de lutter contre la manipulation de l'information, notamment lorsqu'elle est porteuse de contenus tels que ceux que peuvent véhiculer les groupuscules dont nous parlons. C'est un outil supplémentaire, je le redis, pour essayer d'atteindre l'activité délictueuse qu'ils conduisent.

En ce qui concerne la dissolution, vous savez que la dissolution d'associations ou de groupements peut prendre plusieurs formes : elle peut être volontaire, lorsqu'elle est décidée par les membres de l'association elle-même, mais aussi statutaire ou judiciaire – elle est alors prononcée par le juge, notamment à raison de l'illicéité de l'objet de l'association. Je vais sans doute décevoir votre commission là encore en ce qui concerne les statistiques : je n'en dispose pas à propos des dissolutions d'associations qui peuvent être clairement reliées à des groupuscules d'extrême droite. Il est certain, en revanche, que l'une des conséquences de l'affaire « Méric » a été la dissolution de plusieurs organisations par décret en conseil des ministres, conformément aux hypothèses prévues par le code de la sécurité intérieure. J'imagine que le ministère de l'intérieur sera en mesure de vous apporter des éléments d'éclairage sur l'action administrative conduite dans ce domaine.

Quelles sont les principales qualifications pénales pouvant être retenues à l'encontre des membres de groupuscules d'extrême droite ? Elles sont extrêmement variées. Le droit pénal appréhende notamment les infractions de violences de manière différenciée en fonction de la gravité du préjudice causé à la victime, selon que l'on parle de violences mortelles ou ayant occasionné, ou non, des incapacités totales de travail. Il existe aussi de nombreuses circonstances aggravantes tenant aux conditions dans lesquelles les violences ont été commises : l'usage d'une arme, par exemple, la dissimulation du visage ou la pluralité des personnes qui agissent, soit en bande organisée, soit en réunion, soit en tant qu'auteurs ou complices. La circonstance aggravante peut aussi tenir à la qualité de personne vulnérable de la victime, à l'existence d'un guet-apens ou à la préméditation. L'arsenal législatif est ainsi en mesure d'affronter, ou d'assimiler, une grande diversité de situations, celles que les praticiens rencontrent sur le terrain. Il y a, dans les actions commises, des situations extrêmement diverses, selon les réalités et les agissements précis auxquels peuvent s'être mêlées les personnes condamnées à raison de violences.

Toujours dans le domaine pénal, j'ai évoqué le fait qu'une loi récente, la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, a ajusté la circonstance aggravante de racisme applicable à certaines infractions. Je le redis : c'est désormais une circonstance aggravante d'application générale aux crimes et délits punis d'emprisonnement. Il est important de comprendre que la loi a cherché à donner une définition objective de cette circonstance dans le but d'éviter les débats, toujours complexes, devant les juridictions, qui résulteraient d'une définition subjective en fonction des mobiles des personnes. Apporter la preuve des motivations ou des mobiles de l'auteur des faits est, par nature, très difficile. Nous avons tiré les enseignements des difficultés rencontrées par les praticiens pour élaborer une définition objective pour la caractérisation de cette circonstance aggravante.

Le délit de participation à un groupement violent existe actuellement, comme vous le savez. J'ai aussi évoqué le délit d'attroupement : il s'agit de tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public.

J'en viens au suivi, à la connaissance, voire à la surveillance des activités des personnes mises en cause ou condamnées à raison d'activités en lien avec leur appartenance à des groupuscules, au stade de l'exécution et de l'application des peines. Permettez-moi de dire quelques mots sur ce volet qui est également judiciaire.

Depuis la loi du 3 juin 2016, l'action du renseignement pénitentiaire est inscrite dans le cadre légal du renseignement. L'administration pénitentiaire peut être conduite à participer à une action de surveillance, notamment lorsqu'elle s'exerce dans le cadre de la prévention du terrorisme, mais aussi de la criminalité et de la délinquance organisées. L'administration pénitentiaire s'est fortement structurée pour agir de manière efficiente. Elle sera peut-être en mesure de vous apporter un éclairage.

L'autorité judiciaire est également destinataire d'informations relatives à la situation des personnes placées sous main de justice, c'est-à-dire incarcérées ou suivies en « milieu ouvert », par exemple en cas de sursis probatoire. L'autorité judiciaire, qui peut être le procureur, le juge d'instruction et surtout le juge de l'application des peines, est destinataire d'informations sur le parcours des personnes placées sous main de justice, sur l'entourage qu'elles côtoient, notamment dans le cadre des parloirs et des visites, sur les contacts qu'elles peuvent avoir en détention et sur leur comportement. Tout cela fait partie des éléments d'information et d'appréciation pour les décisions judiciaires qui peuvent être prises en matière d'aménagement et de suivi du parcours d'exécution des peines. De tels éléments sont très régulièrement introduits dans les procédures et ils ont vocation à objectiver l'évolution des personnes concernées en vue des décisions qui doivent intervenir sur la poursuite ou les modalités d'exécution des peines.

Comme tous les fonctionnaires, les agents de l'administration pénitentiaire sont par ailleurs tenus de porter à la connaissance du procureur de la République les faits constitutifs d'une infraction dont ils viendraient à avoir connaissance dans le cadre de leur activité d'observation et du constat de ce qui peut se passer quant au comportement de la personne en prison. C'est une obligation légale au titre de la disposition générale qu'est l'article 40 du code de procédure pénale.

Je rappelle aussi que l'autorité judiciaire est régulièrement destinataire de listes de personnes susceptibles de radicalisation violente, dans le cadre des dispositions de lutte contre ce phénomène. Elle est également destinataire des synthèses pluridisciplinaires qui sont réalisées lors des passages dans les « quartiers d'évaluation de la radicalisation » ou au Centre national d'évaluation. Il va sans dire que l'ensemble de ces dispositifs est susceptible de concerner des personnes condamnées à raison de faits commis dans le cadre des activités qui vous intéressent, c'est-à-dire celles des groupuscules d'extrême droite.

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