Avant de répondre sur les arguments précis, je vais faire deux remarques de fond.
Ce n'est pas pour rien que, dans mon propos introductif, j'ai cité la réponse d'Édouard Philippe à André Chassaigne. Alors que le Président de la République et le Gouvernement ont lancé un grand débat, le groupe majoritaire à l'Assemblée nationale répond par des amendements de suppression à notre proposition de loi qui se veut équilibrée et sérieuse. On peut ne pas être d'accord avec les mesures mais notre proposition de loi est sérieuse. En agissant ainsi, le groupe majoritaire empêche le débat. Il me semble que cela n'est pas conforme à la philosophie du moment. Pourquoi s'autoriser un grand débat dans le pays et s'interdire le débat dans l'enceinte de l'Assemblée nationale qui devrait être le coeur battant de la République ?
Je voudrais aussi réagir à votre phrase : « Nous avons d'ailleurs été élus sur cette thématique-là. » Je suis élu dans une circonscription comprenant une ville de plus de 100 000 habitants, Saint-Denis. Au premier tour des élections présidentielles, le Président de la République a recueilli 23 % des voix dans cette ville très populaire, c'est-à-dire un pourcentage inférieur à son score moyen national. Au deuxième tour de l'élection présidentielle, il y a obtenu le score le plus élevé dans une ville de plus de 100 000 habitants : 86 %. Pensez-vous que ces personnes – 86 % des votants – ont donné leur voix à Emmanuel Macron parce qu'ils approuvaient son programme ou parce qu'ils voulaient empêcher un danger bien plus grand pour notre pays, c'est-à-dire l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir ? En 2002, Jacques Chirac avait fait la même erreur en ne prenant pas en compte les conditions de l'élection du deuxième tour et la diversité des électeurs : il avait considéré le vote comme une approbation de son programme, ce qui revenait à une usurpation. Tout cela n'est pas pour rien dans la crise démocratique que traverse actuellement notre pays. Je vous invite donc à faire attention à ne pas manier cet argument avec trop de précipitation parce qu'il peut se retourner et accroître la crise démocratique. Faites attention et soyez responsable. Si je vous le dis ce n'est pas parce qu'il y va mon intérêt politique mais parce qu'il y va de l'intérêt du débat démocratique dans notre pays.
J'en viens à vos arguments précis, madame Khattabi. La prime d'activité bénéficiera à un salarié au SMIC sur deux. Nous ne sommes donc pas du tout sur le même champ. On dit : il faut que le travail paie. Pour que le travail paie, le seul moyen est d'agir sur le salaire. Ce n'est pas en agissant sur des allocations – la prime d'activité en est une – que l'on revalorisera le travail. Pour revaloriser le travail, il faut revaloriser le salaire et la place du salarié dans l'entreprise. Rappelons que le SMIC n'a fait l'objet que d'un seul coup de pouce, c'est-à-dire d'une augmentation supérieure à l'inflation, au cours des dix dernières années. Ce fut le cas en 2012. L'augmentation que nous proposons pourrait presque être considérée comme un rattrapage.
Enfin, on peut promouvoir l'idée de créer un SMIC européen. Ce salaire minimum n'aurait pas la même valeur partout mais il serait fixé en fonction du salaire médian de chaque pays. On peut toujours citer les pays qui n'ont pas de SMIC. On peut également citer des pays comme l'Allemagne qui, face à la montée massive des travailleurs pauvres, ont récemment créé un salaire minimum. On peut aussi citer des pays comme le Portugal, où le salaire minimum – rapporté au salaire médian – est supérieur à celui de la France, ce qui entraîne des conséquences positives sur la croissance économique et l'emploi bien supérieures à celles enregistrées chez nous. Les exemples peuvent être maniés de différentes manières.