La commission des Affaires européennes a été saisie, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, de plusieurs textes concernant tant la sécurité que la connectivité en matière de transport en cas de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne sans accord.
À cinq semaines de la date prévue pour le Brexit, alors que la Première ministre Theresa May a été fragilisée la semaine dernière par un deuxième vote négatif à la Chambre des communes, il m'a semblé d'intérêt pour notre commission de faire une communication, en ma qualité de référent, afin de vous donner un aperçu des mesures d'urgence européenne qu'impliquerait en matière de transports un « Brexit dur ».
Premier point de mon propos, trois textes qui concernent certains aspects de la sécurité en matière de transports, et qui ont été publiés au Journal officiel de l'Union européenne ou vont l'être rapidement. La Commission européenne a fait ses premières propositions dès juin dernier, pour traiter des sujets liés à l'homologation et à la certification des produits ou des moyens de transport effectuées par le Royaume-Uni.
Avec un Brexit sans accord de transition, la commercialisation des produits concernés ou l'utilisation des moyens de transport devient en effet généralement impossible du jour au lendemain faute d'avoir été homologués ou certifiés – selon les cas – par l'un des 27 États membres restants.
Le premier texte déposé en juin avait pour objectif d'éviter que le Brexit ne provoque une difficulté dans le fonctionnement du marché automobile. En effet, les constructeurs automobiles peuvent s'adresser à l'État membre de leur choix pour faire homologuer leurs produits. Une fois l'homologation accordée, le droit en vigueur interdit d'adresser la même demande à un autre État membre. Un industriel dont certains produits auraient été homologués au Royaume-Uni se trouve donc dans l'impossibilité de solliciter un autre État membre en vue d'une nouvelle homologation de ces mêmes produits avant le Brexit. La Commission européenne a proposé en conséquence une dérogation permettant aux industriels concernés de solliciter un des 27 États membres afin d'obtenir une nouvelle homologation, les règles en vigueur restant applicables pour toutes les homologations délivrées par un État membre autre que le Royaume-Uni.
Le deuxième texte, déposé en août, concernait un effet indésirable similaire pour le transport maritime. En effet, le règlement 3912009 prévoit des « organismes agréés » pour l'inspection, la visite et la certification des navires au sein de l'Union. Chaque organisme est agréé à l'initiative d'un État membre, son activité ultérieure au service d'autres États membres supposant une habilitation par ces derniers. Ces organismes doivent être évalués au minimum tous les deux ans par la Commission, conjointement avec l'État membre qui a soumis la demande initiale d'agrément de l'organisme. Une fois le Royaume-Uni devenu État tiers, les organismes agréés à l'initiative de Londres ne pourraient alors plus être évalués, alors même qu'ils exerceraient leur activité à la satisfaction d'au moins un autre État membre. Pour éviter cet inconvénient, la Commission européenne a proposé d'autoriser que tout État membre ayant habilité l'organisme concerné puisse participer à l'évaluation. Cette modification technique conforte la pérennité d'organismes de certification, ainsi que l'attractivité des pavillons européens.
Troisième texte, la proposition de règlement sur la sécurité aérienne entre le Royaume-Uni et l'Union européenne proroge transitoirement la validité de certificats de certains produits, pièces, équipements ainsi que de formations des personnels et équipages respectivement conçus ou reçues au Royaume-Uni en dépit du retrait de ce dernier de l'Union européenne et donc de sa sortie de l'Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne. La perte de validité des certificats affecte l'utilisation effective des produits, pièces et équipements aéronautiques dans l'Union, par exemple lors de leur installation sur un aéronef de l'Union opérant dans celle-ci. Cette proposition permet donc d'éviter de pénaliser les entreprises européennes dans un secteur où l'industrie britannique, notamment pour la sous-traitance, est fortement imbriquée dans la chaîne de production des autres États membres. Afin que les industriels et les travailleurs du secteur aérien puissent anticiper le plus tôt possible sur les conditions de poursuite de leur activité à partir du 30 mars pendant cette période transitoire de neuf mois, le processus d'adoption de cette proposition déposée juste avant Noël doit être rapidement mené à son terme. Pour la suite, l'Union européenne devra conclure un accord bilatéral de sécurité aérienne comme elle le fait avec les autres pays tiers.
Ces trois textes ont été accueillis favorablement au Conseil comme au Parlement européen et adoptés sans difficultés ni modifications majeures. Ainsi, pour le texte sur le secteur aérien, déposé le 19 décembre, le Conseil a adopté sa position de négociation le 1er février, le Parlement européen la sienne le 13 février et les trilogues ont abouti dans la foulée, le compromis final ayant été examiné hier en Coreper. C'est pourquoi il est dans la liste des textes qu'il vous est proposé d'acter à la fin de notre réunion, les deux premiers l'ayant été au printemps et à l'automne dernier, au moment de leur dépôt.
Nous avons ensuite un deuxième cas de figure, avec deux textes qui concernent la continuité des services de transports aériens et routiers de marchandises, également déposés par la Commission européenne le 19 décembre 2018, et qui sont aussi dans la liste. J'évoquerai aussi un troisième texte sur la sécurité et la connectivité du transport ferroviaire, reçu entre-temps.
Ces textes appellent deux remarques.
La première porte sur la compétence de la Commission européenne à proposer ce type de mesures par un règlement, alors qu'elles relèvent normalement pour le transport aérien de négociations bilatérales ou bien d'une compétence partagée avec l'attribution par le Conseil d'un mandat de négociation à la Commission européenne. Le risque est donc de créer un précédent, une sorte « d'effet cliquet » conférant à l'avenir une compétence exclusive à la Commission européenne dans ces domaines, et nombre d'États membres ont exprimé une préoccupation à ce sujet.
Si cette préoccupation est légitime, les circonstances sont « extraordinaires », au sens strict du terme, et on ne peut pas l'ignorer. Les délais qui restent pour nous préparer sont à ce stade très courts et sont incompatibles avec toute négociation classique que ce soit. Il s'agit d'un cas de figure – le départ d'un État membre – dont on peut espérer qu'il demeure unique. Les perturbations seraient majeures pour les opérateurs des autres États membres restants et il convient de les protéger. Les dispositifs proposés ont une durée limitée à 9 mois, jusqu'au 31 décembre 2019.
En bref, nous n'avons guère le choix mais il doit être très clair dans l'esprit de tous, et en premier lieu, de la Commission européenne, qu'il s'agit d'une exception qui a vocation à le demeurer, limitée strictement dans le temps, ces dispositions devant être remplacées par des dispositions négociées.
Tant au Conseil qu'au Parlement, des assurances en ce sens ont été ajoutées dans les propositions de règlement, sous la forme essentiellement de considérants, pour bien encadrer cette initiative. Mais il nous faudra être vigilant, pour l'avenir. J'en veux pour preuve un autre texte dans la liste qui vous est soumise aujourd'hui, la proposition de décision du Conseil relative à l'élection du Secrétaire général de l'Organisation intergouvernementale pour les transports : la Commission y propose, de manière tout à fait inhabituelle, des critères de sélection d'un candidat à un poste de responsabilité d'une organisation internationale pour s'assurer de la compatibilité du profil du candidat avec les intérêts de l'Union. L'opposition des États membres étant unanime, et ladite élection étant prévue à la fin du mois, ce texte n'est pas voué à prospérer, c'est pourquoi il vous est proposé dans la liste des textes à acter. Mais il illustre bien ce devoir de vigilance, c'est pourquoi j'ai choisi de l'évoquer.
J'en viens maintenant au contenu de ces propositions, qui visent, je vous le rappelle, le cas de l'absence d'accord, avec donc deux principes qui guident l'action de la Commission et des États membres : garantir la sécurité juridique au mieux pour chacun et tirer toutes les conséquences du choix du Royaume-Uni de sortir de l'Union européenne. Les mesures de contingence ne peuvent donc pas avoir pour objectif de préserver le statu quo. La Commission a choisi de faire des propositions qui limitent notablement l'accès des opérateurs en matière de transport routier et aérien, ce qui est cohérent avec cette idée de faire en sorte que la situation soit moins favorable pour le Royaume-Uni une fois sorti de l'Union.
Tout d'abord, les restrictions d'accès au marché européen aérien imposées aux transporteurs britanniques s'appliqueront par réciprocité aux transporteurs européens. Or la proposition initiale est contraire aux intérêts du transport aérien et à la connectivité de l'Union en général et de la France en particulier. Ensuite, les restrictions d'accès au marché européen routier de marchandises imposées aux transporteurs britanniques entraînent des conséquences économiques et environnementales excessives et posent un problème d'ordre public, en particulier pour la France. La Commission n'a pas pris en compte les services de transport routier international de passagers, semblant ainsi privilégier les transports aériens sur les transports terrestres, qui s'adressent à des catégories de passagers distinctes, et ce n'est pas acceptable d'un point de vue social.
Autre exemple de cette position très dure de la Commission européenne, le texte sur la connectivité et la sécurité dans les transports ferroviaires : elle prolonge la validité des certificats de sécurité en cours de renouvellement du gestionnaire d'infrastructure et concessionnaire Eurotunnel, mais elle ne la prolonge que pour trois mois.
S'agissant du transport aérien, la proposition de la Commission est très restrictive. Elle limite les opérations des transporteurs aériens britanniques, et donc par ricochet, celles des transporteurs européens, et elle ne prévoit pas de disposition temporaire pour permettre à ces derniers de poursuivre l'adaptation de leur structure capitalistique. Ce dispositif risque de désorganiser les réseaux de fret express, pénalisant ainsi les entreprises européennes dépendant de cette activité. Il va porter préjudice à l'une de nos dessertes domestiques, la liaison de service public Paris‐Rodez étant aujourd'hui exploitée par une compagnie britannique, en cabotage. Les services entre le territoire britannique et le territoire de l'Union sont plafonnés par État membre, au nombre de fréquences exploitées par ces transporteurs lors des deux dernières saisons. Ce gel crée une incertitude sur les services qui pourront effectivement être assurés au-delà du 29 mars 2019, alors que des billets ont déjà été vendus, entraînant potentiellement des désagréments pour les passagers concernés. Il va nécessiter des procédures complexes de gestion des droits qui ne pourront pas être mises en oeuvre dans le respect de la réglementation européenne, d'ici fin mars. Enfin, ce gel va brider tout développement des services, y compris pour les transporteurs européens, à qui par réciprocité ce frein sera appliqué.
Les opérations en partage de codes et la possibilité de louer des appareils avec ou sans équipage sont exclues. Or l'absence de ces flexibilités commerciale et opérationnelle nuirait gravement aux opérations des transporteurs européens, puisque par réciprocité, ces interdictions s'imposeront à eux. Enfin, aucune disposition temporaire n'est prévue pour permettre aux transporteurs des 27 États membres de poursuivre l'adaptation de leur structure capitalistique afin d'être en complète conformité avec les règles européennes sur la propriété et le contrôle. Plusieurs transporteurs sont concernés, dont les principales compagnies espagnoles qui font partie du groupe IAG, et plusieurs transporteurs français.
Le 13 février dernier le Parlement européen a adopté une position de négociation qui répond pour partie à ces inquiétudes, à l'exception de celles relatives aux libertés et à la location d'aéronef et d'équipage. Il intègre par contre l'application du droit des passagers aux conditions de concurrence, compte tenu de son impact financier notable pour les transporteurs aériens. Le Conseil, pour sa part, a le 15 février pris en compte non seulement cette question de la location d'aéronef et d'équipage, mais aussi celle des liaisons de service public, en donnant le droit aux transporteurs aériens de continuer à assurer des vols répondant aux obligations de service public jusqu'au 26 octobre 2019, afin de laisser aux opérateurs le temps de s'adapter au nouvel environnement. Dès le premier trilogue, avant-hier, un accord politique provisoire a été obtenu, le Parlement européen acceptant l'ensemble des demandes du Conseil, à l'exception de la question des limites temporelles des dérogations.
S'agissant du transport routier de marchandises, la proposition de la Commission autoriserait, pour les entreprises établies au Royaume‐Uni, les seules opérations de transport international de marchandises en charge, allant d'un État membre ou un État tiers vers le Royaume‐Uni. Dans le sens inverse, seuls les voyages à vide seraient autorisés. Une telle proposition, qui implique un camion supplémentaire là où le camion rentrant à vide aurait pu prendre le chargement, aura des conséquences négatives sur trois plans. Économique d'abord, pour les donneurs d'ordre et les transporteurs mais aussi pour les ports, qui verront la file de camions s'allonger. Environnemental ensuite, avec des effets importants sur la qualité de l'air, la consommation d'énergie et les émissions de CO2. Sécuritaire enfin, puisque cela augmentera les risques d'intrusion dans les remorques, et cela est particulièrement sensible dans la zone de Calais.
Sous réserve de réciprocité, et dès lors qu'elles respectent l'acquis communautaire, il est indispensable que les entreprises britanniques puissent réaliser des opérations en charge dans les deux sens, dans un dispositif transitoire en sifflet qui permettra aussi de mieux gérer la situation née de la montée en puissance des dispositifs de contrôle des poids lourds dans les ports. Les opérations de cabotage, dans les mêmes conditions de respect de l'acquis communautaires, doivent demeurer possibles, compte tenu de l'importance des opérations de cabotage réalisées au Royaume‐Uni par les entreprises de l'Union à 27.
L'ordonnance du 6 février 2019 relative au Brexit en matière de transport routier permet, temporairement, et sous réserve de réciprocité, aux personnes établies au Royaume-Uni de réaliser des opérations de transport routier de marchandises ou de personnes sur le territoire national à la fois pour les opérations bilatérales, le transit ainsi que le cabotage. Or ces dispositions ne seront applicables que dans l'hypothèse où l'Union européenne ne trouverait pas un accord à son niveau sur le projet de règlement européen. Il est donc essentiel pour la France que ce projet de règlement européen ne reste pas en l'état.
Le Conseil comme le Parlement ont autorisé, respectivement les 13 et 15 février, ces opérations additionnelles de fret, mais avec des modalités différentes, et le premier trilogue, lundi, ne leur a pas permis de trouver une position commune. La négociation interinstitutionnelle se poursuit ce matin même.
Enfin, s'agissant de la liaison fixe trans-Manche, son statut très particulier entraîne une action conjointe et quasi simultanée de la Commission, avec ce projet de règlement déposé le 12 février, et du Gouvernement, avec une ordonnance publiée le 13 février dernier.
La liaison fixe trans-Manche est une infrastructure binationale dont les autorités françaises et britanniques ont confié, en 1986, par une concession, la construction et l'exploitation à la société Eurotunnel. Le traité de Cantorbéry a institué une commission intergouvernementale, la CIG, chargée de suivre, au nom des deux gouvernements et par délégation de ceux-ci, l'ensemble des questions liées à la construction et à l'exploitation de la liaison fixe trans-Manche. En application du droit européen relatif à la sécurité et à l'interopérabilité ferroviaire, les deux États ont désigné la CIG pour assurer le rôle d'autorité binationale de sécurité sur l'ensemble de la liaison fixe. Après le Brexit, la CIG n'étant plus désignée par deux États membres, elle ne pourra plus exercer les compétences dévolues par le droit européen à une autorité nationale de sécurité. Par conséquent, l'ordonnance confie, pour ce qui concerne la France, à l'établissement public de sécurité ferroviaire, qui exerce déjà ces missions sur le réseau ferré national, les missions d'autorité nationale de sécurité pour la liaison trans-Manche. Néanmoins, se pose la question des certificats de sécurité, qui par le fait du calendrier, sont en cours de renouvellement avant leur expiration prévue le 5 avril 2019. C'est l'objet de la proposition de règlement publié le 12 février, qui fige la validité des certificats, quand bien même l'autorité les ayant délivrés n'existe plus du fait du Brexit, afin de laisser le temps à Eurotunnel de procéder aux formalités nécessaires. Or la Commission ne propose que trois mois d'extension alors qu'elle propose un délai de 9 mois pour les autres modes de transports. Il est donc clair à mes yeux que ce point ne peut pas rester en l'état.
Pour conclure, je vous signale que l'accord politique Conseil-Parlement européen sur l'impact du Brexit sur le Mécanisme pour l'interconnexion en Europe 2014-2020 et la liaison avec l'Irlande, qui a été trouvé le 7 février et validé en Coreper hier, répond aux préoccupations exprimées dans la résolution sur les corridors maritimes que notre commission avait adoptée le 6 décembre dernier et qui est devenue résolution de l'Assemblée nationale le 31 janvier 2019.
La demande d'inclure les ports du réseau global, portée par le Parlement européen en dépit de la manifeste impossibilité juridique de le faire, n'a pas été retenue, mais comme nous l'avions demandé, les corridors ont été redessinés pour inclure les ports français du réseau central, la révision du RTE-T va être accélérée et les ports du réseau global pourront bénéficier de fonds pour la sécurité et les contrôles aux frontières, à défaut d'un fonds global d'urgence « Brexit ».
Madame la Présidente, l'impératif d'urgence – qui se traduit aujourd'hui par des délais d'examen contraints tant au Conseil qu'au Parlement européen –, limite notre capacité à agir efficacement avec les outils liés à la veille législative dans ces circonstances très particulières, ces textes étant d'ores et déjà adoptés ou en voie très proche de l'être. Soit en raison de cette contrainte temporelle, soit compte tenu de leur nature purement technique, les textes ont été actés ou vous sont donc proposés à acter. Mais le groupe de travail sur le suivi de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, décidé hier par le Bureau de notre Commission, devra être notre « vigie » dans les mois qui viennent. Je vous remercie.