Intervention de Stéphane Peu

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 15h00
Augmenter le salaire minimum et les salaires en accompagnant les très petites les petites et les moyennes entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Sans répondre point par point à l'ensemble des orateurs, je voudrais au moins évoquer quatre idées, qui sont revenues dans plusieurs des interventions, dont celle de la ministre.

D'abord, l'idée que le SMIC et, d'une manière générale, les salaires seraient les ennemis de l'emploi et que l'un ne pourrait aller avec l'autre. Vous nous dites, chiffres à l'appui, qu'une augmentation du SMIC détruirait de l'emploi. Certains évoquent même plusieurs milliers d'emplois.

Tout cela n'est pas corroboré. Une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques, placée en annexe de mon rapport, que nous avons voulu sérieux et argumenté, indique qu'une augmentation du SMIC dans les conditions que nous proposons aurait des conséquences relativement minimes, « de l'épaisseur du trait ».

Certes, on peut faire parler des experts contre d'autres, mais on ne peut pas affirmer comme une vérité révélée qu'il y aurait une antinomie entre l'augmentation du SMIC et une politique dynamique en matière d'emploi.

J'ajoute qu'aucune de ces études ne prend en compte les effets positifs qu'aurait sur l'emploi la relance de la consommation induite par l'augmentation des bas salaires. Car lorsque les bas salaires ou le SMIC augmentent, ces revenus gagnent non pas les paradis fiscaux ou l'épargne immobile mais la consommation immédiate, donc l'économie réelle.

Cette affirmation, je le dis comme je le pense, est donc une facilité, qui ne nous permet pas de mener convenablement le débat sur le sujet.

Autres arguments que vous avancez, le CICE et ce qui est presque devenu une religion : la baisse du coût du travail. Soyons pragmatiques : quels sont les effets concrets du CICE ? Certains considèrent qu'une évaluation est prématurée. Néanmoins, France Stratégie, qui n'est pas une officine crypto-communiste mais un organisme placé auprès du Premier ministre, estime que le CICE est un échec en matière de création d'emplois : il relève seulement quelques emplois sauvegardés.

Le CICE représente une dépense publique de 111 milliards d'euros sans contrepartie, ni contrôle. Est-ce bien raisonnable ? Alors que les contrôles des chômeurs et des bénéficiaires des prestations sociales se multiplient, les 111 milliards distribués aux entreprises seraient dispensés de contrôle ? Ce n'est pas sérieux, ni correct.

S'agissant de la prime d'activité, vous avez peut-être remarqué que le mouvement des gilets jaunes adresse ses revendications en matière de pouvoir d'achat essentiellement à l'État et au Gouvernement. À certains égards, ce n'est pas normal. Plus la question du salaire échappe à la responsabilité de l'entreprise, plus vous la contournez en préférant augmenter la prime d'activité plutôt que le SMIC comme vous l'avez fait, plus vous favorisez la déresponsabilisation de l'entreprise. Plus vous liez le revenu non pas à la richesse produite dans l'entreprise mais à des allocations financées par l'argent public, plus vous entrez dans une logique d'assistance de l'entreprise par des fonds publics plus importants et non contrôlés, et plus vous déchargez l'entreprise de la responsabilité de la négociation salariale que vous avez, par vos lois, espacée de quatre ans au lieu de trois. Vous sortez ainsi ce débat de l'entreprise, le lieu où il devait se tenir, pour le mettre sur la place publique. Cela ne me semble pas une bonne chose.

Enfin, vous affirmez que le SMIC en France serait déjà élevé. Mais alors que notre pays est la deuxième puissance économique d'Europe, le SMIC français se classe seulement au cinquième rang européen. Il n'est pas à la hauteur de notre puissance économique.

Vous choisissez systématiquement les comparaisons qui vous arrangent et elles ne sont pas toujours sérieuses. Ainsi, vous citez le SMIC allemand. D'abord, l'Allemagne ne s'est convertie que récemment au SMIC devant le nombre de travailleurs pauvres et de contrats précaires que produisait son modèle économique. Le SMIC y est certes fixé à 50 % du salaire médian, contre 61 % en France, mais le niveau de salaire est bien plus élevé. Le SMIC allemand est donc très voisin du SMIC français. A contrario, au Portugal, le SMIC s'établit à 70 % du salaire médian, lequel est certes plus bas qu'en France. L'augmentation du SMIC portugais s'inscrivait dans une politique de la demande qui a produit des effets positifs significatifs sur l'emploi, à la différence de votre politique de l'offre qui est en échec.

Enfin, arrêtons-nous un instant sur la réalité sociale à laquelle renvoie le SMIC. Le SMIC est supérieur de 175 euros au seuil de pauvreté. Comment peut-on parler de valoriser et d'encourager le travail quand la rémunération de ce dernier est aussi faible ?

Notre proposition de loi se voulait – je parle déjà d'elle au passé car j'anticipe la motion de rejet préalable – , elle est sérieuse et étayée. Elle vise à ouvrir un débat indispensable, car depuis trente ans, on dit que le salaire est l'ennemi de l'emploi ; depuis trente ans, le chômage de masse a servi d'argument pour peser à la baisse sur les salaires. C'est la conscience de nos concitoyens de l'échec de ces politiques depuis trente ans qui les amène aujourd'hui à descendre dans la rue et à réclamer leur dû.

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