Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du mardi 5 mars 2019 à 21h30
Débat sur la judiciarisation et la criminalisation de l'action militante

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Personnellement, j'ai toujours milité. J'ai défendu le droit des étudiants à l'université, il y a de cela quelques années, dans le cadre d'un syndicat étudiant. Plus tard, j'ai milité dans un syndicat de salariés et participé à de nombreuses manifestations. Devenu avocat, j'ai continué d'être syndiqué et de manifester, notamment à chaque fois que les libertés individuelles étaient en jeu. J'ai défendu mes convictions dans des associations luttant pour les droits de l'homme et, encore aujourd'hui, pour l'accueil des migrants ou le soutien à des mineurs délinquants. Puis j'ai eu un engagement plus politique pour peser sur le destin de notre pays. J'ai aussi été confronté pendant plus de trente ans, dans ma profession, à l'application de la loi et à la défense de ceux qui n'ont plus de voix.

Judiciarisation ? Le mot m'interroge. Criminalisation ? Le mot m'inquiète. Ces termes sont manifestement hors sujet dans la mesure où jamais un militant ne saurait être accusé de crime quand il agit dans le cadre militant, sauf à ce qu'il commette un crime, détachable de toute action militante : alors seulement serait-il possible de parler de criminalisation. Attention, dans un débat comme celui-ci, à ne pas exacerber des sentiments, des émotions ou des combats politiques qui, chemin faisant, nous projetteraient dans une discussion sans nuance, dont rien d'utile pour notre société ne sortirait.

Après cette mise au point sémantique, reconnaissons aussi que face au désespoir, à la désillusion et à la perte de toute perspective d'avenir, l'action militante a pu déboucher sur la judiciarisation de certains actes. Mais, en pareilles circonstances, il nous faut savoir invoquer les circonstances atténuantes. Force est de constater qu'il se dégage des textes récemment soumis à notre assemblée une atmosphère, un climat incitant le Gouvernement à présumer que chaque militant ou chaque manifestant présente un risque de commettre des actes répréhensibles lorsqu'il manifeste. Attention au règne du soupçon où tous les militants seraient suspects ! Pour qu'il y ait un crime, encore faut-il qu'il y ait la réunion de deux éléments : un élément intentionnel et un élément matériel. L'on a tendance à oublier ce principe fondamental de notre droit pénal, tout comme l'on porte atteinte à la liberté de manifester, pourtant inscrite dans nos libertés fondamentales.

Souvenons-nous aussi du débat sur le délit de solidarité. Comment une personne qui vient en aide à une autre, qu'elle considère en danger, peut-elle se retrouver devant les tribunaux ou être entraînée dans une procédure judiciaire qui sera forcément vécue comme très violente ? Alors que l'absence d'intervention est pénalement répréhensible, nous arriverions, par une dérive politique, à considérer que l'intervention est tout autant répréhensible. Que faire alors ? Choisir son infraction ?

Nous atteignons ici le comble de l'absurdité politique, guidée par des intérêts politiciens, au détriment des valeurs universelles que nous avons su défendre en d'autres temps. Je ne pointe pas là la responsabilité de tel ou tel dans cette mécanique de l'absurde. Je souligne simplement qu'à vouloir résoudre trop vite les questions relatives aux libertés individuelles dans notre pays, nous prenons le risque de le conduire vers un système qui les menace. Oui, vouloir incriminer avec précision tous les comportements des Français est malsain. Oui, il est dangereux de laisser une place à l'arbitraire ou aux arrière-pensées politiques dans la réglementation des manifestations, dans les motifs d'interpellation et dans l'opportunité des poursuites.

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