Intervention de Dominique Potier

Réunion du mardi 5 mars 2019 à 21h35
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Votre argumentaire contient un certain nombre d'assertions qui ne sont absolument pas démontrées.

La première concerne le niveau de sécurité sanitaire des pays vers lesquels nous exportons nos produits. L'existence même d'un État de droit, garantissant une sécurité alimentaire à la hauteur de ce que prévoit la réglementation européenne, n'est pas une évidence. J'ai eu l'occasion au cours de la précédente législature, dans le cadre de la mission « Ecophyto », de suivre de près la question de l'industrie pharmaceutique et de voyager dans l'océan Indien, notamment à La Réunion. J'ai pu y constater la réputation de la France en matière d'agronomie et de services vétérinaires : elle a peu d'équivalents et ce peut être une fierté française. Lorsque nous interdisons un produit en France, nous le faisons parce que nous avons un État de droit qui nous protège et des agences indépendantes. Ce n'est pas le cas partout et vous le savez très bien. La sécurité sanitaire n'est pas la même partout dans le monde. Faire preuve de fraternité humaine, c'est faire en sorte que ce que nous avons découvert grâce à la force de notre État de droit et à notre science puisse profiter à d'autres, au bout du monde.

Deuxièmement, lorsque vous évoquez l'impact économique de cette mesure, vous le faites d'une manière peu détaillée et peu documentée. Si vous tenez vos données de Bayer-Monsanto, il serait bon que nous disposions d'une contre-expertise. Nous souhaiterions connaître plus précisément les effets de cette mesure sur les 2 700 salariés que vous avez évoqués. Par ailleurs, vous ne dites rien de l'impact environnemental et sanitaire de ces exportations dans le monde. Or on ne peut pas évoquer l'impact économique d'une mesure sans mesurer, dans le même temps, son impact humain et environnemental. C'est une question de justice, mais aussi d'intérêt pour nous-mêmes : le désordre que nous créons au bout du monde sur le plan sanitaire et environnemental, la souffrance humaine que nous produisons dans des populations déjà fragiles, nous les paierons un jour, du fait de l'interdépendance dans laquelle nous sommes aujourd'hui. C'est donc un mauvais choix que nous faisons pour nous-mêmes et pour les générations à venir.

Enfin, vous n'avez rien dit du potentiel de transformation de Bayer-Monsanto, des bénéfices que cette entreprise a réalisés au cours des dernières années, ni de ses efforts de recapitalisation. Je connais bien cette société. Rien ne nous dit qu'elle ne dispose pas déjà de brevets et de solutions alternatives, dont elle retarde la commercialisation dans le seul but d'amortir d'anciennes molécules que notre législation, trop laxiste, lui permet encore d'exporter. Nous faisons preuve d'un défaut éthique majeur en la matière. Cette multinationale, comme d'autres multinationales de la chimie, a les moyens de s'engager dans la transition agroécologique dès aujourd'hui. Et ce qui est vrai pour nous est vrai ailleurs : je ne supporte pas que l'on prononce de grands discours, à la manière du One Planet Summit, que l'on parle de coopération avec l'Afrique et que, dans le même temps, on continue à déverser sur ce continent des produits que l'on interdit chez nous. Comme paysan, comme citoyen, comme être humain, je ressens cela comme une profonde injustice, et vos arguments me paraissent bien misérables, face à l'enjeu que nous sommes en train d'évoquer.

Nous devons évidemment tenir compte des 2 700 salariés qui travaillent en France et leur proposer une solution, mais renoncer sur cette question, ce serait vraiment désespérant.

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