Monsieur Juppé, depuis l'annonce de votre départ de Bordeaux pour le conseil des sages, le jeu de chaises musicales pour votre succession fait autant de bruit que les dents des ambitieux qui rayent le parquet du Palais Rohan. Tandis que dans cette ambiance feutrée vos amis, déconnectés de la réalité des Bordelais, se disputent le pouvoir, dehors, les laissés-pour-compte de votre idéologie battent le pavé chaque samedi depuis quatorze semaines. C'est une ville excluante que vous nous laissez, monsieur Juppé, une sorte de Neuilly-sur-Garonne, une ville endettée où la pauvreté et les inégalités explosent, où il est impossible de se loger, où les transports en commun sont saturés. D'un Neuilly à l'autre, vous voilà peut-être bientôt gardien d'une Constitution censée unir le peuple tout entier – gilets jaunes et gilets de tweed réunis en quelque sorte. Il est assez cocasse, par ailleurs, alors que vous condamnez les premiers, que les casiers judiciaires des seconds soient plus fournis – c'est sans doute la preuve par l'exemple. Une interrogation me taraude : pour postuler à votre succession à Bordeaux, doit-on faire valoir la même connaissance de la justice de notre pays, notamment du côté des condamnés ? Faut-il, pour se déclarer candidat, présenter une batterie de casseroles et prouver quarante années de cumul de mandats entrecoupées de peine d'inéligibilité ?
Au cas où vous seriez nommé membre du Conseil constitutionnel, quelle serait votre position sur la dérive autoritaire et donc sur la loi « anticasseurs » – en fait, une loi anti-manifestants – que vous auriez à examiner après avoir vécu, comme maire, quatorze semaines durant, des manifestations sans précédent ?