Intervention de Stéphane Peu

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 9h30
Augmenter le salaire minimum et les salaires en accompagnant les très petites les petites et les moyennes entreprises — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Trente années durant lesquelles la dérégulation du droit du travail n'a cessé de se renforcer au détriment de la protection de l'emploi. Le travail est ainsi devenu le grand perdant du partage des richesses.

La proposition de loi que je défends aujourd'hui avec mon groupe est une invitation à ouvrir un nouveau cycle de politique économique au service du progrès social. C'est pourquoi, avant d'entrer dans le détail, nous devons nous départir d'un certain nombre d'a priori ou d'idées reçues qui paralysent chaque jour le débat.

Première rectification indispensable : les cotisations sociales ne sont pas des charges qui pèseraient injustement sur les employeurs. Elles constituent des droits et des créances pour l'avenir, financés à la fois par les salariés et les employeurs. Désocialiser les salaires, ce n'est ni soutenir le travail, ni aider l'économie : cela revient uniquement à appauvrir la sécurité sociale. Convenons-en : le salaire net, c'est pour aujourd'hui, le salaire brut, c'est pour toute la vie !

Deuxième vérité à rappeler : l'augmentation du SMIC ne conduit pas à des destructions d'emplois. Les études ne confirment nullement les scénario catastrophiques qu'on nous annonce parfois. Les représentants de l'Observatoire français des conjonctures économiques – OFCE – que nous avons auditionnés ont clairement indiqué que les éventuelles destructions d'emplois ne sont absolument pas avérées. En revanche, l'effet d'une augmentation du SMIC sur l'activité est bien réel. Par un effet de diffusion, elle contribue à l'augmentation générale du niveau de vie et des salaires, comme de nombreux travaux économiques le démontrent. En alimentant la consommation des ménages, elle pourrait constituer le principal levier de relance de l'activité économique. Autrement dit, l'augmentation du SMIC est un facteur de croissance. Investir dans les salaires est donc un bon investissement, un investissement qui ne part ni dans la spéculation, ni dans les paradis fiscaux, mais qui participe à la relance de l'économie réelle.

Troisième remarque : le salaire ne peut pas être financé par l'impôt, comme le fait le Gouvernement avec l'augmentation de la prime d'activité. Le salaire est la reconnaissance de la contribution des travailleurs à la création de richesses. Les travailleurs ne demandent pas une allocation : ils veulent vivre dignement de leur travail. Seul un salarié au SMIC sur deux est concerné par votre revalorisation de la prime d'activité. Contrairement au salaire, cette prime n'ouvre aucun droit : elle ne se traduira pas dans l'évolution de la carrière des salariés ou dans leur qualification, et n'entrera pas non plus dans le calcul de leur retraite ou de leur indemnités de chômage. Suivre ce chemin, c'est déresponsabiliser les entreprises au profit des pouvoirs publics. Pourquoi les entreprises feraient-elles l'effort d'augmenter les salaires, si l'État augmente la prime d'activité à leur place ?

Quatrième observation : il faut en finir avec l'addiction française aux politiques d'allégements de cotisations patronales, qui sont au mieux inefficaces, au pire dangereuses pour les travailleurs enfermés dans des trappes à bas salaires. Comment ne pas s'interroger sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE – , dont l'efficience est plus fondée sur la croyance que sur les résultats réels ? Les rares évaluations dont nous disposons font état de 100 000 emplois créés ou sauvegardés. Si l'on considère les 20 milliards d'euros engagés chaque année dans cette politique, c'est une véritable gabegie d'argent public. Aucun gain n'a été constaté sur le terrain des exportations et de la compétitivité, qui constituaient pourtant des objectifs. Toutes les personnalités, tous les organismes de sensibilités diverses qui ont été entendus dans la préparation de cette proposition de loi, jusqu'à votre propre cabinet, madame la ministre du travail, s'accordent pour reconnaître l'échec du CICE. C'est dans ce contexte qu'intervient cette proposition de loi.

Deux leviers doivent être actionnés sans attendre. D'une part, il faut une augmentation immédiate et continue des salaires. Initiée au niveau du SMIC, qui atteindra avec notre proposition 1 800 euros bruts mensuels en 2022, cette augmentation irriguera progressivement l'ensemble de l'échelle des salaires, notamment grâce à l'ouverture obligatoire de négociations salariales dans chaque branche. D'autre part, il est indispensable de supprimer des dispositifs inefficaces tels que le CICE hier ou sa bascule en allégements de cotisations sociales patronales aujourd'hui. Cela permettra de responsabiliser les employeurs et d'en finir avec la double impasse de ces politiques, c'est-à-dire la création de trappes à bas salaires et leurs effets nocifs sur les comptes de la sécurité sociale. Tels sont les objectifs des articles 1er et 2.

Notre groupe fait également le pari de la responsabilité des entreprises et le choix d'un État qui reprend la main sur la question du partage des richesses dans notre pays. Les TPE-PME, qui sont les véritables poumons économiques de nos territoires, doivent donc être accompagnées dans la trajectoire d'augmentation des salaires. L'ère des financements et des aides publiques sans contrepartie doit être révolue. Nous voulons lui substituer, à l'inverse, des dispositifs de soutien ciblés et évalués, accompagnant les entreprises dans leurs investissements et les employeurs dans la sécurisation des parcours des salariés.

Deux outils dans notre proposition de loi y concourent. En premier lieu, le fonds de soutien aux TPE-PME, prévu à l'article 3, mobiliserait toute une palette d'outils afin de financer l'augmentation des salaires et d'assurer un développement économique durable. Des aides à l'innovation ou des prêts à taux nul ou préférentiel seraient ainsi financés par l'État à partir des financements rendus disponibles par la suppression de la bascule du CICE en allégement de cotisations. En second lieu, l'aide publique aux TPE-PME, créée à l'article 4, consisterait en subventions destinées à accompagner l'augmentation du SMIC et à encourager les embauches durables. Un employeur proposant un CDI à un salarié au terme de son CDD bénéficierait ainsi d'une aide complémentaire de 1 000 euros.

Précisons que le montant des aides proposées ne résulte pas du fruit du hasard : un chiffrage précis a été réalisé en amont du dépôt de cette proposition de loi, pour que les aides accompagnent le plus justement possible les petites entreprises, les commerçants et les artisans dans le processus de revalorisation du SMIC et des salaires.

Enfin, une attention particulière est portée aux territoires ultramarins, dont les atouts et les opportunités ne sont pas suffisamment valorisés faute de dispositifs adaptés.

Mes chers collègues, cette proposition de loi doit nous amener à ouvrir un nouveau cycle de répartition de la richesse créée, un cycle plus juste, plus équilibré, plus responsable. Les options que nous formulons ne sont ni excessives, ni clivantes : elles visent seulement à permettre à chacun de vivre de son travail. On ne peut pas continuer à déplorer la précarisation des travailleurs et une concentration toujours plus forte des richesses à l'autre bout du cycle. Nous devons passer aux actes !

Le Premier ministre a dit, il y a quelques semaines, en réponse à l'interpellation de notre président de groupe André Chassaigne qui l'interrogeait sur cette niche parlementaire : « Ayons le plaisir démocratique et l'exigence républicaine de débattre ensemble. » Je ne veux pas croire qu'après une telle déclaration d'amour pour le débat démocratique, votre majorité puisse être tentée de ne pas le conduire jusqu'au bout, d'autant plus qu'il porte sur une question que tous nos compatriotes ont en tête : faire en sorte que le travail paie enfin, et mettre un terme à la plus longue période de stagnation du pouvoir d'achat que notre pays ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale.

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