Intervention de Stéphane Peu

Réunion du mercredi 20 février 2019 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu, rapporteur :

À constater le ratio entre le nombre d'intervenants qui disent souscrire à notre projet et ceux qui s'apprêtent à désapprouver le texte, je me dis que nous avançons. Autre remarque d'ordre général : après 1989, un débat politique et économique a eu lieu autour du fait que la chute du mur ouvrait une nouvelle ère, celle de la fin de l'histoire, qu'un seul modèle – celui du capitalisme libéral – allait s'imposer au monde et qu'il ne serait plus question de le contester mais simplement de l'aménager. Trente ans plus tard, le Président Macron, lors des voeux qu'il a prononcés le 1er janvier, a eu cette déclaration étonnante : le capitalisme ultralibéral et financier, a-t-il dit, va vers sa fin. Autrement dit, en trente ans, on nous a d'abord annoncé la fin de l'histoire au profit d'un modèle unique puis la fin de ce même modèle – une nouvelle fin de l'histoire, en quelque sorte. Le rapprochement des deux dates m'a paru pertinent parce que l'idée répandue en France et dans beaucoup d'autres sociétés selon laquelle il n'existe qu'un seul modèle possible, dans lequel nous serions enfermés et qu'il ne faudrait qu'adapter ou réformer à la marge, me semble être dans une large mesure à l'origine de la crise politique, sociale et démocratique que nous connaissons. Il nous appartient aussi de réfléchir au moment que nous vivons en tâchant de nous libérer des dogmes dans lesquels certains d'entre vous, ou d'entre nous – j'essaie de m'en libérer autant que possible – se sont enfermés, décourageant encore davantage les citoyens de s'intéresser à la politique qui, en fin de compte, ne défend qu'un modèle unique.

Pour répondre plus précisément aux intervenants, je m'étonne des affirmations concernant les conséquences d'une augmentation du SMIC d'une part et, d'autre part, des mérites du CICE que ne corrobore aucun économiste ni aucune structure, même la plus officielle. Peut-être certains députés disposent-ils de sources qui m'ont échappé au fil des auditions, mais même le cabinet de la ministre du travail nous a expliqué que le CICE était à l'évidence un échec par rapport à ses ambitions initiales. À ce propos, je rappelle à Mme Corneloup qui prétend que l'objectif du CICE ne concernait pas l'emploi que l'emploi figure dans son acronyme : crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. C'est si vrai qu'à sa création, le président du MEDEF de l'époque a arboré à sa boutonnière un badge promettant un million d'emplois. Or, tout le monde constate cet échec – à commencer par France Stratégie, l'organisme placé auprès du Premier ministre et chargé d'évaluer les résultats du CICE, et le ministère du travail. J'invite donc les députés du groupe majoritaire à ne pas se faire plus royalistes que le roi : il n'est pas nécessaire que le débat cède à des excès quasiment religieux. Si l'église affirme que c'est faux, vous n'êtes pas obligés de continuer à croire !

Mme Khattabi a formulé un autre argument difficile à prouver : une augmentation du SMIC, moyennant les contreparties et les aides que nous proposons, aurait-elle des conséquences aussi négatives sur l'emploi que vous le prétendez ? Les économistes ne sont pas d'accord sur ce point. Selon l'étude la plus aboutie qui nous a été livrée et qui est annexée au rapport, produite par Mathieu Plane pour l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une augmentation du SMIC dans les conditions que nous proposons aurait sur l'emploi des conséquences « de l'épaisseur du trait » qu'il est très difficile d'évaluer. De même, personne n'évalue les conséquences positives pour l'emploi d'une relance de la consommation par la hausse des bas salaires. Chacun sait que l'augmentation des bas salaires ne se retrouve ni dans les paradis fiscaux, ni dans l'épargne, ni dans la spéculation mais dans la consommation. Quelle serait l'effet de ce regain de consommation sur l'emploi ? Force est de constater que la politique de l'offre pratiquée depuis trente ans a échoué. L'idée selon laquelle les profits d'aujourd'hui feront les investissements de demain et les emplois d'après-demain, ressassée depuis plus de trois décennies, ne recueille plus le crédit de nos concitoyens puisque les profits d'avant-hier ont pour l'essentiel fait les dividendes d'hier, maintenu le chômage de masse d'aujourd'hui et accru la précarité et la pauvreté des salariés qui touchent des bas salaires. Peut-être ce théorème n'est-il pas faux en tous points mais au moins n'est-il plus crédible pour nos concitoyens.

Quant aux ordonnances sur le travail, madame Khattabi, elles prévoient que les négociations obligatoires, par exemple sur un accord de branche, ne soient plus annuelles mais quadriennales. On ne saurait donc renvoyer la seule question salariale aux négociations dans l'entreprise. J'ajoute que le mouvement des « gilets jaunes », qui ne s'adresse qu'à l'État et pas ou peu à l'entreprise, témoigne surtout – un fait sans doute rassurant à court terme pour le patronat et le MEDEF, mais inquiétant à long terme – que l'entreprise n'est plus un espace de négociation salariale, et qu'il faut constamment faire appel à l'État. Ce n'est guère rassurant quant à la qualité du dialogue social et des relations dans le monde du travail.

Je partage entièrement votre argument, monsieur Viry, selon lequel la stagnation voire la baisse du pouvoir d'achat tient non seulement à la question salariale mais aussi à celle de la part des dépenses contraintes, en particulier les dépenses de logement. Selon une récente étude de l'INSEE, la part des dépenses de logement dans le revenu disponible des ménages était en moyenne de 10 % en 1959 alors qu'elle atteint désormais 25 %. En zone tendue, où la pression qui pèse sur le marché du logement est la plus forte mais où les bas salaires sont à peu près identiques, cette part est supérieure et atteint souvent 40 %, en Île-de-France par exemple.

J'attends, monsieur Vallaud, de connaître la position de votre groupe sur cette proposition de loi ; sans doute viendra-t-elle à l'issue de nos débats. En ce qui concerne le partage des richesses, les PDG des entreprises du CAC 40 gagnent en moyenne 119 fois plus que leurs salariés. Rappelons que les négociateurs du Conseil national du patronat français (CNPF), ancêtre du MEDEF, lors de l'élaboration des accords de Grenelle en 1968, étaient mandatés pour obtenir un écart-plancher de 1 à 20 sur l'échelle des salaires. Voilà l'écart qui était jugé acceptable en 1968 ; il est aujourd'hui de 1 à 120. Cette évolution accroît nécessairement les inégalités perçues et réelles.

Enfin, monsieur Chenu, la revalorisation du minimum vieillesse n'est pas l'objet de la proposition de loi puisqu'elle porte précisément sur la question du salaire, en particulier du SMIC. Il n'est pas à exclure, cependant, que l'augmentation du SMIC aura des conséquences sur le calcul des pensions de retraite et de différentes allocations.

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