Il me revient donc de rapporter la proposition du président Richard Ferrand de nommer M. Alain Juppé au Conseil constitutionnel en remplacement de M. Lionel Jospin, dont le mandat s'achèvera le 12 mars 2019. Ainsi que Mme la présidente l'a rappelé, notre avis est prévu par les articles 13 et 56 de la Constitution. L'approbation de votre nomination, monsieur le Premier ministre, relève exclusivement de la commission des Lois de l'Assemblée nationale ; pour que la proposition de votre nomination soit rejetée, il faudrait que notre Commission s'y oppose à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Le droit donné au Parlement d'émettre un avis sur les nominations aux plus hautes fonctions a été introduit par la révision constitutionnelle du 23 janvier 2008 à l'initiative du président Nicolas Sarkozy. Il s'inscrit dans la logique de renforcement des pouvoirs du Parlement qu'avait proposé le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Cinquième République présidé par M. Édouard Balladur.
En proposant votre nomination, le président Ferrand me facilite la tâche : votre parcours étant connu de tous, je suis dispensé d'en présenter le détail. Je rappellerai que votre attrait pour la res publica s'est d'abord traduit par un engagement dans le service public ; à titre anecdotique, j'indiquerai que vous avez fait vos premiers pas de jeune inspecteur des finances en 1972 dans une brigade de contrôle à Saint-Flour, dans le Cantal. Votre parcours politique a débuté au printemps 1976 par votre entrée au cabinet du Premier ministre Jacques Chirac. Vous avez connu de la vie politique toutes les dimensions – locale, nationale, internationale – et vous en avez, comme rarement un homme politique, exploré à la fois les grandeurs et les servitudes, et même un peu plus. Au-delà de la responsabilité de chef du gouvernement que vous avez exercée de 1995 à 1997, je crois pouvoir affirmer, sans être contredit par mes collègues, que l'Assemblée nationale garde un souvenir particulier du remarquable ministre des Affaires étrangères que vous avez été deux fois : dans le gouvernement d'Édouard Balladur d'abord, de François Fillon quinze ans plus tard.
Vous serez, après Lionel Jospin et Laurent Fabius, le troisième ancien Premier ministre à siéger au Conseil constitutionnel. On pourrait sourire de ce qu'au moment où l'on songe à faire sortir les anciens Présidents de la République du Conseil constitutionnel, on y fasse entrer les anciens Premiers ministres. Je crois pour ma part légitime et utile la présence des uns comme des autres. Quelles que soient en effet les divergences politiques que chacun peut avoir avec celui qui préside ou celui qui dirige l'action du Gouvernement lorsqu'il est en fonction, on se doit de reconnaître que ces fonctions, qui demandent en permanence de savoir concilier le caractère relatif et parfois contingent de l'action gouvernementale et le respect absolu et définitif des principes de notre Constitution, forge à l'évidence un homme d'État dont l'expérience ne peut qu'être utile au Conseil constitutionnel. J'observe d'ailleurs que les propositions de nomination de Lionel Jospin et de Laurent Fabius ont reçu en leur temps un accueil très largement favorable de la commission des Lois.
Je ne crois pas que la présence d'hommes d'État au Conseil constitutionnel, dès lors qu'ils ont achevé leur cursus honorum, soit de nature à politiser ses décisions. Comme le rappelait Pierre Mazeaud, la force de cette institution réside dans l'indépendance de ses membres et dans leur obligation de réserve. M. Robert Badinter, illustre président du Conseil constitutionnel, est même allé plus loin en évoquant le « devoir d'ingratitude » des membres du Conseil constitutionnel à l'égard de ceux qui les avaient nommés. Je m'en remettrai volontiers à cette sagesse.
Je me félicite qu'au-delà de votre expérience nationale et internationale, votre long engagement d'élu local, de la Goutte-d'Or au quai des Chartrons, vous donne aussi une expérience, une compréhension concrète et humaine des enjeux dont le législateur se saisit et sur lesquels vous aurez à vous prononcer.
Vos réponses au questionnaire que je vous ai adressé ont été transmises aux membres de la commission des Lois et rendues publiques. Nous allons vous entendre, puis vous interroger.