La réunion débute à 15 heures.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne M. Alain Juppé, dont la nomination est proposée par le Président de l'Assemblée nationale en qualité de membre du Conseil constitutionnel (M. Olivier Marleix, rapporteur
Conformément à la procédure prévue par les articles 13 et 56 de la Constitution, nous sommes réunis pour entendre M. Alain Juppé, dont la nomination est envisagée par le président de l'Assemblée nationale en qualité de membre du Conseil constitutionnel.
Ainsi que le permet l'article 29-1 du Règlement, nous avons nommé un rapporteur : M. Olivier Marleix, membre du groupe Les Républicains. Le rapporteur a adressé à M. Alain Juppé un questionnaire auquel celui-ci a répondu par écrit. Ces réponses ont été adressées aux commissaires et mises en ligne sur le site de l'Assemblée nationale. Enfin, comme le prévoit l'article 1er de la loi du 23 juillet 2010 qui précise la procédure de nomination, cette audition est ouverte à la presse.
Monsieur le rapporteur souhaitez-vous intervenir ?
Monsieur le Premier ministre, soyez le bienvenu. Je vais tout d'abord donner la parole à notre rapporteur.
Il me revient donc de rapporter la proposition du président Richard Ferrand de nommer M. Alain Juppé au Conseil constitutionnel en remplacement de M. Lionel Jospin, dont le mandat s'achèvera le 12 mars 2019. Ainsi que Mme la présidente l'a rappelé, notre avis est prévu par les articles 13 et 56 de la Constitution. L'approbation de votre nomination, monsieur le Premier ministre, relève exclusivement de la commission des Lois de l'Assemblée nationale ; pour que la proposition de votre nomination soit rejetée, il faudrait que notre Commission s'y oppose à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Le droit donné au Parlement d'émettre un avis sur les nominations aux plus hautes fonctions a été introduit par la révision constitutionnelle du 23 janvier 2008 à l'initiative du président Nicolas Sarkozy. Il s'inscrit dans la logique de renforcement des pouvoirs du Parlement qu'avait proposé le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Cinquième République présidé par M. Édouard Balladur.
En proposant votre nomination, le président Ferrand me facilite la tâche : votre parcours étant connu de tous, je suis dispensé d'en présenter le détail. Je rappellerai que votre attrait pour la res publica s'est d'abord traduit par un engagement dans le service public ; à titre anecdotique, j'indiquerai que vous avez fait vos premiers pas de jeune inspecteur des finances en 1972 dans une brigade de contrôle à Saint-Flour, dans le Cantal. Votre parcours politique a débuté au printemps 1976 par votre entrée au cabinet du Premier ministre Jacques Chirac. Vous avez connu de la vie politique toutes les dimensions – locale, nationale, internationale – et vous en avez, comme rarement un homme politique, exploré à la fois les grandeurs et les servitudes, et même un peu plus. Au-delà de la responsabilité de chef du gouvernement que vous avez exercée de 1995 à 1997, je crois pouvoir affirmer, sans être contredit par mes collègues, que l'Assemblée nationale garde un souvenir particulier du remarquable ministre des Affaires étrangères que vous avez été deux fois : dans le gouvernement d'Édouard Balladur d'abord, de François Fillon quinze ans plus tard.
Vous serez, après Lionel Jospin et Laurent Fabius, le troisième ancien Premier ministre à siéger au Conseil constitutionnel. On pourrait sourire de ce qu'au moment où l'on songe à faire sortir les anciens Présidents de la République du Conseil constitutionnel, on y fasse entrer les anciens Premiers ministres. Je crois pour ma part légitime et utile la présence des uns comme des autres. Quelles que soient en effet les divergences politiques que chacun peut avoir avec celui qui préside ou celui qui dirige l'action du Gouvernement lorsqu'il est en fonction, on se doit de reconnaître que ces fonctions, qui demandent en permanence de savoir concilier le caractère relatif et parfois contingent de l'action gouvernementale et le respect absolu et définitif des principes de notre Constitution, forge à l'évidence un homme d'État dont l'expérience ne peut qu'être utile au Conseil constitutionnel. J'observe d'ailleurs que les propositions de nomination de Lionel Jospin et de Laurent Fabius ont reçu en leur temps un accueil très largement favorable de la commission des Lois.
Je ne crois pas que la présence d'hommes d'État au Conseil constitutionnel, dès lors qu'ils ont achevé leur cursus honorum, soit de nature à politiser ses décisions. Comme le rappelait Pierre Mazeaud, la force de cette institution réside dans l'indépendance de ses membres et dans leur obligation de réserve. M. Robert Badinter, illustre président du Conseil constitutionnel, est même allé plus loin en évoquant le « devoir d'ingratitude » des membres du Conseil constitutionnel à l'égard de ceux qui les avaient nommés. Je m'en remettrai volontiers à cette sagesse.
Je me félicite qu'au-delà de votre expérience nationale et internationale, votre long engagement d'élu local, de la Goutte-d'Or au quai des Chartrons, vous donne aussi une expérience, une compréhension concrète et humaine des enjeux dont le législateur se saisit et sur lesquels vous aurez à vous prononcer.
Vos réponses au questionnaire que je vous ai adressé ont été transmises aux membres de la commission des Lois et rendues publiques. Nous allons vous entendre, puis vous interroger.
Ce n'est pas sans un peu d'émotion que je retrouve cette salle. Je suis donc devant vous dans le cadre de la procédure relative à la nomination des membres du Conseil constitutionnel sur proposition du président de l'Assemblée nationale. Je remercie votre rapporteur d'avoir retracé brièvement ma carrière, et aussi pour les paroles bienveillantes qu'il a eues à mon égard.
La proposition du Président de l'Assemblée nationale m'a surpris, elle m'a honoré, et je l'en remercie à nouveau du fond du coeur. Elle m'a surpris parce que je me suis d'abord demandé si j'en étais digne. J'ai donc interrogé le président de l'Assemblée nationale avant d'accepter sa proposition, pour savoir si ma condamnation pénale constituait un obstacle juridique. Après y avoir réfléchi, M. Ferrand m'a indiqué qu'il n'y avait pas d'empêchement juridique. Mais il y a évidemment une dimension morale que je ne veux pas éluder. J'ai eu ce débat en mon âme et conscience, et je vous en soumets les arguments.
Les faits qui m'ont été reprochés datent du début des années 1990, au moment où le législateur définissait un cadre légal pour le financement des partis politiques. J'ai purgé ma peine et peut-être le temps peut-il donner droit à l'oubli. Ensuite, la décision de la cour d'appel de Versailles, en 2004, m'a rendu en grande partie mon honneur en jugeant expressément que je ne m'étais rendu coupable d'aucun enrichissement personnel et que je ne devais pas être le bouc émissaire d'une responsabilité collective. Enfin, plusieurs fois depuis lors – en 2006, en 2008 et en 2014 –, aux élections municipales, les électeurs bordelais m'ont renouvelé leur confiance ; j'y ai vu une forme de pardon. À votre Commission, bien sûr, d'en juger.
Je me suis aussi demandé ce que ma nomination pouvait apporter au Conseil constitutionnel. C'est d'ailleurs, monsieur le rapporteur, l'objet des premières questions que vous m'avez posées. Je ne suis pas juriste. Certes, on m'a enseigné le droit constitutionnel et le droit administratif à Sciences Po mais, là aussi, on peut parler de droit à l'oubli. (Sourires.) À l'Inspection générale des finances, je me suis souvent immergé dans le code général des impôts et le droit fiscal, mais je n'ai jamais exercé de fonctions juridictionnelles. Est-ce un handicap rédhibitoire ? Il me semble au contraire que la diversité des parcours professionnels de ses membres constitue une richesse pour le Conseil constitutionnel. Il compte en son sein de nombreux professionnels du droit. On pourrait estimer que tous devraient l'être ; c'est d'ailleurs la thèse que défend ce soir même, dans les colonnes du journal Le Monde, un professeur agrégé de droit constitutionnel. Mais la pratique a été différente et le Conseil a toujours accueilli des hommes ou des femmes politiques – comme vous l'avez rappelé, je ne serai pas le premier Premier ministre à y siéger. Je mets de côté les membres de droit que sont les anciens Présidents de la République, question dont nous reparlerons peut-être. Mes responsabilités parlementaires et gouvernementales m'ont permis de connaître de l'intérieur les rouages du pouvoir et l'articulation entre l'exécutif et le législatif, sans oublier l'autorité judiciaire ; vous avez rappelé les étapes de cette carrière.
Dans notre architecture institutionnelle, le Conseil constitutionnel occupe une place éminente. Il joue un rôle essentiel pour faire respecter l'équilibre des pouvoirs ainsi que les droits et libertés des citoyens. Au fil des ans, son rôle juridictionnel n'a cessé de s'affirmer. En 1971, il a considéré que le bloc de constitutionnalité incluait le Préambule de la Constitution de 1958, qui renvoie à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au Préambule de la Constitution de 1946, puis, en 2004, la charte de l'environnement. En 1974, la saisine du Conseil a été ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs, ce qui a évidemment marqué un progrès des droits de l'opposition. Enfin, en 2008, l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été une très importante réforme qui, à mes yeux, constitue un succès. Pour autant, le Conseil a tenu à rappeler constamment depuis 1975 qu'il « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ». C'est le Parlement qui fait la loi et non le Conseil ; chacun son rôle.
J'aborde ces questions avec humilité et j'ai conscience d'avoir beaucoup à apprendre. C'est pourquoi, à ce stade, je me garderai bien de vous proposer des réformes, des changements drastiques dans le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Je donnerai simplement mon sentiment sur deux aspects de son fonctionnement et de sa jurisprudence.
D'abord, l'encadrement très strict des délais de décision – un mois pour un contrôle a priori, trois mois pour une QPC. Cet encadrement a des effets structurants et conduit le Conseil à n'examiner en principe que les dispositions attaquées, exerçant en ce sens un contrôle restreint.
Le deuxième trait caractéristique est que le Conseil est très souvent amené à concilier des principes constitutionnels apparemment contradictoires : le droit de grève et la continuité du service public ; l'indépendance du parquet et la responsabilité du Gouvernement de conduire et de déterminer la politique, y compris pénale, de la Nation ; la libre administration des collectivités locales et l'objectif d'équilibre des comptes publics – maire, j'ai vécu cela en direct au cours des mois écoulés. Tout récemment, il lui a aussi fallu concilier le principe de fraternité, c'est-à-dire le devoir d'aider son prochain, et la sauvegarde de l'ordre public quand il s'agit d'étrangers en situation irrégulière. Dans cette recherche de conciliation, le Conseil recherche toujours des réponses proportionnées, équilibrées et raisonnables. Le droit ainsi conçu n'est pas hors sol ; il s'inscrit dans une réalité économique, sociale, culturelle et même politique, si bien que le regard d'un homme politique peut être utile à l'élaboration de la décision.
Mon deuxième apport au Conseil constitutionnel, si vous en décidez ainsi, serait mon expérience d'élu local et de maire depuis plus de vingt ans, qui peut être utile à double titre. D'abord, comme beaucoup d'entre vous le vivent, par le fait d'avoir été immergé dans la vie de la cité, au contact de ses concitoyens, de leurs associations et de tous les corps intermédiaires. La démocratie représentative reste et doit rester le socle de nos institutions. Comme l'établit l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Cette démocratie a besoin de se régénérer grâce à des formes nouvelles de démocratie en continu. C'est tout l'objet de la crise actuelle et c'est un sujet de réflexion collective, qui le sera sans doute demain pour le Conseil constitutionnel aussi.
L'autre atout tiré de mon expérience d'élu local est la pratique de la collégialité. Animer une équipe municipale et, plus encore, un exécutif métropolitain regroupant vingt-huit maires exige de s'affranchir de toute notion hiérarchique et de pratiquer le dialogue qui conduit à des décisions collectivement assumées. La collégialité est la marque de fabrique du Conseil constitutionnel et, en ce domaine, j'ai fait mon apprentissage.
J'évoquerai pour terminer la question de la neutralité ou de l'impartialité du juge. J'ai été un homme politique engagé et je garde un grand respect pour le militantisme politique. J'ai été longtemps chef de parti et, à ce titre, j'ai pu ou j'ai dû, parfois, prendre des positions tranchées que d'aucuns ont pu trouver agressives, voire sectaires. Mais j'ai aussi prouvé en tant qu'élu local, et dans la tradition bordelaise, que je savais cogérer dans le cadre d'un accord entre majorité et opposition, au-delà des différences d'idées, dans l'intérêt général. Quoi qu'il en soit, après mon échec aux primaires de la droite et du centre, j'ai décidé de me retirer progressivement de la vie politique nationale. Depuis trois ans, je m'exprime rarement, et jamais en termes partisans. Je n'appartiens plus à aucun parti politique, tout en respectant leur rôle, ici encore constitutionnel, et tout en restant bien sûr, en tant que citoyen, fidèle à mes convictions. Il va de soi que si votre Commission donne le feu vert à ma nomination, mon retrait d'une vie politique active qui m'a apporté des joies et des peines – plus de joie que de peines – sera total. Je serai heureux de continuer à servir mon pays et mes concitoyens autrement.
Je salue la grande honnêteté, la transparence et l'humilité de ce premier propos.
Les membres de droit du Conseil constitutionnel que sont les anciens Présidents de la République ont pris l'habitude de se déporter lors de l'examen de QPC relatives à des lois adoptées sous leur mandat et en matière de contentieux électoral. Quelle règle comptez-vous vous imposer en pareilles situations ?
Au nombre des questions que je vous ai posées par écrit figurait une critique mal dissimulée de la jurisprudence du Conseil s'agissant des cavaliers législatifs et du respect de la règle dite de l'entonnoir, qui constituent une limitation toute jurisprudentielle de l'initiative parlementaire pourtant déjà assez modeste depuis 1958. Des projets sont aussi sur la table pour rendre le Parlement « plus efficace », à savoir raccourcir le délai d'examen des textes, alors même que, selon les statistiques comparées, notre pays est, de tous ceux qui ont un régime bicaméral, celui qui opère avec la plus grande rapidité en cette matière, et que la procédure accélérée comme le temps programmé permettent en réalité au Gouvernement d'obtenir l'examen d'un texte – quand lui-même n'encombre pas le calendrier législatif – en quelques jours de temps parlementaire. En faire plus, ce serait nous rapprocher de la Hongrie de Viktor Orbán ou de la Russie de Vladimir Poutine ; je ne pense pas que ce soit notre modèle. Pensez-vous que l'époque soit, comme en 1958, à rationaliser un peu plus le Parlement ?
Enfin, dans un ouvrage intitulé Vers un nouveau monde - Pour un État fort, publié en janvier 2016, vous évoquez le référendum en ces termes : « Dans l'esprit gaulliste qui rejoint l'esprit du temps, il faut aussi chercher à rapprocher gouvernants et gouvernés dans l'exercice du pouvoir. Le référendum en donne les moyens. Il nous faudra inventer de nouveaux mécanismes de démocratie au quotidien, qui fonctionnent bien au niveau local mais qui sont plus complexes à mettre en oeuvre au niveau national. » Pensez-vous toujours qu'il faille aller plus loin que le référendum d'initiative partagée introduit par la révision constitutionnelle de 2008 et, si oui, dans quelles conditions ? Comment, en particulier, assurer le respect des principes constitutionnels par le projet de loi référendaire ?
S'agissant du déport d'un membre du Conseil constitutionnel lorsque l'examen d'une affaire peut constituer pour lui une sorte de conflit d'intérêts, ma position est nette. Pour le contrôle a priori, n'étant plus législateur depuis une bonne décennie, je risque peu de me trouver confronté à cette situation. En revanche, la question pourrait se poser à l'occasion de l'examen en QPC d'un texte ancien à l'élaboration ou au vote duquel j'aurais participé, ou d'un contentieux électoral. Je suivrai alors les usages du Conseil avec détermination et me déporterai chaque fois que cela sera nécessaire.
Votre deuxième question est plus complexe. Vous avez évoqué les cavaliers législatifs et la règle de l'entonnoir qui veut qu'après la première lecture on ne puisse déposer d'amendement que sur des dispositions n'ayant pas déjà fait l'objet d'un accord. J'observe que certaines de ces dispositions proviennent des règlements des assemblées, qui ont voulu, elles aussi, concilier deux principes : la liberté d'amender d'une part, la clarté et la sincérité du débat parlementaire d'autre part. L'initiative n'émane donc pas toujours du Conseil constitutionnel, et il me semble même que dans certaines décisions récentes, en particulier sur un projet de résolution du Sénat, le Conseil s'est posé en défenseur du droit d'amendement, rappelant que c'est une prérogative fondamentale des parlementaires et du Gouvernement. Il a même émis des réserves sur l'une des propositions de cette résolution, qui était de limiter le temps de parole lors de l'examen des textes. Je me situerai plutôt dans la ligne de cette doctrine du Conseil, pour réaffirmer que le droit d'amendement est un droit essentiel. J'ai peu d'empathie, vous le savez, envers MM. Poutine et Orbán.
J'ai dit tout à l'heure que le devoir de neutralité ne m'empêchait pas de rester fidèle à mes convictions. Je me rattache toujours à la famille gaulliste et, comme vous le savez, le général de Gaulle avait fait du référendum un instrument essentiel d'expression de la souveraineté nationale, avec des bonheurs divers. Je continue de penser que c'est un moyen essentiel. Deux articles de la Constitution encadrent strictement le recours au référendum : il doit s'agir de réviser la Constitution – c'est l'article 89 – ou de se prononcer sur « l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » – c'est l'article 11. Le président du Conseil constitutionnel a rappelé il y a peu que la question ne devait pas porter sur une question d'ordre général ou un objectif flou, mais sur un projet de loi clairement identifié. La révision constitutionnelle de 2008 a introduit, vous l'avez rappelé, le référendum d'initiative partagée. Peut-être y a-t-il à ce sujet une voie de progrès ? Peut-être peut-on assouplir les pourcentages aujourd'hui exigés – un cinquième des parlementaires et un dixième du corps électoral – pour organiser cette nouvelle forme de référendum ? Le référendum d'initiative citoyenne, à tout propos et hors de propos, y compris pour destituer des élus récemment investis dans leur charge, n'emporte pas la même sympathie de ma part.
Dans une décision rendue en 1982, le Conseil constitutionnel a jugé qu'une loi empiétant sur le domaine du règlement n'est pas de ce seul fait inconstitutionnelle. Certains considèrent que cette jurisprudence a une part de responsabilité dans l'inflation législative et dans la dégradation de la qualité de la loi. Une réforme est-elle concevable ?
J'ai toujours considéré que la distinction du domaine de la loi et du domaine du règlement figurant aux articles 34 et 37 de la Constitution était un élément essentiel de notre organisation institutionnelle. Force est de constater que cette distinction s'est atténuée au fil du temps. Faut-il y revenir de manière plus rigoureuse ? Je ne pense pas que ce soit l'orientation du Conseil constitutionnel. C'est évidemment la pratique parlementaire qui peut prévaloir.
Pour ce qui est du contrôle de la qualité de la loi, le Conseil constitutionnel n'est pas le législateur. Il contrôle l'intelligibilité de la loi et sa clarté car une loi mal rédigée peut être cause d'instabilité juridique, mais il ne peut aller au-delà. En particulier, il ne juge pas si les lois sont trop ou insuffisamment bavardes. Nous connaissons tous les statistiques sur le nombre d'articles de certaines lois, parfois supérieur à la centaine ; mais je ne suis pas parlementaire et le Conseil constitutionnel n'a pas à se prononcer sur le nombre d'articles d'un texte adopté.
L'ancien juppéiste devenu macroniste que je suis éprouve un grand plaisir à vous auditionner aujourd'hui. Je reviens sur la question écrite qui vous a été posée au sujet de la QPC pour vous demander si vous estimez nécessaire de réformer la procédure de filtrage des demandes, filtrage actuellement assuré par le Conseil d'État ou la Cour de cassation. On a en effet le sentiment d'une dérive, des justiciables engageant des procédures de QPC dilatoires devant les juridictions du premier degré, ce qui a pour effet de les engorger. Quel est votre avis à ce sujet ?
Je vous remercie, monsieur le Premier ministre, pour vos propos liminaires. Nous avons décidé en 2013 la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui recueille les déclarations d'intérêts et les déclarations de patrimoine des élus et des membres du Gouvernement. Ces dispositions visent à s'assurer de l'impartialité et de la probité des personnes amenées à prendre des décisions en matière de politiques publiques. En 2016 et 2017, nous avons adopté une loi étendant cette obligation déclarative aux magistrats, en particulier aux membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ; la déclaration d'intérêts est distincte de l'obligation de déport qui s'impose aux magistrats. Nous avions prévu que les membres du Conseil constitutionnel seraient également soumis à cette exigence, mais le Conseil, dans sa sagesse, a considéré que le dispositif que nous avions inscrit dans la loi organique était un cavalier législatif et n'a pas jugé utile de reprendre lui-même une disposition qui ne mettait pas en doute la probité et l'impartialité de ses membres, pas davantage qu'elle ne le fait pour les membres du Conseil supérieur de la magistrature. Il s'agit d'une question de décision publique, visant à renouer la confiance dans les décisions prises par des personnalités au plus haut niveau des institutions de l'État, dont les juridictions. Selon vous, serait-il pertinent que le Conseil constitutionnel prenne l'initiative de décider que ses membres sont tenus de rédiger des déclarations d'intérêts et de patrimoine ? Lui proposeriez-vous de le faire ?
Mon interrogation porte sur la Convention européenne des droits de l'homme et la Cour européenne des droits de l'homme. Vous évoquiez tout à l'heure les racines gaullistes de votre engagement dans la vie publique ; je rappelle que ni le général de Gaulle ni Georges Pompidou n'ont cru devoir ratifier le texte de la Convention européenne des droits de l'homme qui avait été signée en 1950. Ensuite, on a assisté au cours des dernières décennies au renforcement progressif de la Convention et de la Cour dans l'ordre juridique interne français. Pendant l'intérim d'Alain Poher, en 1974, on engage la ratification de la Convention. En 1981, François Mitterrand étant Président de la République, la France reconnaît le droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l'homme. En 1996, alors que vous êtes Premier ministre, la France ratifie le protocole n° 11 relatif aux mécanismes de contrôle. En 2018 enfin, l'actuelle majorité ratifie le protocole n° 16 qui donne aux trois cours suprêmes françaises, le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et la Cour de cassation, chacune dans son domaine, la faculté de poser des questions préjudicielles devant la Cour européenne des droits de l'homme.
Vous serez probablement membre du Conseil constitutionnel dans quelques jours. Avant que l'obligation de réserve attachée à cette fonction ne vous empêche de dire votre opinion, il nous intéresserait de la connaître. Estimez-vous opportun et nécessaire que le Conseil constitutionnel sollicite l'avis de la Cour européenne, et selon quels critères ? Si nous pouvons comprendre que la Convention européenne des droits de l'homme et ce mécanisme existent, tous les patriotes et tous les républicains comprendraient mal que le Conseil constitutionnel devînt quasiment une juridiction subordonnée à la Cour européenne des droits de l'homme. Cette inquiétude justifie ma question.
Monsieur le Premier ministre, votre parcours fait de vous un indéniable serviteur de la République, et aussi d'un territoire que nous aimons tout deux. Vous avez fait la preuve, dans les différentes fonctions que vous avez exercées, de votre attachement à la réforme et de votre souhait d'accompagner l'innovation, notamment territoriale. Est-ce dans cet esprit, celui de Montesquieu si cher aux Bordelais, que vous souhaitez intégrer le Conseil constitutionnel ?
Je suis très heureux d'être ici en cette circonstance. Je suis entré à l'Assemblée nationale un jour de décembre 1995 alors que se tenait une réunion du groupe RPR auquel vous aviez dû annoncer le retrait d'une partie des réformes que vous vouliez mener à bien, et je me rappelle encore les mots que vous aviez prononcés : « Je retire une partie de mes réformes, mais je suis convaincu que, dans l'intérêt de la France, il faudra les faire ; je ne sais quelle sera l'étiquette de ceux qui les feront, je ne sais quand elles seront faites, mais je sais qu'il faudra les faire. ».
Monsieur le Premier ministre, je suis très heureux que le président de notre Assemblée propose votre nomination au Conseil constitutionnel. J'y vois un message de soutien à nos institutions. Quand on prend un peu de recul pour analyser ce qui s'est passé depuis plusieurs mois en France, on se rend compte que ce qui a permis au pays de tenir alors que des ronds-points étaient bloqués et que l'on tenait des propos outranciers – un de nos collègues allant jusqu'à dire que le Président de la République finirait comme John Kennedy ! –, ce sont les institutions de la Cinquième République. Elles sont souvent critiquées, et c'est une partie de mon engagement politique que de les défendre, car je pense qu'elles sont un fondement de la stabilité. Le peuple de France étant assez difficile à gouverner, les institutions voulues par le général de Gaulle méritent d'être défendues.
Deuxième point, il n'a jamais été prévu que les modes de scrutin législatifs soient inscrits dans la Constitution et je souhaite que l'on s'en tienne là. Je suis profondément hostile à ce qu'il en aille autrement, et je fustige les contre-vérités qui sont distillées au sujet de la proportionnelle, laquelle n'a jamais été un mode de scrutin renforçant l'égalité. Tout au contraire, le scrutin à la proportionnelle entraîne une grande inégalité : le député qui appartient à un groupe important et ceux qui l'ont élu, soit 35 ou 40 % des électeurs, ne pèsent rien ; les députés des petits groupes pèsent en définitive bien davantage que ceux issus des grands groupes pour constituer une majorité. Je souscris à l'argument selon lequel la représentativité devrait être améliorée, mais la doctrine selon laquelle il faudrait en venir à la proportionnelle, qui déboucherait sur l'époque bénie de l'égalité, est une contre-vérité.
Enfin, monsieur le Premier ministre, vous êtes dans une Assemblée nationale malade comme jamais. Pendant la XIe législature, de 1997 à 2002, 50 851 amendements ont été déposés. On en a dénombré 112 663 au cours de la XIVe législature, entre 2012 et 2017. Pour la législature actuelle, si la tendance se confirme, il y en aura plus de 150 000. Lors de la précédente législature, il y a eu 1 171 rappels au Règlement ; nous en sommes déjà à 1 082 pour la législature en cours. Vous devrez, au Conseil constitutionnel, examiner des réformes d'adaptation et de rationalisation du Règlement de l'Assemblée nationale visant à améliorer la qualité de la loi et à réduire la proportion de dispositions réglementaires qui y figurent. Depuis la jurisprudence de 2005 par laquelle le Conseil constitutionnel déclarait pour la première fois contraire à la Constitution une disposition législative qu'il jugeait « manifestement dépourvue de toute portée normative », peu de progrès a été fait. L'intérêt général du pays, c'est que le Conseil constitutionnel soit l'allié de ceux qui, au Parlement, veulent rendre de la rigueur au processus législatif.
De mon point de vue, je l'ai dit, la mise en oeuvre de la QPC depuis mars 2010 est plutôt un succès. C'est une garantie supplémentaire donnée à nos citoyens de voir mieux protégés leurs libertés et droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Constitution. Faut-il modifier le mécanisme de filtrage ? Je considère que ce dispositif fonctionne plutôt bien, mais peut-être y a-t-il des choses à resserrer en première instance. Le juge du premier degré doit vérifier que la question est sérieuse, puis le Conseil d'État ou la Cour de cassation, selon l'ordre de juridiction, examine si le texte attaqué est bien en relation avec le contentieux et si ce texte n'a pas fait l'objet d'une validation par le Conseil constitutionnel. Je sais que la Cour de cassation et le Conseil d'État ont un peu traîné les pieds quand cette réforme a été mise en oeuvre, mais les choses sont maintenant régularisées. Le Conseil d'État a examiné au cours du dernier exercice 250 demandes de QPC et n'en a transmis qu'une cinquantaine au Conseil constitutionnel ; le filtrage nécessaire a donc eu lieu. Même si des améliorations peuvent être apportées, les choses fonctionnent. Confier au Conseil constitutionnel lui-même le filtrage de ces demandes serait tout à fait contreproductif, puisqu'il n'a que neuf membres. Le président Fabius a annoncé que le dixième anniversaire de la mise en oeuvre de la QPC, en 2020, serait l'occasion d'une réflexion sur le fonctionnement du dispositif et les améliorations éventuelles à lui apporter. Attendez peut-être les conclusions de cette réflexion prochaine.
Mme Untermaier m'a demandé quel avis je porte sur l'extension de l'obligation de déclaration de patrimoine et d'intérêts aux membres du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a refusé de s'y plier parce qu'il a estimé que c'était un cavalier législatif, donc davantage pour une raison de forme que de fond. Je ne vois pas au nom de quoi les membres du Conseil constitutionnel s'exonéreraient d'une règle qui concourt à la transparence de la vie politique – et l'on sait combien est forte l'exigence de nos concitoyens dans ce domaine. J'appelle simplement votre attention sur le fait que la course à l'échalote en matière de transparence n'a jamais de limites : plus on fait, plus il faut faire. Mais il faut appliquer ce qui a été décidé, et je serai quoi qu'il en soit tenu de remplir une déclaration de patrimoine en quittant mon mandat de maire, dans les jours qui viennent.
Vous serez sans doute d'accord avec moi, monsieur Larrivé, pour estimer – ce n'était d'ailleurs pas l'objet de votre question – que sortir de la Convention européenne des droits de l'homme serait un acte qu'aucune formation politique, en tout cas pas celle avec laquelle j'ai le plus d'affinités, n'assumerait. Mais vous avez raison, notre Conseil constitutionnel ne doit pas devenir une sorte de chambre d'enregistrement. Les choses sont compliquées parce que, je l'ai dit tout à l'heure, les délais de jugement du Conseil constitutionnel ont des effets structurants. Faire une question préjudicielle en déclaration de conformité dans le délai d'un mois n'est pas possible, car la Cour européenne ne se prononcera pas en un mois ; il en va de même en cas de QPC. Il faut donc trouver d'autres modalités. Je sais que le Conseil constitutionnel suit attentivement la jurisprudence de la Cour pour essayer d'anticiper ou de s'y adapter, mais cette question demandera effectivement à être approfondie.
Bien entendu, monsieur Poulliat, l'esprit de Montesquieu, sur lequel j'ai écrit un jour un petit livre intitulé Montesquieu, le moderne, devait régner au Conseil constitutionnel. Non seulement la séparation des pouvoirs est l'une des références du Conseil constitutionnel, mais Montesquieu a fait l'éloge appuyé du principe de modération, expliquant que la modération n'est ni la lâcheté ni la facilité. On voit par les temps qui courent ce qu'est, au contraire, la facilité : l'expression de points de vue extrêmes par la violence, à laquelle on se livre, hélas, de plus en plus souvent, et pas uniquement sur les réseaux sociaux. La recherche d'un point d'équilibre, d'une position raisonnable, du principe de modération est, à mon avis, une des marques de fabrique de notre République, sans doute du Conseil constitutionnel, peut-être de la ville de Bordeaux, sauf en ce moment le samedi après-midi, ce qui me navre.
M. Warsmann a mentionné l'année 1995. Sans refaire l'histoire, je rappellerai que, cette année-là, un million de personnes étaient dans la rue mais que les manifestations étaient encadrées par Force ouvrière et la CGT. Cela vous surprendra peut-être, mais cela m'a considérablement facilité les choses, parce que j'avais des interlocuteurs et que, lorsque nous nous sommes mis autour de la table pour trouver un accord, nous l'avons trouvé. D'autre part, toutes les réformes n'ont pas été abandonnées ; en particulier, la réforme de l'assurance maladie a été menée à bien au printemps 1996 par le regretté Jacques Barrot.
Pour le reste, vous imagineriez sans doute mal qu'une personne qui est en train de suivre la procédure de nomination au Conseil constitutionnel porte un point de vue négatif sur les institutions de la Cinquième République. Si j'en suis nommé membre, je serai là pour les défendre, pour les appliquer en tout cas, et elles me paraissent bien résister aux turbulences que nous connaissons.
Sur la proportionnelle, je préfère ne pas donner mon sentiment personnel mais vous inviter à réfléchir à un point. On dit toujours de la proportionnelle qu'elle est plus démocratique que le scrutin majoritaire. Mais que s'est-il passé en Allemagne ? Avant l'élection législative, tant le SPD que la CDU-CSU avaient pris l'engagement de ne plus gouverner ensemble ; six mois plus tard, ils gouvernaient en tandem. En Italie, on ne peut pas dire que la campagne électorale ait révélé un accord profond entre le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue du Nord ; pourtant, au terme des élections, ils se retrouvent ensemble. Ce n'est donc pas une solution miraculeuse.
S'agissant enfin du fonctionnement du Parlement, je vous ai dit ce que je pense du droit d'amendement et de la nécessité de veiller davantage à la production législative et à sa qualité, ce qui relève essentiellement du Parlement et non du Conseil constitutionnel.
Mon ami Georges Fenech et moi-même avons déposé il y a deux ans une proposition de loi sur la prescription qui a été adoptée à l'unanimité. C'est une bonne chose qu'après les frimas de l'hiver viennent les fleurs des pommiers du printemps (Sourires) et c'est ce que je vous souhaite.
Le droit de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés a été établi alors qu'ils étaient 577. Si, comme on l'envisage, l'effectif global des députés est diminué, faudra-t-il maintenir ce nombre ou l'abaisser ?
La trop grande rareté des consultations a conduit à la contestation de la légitimité des élus. Cela tient largement à l'inversion du calendrier électoral, qui a eu pour effet de réduire deux consultations à une seule, l'élection du Président de la République entraînant dans les semaines qui suivent une majorité automatique de députés. Ne faudrait-il pas revenir sur cette inversion du calendrier ?
Je reprendrai pour finir une question que Guillaume Larrivé avait posée à M. Laurent Fabius dans les mêmes circonstances : le Conseil constitutionnel, juge de l'organisation des référendums, donne un avis sur le décret d'organisation d'un référendum, mais cet avis n'est jamais publié ; envisagez-vous de demander qu'il le soit ?
Monsieur le Premier ministre, je vous redis mon respect, qui ne tient pas simplement à trente-six ans de militantisme commun, mais aussi à votre parcours exemplaire d'homme d'État au service de notre pays. Ma question porte sur l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans l'arbitrage classique entre la sauvegarde de l'ordre public et le maintien des libertés individuelles et, plus généralement, entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif. Vous avez rappelé tout à l'heure l'exigence permanente de conciliation et d'équilibre. De mon point de vue, cet équilibre est aujourd'hui remis en cause ; j'en veux pour preuve trois décisions récentes. En décembre 2017, le Conseil constitutionnel a annulé la disposition réprimant la consultation habituelle de sites djihadistes, que mon collègue Guillaume Larrivé et moi-même avions introduite dans la loi du 28 février 2017 et qui avait été reprise par le président Philippe Bas au Sénat. Par une autre décision également prise en décembre 2017, le Conseil a censuré l'article 8-1 de la loi relative à l'état d'urgence prévoyant que le préfet peut autoriser des contrôles d'identité ou des visites de véhicules. Une troisième décision, le 6 juillet 2018, en consacrant la valeur constitutionnelle du principe de fraternité, complique redoutablement la lutte contre les réseaux de passeurs – je le constate chaque jour à la frontière franco-italienne.
L'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel Jean-Éric Schoettl a dénoncé plusieurs fois cet arbitrage en faveur de l'individuel au détriment du collectif. Quel regard portez-vous sur cette évolution ? Vous paraît-elle dangereuse ? Comment faire pour rétablir comme primauté de notre droit la volonté d'assurer que l'intérêt général est toujours supérieur à l'intérêt individuel ?
Monsieur le Premier ministre, je suis heureux, en vous retrouvant, de saluer le parcours exceptionnel et non sans écueils qui a été le vôtre, ainsi que votre humilité.
Ma question porte sur la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs. Nous sommes très attachés à cette faculté, mais nous constatons qu'il est plus facile de saisir le Conseil constitutionnel par le biais d'une QPC, car il est malaisé de rassembler soixante parlementaires. Seriez-vous favorable à l'élargissement de cette disposition en ouvrant la saisine aux groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat ?
Par ailleurs, l'article 15 du projet de loi constitutionnelle voulu par le Président de la République a pour objet d'introduire dans la Constitution le droit à la différenciation territoriale. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? À votre avis, jusqu'où le législateur peut-il aller en cette matière ? Jusqu'où une collectivité locale peut-elle déroger aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent ses compétences ?
Enfin, vous avez été un acteur engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique et les questions environnementales et vous savez que la Charte de l'environnement est, pour l'essentiel, normative. Cela est vrai en particulier pour l'article 8 – l'éducation et la formation à l'environnement ; l'article 9 – la préservation et la mise en valeur de l'environnement par la recherche et l'innovation ; l'article 10, qui dispose que la Charte « inspire l'action européenne et internationale de la France ». Quel regard portez-vous sur l'application de ces normes et leurs conséquences ?
Monsieur le Premier ministre, l'article 56 de la Constitution dispose que les propositions de nomination au Conseil constitutionnel faites par le président de l'Assemblée nationale sont soumises à l'avis de notre Commission. En annonçant dans des conférences de presse et par d'autres prises de parole publiques, avant même que nous nous soyons prononcés, que vous alliez démissionner de la mairie de Bordeaux pour siéger au Conseil constitutionnel, vous avez donné à penser que l'avis que nous sommes tenus de rendre est une simple formalité. Nous sommes un certain nombre, de différents groupes, à juger cela peu respectueux de la procédure constitutionnelle et de notre Commission.
Cette remarque faite, j'en viens à mes questions. Considérez-vous comme son ancien président, Jean-Louis Debré, qu'avec la faculté de saisine par le biais de QPC, le Conseil constitutionnel a changé de statut, passant de « chien de garde de l'exécutif » à troisième cour suprême ? Si tel est le cas, pensez-vous que, comme dans les autres grandes démocraties européennes, la nomination des membres du Conseil constitutionnel doit se dépolitiser, et se judiciariser davantage ?
D'autre part, vous avez donné, en votre qualité de maire de Bordeaux, votre opinion sur les récents mouvements sociaux. Dans les prochains jours, le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer sur la loi « anticasseurs ». Quelles garanties de neutralité pouvez-vous nous donner quant au jugement que vous porterez sur ce texte ?
Monsieur Juppé, depuis l'annonce de votre départ de Bordeaux pour le conseil des sages, le jeu de chaises musicales pour votre succession fait autant de bruit que les dents des ambitieux qui rayent le parquet du Palais Rohan. Tandis que dans cette ambiance feutrée vos amis, déconnectés de la réalité des Bordelais, se disputent le pouvoir, dehors, les laissés-pour-compte de votre idéologie battent le pavé chaque samedi depuis quatorze semaines. C'est une ville excluante que vous nous laissez, monsieur Juppé, une sorte de Neuilly-sur-Garonne, une ville endettée où la pauvreté et les inégalités explosent, où il est impossible de se loger, où les transports en commun sont saturés. D'un Neuilly à l'autre, vous voilà peut-être bientôt gardien d'une Constitution censée unir le peuple tout entier – gilets jaunes et gilets de tweed réunis en quelque sorte. Il est assez cocasse, par ailleurs, alors que vous condamnez les premiers, que les casiers judiciaires des seconds soient plus fournis – c'est sans doute la preuve par l'exemple. Une interrogation me taraude : pour postuler à votre succession à Bordeaux, doit-on faire valoir la même connaissance de la justice de notre pays, notamment du côté des condamnés ? Faut-il, pour se déclarer candidat, présenter une batterie de casseroles et prouver quarante années de cumul de mandats entrecoupées de peine d'inéligibilité ?
Au cas où vous seriez nommé membre du Conseil constitutionnel, quelle serait votre position sur la dérive autoritaire et donc sur la loi « anticasseurs » – en fait, une loi anti-manifestants – que vous auriez à examiner après avoir vécu, comme maire, quatorze semaines durant, des manifestations sans précédent ?
C'est un macroniste toujours très attentif et respectueux des juppéistes, y compris leur chef de file, qui aimerait connaître, monsieur le Premier ministre, votre conception de la séparation des pouvoirs dont le Conseil constitutionnel est garant. Le Parlement vote la loi, contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques, et son pouvoir a été renforcé par la révision constitutionnelle de 2008. Quel est votre sentiment sur les modalités et les limites du pouvoir de contrôle de l'action du Gouvernement ? Quand on parle de « Gouvernement » au titre de l'article 24 de la Constitution, inclut-on, selon vous, le Président de la République ? Lorsqu'on évoque « l'action du Gouvernement », y intègre-t-on l'organisation du Gouvernement ?
Sur l'adaptation des conditions de saisine du Conseil constitutionnel à l'éventuelle réduction du nombres de députés, il me paraîtrait logique et réaliste, si la révision constitutionnelle aboutit, de faire une règle de trois et de permettre la saisine par quarante députés. Non seulement je n'ai aucune réserve à ce sujet, mais je pense qu'il faut aller dans ce sens ; c'est toutefois au législateur de se prononcer.
Revenir ou ne pas revenir sur l'inversion du calendrier des élections présidentielle et législative est aussi une décision qui relève du législateur. Si j'étais favorable, à l'époque, à la réforme, c'était pour une raison de fond : je n'aimais guère le principe de la cohabitation. J'ai aimé la cohabitation avec François Mitterrand ; j'étais alors ministre des Affaires étrangères et il est de notoriété publique que nous nous sommes bien entendus. Mais je trouve navrant qu'un Président de la République soit contraint de mettre en oeuvre, en promulguant les lois, une politique qui n'est pas la sienne ; ce n'est pas très sain sur le plan démocratique. Pour cette raison, le quinquennat puis la succession des élections présidentielle et législative me paraissaient aller dans la bonne direction. Puis, comme pour toutes les réformes, on s'aperçoit à la longue qu'elle comporte des effets négatifs. Faut-il la corriger ? La réponse appartient au constituant et au législateur, pas au Conseil constitutionnel.
Je ne vois pas pourquoi le Conseil ne publierait pas l'avis qu'il rend sur le décret d'organisation d'un référendum. Au nom de quoi pourrait-on refuser cette publicité, qui serait un progrès pour la transparence démocratique ?
Je vous remercie, monsieur Ciotti, d'avoir rappelé notre long compagnonnage. Vous m'avez interrogé sur l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Vous comprendrez que je ne me prononce pas sur des décisions d'annulation récentes, puisque je n'étais pas, à cette époque, membre du Conseil. Je vous renverrai plutôt à ce que j'ai écrit dans mon livre Pour un État fort : je pense que l'exigence de sauvegarde de l'ordre public doit être aussi forte que beaucoup d'autres principes constitutionnels, et que l'évolution des textes doit aller avec l'évolution des risques et des menaces qui, hélas, sont très fortes.
Je suis un peu moins sévère que vous avez semblé l'être sur le principe de fraternité. C'est une belle idée de respecter la devise de la République dans son intégralité, sans l'amputer, et que le Conseil constitutionnel se prononce aussi au regard du principe fondamental de fraternité. Dans la décision qu'il a prise sur le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le point de vue du Conseil est équilibré, me semble-t-il, puisqu'il n'annule la disposition que lorsqu'elle s'applique à l'aide aux étrangers en situation irrégulière – étant déjà en France, ils doivent pouvoir bénéficier, sous certaines conditions, de solidarité humanitaire – non à l'aide à leur entrée sur le territoire.
Philippe Vigier m'a demandé si l'idée d'élargir la saisine du Conseil constitutionnel aux groupes politiques me choque. Je ne sais pas. Je n'y vois pas d'inconvénient de principe mais, anticipant mes possibles fonctions ultérieures, je redoute l'embouteillage du Conseil…
J'en viens au principe de différenciation des territoires. La République est une et indivisible, et je ne suis pas fédéraliste ; je l'ai dit plusieurs fois, aussi à certains de mes collègues d'Aquitaine. Mais je pense que tenir compte des différences de situations et donner au principe d'expérimentation déjà inscrit dans la Constitution toute sa force pour permettre cette différenciation, sous des réserves et dans un cadre à fixer, pourrait être une bonne idée.
Certaines des dispositions de la charte de l'environnement qui créent des droits et des libertés sont d'application immédiate, d'autres sont des constats ou fixent des objectifs à atteindre. Le Conseil constitutionnel considère donc qu'une médiation législative est nécessaire avant de pouvoir leur donner tout à fait leur force juridique. C'est ce qu'il a jugé au sujet du principe de précaution, qui doit être décliné dans un texte permettant l'examen par le Conseil constitutionnel.
Votre remarque, monsieur Peu, est tout à fait justifiée et je comprends parfaitement votre indignation. Sachez toutefois que j'ai pris la précaution, à chaque fois que je me suis exprimé, de préciser « sous réserve de l'avis de la commission des Lois ». Mais, étant donné le fonctionnement des médias, les réserves sont rarement répercutées. Après que l'annonce de la proposition de ma nomination a eu lieu – et ce n'est pas moi qui l'ai faite mais le président de l'Assemblée nationale –, je ne pouvais rester inerte et ne pas dire aux Bordelais ce qui se passerait si cette proposition était confirmée. Mais je le répète, j'ai pris soin de toujours spécifier « si la décision est confirmée », et je ressens un peu de stress en attendant le vote de votre Commission ; vous ne me croyez pas, mais c'est la vérité.
Le Conseil constitutionnel doit-il devenir une « troisième cour suprême » ? Outre que nous en avons déjà deux, ce qui suffit, la cour suprême n'est pas dans la culture des pays européens. Ce n'est pas exactement répondre à votre question, mais il me semble que la création d'une cour suprême unique remettrait en cause la séparation de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire dans le fonctionnement des pouvoirs publics, et je ne suis pas certain que la nation ait besoin d'un séisme supplémentaire. Je pense que le Conseil constitutionnel joue bien son rôle, et il faut évidemment s'assurer qu'il continuera de le faire.
Sur les mouvements sociaux, comme sur tout autre sujet, je m'efforcerai évidemment à la neutralité si je siège au Conseil constitutionnel lors de l'examen de certaines dispositions législatives.
La tonalité de l'intervention de M. Prud'homme ne m'a pas surpris, mais ses contradictions, si. Dire que Bordeaux est un Neuilly où la pauvreté explose est une sorte de contradiction dans les termes. Quant à savoir ce que la ville va devenir, c'est très simple : il y a bientôt des élections municipales, et sa circonscription étant pour partie sur le territoire de la ville de Bordeaux, il aura tout loisir de solliciter la confiance de ses concitoyens.
Faut-il étendre le contrôle du Parlement sur l'action du Président de la République m'a demandé M. Didier Paris ? La Constitution doit être respectée. Que le Parlement contrôle l'action du Gouvernement, oui, c'est une de ses missions fondamentales et il faut lui en donner les moyens. Que certains corps de contrôle des grands ministères soient mis à la disposition du Parlement comme l'est déjà la Cour des comptes, pourquoi pas ? Je n'ai aucune réticence sur le renforcement de cette mission essentielle du Parlement, à égalité avec la fabrication de la loi.
Le droit local en Moselle et en Alsace, héritage de l'Histoire, conjugue les lois françaises antérieures à 1870, les lois adoptées par l'Empire allemand pendant la période 1871-1918 et des dispositions spécifiques adoptées après le retour à la France. Il participe de l'identité des Mosellans, qui y sont très attachés. Seriez-vous favorable à l'inscription de cette spécificité dans la Constitution et, plus globalement, à davantage d'autonomie des collectivités locales ?
Monsieur le Premier ministre, je ne suis pas spécialement juppéiste, mais je tends à penser qu'avoir ou non cette orientation politique importe peu pour juger si vous êtes apte à siéger utilement pour notre pays dans un Conseil constitutionnel dont je salue le rôle, et en particulier la décision récente qui fait vivre le principe de fraternité, peut-être insuffisamment évoqué dans notre système juridictionnel.
J'ai cru comprendre de la réponse que vous avez faite à la question qui vous a été posée que le Conseil pouvait rester en phase avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne, même s'il n'y a pas de relation directe entre ces structures.
Selon vous, le Conseil constitutionnel doit-il veiller au respect des droits des groupes d'opposition consacrés par les règlements des deux assemblées, groupes d'opposition dont la situation nous semble parfois un peu faible ?
Ma question concerne les dispositions constitutionnelles relatives aux finances publiques. En dépit d'une reprise économique, on constate depuis dix-huit mois une importante dérive des déficits publics. La réforme de 2008 avait introduit dans la Constitution l'objectif de retour à l'équilibre des finances publiques. Vous devrez vous prononcer sur les lois de finances à venir ; à votre sens, à partir de quel moment estimera-t-on enfin que la dérive va trop loin et que les principes constitutionnels sont bafoués ? D'autre part, après la réforme touchant la fiscalité professionnelle unique et bien d'autres mesures, la réforme de la taxe d'habitation porte une atteinte supplémentaire aux ressources et à l'autonomie financière des collectivités locales. À quel moment, à ce sujet aussi, fixez-vous la barre pour estimer que trop c'est trop et que l'on assiste à la mise sous tutelle des collectivités par l'État et le Gouvernement ?
Ma question, monsieur Juppé, porte sur une affaire qui nous occupe médiatiquement et politiquement : les turpitudes de M. Benalla. Certains membres de l'exécutif semblent déplorer l'attitude du Sénat, l'accusant de remettre en cause la séparation des pouvoir. M. Griveaux, porte-parole du Gouvernement, a même dit que ce n'est pas le rôle des parlementaires de s'immiscer dans l'action de l'exécutif. Vous venez pourtant de rappeler que c'est le rôle du Parlement de contrôler l'action du Gouvernement, et de l'exécutif par extension. Pensez-vous que la commission d'enquête du Sénat sur l'affaire Benalla était en quelque sorte inconstitutionnelle ou qu'elle a méconnu la Constitution, ou qu'elle a au contraire agi dans la continuité de la tradition du contrôle parlementaire de l'action de l'exécutif ?
Les collectivités territoriales sont l'un des éléments constitutifs de l'organisation des institutions françaises et elles jouissent du droit constitutionnel de libre administration des collectivités, un droit que le pouvoir central a la tendance récurrente de vouloir réduire. Comment, selon vous, le Conseil peut-il garantir ce droit constitutionnel ? La question vaut notamment pour l'autonomie financière et fiscale des collectivités. La décision du Conseil de 2004 a fixé le degré d'autonomie financière et fiscale au regard de la situation en 2003. Pour tous les spécialistes de ces questions, cela est bien peu ambitieux pour un État respectueux de ses collectivités territoriales, d'autant que, chacun le sait, depuis 2003, l'autonomie financière des collectivités territoriales s'est largement dégradée.
Enfin, la France est signataire de la Charte européenne de l'autonomie locale, dont l'article 5 établit que les collectivités territoriales doivent être consultées préalablement à toute modification des limites territoriales locales. Cette disposition a été largement méprisée par le Conseil constitutionnel en 2015 lors de la création des grandes régions. Comment entendez-vous mieux faire respecter ce principe de valeur constitutionnelle ?
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez dit que vos anciennes fonctions d'élu local auraient une incidence sur la manière dont vous aborderez les questions au Conseil constitutionnel. Qu'entendez-vous par là ? Que peut apporter cette richesse du terrain – bien que, ai-je cru comprendre, vous soyez plutôt jacobin que girondin ?
Je crois savoir que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le droit local d'Alsace-Moselle est constante : il considère ce droit comme parfaitement compatible avec la Constitution et estime qu'il ne doit pas être remis en cause, sauf extension le cas échéant. Faut-il l'inscrire dans la Constitution ? Il ne revient pas au Conseil d'en décider mais au constituant ou au législateur.
L'une des missions du Conseil constitutionnel est bien de veiller aux droits de l'opposition puisque les Règlements des assemblées parlementaires lui sont automatiquement soumis avant leur mise en application. Il exerce donc son contrôle sur ce point. L'extension, en 1974, de la saisine du Conseil à soixante députés ou soixante sénateurs a été un droit nouveau, de fait utilisé essentiellement par l'opposition.
L'équilibre des dépenses publiques est un principe constitutionnel, l'article 34 de la Constitution prévoyant que la loi doit aller dans le sens de l'équilibre des comptes des administrations publiques. Ce principe est-il suffisamment mis en oeuvre ? Le débat sur la réduction des dépenses échappe largement à la compétence du Conseil constitutionnel. Pour la taxe d'habitation, le Conseil a jugé que sa suppression par étapes était compatible avec le principe de libre administration des collectivités locales parce qu'il y a dégrèvement, donc prise en charge totale par l'État, parce qu'il n'y a pas modification des bases de l'impôt, et parce que la collectivité peut augmenter les taux au-delà de cette mesure. Je suis incapable de dire ce qui se passera ensuite et quelles ressources fiscales seront substituées à la taxe d'habitation.
M. Bernalicis, vous comprendrez que je ne me mêlerai évidemment pas à un débat qui est essentiellement politique, même s'il peut comporter des aspects institutionnels relatifs à la séparation des pouvoirs.
M. Schellenberger a mentionné la diminution de l'autonomie financière des collectivités locales. Je vous dirai à ce sujet, dans une brève rétrospective de mes fonctions de maire, que la part des ressources de ma métropole provenant des dotations est passée en quelques années de 34 % à 17 % du total de ses ressources ; c'est un séisme budgétaire qui s'est produit. Le Conseil constitutionnel a cherché à concilier les principes de libre administration des collectivités locales et de maîtrise des dépenses publiques. Il a jugé que la contractualisation des dépenses avec l'État était acceptable parce que les critères adoptés étaient appropriés. Premièrement, le pourcentage de 1,2 % retenu se réfère à la réalité des années précédentes – il ne rompt donc pas avec l'évolution des dépenses des collectivités territoriales. D'autre part, parce que le taux de croissance annuel des dépenses de fonctionnement retenu pour chaque collectivité peut être modulé pour tenir compte de plusieurs paramètres, la croissance démographique par exemple – on est ainsi monté à 1,35 % dans ma collectivité. Ensuite, parce que la retenue éventuelle, en cas de non-respect du contrat, est limitée à 2 % des recettes propres de la collectivité. Enfin parce qu'elle donne lieu, s'il y a contentieux, à un débat contradictoire. Pour ces raisons, le Conseil constitutionnel a validé la disposition. Mais il est évident que l'on ne peut aller au-delà de de cet équilibre.
Oui, il fallait consulter les collectivités locales avant de modifier les limites territoriales locales. Les instruments de coopération intercommunale et la loi le prévoient, et il faudra évidemment faire respecter ce principe.
M. Rebeyrotte m'a jugé jacobin, mais je suis devenu de plus en plus girondin au fil du temps. Si j'ai dit que mon expérience d'élu local peut être utile, c'est d'abord parce que l'on reproche vigoureusement aux élus enfermés dans les donjons de l'Élysée, de Matignon ou des ministères d'être complètement coupés des réalités. L'expérience d'élu local assure que l'on n'est pas coupé des réalités, et cela peut être utile dans l'appréciation du droit et dans la mise en oeuvre de certaines dispositions législatives. D'autre part, cette expérience a quelque peu assoupli mon comportement. Il m'est arrivé d'être parfois un peu raide ; on me l'a reproché. Quand on est obligé de gérer une collectivité avec vingt-huit maires, il faut avoir le sens du dialogue et du consensus, mais aussi de la décision. C'est tout l'art du bon gouvernement local : concilier le besoin de concertation et le fait qu'un moment vient où quelqu'un décide. Voilà ce que mon expérience peut apporter aux délibérations du Conseil constitutionnel.
Monsieur le Premier ministre, je vous remercie pour la qualité et pour la sincérité de vos réponses.
Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l'article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Alain Juppé en qualité de membre du Conseil constitutionnel. Elle procède ensuite au dépouillement.
Voici le résultat du scrutin auquel il a été procédé sur la proposition de nomination de M. Alain Juppé :
Nombre de votants : 27
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 2
Suffrages exprimés : 25
Avis favorables : 21
Avis défavorables : 4
La Commission auditionne M. Jacques Mézard, dont la nomination est proposée par le Président de la République en qualité de membre du Conseil constitutionnel (M. Olivier Marleix, rapporteur
Nous allons maintenant procéder à l'audition de M. Jacques Mézard, dont la nomination à la fonction de membre du Conseil constitutionnel est proposée par le Président de la République. Le rapporteur souhaitant intervenir en sa présence je demande aux agents de bien vouloir accompagner M. Mézard à sa place.
Monsieur le ministre, bienvenue à la commission des Lois de l'Assemblée nationale. Cette audition succède à celle du Sénat et, à son issue, nous pourrons procéder à un dépouillement simultané.
M. Olivier Marleix a été nommé rapporteur pour la commission des Lois au nom du groupe Les Républicains. Il vous a adressé un questionnaire auquel vous avez répondu et qui a été communiqué à l'ensemble des commissaires aux lois. Après son intervention liminaire et votre propos introductif, ils vous poseront les questions que justifie votre proposition de nomination.
Il me revient de rapporter la proposition du Président de la République de nommer M. Jacques Mézard au Conseil constitutionnel en remplacement de M. Michel Charasse. Les articles 13 et 56 de la Constitution disposent que les commissions aux Lois des deux assemblées donnent leur avis sur cette proposition. Puisque vous venez d'être auditionné par le Sénat, nous procéderons au dépouillement du scrutin de manière simultanée pour ne pas prendre le risque d'être influencés par la commission des Lois du Sénat, à laquelle vous avez appartenu.
Comme je l'ai rappelé lors de l'audition de M. Alain Juppé, ce droit de nos assemblées d'émettre un avis sur les nominations aux plus hautes fonctions a été introduit par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, à l'initiative du président Sarkozy, dans une logique de renforcement des pouvoirs du Parlement.
En proposant de vous nommer, le Président de la République a choisi un homme politique au parcours local puis national, mais aussi, ce que le grand public ignore – sauf dans le Cantal –, un professionnel du droit. Vous avez commencé votre carrière comme enseignant en droit civil à l'université de Paris I dans l'équipe de l'éminent professeur Jean-Denis Bredin ; en tant que responsable syndical étudiant, vous avez été vice-président de l'université de Paris II, vice-président de l'unité d'enseignement et de recherche (UER) en sciences criminelles. Vous avez également siégé plusieurs années au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), été avocat au barreau de Paris, puis, à partir de 1977, à celui, non moins prestigieux, d'Aurillac. Vous avez exercé pendant trente-sept ans la profession d'avocat : c'est donc bien ce qui constitue l'essentiel de votre parcours professionnel, l'essentiel de votre vie, au regard des neuf années durant lesquelles vous avez siégé au Sénat. Cette pratique professionnelle du droit sera utile au sein du Conseil constitutionnel qui s'est fortement affirmé comme un organe juridictionnel, avec l'introduction en 2008 de la question prioritaire de constitutionnalité.
Élu municipal depuis 1983, conseiller général durant quatorze ans, président de la communauté d'agglomération d'Aurillac de 2001 à 2017, vous avez une longue expérience des collectivités territoriales. Élu au Sénat en 2008, vous avez présidé le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) – pour faire plus court, le groupe radical, mais pas seulement – de 2011 à 2017. Vous y avez acquis l'expérience de la collégialité, de la modération, de l'indépendance, autant de qualités dont se nourrit par construction, le Conseil constitutionnel. Oserai-je y ajouter l'ardeur au travail et le bon sens des Cantaliens ?
En neuf ans seulement à la commission des Lois du Sénat, vous avez été un parlementaire extrêmement actif. Vous avez été à l'initiative de nombreuses propositions de loi, l'auteur de nombreux rapports législatifs et d'information et rapporteur de deux commissions d'enquête : rapporteur notamment du projet de loi relatif à la sécurité et la lutte contre terrorisme de 2012, rapporteur de la proposition de loi relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen des condamnations pénales définitives, président de la mission d'information sénatoriale sur les conséquences pour les collectivités territoriales et pour l'État de la suppression de la taxe professionnelle en 2011, ou encore rapporteur de la commission d'enquête sur les autorités administratives indépendantes. Je n'ai pas besoin de rappeler les fonctions ministérielles que vous avez exercées depuis 2017 comme ministre de l'Agriculture puis comme ministre de la Cohésion des territoires.
Je vous remercie de cette présentation, fidèle aux faits et assortie d'éloges dont ne ne sais si je les mérite tous.
Le Président de la République m'a fait l'honneur de me proposer, sous réserve de la validation par votre commission des Lois, pour être membre du Conseil constitutionnel. J'ai mesuré cet honneur. Ce faisant, il nomme un parlementaire, un sénateur, choix qui, dans les turbulences du jour, est aussi, je crois, un message de confiance envers le Parlement. J'en suis donc particulièrement honoré.
Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé ce qu'a été ma vie professionnelle et publique. Avec mon collègue François Pillet, nommé par le président du Sénat, nous avons pu lire ou entendre dans quelques médias que ce n'était pas bien d'envoyer au Conseil constitutionnel des sénateurs, et non des juristes. Je suis arrivé à la faculté de droit de Paris en 1965, j'avais dix-sept ans ; j'y suis resté onze ans, comme étudiant à Paris II et comme enseignant à Paris I. Puis, après avoir été inscrit pendant cinq ans au barreau de Paris, je suis revenu dans le beau département du Cantal exercer cette profession jusqu'à mon élection au Sénat. J'ai pris alors la décision de démissionner du barreau. Ces trente-sept ans d'activité professionnelle me donnent, je crois, une certaine connaissance au moins de la pratique du droit. Je passe sur mon expérience au CNESER, qui m'a donné une vision de l'université. Certes, ce n'est pas parce qu'on pratique le droit qu'on est forcément un juriste exceptionnel. Mais je crois connaître le droit. Pour autant, pour exercer les fonctions dont nous parlons, il ne faut pas forcément être un juriste. Ce n'est pas parce que le Parlement vote la loi qu'il ne doit être composé que de juristes. Au Conseil constitutionnel, il importe d'avoir une connaissance du droit, mais tout autant d'avoir un certain nombre d'expériences, et cela vaut pour les collectivités comme pour le Parlement. Je suis convaincu que la diversité des expériences est chose utile. Je ne sais pas si j'avais une vocation à devenir sage – l'avenir le dira –, une vocation à entrer dans le monde du silence après avoir parlé, aux barreaux puis au Parlement, beaucoup, peut-être trop, mais en tout cas je crois à la valeur de l'expérience.
J'ai été aussi, et suis encore pour quelque temps, un élu local, élu municipal en 1983, conseiller général pendant quatorze ans jusqu'à mon élection au Sénat dans un canton mi-urbain mi-rural, président du conseil de la communauté d'agglomération du bassin d'Aurillac de 2001 à 2017, autant d'années de contact avec nos concitoyens. Ces mandats, je les ai beaucoup aimés en raison de cette proximité, et de la capacité de décider, de faire bouger un territoire. Par rapport à ce que l'on peut entendre depuis quelques mois, je crois beaucoup à la vertu de la démocratie représentative, qui est pour moi une valeur fondamentale de la vie en République.
Ces années d'expérience, là où je vais, ont leur importance. Parler des biens de section d'une commune, cela concerne la vie quotidienne de quelques dizaines de milliers de nos concitoyens ; parler de l'eau, de l'assainissement, des déchets, du logement – le député Stéphane Peu le sait –, c'est une expérience utile. Au Sénat, effectivement, j'ai beaucoup travaillé, peut-être discrètement, en présidant, pendant six ans, le groupe du Rassemblement démocratique social et européen – le « groupe radical », avez-vous dit dans un raccourci, « mais pas seulement ». C'est le plus ancien groupe parlementaire de la République et il y a constamment eu en son sein des partisans du gouvernement en place, quel qu'il soit, et de l'opposition en place, quelle qu'elle soit. Ce n'est pas une formule que je propose pour tous les groupes, mais elle permet d'être à l'écoute, de respecter, d'entendre des avis divergents, et parfois d'ailleurs d'être convaincu. En effet, j'ai toujours, dans ma vie politique, été libre, indépendant et fidèle à mes convictions. Dans le serment qu'on prononce pour devenir juge constitutionnnel, figure le mot impartialité. Impartialité, indépendance, respect des différentes sensibilités, sont les maîtres mots. La loi a pour finalité première d'organiser les relations entre les hommes. Si j'entends les difficultés, les souffrances de nombre de nos concitoyens, j'aime réaffirmer que notre pays a beaucoup d'atouts, de qualités. Je dis souvent à mes concitoyens : oui, vous avez raison, il faut qu'on essaie de faire mieux, faire autre chose. Mais nous avons la chance d'habiter dans ce pays avec des traditions de liberté, de liberté d'expression, de démocratie que finalement peu de pays ont à un tel degré.
Notre Constitution se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au préambule de la Constitution de 1946, à la Charte de l'environnement, à des grands principes profondément modernes. C'est cela que le Conseil constitutionnel préserve et continuera à préserver, cette adéquation de la loi avec ces principes qui font l'honneur de notre pays. C'est en tout cas la manière dont j'envisage le travail au Conseil constitutionnel, avec beaucoup d'humilité. Je n'ai pas exercé des fonctions aussi éminentes que M. Juppé, mais des fonctions suffisamment diverses pour être constamment dans l'échange avec nos concitoyens. Mais être à l'écoute ne veut pas dire être toujours d'accord. Il faut souvent aussi dire non, car cela souligne également la capacité du responsable politique.
Enfin, comme sénateur, j'ai été l'auteur de vingt-quatre rapports dont ceux de deux commissions d'enquête, l'une sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé, l'autre sur les autorités administratives indépendantes. Ce dernier a débouché sur une loi, à laquelle nous avons travaillé avec M Warsmann et que, au terme d'un long chemin, nous avons réussi à faire voter.
Je commencerai par trois questions.
En premier lieu, dans le questionnaire que je vous ai fait parvenir, figuraient des critiques à peine déguisées de ma part sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de cavaliers législatifs et de respect de la règle de l'entonnoir, qui constitue une limitation de l'initiative parlementaire, laquelle me semble pourtant déjà modeste depuis 1958. Si les choses suivent leur cours, vous aurez probablement à vous prononcer sur une loi organique modifiant les pouvoirs du Parlement et les Règlements de chacune des assemblées. Actuellement, parmi les parlements bicaméraux, nous sommes celui qui légifère le plus rapidement. Encore le délai, jugé long par certains, l'est-il essentiellement du fait de l'encombrement du calendrier législatif, organisé par le Gouvernement, et certainement pas du fait de bavardages inutiles du Parlement, qui peuvent être aujourd'hui parfaitement maîtrisés par la procédure du temps programmé. Croyez-vous sincèrement, monsieur le ministre, que l'époque soit encore à rationaliser un peu plus le Parlement ?
En second lieu, je vous avais aussi interrogé par écrit sur les études d'impact des projets de loi, dont l'exigence a été posée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Or le Conseil constitutionnel se limite aujourd'hui à vérifier l'existence formelle de ladite étude mais non sa pertinence et son adéquation aux enjeux du texte. Il me semble qu'il s'agit pourtant d'un élément précieux d'aide à la décision. Je crois comprendre, à la lecture de votre réponse, qu'il vous est arrivé de partager ce sentiment. Comment, à votre avis, le Conseil constitutionnel pourrait-il aller au-delà d'un contrôle purement formel ?
Enfin, il est régulièrement question d'une réduction du nombre de députés et de sénateurs. Dans un rapport pour notre commission des Lois, j'ai souligné que cette réduction se conciliait mal avec la volonté exprimée de mieux représenter les minorités. Le Conseil constitutionnel a érigé en principe à valeur constitutionnelle et réaffirmé dans ses décisions du 11 janvier 1990 et du 3 avril 2003 le respect du pluralisme des courants d'idées et d'opinions. Il me semble qu'avec des groupes parlementaires réduits par exemple à dix députés à l'Assemblée nationale, l'exercice effectif du mandat et l'expression du pluralisme seront plus difficiles. L'ancien président du groupe RDSE, largement plus puissant il est vrai, avec vingt sénateurs, peut-il nous dire s'il partage cette préoccupation ?
S'agissant des cavaliers législatifs et de la règle de l'entonnoir, monsieur le rapporteur, il ne vous a pas échappé que les positions du Conseil constitutionnel ont évolué au fil des années, jusqu'à parvenir à une solution très différente de celle des années 1980. Pour ma part, je suis parlementaire, je présidais un groupe : je suis attaché au droit d'amendement. Récemment, j'ai eu l'honneur de défendre devant vous la loi dite ELAN, qui a fait l'objet d'une commission mixte paritaire (CMP) dont les conclusions ont été votées par la majorité de l'Assemblée et par la majorité sénatoriale, ce qui n'est pas très fréquent. Ici, plus de 3 000 amendements avaient été déposés. J'ai dit, cela ne me choque pas, que c'est la liberté du Parlement. Cela ne signifie pas que le Parlement ne doive pas évoluer pour tenir compte d'un certain nombre de reproches de nos concitoyens sur la loi « bavarde », « difficilement lisible ». Il arrive que tel projet de loi, qui tient en quelques dizaines d'articles à son dépôt, en compte quelques centaines après son passage au Parlement ! Je suis de ceux qui considèrent que nous devons faire des efforts dans ce domaine.
Mais votre question porte plus précisément sur les cavaliers législatifs, c'est-à-dire le rapport direct ou indirect qu'un amendement a avec le texte, ce qui peut donner lieu à des interprétations. On perçoit ces dernier temps une attitude restrictive à ce sujet, et beaucoup de sénateurs partagent votre réaction. Le principal problème à mes yeux est de ne pouvoir déposer, après une lecture par les deux assemblées, d'amendement nouveau même s'il a un lien direct ou indirect avec le sujet. Là-dessus, il faut être moins rigoureux et revenir au système initial.
Sur les études d'impact, il m'est arrivé, dans mon action de parlementaire, de saisir le Conseil constitutionnel. Il m'a parfois donné raison, parfois non. Si une étude d'impact n'est qu'une caution pour le texte, sans apporter aux parlementaires les éléments objectifs scientifiques, juridiques, nécessaires pour prendre les bonnes décisions, c'est gênant. En 2014 – c'était une première –, sur la base de l'article 29 du Règlement du Sénat, j'avais, avec Jean-Claude Gaudin, président du groupe qui est devenu celui des Républicains, demandé que la Conférence des présidents du Sénat refuse d'inscrire à l'ordre du jour le projet de loi relatif à la fusion de régions, considérant que l'étude d'impact n'était pas suffisante. La Conférence des présidents nous avait suivis, mais le Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre, avait rendu le 1er juillet 2014 une décision qui ne nous donnait pas satisfaction, en raison de l'existence formelle de l'étude d'impact. Je pense que nous devons progresser dans ce domaine, essentiel pour la qualité du travail parlementaire.
S'agissant enfin de la réduction du nombre de députés et de sénateurs, vous soulignez qu'un petit groupe parlementaire doit pourtant étudier le même nombre de projets qu'un grand groupe, et ce n'est pas toujours facile. Je n'ai jamais été un défenseur de la réduction systématique du nombre des parlementaires. Lors des élections présidentielles, nombre de candidats, de sensibilité différente, avaient fait cette proposition. On peut réduire le nombre d'élus, il ne faut pas non plus être se bloquer sur des chiffres. Mais il faut tenir compte de la difficulté que vous avez soulevée concernant le fonctionnement des groupes, et aussi du problème de représentation des territoires. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, combinant l'écart maximum de 20 % toléré entre la population de chaque circonscription et la population moyenne, et le renoncement à la nécessité d'avoir deux députés par département pourrait aboutir à ce qu'un département n'ait plus de parlementaire. À mes yeux, ce serait tout à fait dommageable.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé avec humilité votre longue carrière d'élu local au service des territoires et finalement de la République. Si, comme je vous le souhaite, vous siégez au Conseil constitutionnel, vous aurez à vous prononcer sur l'utilisation de l'article 45 de la Constitution, que vous avez connu et subi comme parlementaire ou ministre. S'agissant notament des cavaliers législatifs, quelle sera, si le cas se présente, votre interprétation ? Ce peut être aussi l'objet de discussions en notre sein, et Mme la présidente a été hier l'objet d'un recours suspensif imaginaire sur l'exercice de ses prérogatives. Comment appréhendez-vous une évolution éventuelle de la doctrine du Conseil constitutionnel ?
Alain Tourret a posé à Alain Juppé une question que j'avais moi-même posée à Laurent Fabius, il y a quelques années – nous avons de la suite dans les idées : le Conseil constitutionnel a pour mission, au titre de l'article 60 de la Constitution, de veiller à la régularité des opérations référendaires. À ce titre, il est saisi sur le projet de décret par lequel le Président de la République décide de soumettre une question au référendum, sur l'intitulé de la question et sur la date de consultation. Pour l'instant, son avis n'est pas publié. Alain Juppé nous a indiqué qu'il était favorable à ce qu'il le soit. Quelle est votre position ?
Ensuite, quelle lecture faites-vous de l'article 11 s'agissant de la faculté ou pas qu'a le Président de la République de soumettre à référendum des dispositions législatives à caractère organique ?
Enfin, une disposition législative assez méconnue a été codifiée en 2013 par l'article L. 558-45 du code électoral. Il dispose que « lorsque plusieurs référendums sont organisés le même jour, il est mis à disposition des électeurs des bulletins de vote imprimés sur papier blanc, permettant de répondre à chaque question posée par la réponse : oui ou non ». On peut donc tenir plusieurs référendums le même jour, – non pas, évidemment, un référendum « QCM », il ne s'agit pas d'un jeu télévisé ! – mais la loi permet de poser plusieurs questions sur un même bulletin. À ma connaissance, il y a pas de précédent et ma question reste très ouverte : si le pouvoir exécutif allait dans ce sens, quelle serait la nature du contrôle du Conseil constitutionnel sur le décret organisant un tel référendum multiple ?
Monsieur le ministre, nous avons en effet travaillé ensemble sur les autorités administratives indépendantes. Nous nous heurtions à un mur, nous l'avons fait tomber par la transparence. Grâce à ce texte, les rémunérations des présidents de ces autorités ont été rendues publiques. Aussi, lorsque la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) n'a pas voulu faire son travail, la population a pu savoir sa rémunération. J'en tire comme leçon que, si l'on ne peut pas réguler les choses entièrement, la première étape, c'est toujours la transparence, l'étape suivante étant le contrôle du peuple. En l'espèce, si je me souviens bien, monsieur le ministre, si l'on vous avait écouté, cette Commission n'aurait pas été une autorité administrative indépendante.
Ensuite, si le Président de la République vous a trouvé un certain nombre de qualités, il en est une sur laquelle je veux insister : vous êtes un élu, et au moment où une partie de la France se sent peu représentée, il est utile qu'un élu qui a fait tout son parcours politique dans un département rural qui perd de la population soit mis en avant.
Enfin, vous connaissez assez le travail parlementaire pour que je ne répète pas les chiffres que j'ai cités lors de l'audition d'Alain Juppé. Le Parlement est malade, l'Assemblée nationale plus encore peut-être que le Sénat ; la qualité de la loi est dégradée, le nombre d'amendements a explosé, les lois sont de plus en plus bavardes. Le Conseil ne peut pas tout, mais il examine les règlements des assemblées, il prend un certain nombre de décisions. Depuis la décision du 21 avril 2005 relative à l'intelligibilité de la loi, rendue à propos de la loi « Fillon » sur l'école, il reste des progrès à faire. Monsieur le futur membre du Conseil constitutionnel, aidez-nous à essayer de restaurer davantage de qualité dans la production législative, dans l'intérêt de nos concitoyens.
En tant que parlementaires, nous sommes très attachés au fait de laisser les collectivités territoriales s'administrer librement dans les meilleures conditions possible. D'ailleurs, le groupe de La République en Marche avait prévu, dans sa proposition de révision constitutionnelle, de consacrer le droit à la différenciation des territoires. Élue de la Moselle, je suis très attachée au droit local. Nous aimerions le faire figurer dans la Constitution. Quelle est votre position à ce sujet ?
Sans avoir la même ancienneté parlementaire qu'Alain Tourret ou Guillaume Larrivé, j'ai été le porte-parole d'un groupe d'opposition sur un projet de loi que vous défendiez. Je peux témoigner du respect que vous avez manifesté pour le travail du Parlement et pour les oppositions. J'ai même cru déceler chez vous un certain doute sur la procédure du temps programmé, appliquée à cette occasion par le Président de l'Assemblée, au détriment du temps de parole des groupes d'opposition.
Je vous pose maitenant la question que j'ai posée précédemment : pensez-vous, à l'instar de Jean-Louis Debré, que l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) lors de la révision constitutionnelle de 2008 fasse évoluer le Conseil constitutionnel vers une troisième cour suprême de notre République ? Dans ce cas, ne faudrait-il pas nommer ses membres selon des critères plus juridiques et plus professionnels, donc peut-être moins politiques ? La question vous épargne à titre personnel, pusique vous avez les qualifications requises.
Enfin, je vous soumets un cas très concret. Dans le projet de loi dit PACTE figure la privatisation d'Aéroports de Paris, qui pose une question constitutionnelle. Cette disposition fera probablement l'objet d'un recours. Vous étiez ministre du Gouvernement qui a déposé ce projet, vous serez membre du Conseil constitutionnel quand il sera saisi d'un recours. Envisagez-vous de vous déporter ou non ?
Monsieur Questel, j'ai en partie répondu au rapporteur sur l'article 45 et les cavaliers législatifs. S'il s'agit d'accepter des amendements sur des propositions nouvelles après la première lecture, cela peut s'entendre dès lors qu'ils ont un lien direct ou indirect avec le texte. En revanche, quand le vote des deux assemblées, positif ou négatif, a été concordant, que la question est donc tranchée, je ne pense pas opportun d'y revenir.
Monsieur Larrivé, je suis tout à fait favorable à ce que l'avis du Conseil sur la régularité des opérations référendaires puisse être publié. En revanche, il ne faut rien changer au secret des délibérations. En prêtant serment, les membres du Conseil s'engagent à le respecter. Pour avoir eu, en tant qu'avocat le plus ancien, à compléter le tribunal, j'en sais bien la valeur.
Vous évoquez ce que serait le contrôle du Conseil constitutionnel sur le décret portant organisation de plusieurs référendums le même jour – hypothèse peu probable, d'après tout ce que j'ai pu lire. Comme l'a rappelé dans une interview récente le président du Conseil constitutionnel, celui-ci doit veiller à ce que les dispositions du référendum soient conformes aux articles 11 et 89 de la Constitution, donc veiller à ce que la question corresponde à la lettre de la Constitution, et respecte en particulier les règles qui définissent quel type de questions peuvent être posées sur l'organisation des pouvoirs publics ou sur les questions internationales.
Monsieur Warsmann, vous me demandez de vous aider à restaurer l'image de la démocratie représentative. Je vous ai dit d'emblée combien j'y crois. Cela n'exclut pas le recours à d'autres moyens d'expression des concitoyens, mais elle est essentielle à mes yeux. Elle est d'ailleurs issue de nos principes fondamentaux, et en particulier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il faut la maintenir – la restaurer, dites-vous. C'est là un devoir, une ambition pour nous tous, à tous les niveaux. Face aux critiques que l'on entend souvent contre les élus nationaux mais aussi locaux de nos 36 000 communes, dont la majorité assurent à titre bénévole le lien de proximité avec nos concitoyens, il faut avoir le courage de dire que la démocratie représentative a des qualités. Il est regrettable que, parfois, des élus eux-mêmes ne la défendent pas. Quant à l'idée que le tirage au sort pourrait remplacer l'élection, je ne pense pas que ce soit une avancée démocratique.
Madame Zannier, vous évoquez la constitutionnalisation du droit local d'Alsace-Moselle. Je l'ai dit, on peut me convaincre. Je suis tout à fait en faveur de la différenciation des territoires – encore hier au Sénat je défendais en ce sens une proposition de loi sur la mobilité qui a été adoptée à une très large majorité. Mais la constitutionnalisation du droit local, j'y suis moins favorable. La République est indivisible. Même en reconnaissant la nécessité de respecter la diversité des territoires, notre tradition politique est quand même un peu jacobine. La différenciation, oui ; sur la constitutionnalisation, il appartiendra au législateur de trancher.
Monsieur Peu, vous avez bien voulu rappeler que, dans de récents débats, nous avons su batailler de façon respectueuse ; je me permets de rappeler à mon tour que vous avez pu utiliser une partie de temps de parole du Gouvernement pour compenser ce que vous perdiez dans le cadre du temps programmé. C'était bien ainsi, car il faut que chaque sensibilité puisse vraiment s'exprimer.
À la suite de l'introduction des QPC, le Conseil constitutionnel a manifestement un rôle juridictionnel important, nul ne le conteste. Pour autant, et je l'ai écrit en réponse au questionnaire du rapporteur, je ne suis pas favorable à sa transformation en Cour suprême. La tradition anglo-saxonne n'est pas la nôtre. Nous avons un Conseil d'État, une Cour de cassation, leurs relations fonctionnent bien et le Tribunal des conflits est très rarement saisi, ce qui prouve qu'on est parvenu à un bon équilibre.
Sur Aéroports de Paris, à question précise, réponse précise : j'aurai à me déporter comme ancien membre du Gouvernement, et d'autant plus que j'étais membre du Sénat lorsqu'il a voté le projet de loi PACTE – il vous suffira de vérifier quel fut mon vote.
Lors de l'audition précédente, notre collègue Jean Terlier se félicitait que des juppéistes se soient convertis au macronisme. Pour ma part, je me fécilite que certains radicaux se soient mis « en marche ».
Monsieur le ministre, vous avez un long passé d'élu local, les grands électeurs qui vous ont porté au Sénat sont des élus locaux et, au Sénat, la défense ardente des collectivités locales fut votre marque de fabrique. Élu de province, vous connaissez la réalité du quotidien de bon nombre de nos concitoyens qui vivent hors des métropoles. Comment comptez-vous utiliser cette expérience dans vos nouvelles fonctions ? La différenciation est un véritable enjeu, car on ne peut pas légiférer pour les métropoles comme pour les territoires les plus reculés de notre République. Nous avons besoin d'être accompagnés par les plus hautes instances dans le cadre de ces travaux qui sont indispensables pour la bonne cohésion de notre pays.
Les sujets que vous pourriez avoir à traiter en tant que membre du Conseil constitutionnel peuvent toucher à la valeur de la Charte de l'environnement. Pour vous, est-elle la même que celle de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? Le principe de précaution, qui a pris une grande part dans l'appréciation des textes, a-t-il vocation à limiter le droit de propriété ou la liberté d'entreprendre ?
Stéphane Mazars a posé la question que je souhaitais vous poser. Cet après-midi, on nous propose de nommer au Conseil consitutionnel des élus locaux de premier plan et nous y sommes extrêmement sensibles. Vous avez dit que, sur la différenciation des territoires, votre expérience d'élu local pouvait avoir une influence importante. Pour élargir la question, est-ce que, sur d'autres aspects, voire dans votre manière d'organiser votre travail au sein du Conseil constitutionnel, le fait d'avoir exercé pendant longtemps des responsabilités au plus près du terrain peut avoir une influence ?
Monsieur le ministre, c'est incontestablement un élu d'expérience qui va aller siéger au Conseil constitutionnel. Ayant été pendant trente-six ans maire de ma commune, je sais la valeur de cette expérience acquise dans les postes que vous avez occupés dans ce cher département du Cantal.
Par ailleurs, vous connaissez très bien les autorités administratives indépendantes. Sur la base de votre réflexion dans ce domaine, est-ce que vous préconiseriez ou soutiendriez la possibilité de saisine autonome du Conseil contitutionnel ?
Merci de votre indulgence, madame la présidente.
L'article 11 de la Constitution donne au Président de la République la faculté de soumettre au référendum « tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale, environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
Pensez-vous que cet article permet au Président de la République de soumettre au référendum un projet de loi constitutionnelle ? Ce fut le cas en 1962, lorsque le général de Gaulle a fait adopter par référendum le projet de loi constitutionnelle relatif à l'élection du Président de la République.
D'autre part, lui permet-il selon vous de soumettre au référendum un projet de loi organique, pour autant naturellement qu'il soit dans le champ matériel de l'article 11 ? Ce n'est pas expressément prévu ni exclu. Quelle est votre appréciation sur cette possibilité ?
Une dernière question : la connaissance que vous avez eue, par votre participation au Gouvernement et votre mandat de sénateur, d'un certain nombre de textes récents susceptibles d'être soumis au Conseil constitutionnel, soit sur saisine de parlementaires, soit par QPC, ne vous obligera-t-elle pas à vous déporter assez fréquemment et ne nuira-t-elle pas à l'exercice de vos fonctions ?
Monsieur Mazars, en effet, mon expérience de la vie des collectivités territoriales depuis 1983 est importante dans nombre de domaines. Avoir la charge d'exécutifs locaux met directement en contact avec les problèmes du quotidien. Je ne reviens pas sur les textes votés il y a quelques années relatifs au mandat de député pour un élu local, je me suis suffisamment exprimé là-dessus à l'époque. Cette expérience du concret, du quotidien de nos concitoyens est un acquis. D'ailleurs, beaucoup de QPC ont un lien direct ou indirect avec ce que j'ai pu connaître dans ma vie d'élu local. J'ai mentionné les biens de section. Certes, ce n'est pas un sujet fondamental, mais il vient de faire l'objet d'une QPC. Je serai obligé de me déporter, puisque je suis l'auteur de la loi sur les biens de section. En tout cas, je reste convaincu de l'utilité d'expériences diverses au sein des grandes institutions.
Madame Pau-Langevin, notre Constitution se réfère à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au Préambule de la Constitution de 1946, avec ses aspects sociaux sur le droit du travail, sur le droit syndical, et tout aussi expréssement à la Charte de l'environnement. Quant au rapport entre principe de précaution et droit de propriété, on doit constamment chercher un équilibre dans la concertation. Parfois, l'application de deux grands principes nous plonge dans une contradiction – sur la liberté individuelle et l'ordre public, sur le principe de précaution et le droit de propriété. Il faut parvenir à un équilibre et c'est ce à quoi je m'emploie, modestement.
J'ai déjà répondu sur les collectivités territoriales. La question s'est posée, monsieur Tourret, de savoir si le Défenseur des droits, les autorités administratives indépendantes ou les autorités publiques indépendantes pourraient saisir directement le Conseil constitutionnel. Je le dis très clairement, je n'y suis pas favorable. Une autorité doit pouvoir prendre des décisions. Il en reste quelques-unes qui sont des autorités administratives mais qui ne prennent pas de décisions – ou, quand elles en prennent, ces décisions sont susceptibles de recours, lequel recours peut mener à une QPC. Je n'y suis pas du tout favorable.
Monsieur Larrivé, le référendum est une question qui vous motive ! Ne me demandez pas de parler de ce qui s'est passé en 1962. Parmi les grandes figures qui ont beaucoup compté pour moi, il y a Clemenceau mais aussi le président Gaston Monnerville. Je ne voudrais pas vous donner lecture des discours du président Monnerville en 1962 et en 1969 lorsqu'il avait démissionné de la présidence du Sénat pour aller porter sur le terrain le combat qui était le nôtre.
Quant à un référendum sur une loi organique, je pense que c'est possible, assurément.
Madame la présidente, mon activité ministérielle, qui a duré dix-sept mois, s'est terminée le 16 octobre 2018. Si cela devait créer des difficultés à propos de questions sur les textes législatifs débattus pendant cette période, je n'hésiterais pas à me déporter. Mais le déport n'est pas obligatoire et, naturellement, j'en parlerais au président et aux membres du Conseil. Il faut savoir faire la part des choses, il y a des textes sur lesquels le déport n'est pas obligé.
Merci pour l'ensemble de vos réponses. Je vais donc vous inviter à vous retirer pour que nous puissions procéder aux opérations de vote.
Délibérant à huis clos, la Commission procède au vote par scrutin secret, en application de l'article 29-1 du Règlement, sur la nomination de M. Jacques Mézard en qualité de membre du Conseil constitutionnel. Elle procède ensuite, simultanément à la commission des Lois du Sénat, au dépouillement.
Voici le résultat du scrutin auquel il a été procédé sur la proposition de nomination de M. Jacques Mézard :
Nombre de votants : 16
Bulletins blancs, nuls ou abstentions : 2
Suffrages exprimés : 14
Avis favorables : 13
Avis défavorables : 1
La réunion s'achève à 18 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Éric Ciotti, M. Jean-François Eliaou, M. Raphaël Gauvain, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Guillaume Larrivé, M. Olivier Marleix, M. Stéphane Mazars, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, M. Éric Poulliat, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier
Excusés. - Mme Huguette Bello, Mme Coralie Dubost, Mme Paula Forteza, Mme Marietta Karamanli, M. Gilles Le Gendre, Mme Maina Sage, M. Arnaud Viala, M. Guillaume Vuilletet
Assistaient également à la réunion. - M. Ian Boucard, Mme Dominique David, M. Fabien Di Filippo, M. Pierre-Henri Dumont, M. Yannick Favennec Becot, Mme Annie Genevard, M. Loïc Prud'homme, M. Philippe Vigier