Merci, madame la présidente.
Depuis un an et demi, nous entendons très régulièrement qu'il faut « que le travail paye », dans la bouche du Président de la République, du Premier ministre, des membres du Gouvernement, de la majorité parlementaire mais aussi et plus généralement de nombreux responsables publics et syndicaux. On a également entendu cette aspiration dans le mouvement des « gilets jaunes ». On peut dire qu'il y a dans notre pays un accord au moins sur ce point : donner la priorité à la valorisation du travail.
Cette priorité relève d'ailleurs de l'évidence : comment peut-on s'accommoder d'une société où les travailleurs pauvres se multiplient, où les bas salaires nourrissent la précarité et où le chômage de masse reste une réalité ? Pourtant, force est de constater qu'il s'agit aujourd'hui d'une priorité de papier. L'injustice des arbitrages budgétaires du début du quinquennat ne fait plus aucun doute. L'ambition de justice sociale a laissé la place à une politique favorisant les plus riches et faisant le pari d'un ruissellement dont chacun sait ici qu'il n'est qu'un mirage.
La responsabilité n'incombe d'ailleurs pas au seul Gouvernement actuel. Elle est le résultat de trente années de politiques de l'offre ayant systématiquement sacrifié la rémunération du travail sur l'autel de la compétitivité et de bénéfices toujours plus grands pour les actionnaires et une poignée de privilégiés. Trente années où les majorités successives ont tenté – en vain – d'importer des modèles étrangers, tantôt scandinaves, tantôt allemand, tantôt anglo-saxons, niant par là-même la singularité de la France. Trente années où la dérégulation du droit du travail n'a cessé de se renforcer au détriment de la protection de l'emploi.
Le travail est ainsi devenu le grand perdant du partage des richesses. La proposition de loi que je défends aujourd'hui au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine est une invitation à ouvrir un nouveau cycle de politique économique au service du progrès social.
Avant d'entrer dans son détail, nous devons au préalable nous départir d'un certain nombre d'a priori ou d'idées reçues qui paralysent chaque jour le débat.
Premièrement, les cotisations sociales ne sont pas des « charges », qui pèseraient injustement sur les employeurs. Je reprends à mon compte cette phrase d'Albert Camus : « Mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde. » Les cotisations sociales sont des droits et des créances pour l'avenir, financés à la fois par les salariés et les employeurs. Désocialiser les salaires, ce n'est ni soutenir le travail, ni aider l'économie : cela revient uniquement à appauvrir la sécurité sociale, les exonérations étant de moins en moins compensées par l'État.
Deuxièmement, l'augmentation du SMIC ne conduit pas à des destructions d'emplois. Les études ne confirment nullement les scénarios catastrophiques que l'on nous prédit parfois, et les diverses auditions que nous avons conduites ces dernières jours nous l'ont rappelé. L'effet d'une augmentation du SMIC sur l'activité, en revanche, est bien réel. Par un effet de diffusion, il contribue à l'augmentation générale du niveau des salaires, comme de nombreux travaux économiques le démontrent. En alimentant la consommation des ménages, il pourrait être le principal levier de relance de l'activité économique. Investir dans les salaires est donc un bon investissement, qui en outre ne partira ainsi ni dans la spéculation ni dans les paradis fiscaux.
Troisième remarque : le salaire ne peut être financé par l'impôt, comme le fait le Gouvernement avec l'augmentation de la prime d'activité. Le salaire est la reconnaissance de la contribution des travailleurs à la création de richesses. Les travailleurs ne demandent pas une allocation : ils veulent vivre de leur travail.
En outre, c'est l'efficacité redistributive de la prime d'activité pour lutter contre la précarité et augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs qui peut être ainsi remise en cause. Seul un salarié au SMIC sur deux sera concerné par la revalorisation de la prime d'activité, dont l'octroi est conditionné par la structure de chaque foyer. Contrairement au salaire, cette prime n'ouvre aucun droit. Elle ne se traduira pas dans l'évolution de leur carrière ou de leur qualification et n'entrera pas non plus dans le calcul de la retraite ni, bien sûr, des allocations chômage. Pour le Gouvernement, il s'agit encore une fois de contourner la problématique du partage des richesses, au détriment du travail. Pour les entreprises, il s'agit d'un facteur de déresponsabilisation au profit des pouvoirs publics. Pourquoi feraient-elles l'effort d'augmenter les salaires si l'État ou la puissance publique se substitue à elles en augmentant la prime d'activité ? Dans tous les cas, le recours à un tel dispositif périphérique aux salaires est un mauvais signal qui ne répond pas aux attentes et aux aspirations de nos concitoyens.
Quatrième remarque : il faut en finir avec l'addiction française aux politiques d'allégement de cotisations sociales patronales, politiques au mieux inefficaces, au pire dangereuses pour les travailleurs, enfermés dans des trappes à bas salaires. Alors que l'on pointe souvent les gaspillages d'argent public, on est en droit de s'interroger sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dont l'efficience est davantage fondée sur la croyance que sur des résultats réels.
J'ai été extrêmement surpris d'apprendre, lors de l'audition des représentants de France Stratégie mais aussi d'autres acteurs, que les appareils de statistiques et de suivi français, des plus officiels aux plus indépendants, ne possèdent aucune capacité d'évaluer le CICE, qui existe pourtant depuis 2014. Ce flou peut d'ailleurs se comprendre puisque, comme il n'y a pas de contrepartie, il n'y a évidemment pas de critère d'évaluation. Quand on connaît les montants alloués, quelque vingt milliards par an, cela pose tout de même problème, quel que soit l'avis que l'on peut avoir sur la mesure.
La seule évaluation qui existe fait état, de manière très approximative, de « 100 000 emplois créés ou sauvegardés », une nuance en soi difficile à apprécier. Avec 20 milliards d'euros engagés chaque année, voilà une véritable gabegie d'argent public. Aucun gain n'a été constaté sur le terrain des exportations ni celui de la compétitivité, qui était pourtant l'objectif initial. Le grand gagnant de ce dispositif n'aura été donc ni l'emploi ni la compétitivité, mais probablement davantage les marges des entreprises, qui ont atteint des niveaux records grâce à ces financements de l'État.
C'est dans ce contexte qu'intervient cette proposition de loi, entrant directement en écho avec les revendications de nos concitoyens et du mouvement populaire et social qui agite notre pays depuis quelques mois. Nous affirmons ici un principe, haut et fort : pour que le travail paye, il faut d'abord que le salaire paye !
Deux leviers doivent être actionnés sans attendre. D'une part, l'augmentation immédiate et continue des salaires. Initiée au niveau du SMIC, qui atteindrait 1 800 euros bruts mensuels en 2022, cette augmentation irriguerait progressivement l'ensemble de l'échelle des salaires, notamment grâce à l'ouverture obligatoire de négociations salariales dans chaque branche.
D'autre part, la suppression de dispositifs inefficaces – le CICE hier, sa bascule en allégement de cotisations sociales patronales aujourd'hui – permettra de responsabiliser les employeurs et d'en finir avec la double impasse de ces politiques : la création de trappes à bas salaires et les effets nocifs sur les comptes de la sécurité sociale. Tels sont les objectifs des articles 1er et 2.
Par ce texte, nous faisons également le pari de la responsabilité des entreprises et de l'État, qui doit reprendre la main sur la question du partage des richesses dans notre pays.
L'augmentation des salaires, et en particulier du SMIC, ne sera pas neutre pour nos entreprises. Nous savons que le tissu économique de notre pays n'est pas homogène. Les TPE-PME, en particulier, sont les véritables poumons économiques de nos territoires et doivent donc être accompagnées dans la trajectoire d'augmentation des salaires.
L'ère des financements et aides publiques sans contrepartie, cependant, est révolue. Nous préférons des dispositifs de soutien ciblés et évalués, accompagnant les entreprises dans leurs investissements et les employeurs dans la sécurisation des parcours des salariés.
Deux outils, dans cette proposition de loi, y concourent. En premier lieu, le fonds de soutien aux TPE-PME, prévu à l'article 3, mobilisera toute une palette d'outils afin de financer l'augmentation des salaires et d'assurer un développement économique durable. Des aides à l'innovation ou des prêts à taux nul ou préférentiel seront ainsi financés par l'État, à partir des financements rendus disponibles par la suppression de la bascule du CICE en allégement de cotisations patronales.
En second lieu, l'aide publique aux TPE-PME, créée à l'article 4, prendra la forme de subventions destinées à accompagner l'augmentation du SMIC et à encourager les embauches durables. Un employeur proposant un CDI à un salarié au terme de son CDD bénéficierait par exemple d'une aide complémentaire de 1 000 euros. Précisons que le montant des aides proposées n'est pas le fruit du hasard : un chiffrage précis a été réalisé en amont du dépôt de cette proposition de loi, pour que les aides accompagnent le plus justement possible les petites entreprises dans le processus de revalorisation du SMIC et des salaires.
Je tiens à préciser que cette aide publique sera assortie d'un mécanisme anti-abus afin d'éviter les pratiques illégales de la part des groupes vis-à-vis de leurs filiales.
Enfin, une attention particulière est portée aux territoires ultra-marins, dont les atouts et les opportunités ne sont pas suffisamment valorisés aujourd'hui faute de dispositifs adaptés. L'ensemble des aides prévues dans cette proposition de loi seront donc majorées et viendront amplifier le mouvement de relance salariale dans ces territoires de la République trop souvent négligés.
Mes chers collègues, cette proposition de loi doit nous amener à ouvrir un nouveau cycle de répartition de la richesse créée, plus juste, plus équilibré, plus responsable. Les options que nous formulons ne sont ni excessives ni clivantes : elles visent simplement à permettre à chacun de vivre de son travail.
On ne peut pas continuer à déplorer la précarisation des travailleurs et une concentration toujours plus forte des richesses à l'autre bout de la chaîne ; nous devons passer aux actes. Le Premier ministre a déclaré la semaine dernière, en réponse à l'interpellation du président Chassaigne sur cette niche parlementaire : « Ayons le plaisir démocratique et l'exigence républicaine de débattre ensemble. » Alors je vous dis chiche ! Prenons ce plaisir, relevons ce défi, débattons, ne censurons pas, ne supprimons pas les articles, mais allons au bout de la discussion. Pour cela, mobilisons des arguments, confrontons les chiffres et faisons le bilan des politiques passées.
Les amendements déposés par la majorité ne vont malheureusement pas dans ce sens et je le regrette. Je formule donc le voeu que notre réunion de commission donne l'occasion à chacun de s'exprimer en responsabilité sur les articles que nous proposons. C'est à cette condition que les citoyens qui nous regardent prendront acte de notre appropriation de l'enjeu du pouvoir d'achat. C'est à cette condition que nous pourrons, enfin, faire en sorte que le travail paye.