Intervention de Alain Juppé

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Alain Juppé :

De mon point de vue, je l'ai dit, la mise en oeuvre de la QPC depuis mars 2010 est plutôt un succès. C'est une garantie supplémentaire donnée à nos citoyens de voir mieux protégés leurs libertés et droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la Constitution. Faut-il modifier le mécanisme de filtrage ? Je considère que ce dispositif fonctionne plutôt bien, mais peut-être y a-t-il des choses à resserrer en première instance. Le juge du premier degré doit vérifier que la question est sérieuse, puis le Conseil d'État ou la Cour de cassation, selon l'ordre de juridiction, examine si le texte attaqué est bien en relation avec le contentieux et si ce texte n'a pas fait l'objet d'une validation par le Conseil constitutionnel. Je sais que la Cour de cassation et le Conseil d'État ont un peu traîné les pieds quand cette réforme a été mise en oeuvre, mais les choses sont maintenant régularisées. Le Conseil d'État a examiné au cours du dernier exercice 250 demandes de QPC et n'en a transmis qu'une cinquantaine au Conseil constitutionnel ; le filtrage nécessaire a donc eu lieu. Même si des améliorations peuvent être apportées, les choses fonctionnent. Confier au Conseil constitutionnel lui-même le filtrage de ces demandes serait tout à fait contreproductif, puisqu'il n'a que neuf membres. Le président Fabius a annoncé que le dixième anniversaire de la mise en oeuvre de la QPC, en 2020, serait l'occasion d'une réflexion sur le fonctionnement du dispositif et les améliorations éventuelles à lui apporter. Attendez peut-être les conclusions de cette réflexion prochaine.

Mme Untermaier m'a demandé quel avis je porte sur l'extension de l'obligation de déclaration de patrimoine et d'intérêts aux membres du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a refusé de s'y plier parce qu'il a estimé que c'était un cavalier législatif, donc davantage pour une raison de forme que de fond. Je ne vois pas au nom de quoi les membres du Conseil constitutionnel s'exonéreraient d'une règle qui concourt à la transparence de la vie politique – et l'on sait combien est forte l'exigence de nos concitoyens dans ce domaine. J'appelle simplement votre attention sur le fait que la course à l'échalote en matière de transparence n'a jamais de limites : plus on fait, plus il faut faire. Mais il faut appliquer ce qui a été décidé, et je serai quoi qu'il en soit tenu de remplir une déclaration de patrimoine en quittant mon mandat de maire, dans les jours qui viennent.

Vous serez sans doute d'accord avec moi, monsieur Larrivé, pour estimer – ce n'était d'ailleurs pas l'objet de votre question – que sortir de la Convention européenne des droits de l'homme serait un acte qu'aucune formation politique, en tout cas pas celle avec laquelle j'ai le plus d'affinités, n'assumerait. Mais vous avez raison, notre Conseil constitutionnel ne doit pas devenir une sorte de chambre d'enregistrement. Les choses sont compliquées parce que, je l'ai dit tout à l'heure, les délais de jugement du Conseil constitutionnel ont des effets structurants. Faire une question préjudicielle en déclaration de conformité dans le délai d'un mois n'est pas possible, car la Cour européenne ne se prononcera pas en un mois ; il en va de même en cas de QPC. Il faut donc trouver d'autres modalités. Je sais que le Conseil constitutionnel suit attentivement la jurisprudence de la Cour pour essayer d'anticiper ou de s'y adapter, mais cette question demandera effectivement à être approfondie.

Bien entendu, monsieur Poulliat, l'esprit de Montesquieu, sur lequel j'ai écrit un jour un petit livre intitulé Montesquieu, le moderne, devait régner au Conseil constitutionnel. Non seulement la séparation des pouvoirs est l'une des références du Conseil constitutionnel, mais Montesquieu a fait l'éloge appuyé du principe de modération, expliquant que la modération n'est ni la lâcheté ni la facilité. On voit par les temps qui courent ce qu'est, au contraire, la facilité : l'expression de points de vue extrêmes par la violence, à laquelle on se livre, hélas, de plus en plus souvent, et pas uniquement sur les réseaux sociaux. La recherche d'un point d'équilibre, d'une position raisonnable, du principe de modération est, à mon avis, une des marques de fabrique de notre République, sans doute du Conseil constitutionnel, peut-être de la ville de Bordeaux, sauf en ce moment le samedi après-midi, ce qui me navre.

M. Warsmann a mentionné l'année 1995. Sans refaire l'histoire, je rappellerai que, cette année-là, un million de personnes étaient dans la rue mais que les manifestations étaient encadrées par Force ouvrière et la CGT. Cela vous surprendra peut-être, mais cela m'a considérablement facilité les choses, parce que j'avais des interlocuteurs et que, lorsque nous nous sommes mis autour de la table pour trouver un accord, nous l'avons trouvé. D'autre part, toutes les réformes n'ont pas été abandonnées ; en particulier, la réforme de l'assurance maladie a été menée à bien au printemps 1996 par le regretté Jacques Barrot.

Pour le reste, vous imagineriez sans doute mal qu'une personne qui est en train de suivre la procédure de nomination au Conseil constitutionnel porte un point de vue négatif sur les institutions de la Cinquième République. Si j'en suis nommé membre, je serai là pour les défendre, pour les appliquer en tout cas, et elles me paraissent bien résister aux turbulences que nous connaissons.

Sur la proportionnelle, je préfère ne pas donner mon sentiment personnel mais vous inviter à réfléchir à un point. On dit toujours de la proportionnelle qu'elle est plus démocratique que le scrutin majoritaire. Mais que s'est-il passé en Allemagne ? Avant l'élection législative, tant le SPD que la CDU-CSU avaient pris l'engagement de ne plus gouverner ensemble ; six mois plus tard, ils gouvernaient en tandem. En Italie, on ne peut pas dire que la campagne électorale ait révélé un accord profond entre le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue du Nord ; pourtant, au terme des élections, ils se retrouvent ensemble. Ce n'est donc pas une solution miraculeuse.

S'agissant enfin du fonctionnement du Parlement, je vous ai dit ce que je pense du droit d'amendement et de la nécessité de veiller davantage à la production législative et à sa qualité, ce qui relève essentiellement du Parlement et non du Conseil constitutionnel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.