Même si je suis rentré de Norfolk au mois de septembre 2018, je suis heureux d'avoir cette occasion de venir vous présenter ma vision de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de ses relations avec la France, mais aussi des opportunités qui s'offrent à la France et à l'Union européenne si nous agissons en bonne complémentarité avec l'Alliance atlantique.
Je propose de commencer en vous présentant ma vision de l'histoire de l'OTAN. Celle-ci se déroule en quatre phases distinctes : la Guerre froide, la chute du mur de Berlin, 2001 puis 2014.
La première période est née avec le traité de Washington en 1949. Durant la Guerre froide, l'OTAN s'est consacrée quasi essentiellement à sa mission principale du moment : la défense collective, avec notamment l'article 5 et une clause de solidarité qui stipule qu'une attaque contre un des alliés est une attaque contre tous.
La deuxième période est née avec la chute du mur de Berlin. L'OTAN a alors commencé à s'ouvrir à l'extérieur et ce, de deux façons : en accueillant dans ses rangs les pays de l'ex-bloc soviétique et en créant des partenariats avec des pays qui n'ont pas vocation à entrer dans l'Alliance. Si les initiatives en ce sens se sont multipliées depuis, la première a été le Partenariat pour la paix – dont la Russie est membre, ce qui fait officiellement d'elle un partenaire de l'OTAN, même si ce partenariat est aujourd'hui en sommeil du fait de la crise ukrainienne. Durant cette période, l'OTAN s'est consacrée à une deuxième mission, toujours valable aujourd'hui : la coopération en matière de sécurité – coopération avec des nations qui n'ont pas vocation à rejoindre l'OTAN. Aujourd'hui, l'Alliance compte 42 pays partenaires.
La troisième période a commencé avec le 11 septembre 2001. Pour la première fois, l'OTAN a déclenché l'article 5, pas pour une mission de défense collective mais suite à l'attaque contre New York. Cet événement a déclenché une remise en cause de l'OTAN, qui s'est alors recentrée sur une troisième mission : la gestion de crises extérieures dont la mission d'assistance en Afghanistan, qui est toujours d'actualité.
Au travers de ces trois périodes, l'OTAN a donc construit ses trois missions principales qui sont encore valables aujourd'hui : la défense collective, la coopération en matière de sécurité et la gestion des crises.
La quatrième période de l'histoire de l'OTAN a débuté en 2014, avec la crise ukrainienne. L'Alliance a alors considéré qu'elle s'était trop focalisée sur ses missions extérieures, en oubliant certains principes fondamentaux comme l'existence d'adversaires potentiels ou de menaces à ses frontières, qu'elles soient étatiques ou non-étatiques. Elle a alors reconnu que la Russie n'était pas un ennemi, c'est très clair, mais pouvait constituer une menace. L'OTAN a alors continué à se centrer sur ses trois missions, tout en renouant avec une défense collective forte.
S'est alors posée la question de savoir ce qui manquait à l'OTAN pour faire face à toutes les menaces, qu'il s'agisse de groupes terroristes ou de menaces étatiques, y compris à ses frontières – donc sans avoir le temps de se déployer. Alors que l'OTAN avait jusqu'ici un peu oublié cette notion de réactivité, un Plan pour la réactivité – Readiness Action Plan (RAP) – a été défini lors du sommet de Newport au Pays de Galles, en 2014. Ce plan marque le début de la prise de conscience qu'il faut être capable de réagir vite pour gérer une crise, quelle qu'elle soit. L'OTAN doit donc être capable de mener simultanément ses trois missions fondamentales. Mais mener en même temps ces trois missions fondamentales, qui sont de nature différente, dépasse largement ce que l'OTAN peut faire. J'y reviendrai, car cela explique les opportunités qui s'offrent à nous aujourd'hui, notamment des opportunités de coopération entre organisations internationales, notamment l'Union européenne et l'OTAN.
C'est dans ce contexte que je voudrais revenir brièvement sur le retour de la France dans la structure militaire intégrée. Ce retour avait commencé à être initié par les accords de Berlin dans les années 1990. La volonté, alors, consistait à développer des structures de commandement utilisables par l'Union européenne. À titre d'anecdote, j'ai rejoint la structure militaire intégrée de l'OTAN en 1999 alors que j'étais jeune colonel. La France n'était pas encore revenue dans l'OTAN, mais nous étions quelques officiers « insérés » pour faire suite aux dispositions des accords de Berlin plus prévoyant la création de structures multinationales pouvant être utilisées par l'Union européenne. Puis, en 2009, le président Sarkozy a décidé de réintégrer la structure militaire, hors Groupe des plans nucléaires. Ce processus avait commencé sous la présidence Mitterrand et a été poursuivi sous la présidence Chirac. Il n'a donc pas été le fait d'un seul président. En 2009, la France a décidé de revenir en prenant une place de premier plan. Celle-ci s'est illustrée par la prise de responsabilités dans un certain nombre d'états-majors de la structure de commandement, à commencer par l'un des deux commandements stratégiques de l'OTAN – le SACT, qui se trouve à Norfolk. Jusque-là, ces niveaux de poste de commandement stratégique avaient toujours été réservés à des Américains. La France est le premier pays non-américain, et le seul à ce jour, à avoir réussi à obtenir l'un des deux commandements stratégiques de l'OTAN. Aucun autre pays n'a jamais eu ce niveau de poste, qu'il s'agisse de l'Allemagne, du Royaume-Uni ou d'autres.
Par ailleurs, alors que l'on parle de retour dans la structure militaire intégrée, il existe une structure de commandement, laquelle est sous la direction de l'OTAN. En revanche, l'Alliance n'ayant pas de forces – ses forces restent des forces nationales – elle demande aux nations d'avoir une structure de forces capable d'opérer à des standards OTAN pour éventuellement pouvoir être mises, si la situation l'exige, sous commandement OTAN. Elles peuvent aussi être mises sous commandement de l'Union européenne. La structure de force est un élément important. Chaque pays a déclaré des forces capables d'agir pour l'OTAN. La France, pour sa part, en a déclaré trois : une composante capable de diriger des actions terrestres, une composante capable de diriger des opérations maritimes et une composante capable de diriger des opérations aériennes. Peu de pays ont cette capacité. La France a donc une position clé dans la structure de commandement de l'OTAN, mais aussi une position avantageuse dans sa structure de force, grâce à ses composantes nationales. Il est important de le noter, notamment dans cette vision d'un pays européen plus fort dans l'Alliance atlantique.
Par ailleurs, ainsi que je vous l'ai indiqué, lors du sommet de Newport de 2014 l'OTAN a renoué avec un haut niveau de réactivité en créant le RAP, et décidé d'accorder une plus grande importance à la défense collective. Ce sommet était une première initiative dans ce domaine. Mais pour moi, le réel sommet du XXIe siècle, qui est un sommet historique compte tenu des décisions qui ont été prises, est celui de Varsovie en 2016. L'OTAN y a confirmé non seulement la nécessité de faire face à tout type de menace, mais aussi la nécessaire réactivité des forces. Ce faisant, il a aussi réactivé le concept stratégique de 2010. Je le mentionne parce que l'OTAN est une organisation internationale qui actualise en permanence ses objectifs par des concepts stratégiques. Celui de 2010, dernier en date, a été réaffirmé lors des sommets de Varsovie en 2016 et de Bruxelles plus récemment. Ce concept confirme les trois tâches fondamentales dont je vous ai parlé – défense collective, coopération en matière de sécurité, gestion de crises – mais réaffirme aussi l'unité de l'Alliance. C'est très important au regard des menaces. Si certains pays focalisent naturellement leur regard vers la menace provenant de l'Est, comme les pays baltes ou la Pologne du fait de leur histoire et de leur population, d'autres voient comme menaces prioritaires toutes celles venant du Sud, notamment les menaces terroristes. La réconciliation entre ces pays nécessite toujours beaucoup de débat politique, notamment sur les moyens à mettre en place pour s'assurer que l'OTAN puisse faire face à une menace dite à 360 degrés, c'est-à-dire aussi bien venant de l'Est que venant du Sud. Cette réaffirmation de l'unité de l'Alliance est importante.
Plusieurs décisions ont été prises à Varsovie, notamment des mesures d'adaptation avec l'adoption et la poursuite du RAP, mais aussi le renforcement d'une posture de défense et de dissuasion. Je tiens ici à préciser que l'acception du terme « dissuasion » n'est pas la même pour l'OTAN que pour la France, laquelle le réserve à la dissuasion nucléaire. L'OTAN parle de dissuasion de façon large – comment dissuader les forces, étatiques ou non-étatiques, de venir nous attaquer. Pour autant, à Varsovie, l'OTAN a aussi renforcé la nécessité de renouer avec une forte défense nucléaire. C'était normal puisque, comme je vous l'ai dit, l'Alliance s'est recentrée sur sa mission de défense collective face un potentiel adversaire étatique qui est une grande puissance nucléaire. Elle a aussi réaffirmé la nécessité de développer une force anti-missiles, et décidé de déployer des forces armées – un bataillon – dans chacun des pays baltes et en Pologne. Une autre décision importante a été prise en 2016 : pour la première fois, les États-Unis et le Canada ont redéployé des forces armées à la frontière de l'Est.
L'OTAN décide aussi, à ce moment-là, de déclarer le cyberespace comme un domaine à part entière, de renforcer sa résilience et de prendre un certain nombre de mesures sur la projection de stabilité – qui correspond davantage aux missions du Sud – avec la création d'un hub pour le Sud. Implanté à Naples, celui-ci a pour but de mieux partager l'information entre tous les pays de la Méditerranée, ceux du Nord comme ceux du Sud. Il est également décidé de prolonger la mission en Afghanistan et de dessiner les contours du rôle du l'OTAN en assistance à un certain nombre de missions qui pourraient avoir lieu au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Méditerranée. Cela ouvre donc de nouvelles voies de partenariats.
Qui plus est, renforcé par le sommet de Bruxelles, celui de Varsovie insiste sur la coopération entre grandes organisations internationales. C'est à cette occasion qu'une déclaration commune avec l'Union européenne renforce la coopération dans six domaines : les opérations, les menaces hybrides, la sécurité maritime, les exercices, le cyberespace et le développement capacitaire. La coopération entre l'OTAN et l'Union européenne a toujours existé, mais du fait d'un certain nombre de pays qui n'appartiennent pas aux deux organisations, il y a toujours eu des limites politiques fortes et les coopérations se sont limitées aux travaux entre états-majors. Cette déclaration politique commune ouvre la voie sur les domaines que je viens de citer, ainsi qu'à une coopération extrêmement renforcée. C'est très intéressant, car cela nous a permis de bien mieux travailler avec l'Agence européenne de défense, sans avoir à repasser par l'approbation politique d'un certain nombre de pays comme la Turquie ou Chypre qui bloquaient systématiquement.
En outre, à l'occasion de cette déclaration conjointe, et même si ce que je vais dire n'y est pas écrit, trois règles ont été réaffirmées : la défense collective relève principalement de l'OTAN ; il n'y aura pas d'armée européenne ; il n'y aura pas de duplication des structures de commandement existant dans l'OTAN. Elles ont été systématiquement rappelées dans toutes les réunions des ministres de la Défense, auxquelles le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, et la haute représentante européenne Frederica Mogherini s'invitaient mutuellement. Ces règles figurent dans les comptes rendus. Elles constituent le fondement de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne.
Par ailleurs, la réalité des crises au XXIe siècle présente des limites floues entre menaces étatiques et menaces non-étatiques. Nous l'avons vu avec la Syrie, ou encore des pays avec lesquels nous devons coopérer dans certains domaines – la Russie en Syrie, par exemple – ou qui peuvent être considérés comme une menace dans d'autres domaines – comme le cyberespace. Nous l'avons également vu avec des acteurs qui peuvent changer selon la nature des théâtres d'opérations, ou de fortes imbrications de différents acteurs. Cela rend absolument floue la vraie frontière entre défense collective, gestion de crise et coopération en matière de sécurité, et crée beaucoup de complexité dans la gestion des crises.
Toutes ces décisions prises à Varsovie, extrêmement importantes, courent encore et sont toujours mises en application. Ainsi que je l'ai indiqué, elles ont même été fortement renforcées lors du sommet de Bruxelles en 2018.
J'en viens aux compétences et à la valeur ajoutée de l'OTAN aujourd'hui, telles que je les vois. L'OTAN est la seule organisation internationale à disposer d'une structure de commandement complète et robuste qui aille de la concertation politique jusqu'à une structure de commandement avec des états-majors de niveau tactique. Ces structures politique et militaire, armées en permanence, permettent de planifier rapidement et de mener des opérations. Alors que, je le répète, les forces n'appartiennent pas à l'OTAN. Seule la structure de commandement et les moyens qui y sont liés lui appartiennent. Les forces, elles, sont fournies par les nations de façon totalement souveraine. L'OTAN ne peut pas imposer à une nation de fournir des forces. À la tête de la structure militaire, sous la structure politique, se trouvent le comité militaire basé à Bruxelles et deux commandements stratégiques : le commandement pour les opérations (ACO), dirigé par un Américain (SACEUR) et implanté à Mons en Belgique ; le commandement pour la transformation (ACT), dirigé par un Français (SACT) et situé à Norfolk aux États-Unis.
Le commandement allié Transformation s'occupe de l'adaptation militaire de l'OTAN. C'est cela, la « transformation ». Nous ne produisons pas de la transformation, mais une adaptation permanente de la capacité militaire de l'OTAN. Dans ce domaine, le sommet de Varsovie nous avait demandé d'évaluer la pertinence de nos missions au regard de la nécessaire réactivité. C'est ainsi que nous avons initié une revue de la structure de commandement de l'OTAN. Il est alors apparu qu'il y avait eu de nombreuses dérives et que l'ACO effectuait de nombreuses activités non liées aux opérations, et que, de la même façon, plusieurs activités de l'ACT n'étaient pas liées à l'adaptation. Nous avons donc recentré l'ACO sur les opérations et les exercices de préparation aux opérations, et l'ACT sur des missions essentielles pour préparer l'avenir, notamment la définition de stratégies d'identification des tendances pouvant conduire à des crises et de leurs conséquences militaires, ainsi que des recommandations à faire aux nations, la gestion des grands programmes financés en commun, la feuille de route, la gestion des normes d'interopérabilité opérationnelle – qu'appliquent non seulement les nations de l'OTAN mais aussi une grande partie des autres nations dans le monde, la définition des scénarios d'exercice, l'animation des centres d'excellence, la déclinaison militaire des partenariats stratégiques définis par l'OTAN, la rédaction des stratégies maritimes, aériennes, cyber et spatiales, ou encore la création de normes pour la formation des militaires dans les pays de l'OTAN. Ce sont là des missions essentielles, reprises par toutes les nations.
Grâce à ces normes, en soixante-dix ans d'histoire, l'Alliance atlantique a été un formidable vecteur d'interopérabilité opérationnelle. L'interopérabilité, c'est la garantie d'avoir des systèmes d'armes – avions, bateaux, chars, etc. – qui peuvent communiquer entre eux et échanger les données. C'est aussi l'assurance que nos hommes et nos femmes utilisent les mêmes concepts et les mêmes doctrines, reçoivent les mêmes types de formation et sont donc capables d'agir ensemble. L'interopérabilité est également de plus en plus politique, notamment pour les sujets qui font appel à de l'intelligence artificielle et aux systèmes autonomes.
Concernant les relations entre les États-Unis et l'OTAN, il existe une impression répandue selon laquelle l'OTAN serait une organisation sous complète tutelle américaine. Cette impression, qui prévaut notamment dans de nombreux pays européens et pas seulement en France, m'a toujours un peu amusé, car lorsque j'allais au Pentagone et à la Maison Blanche, je n'ai rencontré qu'un nombre très limité de personnes qui connaissaient parfaitement bien l'OTAN – et elles étaient pratiquement les seules à Washington. Je peux vous assurer que, dans de nombreux bureaux du Pentagone, rares sont les personnes qui ont déjà entendu parler de l'OTAN. Ainsi, du point de vue des Américains, l'OTAN est d'abord constituée de pays européens.
Par ailleurs, du point de vue institutionnel, l'OTAN fonctionne à l'unanimité. Cela signifie que chaque pays, y compris le plus petit d'entre eux, a une voix qui compte et un droit de veto. C'est la source de discussions parfois longues et difficiles, mais c'est important. En outre, chaque pays conserve son indépendance d'opinion. C'est ce qui a permis à la France de prendre parti avec succès contre la participation directe de l'OTAN à la coalition anti-Daech, en considérant que c'était une opération américaine et que même si l'OTAN pouvait apporter des moyens en soutien, il n'y avait aucune raison d'en faire une opération de l'Alliance. Elle a été suivie par d'autres alliés, contrairement à l'avis américain.
D'un point de vue stratégique, les Américains se tournent plus vers l'Asie. Cette doctrine a commencé avec Hillary Clinton en 2009 et a été renforcée par la présidence Obama en 2011. Les États-Unis se sont alors considérablement recentrés sur la zone pacifique. Et lorsque l'on affirme aujourd'hui que le président Trump a une vision très négative de l'OTAN, force est toutefois de constater que, depuis 2009, il est le président qui a le plus recentré les États-Unis sur la zone Atlantique. Barack Obama, pour sa part, était plutôt un homme du Pacifique.
Ainsi, vu des États-Unis, on ne peut pas considérer que l'OTAN soit le bras armé des Américains en Europe. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ceux-ci insistent pour que les Européens prennent leur part du fardeau. Cela ne date pas de l'élection du président Trump. Le premier que j'ai entendu affirmer très fortement ce point était le secrétaire d'État Robert Gates lorsque j'étais en fonction au ministère de la Défense, dans les années 2010-2012. Les Américains l'ont toujours affirmé. L'article 3 du traité de Washington indique d'ailleurs clairement qu'avant de demander l'assistance des autres, il est de la responsabilité de chaque nation de tout faire pour assurer sa propre défense. Au bout du compte, nous sommes bien en cohérence avec ce traité.
Certes, les Américains utilisent l'OTAN pour essayer de favoriser leur industrie. Mais je peux vous assurer qu'ils sont loin d'être les seuls à le faire. Un autre pays fait exactement de même en Europe, l'Allemagne – qui a développé le concept de nation-cadre - Framework Nation Concept – pour tenter d'agréger les pays autour de ses propres systèmes et standards. Ainsi, l'utilisation de l'Alliance à des fins industrielles n'est pas limitée aux seuls États-Unis.
Enfin, je considère que l'OTAN est une organisation de sécurité dans laquelle n'importe quel pays peut parler d'égal à égal avec les Américains, mais aussi dans laquelle on peut aussi traiter de questions de sécurité avec la Turquie. Aujourd'hui, c'est loin d'être négligeable.
J'en viens aux enjeux pour la France. Avec le Brexit, la France devient le seul pays à être à la fois membre du Conseil de sécurité des Nations unies, membre de l'Organisation de pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), membre de l'OTAN et membre de l'Union européenne. Elle est aussi une grande nation nucléaire. C'est une position unique, et une opportunité magnifique de jouer un rôle moteur pour assurer la meilleure complémentarité possible entre toutes ces organisations, sans pour autant abandonner notre souveraineté.
Sur le plan politique, un rapprochement fort s'opère entre l'OTAN et l'Union européenne depuis le sommet de Varsovie. La France a un vrai rôle à jouer dans ce domaine également, y compris parce qu'elle est membre du « Quad » – qui regroupe la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Ce groupe plus informel, dont l'influence est toutefois forte, permet aussi d'aborder des questions de sécurité.
Depuis le sommet de Varsovie, je l'ai dit, l'OTAN se recentre sur la défense collective. Ce faisant, il ne peut plus gérer ses trois missions de la même façon. Par exemple, développer des structures déployables ne fait plus sens lorsque des adversaires potentiels se trouvent à nos frontières. Nous devons donc rendre plus résilientes nos structures fixes de commandement, mais c'est aux pays qu'il appartient de développer des structures déployables et de les mettre à disposition de l'OTAN pour la gestion de crise. Concernant la conduite d'exercice, l'OTAN considère que c'est également aux pays qui développent des structures déployables d'aller prendre leur part du fardeau pour l'entraînement aux opérations extérieures. Cela ouvre un magnifique boulevard pour que l'Union européenne se recentre sur la gestion de crise, en complémentarité de l'OTAN qui se recentre sur la défense collective. Cette complémentarité pourrait être très forte et donnerait un sens supérieur à l'initiative d'intervention voulue par le président Macron. Ce faisant, l'Union européenne ne s'inscrirait pas en contradiction avec l'OTAN, mais assurerait la gestion de crise que l'OTAN n'est plus capable d'effectuer correctement aujourd'hui. À titre personnel en tout cas, j'y vois une opportunité majeure.
J'en viens à la question nucléaire. La France est revenue dans toute la structure intégrée hors Groupe des plans nucléaires – à juste titre à mes yeux, compte tenu de sa doctrine nucléaire. Cela dit, la perte d'expertise de la culture nucléaire de l'OTAN offre aussi à notre pays l'opportunité de faire valoir sa culture dans ce domaine. Et pour cause, nous sommes certainement le pays européen qui a la culture nucléaire la plus forte, avec les Anglais. En tant que SACT, j'ai d'ailleurs largement contribué au renouveau d'une culture nucléaire dans l'OTAN au titre ès qualités de mes fonctions et en prenant en compte les positions françaises. La France a également fait intervenir plusieurs spécialistes nucléaires devant l'OTAN. Cela a été à chaque fois extrêmement bien perçu. Cette culture est essentielle, car l'un des enjeux de 2019 est la création de la directive politique fixant le niveau d'ambition pour l'OTAN pour les quatre ans à venir. Ce qui fait débat, c'est la mission la plus contraignante en matière de défense collective, qui serait un conflit inter-étatique. L'OTAN aborde cette question sous un angle complètement conventionnel, ce qui est une erreur. Considérer que l'on puisse être en conflit uniquement conventionnel contre une grande puissance nucléaire est une hérésie. Une vraie discussion doit être conduite sur ce point dans cette enceinte qu'est l'OTAN, et la France peut clairement exprimer sa voix.
Sur la prolifération des missiles balistiques, mon avis – qui n'engage que moi – est que nous avions une position clé pour peser dans les discussions politiques. Elle était étayée par des programmes. Mais entre 2013 et 2018, les lois de programmation militaire ont décalé ou annulé toutes les questions qui touchaient à la défense anti missiles balistiques et, ce faisant, le poids de la France est devenu beaucoup plus marginal.
Sur le plan institutionnel, la France est le seul pays européen avec des structures de commandement et de conduite vraiment crédibles. Ce n'est le cas ni des Anglais, ni des Allemands. Qui plus est, ces structures sont soutenues par un processus de décision politique rapide. Cela confère à la France une position importante, notamment pour essayer de tirer les pays européens vers cette complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN. Je le répète, ces forces restent nationales et les nations sont absolument souveraines. Elles sont formées aux standards d'interopérabilité OTAN qu'utilisent l'Union européenne et de nombreux autres pays. Elles procurent à la France une réelle capacité d'influence, absolument compatible avec les systèmes actuellement développés par notre pays. Cela permet de faire valoir que l'OTAN ne doit pas tout posséder en propre, puisque c'est une structure de commandement, et que c'est le rôle des pays d'avoir des forces qu'ils pourront décider de mettre sous commandement d'une organisation ou de l'autre, ou d'une coalition ad hoc. C'est un point sur lequel nous avons insisté lors de la réforme de la structure de commandement. En tant que SACT, nous avons pu avoir du poids pour éviter que l'OTAN se dote de capacités propres et s'appuie davantage sur les capacités des nations. Cela garantit la pleine souveraineté des nations.
Concernant la question des partenariats, nombre des partenaires naturels de la France se tournent vers une coopération plus affirmée avec l'OTAN, y compris ceux du dialogue méditerranéen. Je crois que, dans ce domaine-là, la France pourrait exercer un rôle de nation-cadre.
J'en viens aux capacités industrielles. Depuis le retour de la France dans la structure militaire intégrée, nous avons augmenté très considérablement l'obtention de marchés au profit des industries françaises pour les grands programmes financés en commun par l'OTAN. C'est par exemple le cas du système de commandement et de contrôle aériens – Air Command and Control System (ACCS). L'influence française est assez considérable. Par ailleurs nous avions développé, sous mon commandement, une vraie feuille de route sur l'innovation, qui a été approuvée par les nations et qui est désormais dans une phase de mise en oeuvre. L'objectif vise notamment à fixer des normes en matière d'innovation numérique. Au sein de l'OTAN, il existe une norme d'interopérabilité pour faire communiquer des systèmes de plus en plus numériques : le Federated Mission Networking. Elle est développée par le commandement allié Transformation, à la tête duquel se trouvent des Français. Quand j'étais SACT, les Américains, qui avaient une norme concurrente – Mission Partner Environment –, ont accepté de l'entrer dans celle de l'OTAN. C'était une grande première. Aujourd'hui, cette norme d'interopérabilité définie par l'OTAN est un vrai pouvoir d'influence. Et elle est dirigée par l'ACT. C'est important. En effet, les normes que nous pourrons fixer en matière de communications et d'échanges numériques pour les futurs systèmes français pourraient devenir des normes OTAN si nous savons les introduire suffisamment tôt dans les groupes de travail qui les définissent – et qui sont en très grande partie dans la main de l'ACT. C'est une force extrêmement significative de mon point de vue.
Enfin, concernant le capital humain, la France se situe certainement dans le peloton de queue de l'armement des effectifs dans l'OTAN. Je ne le regrette pas nécessairement. En revanche, alors que L'OTAN est un formidable vecteur de formation aux opérations multinationales au profit de nos jeunes officiers, l'on a plutôt tendance à y envoyer des militaires en fin de carrière, en considérant qu'on leur fait un cadeau. C'est une erreur. Je crois qu'il faut envoyer dans ces structures de l'OTAN de jeunes officiers qui ont des parcours brillants. Cela devrait faire partie de leur parcours qualifiant, au même titre qu'une affectation interarmées. En effet, si l'on veut utiliser demain ces jeunes officiers au profit d'une coalition ou de l'Union européenne, le seul endroit où ils peuvent être correctement formés est l'OTAN. Qui plus est, il faut ensuite les faire revenir au profit de nos structures nationales et européennes. C'est essentiel.
Nombre des éléments que j'ai mentionnés figurent dans le rapport Védrine, qui mérite d'être relu. Ce rapport avait été demandé par le président Hollande en 2012, pour faire un état des lieux du retour de la France dans l'OTAN. Il en ressort qu'il existe à la fois un impératif de vigilance, un impératif d'exigence et un impératif d'influence vis-à-vis de l'OTAN. C'est dans ce dernier domaine, je crois, que nous sommes encore perfectibles.