Intervention de Professeur Gérard Mourou

Réunion du jeudi 14 février 2019 à 9h40
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Professeur Gérard Mourou, prix Nobel de physique 2018 :

– Tout à fait.

Je vous propose d'évoquer maintenant le concept qui nous permet d'obtenir, avec des lasers, des puissances considérables. Nous parlons de puissances de l'ordre du Pétawatt. Le Pétawatt (PW) équivaut à 1 000 fois la puissance de la grille mondiale électrique, c'est-à-dire la somme de toutes les unités produisant de l'électricité dans le monde, représentant quelques Térawatts. Bien sûr, nous trichons un peu, car le Térawatt de la grille est constant alors que notre Pétawatt dure quelques femtosecondes, soit un milliardième de millionième de seconde. Pendant un temps si court, la lumière ne se déplace seulement que de quelques microns. C'est donc extrêmement rapide. Cette astuce nous permet d'obtenir des puissances considérables, puisque la puissance est l'énergie divisée par le temps. Même avec une énergie modeste de quelques joules, nous délivrons cette énergie en quelques femtosecondes, ce qui permet d'obtenir des puissances immenses.

Pour produire cette grande puissance, nous avons dû trouver un stratagème. C'est la Chirped Pulse Amplification (technique dite CPA), qui a permis d'extraire l'énergie dans le matériau laser de façon très satisfaisante, et pendant des temps très brefs. Auparavant, nous étions limités à des puissances un million de fois plus faibles. Cette avancée a donc représenté un bond gigantesque, initié par Donna et moi-même en 1985. Avec le laser, il est possible de focaliser cette puissance sur quelques microns, et donc d'obtenir des pressions de radiation absolument considérables, correspondant au poids de millions de Tour Eiffel sur l'équivalent de la surface d'un doigt.

La lumière extrême fournit les intensités les plus élevées, les champs électriques les plus grands, les pressions les plus importantes, les accélérations les plus rapides et les températures les plus élevées. Elle est une source universelle de particules et de radiations de haute énergie.

Le CPA est désormais utilisé partout dans le monde pour produire des impulsions de très grande puissance. Je suis très heureux, cependant, que ces lasers de grande puissance ne soient pas utilisables à des fins militaires. En effet, les impulsions sont extrêmement brèves, alors que les militaires sont intéressés par des impulsions de longue durée. Nous produisons beaucoup d'énergie, mais elle est délivrée en un temps très bref. C'est la raison pour laquelle le domaine de la lumière extrême a rencontré l'engouement immédiat des universités.

Le laser a été inventé par Charles Townes, et démontré le 16 mai 1960. Très rapidement, des puissances assez élevées ont été obtenues, avant de constater, à partir de 1965, que l'on rencontrait un plateau. Les puissances de l'époque permettaient notamment l'ablation de matériaux. En 1985, avec l'apparition du CPA, la puissance a pu croître de façon significative pour passer à des zones nouvelles de la physique, où l'interaction laser-matière change profondément. La zone qui nous intéresse, correspondant à l'accélération des particules, est jaune sur le schéma projeté (cf. annexe). Nous souhaitons aller encore plus loin, vers un domaine où la lumière interagit avec le vide. Je suis persuadé que nous atteindrons ces intensités encore plus élevées dans quelques années, et que nous pourrons jouer un rôle important dans le domaine de la physique des particules. Toutefois, un certain nombre de questions ne sont toujours pas résolues, notamment celle de savoir comment la lumière se propage dans le vide.

Toujours est-il qu'en 1985, avec Donna Strickland, nous avons donc démontré le concept de CPA. Précédemment, en 1979, Toshiki Tajima avait inventé un concept pour l'accélération de particules, nécessitant de disposer d'intensités très élevées. Son invention est demeurée inutilisée jusqu'à la fin des années 1980, lorsque le Naval Research Laboratory de Washington a réuni mon concept et celui de Tajima. Ainsi a démarré le domaine de l'accélération des particules par laser, qui s'est considérablement étendu aujourd'hui.

Je présente ici un jet de gaz banal (de l'ordre de quelques millimètres de diamètre), sur lequel est focalisé le laser ultra-intense. Le gaz sera ionisé, en séparant les ions et les électrons. Avec la pression de radiation, une onde plasma sera ainsi créée, sur laquelle les électrons pourront « surfer ». De ce fait, sur des petites distances de l'ordre du centimètre, les particules seront accélérées au niveau d'énergie de l'ordre du GeV (giga électronvolt). Pour donner un ordre de grandeur, le synchrotron SOLEIL est un anneau de 354 mètres, dont les particules se déplacent à 3 GeV. Pour nous, il faut seulement quelques centimètres pour atteindre ces mêmes 3 GeV.

Avec Toshiki Tajima et Sydney Galès, nous travaillons encore sur ces concepts, afin d'aboutir à l'accélération de particules dans les solides. Dans ce domaine, les perspectives pourraient produire le TeV sur un centimètre. Par conséquent, les perspectives sont immenses. Je n'en parlerai cependant pas plus avant, pour me cantonner aujourd'hui au GeV, niveau d'énergie des accélérateurs de bonne taille.

Il est possible d'accélérer toutes les particules de façon très efficace sur de petites dimensions. Ces particules pourraient ainsi être produites avec un laser relativement compact. Dans le domaine de la médecine, les applications pourraient concerner la proton-thérapie, qui constitue aujourd'hui l'une des thérapies les plus prometteuses et avancées, mais encore trop onéreuse du fait de la taille des installations qu'elle nécessite. Avec le laser, il serait possible de produire des protons sur des dimensions convenables, en réduisant substantiellement les coûts et en permettant de multiplier les installations.

En pharmacologie, les bénéfices seraient également immenses. En effet, les isotopes pourraient par exemple être produits sur place, à l'hôpital, au lieu de l'être dans un réacteur à des kilomètres de distance. Le rêve serait même de produire ces matériaux au chevet du patient.

Dans le domaine qui nous intéresse, la possibilité d'utiliser les lasers et de produire les particules pour la transmutation des déchets représenterait également un pas très important pour l'humanité.

Un diagramme est projeté (cf. annexe).

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