La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Pour évoquer le sujet des évolutions de l'Alliance atlantique, j'ai proposé d'inviter le général Denis Mercier, qui n'est plus en fonction en tant que militaire et dont le dernier poste était le Commandement suprême allié pour la transformation de l'Alliance – Supreme Allied Commander Transformation (SACT) – à Norfolk, aux États-Unis, entre 2015 et 2018. Vous connaissez cette salle, Mon général, ainsi que le processus d'audition puisque vous êtes déjà intervenu devant cette commission, lors du mandat précédent. Vous étiez alors chef d'état-major de l'armée de l'air. Je vous laisse exposer votre propos liminaire avant de répondre à nos questions.
Même si je suis rentré de Norfolk au mois de septembre 2018, je suis heureux d'avoir cette occasion de venir vous présenter ma vision de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de ses relations avec la France, mais aussi des opportunités qui s'offrent à la France et à l'Union européenne si nous agissons en bonne complémentarité avec l'Alliance atlantique.
Je propose de commencer en vous présentant ma vision de l'histoire de l'OTAN. Celle-ci se déroule en quatre phases distinctes : la Guerre froide, la chute du mur de Berlin, 2001 puis 2014.
La première période est née avec le traité de Washington en 1949. Durant la Guerre froide, l'OTAN s'est consacrée quasi essentiellement à sa mission principale du moment : la défense collective, avec notamment l'article 5 et une clause de solidarité qui stipule qu'une attaque contre un des alliés est une attaque contre tous.
La deuxième période est née avec la chute du mur de Berlin. L'OTAN a alors commencé à s'ouvrir à l'extérieur et ce, de deux façons : en accueillant dans ses rangs les pays de l'ex-bloc soviétique et en créant des partenariats avec des pays qui n'ont pas vocation à entrer dans l'Alliance. Si les initiatives en ce sens se sont multipliées depuis, la première a été le Partenariat pour la paix – dont la Russie est membre, ce qui fait officiellement d'elle un partenaire de l'OTAN, même si ce partenariat est aujourd'hui en sommeil du fait de la crise ukrainienne. Durant cette période, l'OTAN s'est consacrée à une deuxième mission, toujours valable aujourd'hui : la coopération en matière de sécurité – coopération avec des nations qui n'ont pas vocation à rejoindre l'OTAN. Aujourd'hui, l'Alliance compte 42 pays partenaires.
La troisième période a commencé avec le 11 septembre 2001. Pour la première fois, l'OTAN a déclenché l'article 5, pas pour une mission de défense collective mais suite à l'attaque contre New York. Cet événement a déclenché une remise en cause de l'OTAN, qui s'est alors recentrée sur une troisième mission : la gestion de crises extérieures dont la mission d'assistance en Afghanistan, qui est toujours d'actualité.
Au travers de ces trois périodes, l'OTAN a donc construit ses trois missions principales qui sont encore valables aujourd'hui : la défense collective, la coopération en matière de sécurité et la gestion des crises.
La quatrième période de l'histoire de l'OTAN a débuté en 2014, avec la crise ukrainienne. L'Alliance a alors considéré qu'elle s'était trop focalisée sur ses missions extérieures, en oubliant certains principes fondamentaux comme l'existence d'adversaires potentiels ou de menaces à ses frontières, qu'elles soient étatiques ou non-étatiques. Elle a alors reconnu que la Russie n'était pas un ennemi, c'est très clair, mais pouvait constituer une menace. L'OTAN a alors continué à se centrer sur ses trois missions, tout en renouant avec une défense collective forte.
S'est alors posée la question de savoir ce qui manquait à l'OTAN pour faire face à toutes les menaces, qu'il s'agisse de groupes terroristes ou de menaces étatiques, y compris à ses frontières – donc sans avoir le temps de se déployer. Alors que l'OTAN avait jusqu'ici un peu oublié cette notion de réactivité, un Plan pour la réactivité – Readiness Action Plan (RAP) – a été défini lors du sommet de Newport au Pays de Galles, en 2014. Ce plan marque le début de la prise de conscience qu'il faut être capable de réagir vite pour gérer une crise, quelle qu'elle soit. L'OTAN doit donc être capable de mener simultanément ses trois missions fondamentales. Mais mener en même temps ces trois missions fondamentales, qui sont de nature différente, dépasse largement ce que l'OTAN peut faire. J'y reviendrai, car cela explique les opportunités qui s'offrent à nous aujourd'hui, notamment des opportunités de coopération entre organisations internationales, notamment l'Union européenne et l'OTAN.
C'est dans ce contexte que je voudrais revenir brièvement sur le retour de la France dans la structure militaire intégrée. Ce retour avait commencé à être initié par les accords de Berlin dans les années 1990. La volonté, alors, consistait à développer des structures de commandement utilisables par l'Union européenne. À titre d'anecdote, j'ai rejoint la structure militaire intégrée de l'OTAN en 1999 alors que j'étais jeune colonel. La France n'était pas encore revenue dans l'OTAN, mais nous étions quelques officiers « insérés » pour faire suite aux dispositions des accords de Berlin plus prévoyant la création de structures multinationales pouvant être utilisées par l'Union européenne. Puis, en 2009, le président Sarkozy a décidé de réintégrer la structure militaire, hors Groupe des plans nucléaires. Ce processus avait commencé sous la présidence Mitterrand et a été poursuivi sous la présidence Chirac. Il n'a donc pas été le fait d'un seul président. En 2009, la France a décidé de revenir en prenant une place de premier plan. Celle-ci s'est illustrée par la prise de responsabilités dans un certain nombre d'états-majors de la structure de commandement, à commencer par l'un des deux commandements stratégiques de l'OTAN – le SACT, qui se trouve à Norfolk. Jusque-là, ces niveaux de poste de commandement stratégique avaient toujours été réservés à des Américains. La France est le premier pays non-américain, et le seul à ce jour, à avoir réussi à obtenir l'un des deux commandements stratégiques de l'OTAN. Aucun autre pays n'a jamais eu ce niveau de poste, qu'il s'agisse de l'Allemagne, du Royaume-Uni ou d'autres.
Par ailleurs, alors que l'on parle de retour dans la structure militaire intégrée, il existe une structure de commandement, laquelle est sous la direction de l'OTAN. En revanche, l'Alliance n'ayant pas de forces – ses forces restent des forces nationales – elle demande aux nations d'avoir une structure de forces capable d'opérer à des standards OTAN pour éventuellement pouvoir être mises, si la situation l'exige, sous commandement OTAN. Elles peuvent aussi être mises sous commandement de l'Union européenne. La structure de force est un élément important. Chaque pays a déclaré des forces capables d'agir pour l'OTAN. La France, pour sa part, en a déclaré trois : une composante capable de diriger des actions terrestres, une composante capable de diriger des opérations maritimes et une composante capable de diriger des opérations aériennes. Peu de pays ont cette capacité. La France a donc une position clé dans la structure de commandement de l'OTAN, mais aussi une position avantageuse dans sa structure de force, grâce à ses composantes nationales. Il est important de le noter, notamment dans cette vision d'un pays européen plus fort dans l'Alliance atlantique.
Par ailleurs, ainsi que je vous l'ai indiqué, lors du sommet de Newport de 2014 l'OTAN a renoué avec un haut niveau de réactivité en créant le RAP, et décidé d'accorder une plus grande importance à la défense collective. Ce sommet était une première initiative dans ce domaine. Mais pour moi, le réel sommet du XXIe siècle, qui est un sommet historique compte tenu des décisions qui ont été prises, est celui de Varsovie en 2016. L'OTAN y a confirmé non seulement la nécessité de faire face à tout type de menace, mais aussi la nécessaire réactivité des forces. Ce faisant, il a aussi réactivé le concept stratégique de 2010. Je le mentionne parce que l'OTAN est une organisation internationale qui actualise en permanence ses objectifs par des concepts stratégiques. Celui de 2010, dernier en date, a été réaffirmé lors des sommets de Varsovie en 2016 et de Bruxelles plus récemment. Ce concept confirme les trois tâches fondamentales dont je vous ai parlé – défense collective, coopération en matière de sécurité, gestion de crises – mais réaffirme aussi l'unité de l'Alliance. C'est très important au regard des menaces. Si certains pays focalisent naturellement leur regard vers la menace provenant de l'Est, comme les pays baltes ou la Pologne du fait de leur histoire et de leur population, d'autres voient comme menaces prioritaires toutes celles venant du Sud, notamment les menaces terroristes. La réconciliation entre ces pays nécessite toujours beaucoup de débat politique, notamment sur les moyens à mettre en place pour s'assurer que l'OTAN puisse faire face à une menace dite à 360 degrés, c'est-à-dire aussi bien venant de l'Est que venant du Sud. Cette réaffirmation de l'unité de l'Alliance est importante.
Plusieurs décisions ont été prises à Varsovie, notamment des mesures d'adaptation avec l'adoption et la poursuite du RAP, mais aussi le renforcement d'une posture de défense et de dissuasion. Je tiens ici à préciser que l'acception du terme « dissuasion » n'est pas la même pour l'OTAN que pour la France, laquelle le réserve à la dissuasion nucléaire. L'OTAN parle de dissuasion de façon large – comment dissuader les forces, étatiques ou non-étatiques, de venir nous attaquer. Pour autant, à Varsovie, l'OTAN a aussi renforcé la nécessité de renouer avec une forte défense nucléaire. C'était normal puisque, comme je vous l'ai dit, l'Alliance s'est recentrée sur sa mission de défense collective face un potentiel adversaire étatique qui est une grande puissance nucléaire. Elle a aussi réaffirmé la nécessité de développer une force anti-missiles, et décidé de déployer des forces armées – un bataillon – dans chacun des pays baltes et en Pologne. Une autre décision importante a été prise en 2016 : pour la première fois, les États-Unis et le Canada ont redéployé des forces armées à la frontière de l'Est.
L'OTAN décide aussi, à ce moment-là, de déclarer le cyberespace comme un domaine à part entière, de renforcer sa résilience et de prendre un certain nombre de mesures sur la projection de stabilité – qui correspond davantage aux missions du Sud – avec la création d'un hub pour le Sud. Implanté à Naples, celui-ci a pour but de mieux partager l'information entre tous les pays de la Méditerranée, ceux du Nord comme ceux du Sud. Il est également décidé de prolonger la mission en Afghanistan et de dessiner les contours du rôle du l'OTAN en assistance à un certain nombre de missions qui pourraient avoir lieu au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Méditerranée. Cela ouvre donc de nouvelles voies de partenariats.
Qui plus est, renforcé par le sommet de Bruxelles, celui de Varsovie insiste sur la coopération entre grandes organisations internationales. C'est à cette occasion qu'une déclaration commune avec l'Union européenne renforce la coopération dans six domaines : les opérations, les menaces hybrides, la sécurité maritime, les exercices, le cyberespace et le développement capacitaire. La coopération entre l'OTAN et l'Union européenne a toujours existé, mais du fait d'un certain nombre de pays qui n'appartiennent pas aux deux organisations, il y a toujours eu des limites politiques fortes et les coopérations se sont limitées aux travaux entre états-majors. Cette déclaration politique commune ouvre la voie sur les domaines que je viens de citer, ainsi qu'à une coopération extrêmement renforcée. C'est très intéressant, car cela nous a permis de bien mieux travailler avec l'Agence européenne de défense, sans avoir à repasser par l'approbation politique d'un certain nombre de pays comme la Turquie ou Chypre qui bloquaient systématiquement.
En outre, à l'occasion de cette déclaration conjointe, et même si ce que je vais dire n'y est pas écrit, trois règles ont été réaffirmées : la défense collective relève principalement de l'OTAN ; il n'y aura pas d'armée européenne ; il n'y aura pas de duplication des structures de commandement existant dans l'OTAN. Elles ont été systématiquement rappelées dans toutes les réunions des ministres de la Défense, auxquelles le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, et la haute représentante européenne Frederica Mogherini s'invitaient mutuellement. Ces règles figurent dans les comptes rendus. Elles constituent le fondement de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne.
Par ailleurs, la réalité des crises au XXIe siècle présente des limites floues entre menaces étatiques et menaces non-étatiques. Nous l'avons vu avec la Syrie, ou encore des pays avec lesquels nous devons coopérer dans certains domaines – la Russie en Syrie, par exemple – ou qui peuvent être considérés comme une menace dans d'autres domaines – comme le cyberespace. Nous l'avons également vu avec des acteurs qui peuvent changer selon la nature des théâtres d'opérations, ou de fortes imbrications de différents acteurs. Cela rend absolument floue la vraie frontière entre défense collective, gestion de crise et coopération en matière de sécurité, et crée beaucoup de complexité dans la gestion des crises.
Toutes ces décisions prises à Varsovie, extrêmement importantes, courent encore et sont toujours mises en application. Ainsi que je l'ai indiqué, elles ont même été fortement renforcées lors du sommet de Bruxelles en 2018.
J'en viens aux compétences et à la valeur ajoutée de l'OTAN aujourd'hui, telles que je les vois. L'OTAN est la seule organisation internationale à disposer d'une structure de commandement complète et robuste qui aille de la concertation politique jusqu'à une structure de commandement avec des états-majors de niveau tactique. Ces structures politique et militaire, armées en permanence, permettent de planifier rapidement et de mener des opérations. Alors que, je le répète, les forces n'appartiennent pas à l'OTAN. Seule la structure de commandement et les moyens qui y sont liés lui appartiennent. Les forces, elles, sont fournies par les nations de façon totalement souveraine. L'OTAN ne peut pas imposer à une nation de fournir des forces. À la tête de la structure militaire, sous la structure politique, se trouvent le comité militaire basé à Bruxelles et deux commandements stratégiques : le commandement pour les opérations (ACO), dirigé par un Américain (SACEUR) et implanté à Mons en Belgique ; le commandement pour la transformation (ACT), dirigé par un Français (SACT) et situé à Norfolk aux États-Unis.
Le commandement allié Transformation s'occupe de l'adaptation militaire de l'OTAN. C'est cela, la « transformation ». Nous ne produisons pas de la transformation, mais une adaptation permanente de la capacité militaire de l'OTAN. Dans ce domaine, le sommet de Varsovie nous avait demandé d'évaluer la pertinence de nos missions au regard de la nécessaire réactivité. C'est ainsi que nous avons initié une revue de la structure de commandement de l'OTAN. Il est alors apparu qu'il y avait eu de nombreuses dérives et que l'ACO effectuait de nombreuses activités non liées aux opérations, et que, de la même façon, plusieurs activités de l'ACT n'étaient pas liées à l'adaptation. Nous avons donc recentré l'ACO sur les opérations et les exercices de préparation aux opérations, et l'ACT sur des missions essentielles pour préparer l'avenir, notamment la définition de stratégies d'identification des tendances pouvant conduire à des crises et de leurs conséquences militaires, ainsi que des recommandations à faire aux nations, la gestion des grands programmes financés en commun, la feuille de route, la gestion des normes d'interopérabilité opérationnelle – qu'appliquent non seulement les nations de l'OTAN mais aussi une grande partie des autres nations dans le monde, la définition des scénarios d'exercice, l'animation des centres d'excellence, la déclinaison militaire des partenariats stratégiques définis par l'OTAN, la rédaction des stratégies maritimes, aériennes, cyber et spatiales, ou encore la création de normes pour la formation des militaires dans les pays de l'OTAN. Ce sont là des missions essentielles, reprises par toutes les nations.
Grâce à ces normes, en soixante-dix ans d'histoire, l'Alliance atlantique a été un formidable vecteur d'interopérabilité opérationnelle. L'interopérabilité, c'est la garantie d'avoir des systèmes d'armes – avions, bateaux, chars, etc. – qui peuvent communiquer entre eux et échanger les données. C'est aussi l'assurance que nos hommes et nos femmes utilisent les mêmes concepts et les mêmes doctrines, reçoivent les mêmes types de formation et sont donc capables d'agir ensemble. L'interopérabilité est également de plus en plus politique, notamment pour les sujets qui font appel à de l'intelligence artificielle et aux systèmes autonomes.
Concernant les relations entre les États-Unis et l'OTAN, il existe une impression répandue selon laquelle l'OTAN serait une organisation sous complète tutelle américaine. Cette impression, qui prévaut notamment dans de nombreux pays européens et pas seulement en France, m'a toujours un peu amusé, car lorsque j'allais au Pentagone et à la Maison Blanche, je n'ai rencontré qu'un nombre très limité de personnes qui connaissaient parfaitement bien l'OTAN – et elles étaient pratiquement les seules à Washington. Je peux vous assurer que, dans de nombreux bureaux du Pentagone, rares sont les personnes qui ont déjà entendu parler de l'OTAN. Ainsi, du point de vue des Américains, l'OTAN est d'abord constituée de pays européens.
Par ailleurs, du point de vue institutionnel, l'OTAN fonctionne à l'unanimité. Cela signifie que chaque pays, y compris le plus petit d'entre eux, a une voix qui compte et un droit de veto. C'est la source de discussions parfois longues et difficiles, mais c'est important. En outre, chaque pays conserve son indépendance d'opinion. C'est ce qui a permis à la France de prendre parti avec succès contre la participation directe de l'OTAN à la coalition anti-Daech, en considérant que c'était une opération américaine et que même si l'OTAN pouvait apporter des moyens en soutien, il n'y avait aucune raison d'en faire une opération de l'Alliance. Elle a été suivie par d'autres alliés, contrairement à l'avis américain.
D'un point de vue stratégique, les Américains se tournent plus vers l'Asie. Cette doctrine a commencé avec Hillary Clinton en 2009 et a été renforcée par la présidence Obama en 2011. Les États-Unis se sont alors considérablement recentrés sur la zone pacifique. Et lorsque l'on affirme aujourd'hui que le président Trump a une vision très négative de l'OTAN, force est toutefois de constater que, depuis 2009, il est le président qui a le plus recentré les États-Unis sur la zone Atlantique. Barack Obama, pour sa part, était plutôt un homme du Pacifique.
Ainsi, vu des États-Unis, on ne peut pas considérer que l'OTAN soit le bras armé des Américains en Europe. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ceux-ci insistent pour que les Européens prennent leur part du fardeau. Cela ne date pas de l'élection du président Trump. Le premier que j'ai entendu affirmer très fortement ce point était le secrétaire d'État Robert Gates lorsque j'étais en fonction au ministère de la Défense, dans les années 2010-2012. Les Américains l'ont toujours affirmé. L'article 3 du traité de Washington indique d'ailleurs clairement qu'avant de demander l'assistance des autres, il est de la responsabilité de chaque nation de tout faire pour assurer sa propre défense. Au bout du compte, nous sommes bien en cohérence avec ce traité.
Certes, les Américains utilisent l'OTAN pour essayer de favoriser leur industrie. Mais je peux vous assurer qu'ils sont loin d'être les seuls à le faire. Un autre pays fait exactement de même en Europe, l'Allemagne – qui a développé le concept de nation-cadre - Framework Nation Concept – pour tenter d'agréger les pays autour de ses propres systèmes et standards. Ainsi, l'utilisation de l'Alliance à des fins industrielles n'est pas limitée aux seuls États-Unis.
Enfin, je considère que l'OTAN est une organisation de sécurité dans laquelle n'importe quel pays peut parler d'égal à égal avec les Américains, mais aussi dans laquelle on peut aussi traiter de questions de sécurité avec la Turquie. Aujourd'hui, c'est loin d'être négligeable.
J'en viens aux enjeux pour la France. Avec le Brexit, la France devient le seul pays à être à la fois membre du Conseil de sécurité des Nations unies, membre de l'Organisation de pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), membre de l'OTAN et membre de l'Union européenne. Elle est aussi une grande nation nucléaire. C'est une position unique, et une opportunité magnifique de jouer un rôle moteur pour assurer la meilleure complémentarité possible entre toutes ces organisations, sans pour autant abandonner notre souveraineté.
Sur le plan politique, un rapprochement fort s'opère entre l'OTAN et l'Union européenne depuis le sommet de Varsovie. La France a un vrai rôle à jouer dans ce domaine également, y compris parce qu'elle est membre du « Quad » – qui regroupe la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Ce groupe plus informel, dont l'influence est toutefois forte, permet aussi d'aborder des questions de sécurité.
Depuis le sommet de Varsovie, je l'ai dit, l'OTAN se recentre sur la défense collective. Ce faisant, il ne peut plus gérer ses trois missions de la même façon. Par exemple, développer des structures déployables ne fait plus sens lorsque des adversaires potentiels se trouvent à nos frontières. Nous devons donc rendre plus résilientes nos structures fixes de commandement, mais c'est aux pays qu'il appartient de développer des structures déployables et de les mettre à disposition de l'OTAN pour la gestion de crise. Concernant la conduite d'exercice, l'OTAN considère que c'est également aux pays qui développent des structures déployables d'aller prendre leur part du fardeau pour l'entraînement aux opérations extérieures. Cela ouvre un magnifique boulevard pour que l'Union européenne se recentre sur la gestion de crise, en complémentarité de l'OTAN qui se recentre sur la défense collective. Cette complémentarité pourrait être très forte et donnerait un sens supérieur à l'initiative d'intervention voulue par le président Macron. Ce faisant, l'Union européenne ne s'inscrirait pas en contradiction avec l'OTAN, mais assurerait la gestion de crise que l'OTAN n'est plus capable d'effectuer correctement aujourd'hui. À titre personnel en tout cas, j'y vois une opportunité majeure.
J'en viens à la question nucléaire. La France est revenue dans toute la structure intégrée hors Groupe des plans nucléaires – à juste titre à mes yeux, compte tenu de sa doctrine nucléaire. Cela dit, la perte d'expertise de la culture nucléaire de l'OTAN offre aussi à notre pays l'opportunité de faire valoir sa culture dans ce domaine. Et pour cause, nous sommes certainement le pays européen qui a la culture nucléaire la plus forte, avec les Anglais. En tant que SACT, j'ai d'ailleurs largement contribué au renouveau d'une culture nucléaire dans l'OTAN au titre ès qualités de mes fonctions et en prenant en compte les positions françaises. La France a également fait intervenir plusieurs spécialistes nucléaires devant l'OTAN. Cela a été à chaque fois extrêmement bien perçu. Cette culture est essentielle, car l'un des enjeux de 2019 est la création de la directive politique fixant le niveau d'ambition pour l'OTAN pour les quatre ans à venir. Ce qui fait débat, c'est la mission la plus contraignante en matière de défense collective, qui serait un conflit inter-étatique. L'OTAN aborde cette question sous un angle complètement conventionnel, ce qui est une erreur. Considérer que l'on puisse être en conflit uniquement conventionnel contre une grande puissance nucléaire est une hérésie. Une vraie discussion doit être conduite sur ce point dans cette enceinte qu'est l'OTAN, et la France peut clairement exprimer sa voix.
Sur la prolifération des missiles balistiques, mon avis – qui n'engage que moi – est que nous avions une position clé pour peser dans les discussions politiques. Elle était étayée par des programmes. Mais entre 2013 et 2018, les lois de programmation militaire ont décalé ou annulé toutes les questions qui touchaient à la défense anti missiles balistiques et, ce faisant, le poids de la France est devenu beaucoup plus marginal.
Sur le plan institutionnel, la France est le seul pays européen avec des structures de commandement et de conduite vraiment crédibles. Ce n'est le cas ni des Anglais, ni des Allemands. Qui plus est, ces structures sont soutenues par un processus de décision politique rapide. Cela confère à la France une position importante, notamment pour essayer de tirer les pays européens vers cette complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN. Je le répète, ces forces restent nationales et les nations sont absolument souveraines. Elles sont formées aux standards d'interopérabilité OTAN qu'utilisent l'Union européenne et de nombreux autres pays. Elles procurent à la France une réelle capacité d'influence, absolument compatible avec les systèmes actuellement développés par notre pays. Cela permet de faire valoir que l'OTAN ne doit pas tout posséder en propre, puisque c'est une structure de commandement, et que c'est le rôle des pays d'avoir des forces qu'ils pourront décider de mettre sous commandement d'une organisation ou de l'autre, ou d'une coalition ad hoc. C'est un point sur lequel nous avons insisté lors de la réforme de la structure de commandement. En tant que SACT, nous avons pu avoir du poids pour éviter que l'OTAN se dote de capacités propres et s'appuie davantage sur les capacités des nations. Cela garantit la pleine souveraineté des nations.
Concernant la question des partenariats, nombre des partenaires naturels de la France se tournent vers une coopération plus affirmée avec l'OTAN, y compris ceux du dialogue méditerranéen. Je crois que, dans ce domaine-là, la France pourrait exercer un rôle de nation-cadre.
J'en viens aux capacités industrielles. Depuis le retour de la France dans la structure militaire intégrée, nous avons augmenté très considérablement l'obtention de marchés au profit des industries françaises pour les grands programmes financés en commun par l'OTAN. C'est par exemple le cas du système de commandement et de contrôle aériens – Air Command and Control System (ACCS). L'influence française est assez considérable. Par ailleurs nous avions développé, sous mon commandement, une vraie feuille de route sur l'innovation, qui a été approuvée par les nations et qui est désormais dans une phase de mise en oeuvre. L'objectif vise notamment à fixer des normes en matière d'innovation numérique. Au sein de l'OTAN, il existe une norme d'interopérabilité pour faire communiquer des systèmes de plus en plus numériques : le Federated Mission Networking. Elle est développée par le commandement allié Transformation, à la tête duquel se trouvent des Français. Quand j'étais SACT, les Américains, qui avaient une norme concurrente – Mission Partner Environment –, ont accepté de l'entrer dans celle de l'OTAN. C'était une grande première. Aujourd'hui, cette norme d'interopérabilité définie par l'OTAN est un vrai pouvoir d'influence. Et elle est dirigée par l'ACT. C'est important. En effet, les normes que nous pourrons fixer en matière de communications et d'échanges numériques pour les futurs systèmes français pourraient devenir des normes OTAN si nous savons les introduire suffisamment tôt dans les groupes de travail qui les définissent – et qui sont en très grande partie dans la main de l'ACT. C'est une force extrêmement significative de mon point de vue.
Enfin, concernant le capital humain, la France se situe certainement dans le peloton de queue de l'armement des effectifs dans l'OTAN. Je ne le regrette pas nécessairement. En revanche, alors que L'OTAN est un formidable vecteur de formation aux opérations multinationales au profit de nos jeunes officiers, l'on a plutôt tendance à y envoyer des militaires en fin de carrière, en considérant qu'on leur fait un cadeau. C'est une erreur. Je crois qu'il faut envoyer dans ces structures de l'OTAN de jeunes officiers qui ont des parcours brillants. Cela devrait faire partie de leur parcours qualifiant, au même titre qu'une affectation interarmées. En effet, si l'on veut utiliser demain ces jeunes officiers au profit d'une coalition ou de l'Union européenne, le seul endroit où ils peuvent être correctement formés est l'OTAN. Qui plus est, il faut ensuite les faire revenir au profit de nos structures nationales et européennes. C'est essentiel.
Nombre des éléments que j'ai mentionnés figurent dans le rapport Védrine, qui mérite d'être relu. Ce rapport avait été demandé par le président Hollande en 2012, pour faire un état des lieux du retour de la France dans l'OTAN. Il en ressort qu'il existe à la fois un impératif de vigilance, un impératif d'exigence et un impératif d'influence vis-à-vis de l'OTAN. C'est dans ce dernier domaine, je crois, que nous sommes encore perfectibles.
Merci, Mon général, pour cet exposé, ce rappel historique et ces convictions fortement manifestées, qui feront certainement réagir certain d'entre nous. Je propose d'entendre une première série de questions.
Parallèlement à l'Alliance, s'est développée l'Assemblée parlementaire de l'OTAN – sans que celle-ci se voie reconnaître aucun rôle officiel. Pensez-vous qu'il serait possible de lui confier ne serait-ce qu'un rôle de conseil ou de diplomatie parlementaire ?
Quelle est votre opinion sur l'état des menaces dans le Grand Nord et sur les actions que l'Alliance atlantique devrait mettre en oeuvre pour y répondre : ne rien faire, accroître notre présence aéronavale ou déployer de nouvelles infrastructures comme un radar comparable à notre Nostradamus, par exemple en Islande ?
Votre exposé était à la fois très dense, très complet et très intéressant. Dans sa tribune « Pour une renaissance européenne », le président Macron se félicite – peut-être un peu vite – d'avoir créé une défense européenne. Pour sa part, le secrétaire général de l'OTAN, M. Stoltenberg, a récemment indiqué que l'unité européenne ne peut pas se substituer à l'unité transatlantique en matière de défense. Quelle est votre position sur le rôle de l'OTAN dans cette défense européenne ? Est-ce un impératif nécessaire ou un obstacle à une véritable défense souveraine ?
Ma question porte sur la politique de l'OTAN dans le champ informationnel. Le champ de bataille est aussi immatériel, psychologique, émotionnel qu'intellectuel. En s'efforçant de recourir à une communication offensive et rapide, il est possible d'affaiblir l'adversaire et de gagner la bataille des esprits. Au SACT, vous avez eu à élaborer et mettre en oeuvre des doctrines communes aux pays membres de l'OTAN. Qu'en est-il de la réactivité et de la vision stratégique des alliés lorsqu'ils s'adressent à l'opinion ? Qu'en est-il de la force de frappe de l'OTAN en la matière ? Existe-t-il une doctrine dans le champ opérationnel, qui utiliserait le succès des alliés pour mettre en lumière devant l'opinion l'efficacité de l'OTAN et sa contribution dans la lutte contre le terrorisme ?
Général, vous avez évoqué les effectifs de la France dans l'OTAN. Notre pays joue un rôle dans l'organisation de l'OTAN et dans son efficacité opérationnelle. Quelle doit être l'ampleur de ce rôle, sans remettre en cause nos capacités militaires ?
Comment voyez-vous l'évolution de la Turquie dans l'OTAN ? Nous avons vu que les rapports s'étaient un peu tendus avec les États-Unis. L'on voit aussi que les Américains tentent de développer davantage leur base en Jordanie comme tête de pont au Proche-Orient. Comment analysez-vous cette situation ?
En mars 2017, l'OTAN annonçait qu'elle dépenserait trois milliards d'euros d'ici à 2020 dans la modernisation de ses satellites et des moyens informatiques destinés à déjouer les piratages et autres menaces. Une part importante de ces investissements – plus de six millions d'euros je crois – a été allouée à la protection contre les pirates. Quelle est l'avancée de ces déploiements ? Le cas échéant, leur efficacité a-t-elle pu être démontrée dans la protection des 32 sites de l'OTAN face aux attaques de plus en plus nombreux qu'ils subissent ?
Je vous remercie pour votre exposé très enthousiaste, très pro-OTAN. Pour ma part, vous vous en doutez, je ne partage pas ce point de vue. De nombreux sujets auraient pu être abordés, à commencer par le fait que les États-Unis ne respectent plus le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire – Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty (INF) –, mais aussi la manière dont, en novembre dernier, l'OTAN a mis en place l'une des plus grandes manoeuvres militaires depuis la fin de la Guerre froide – l'exercice Trident Juncture, avec 50 000 hommes. Cela a engendré de nombreuses tensions avec la Russie. Quelle est votre analyse sur ce point ?
Par ailleurs, nous avons tous observé l'insistance de Donald Trump – et c'était déjà le cas de la part des États-Unis en 2014 lors des différents sommets de Bruxelles – pour que les pays européens portent leur budget militaire à hauteur de 2 % de leur PIB. Quel regard portez-vous sur ce sujet ? Un tel objectif est-il garant d'une défense efficace ? Ou n'est-il pas plutôt – c'est ma lecture, que vous trouverez sans doute très contestable – un moyen pour les Américains de créer une demande à laquelle seule leur matériel militaire permettrait de répondre ? N'y voyez-vous pas une mainmise des États-Unis sur la vente de matériel militaire à l'OTAN un peu contradictoire avec vos propos, lorsque vous présentiez ce pays comme un partenaire parmi d'autres ?
Je vous remercie pour ces questions. J'y répondrai dans l'ordre dans lequel vous les avez posées.
Il est vrai que le rôle de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN n'est pas significatif. Pour autant, concernant l'idée d'un contrôle parlementaire, je suis intimement persuadé qu'il est impératif que les nations conservent leur souveraineté. À cet égard, je ne suis pas si pro-OTAN qu'il y paraît. Mais j'ai été invité à parler de cette organisation ! Je considère que le contrôle parlementaire ne doit pas être assuré par un « parlement de l'OTAN », mais par les nations. C'est important parce qu'ainsi que je l'ai indiqué, en dehors du fait que l'OTAN a une structure de commandement, ce sont les nations qui décident de l'engagement de la force, ce sont elles qui décident de partager le renseignement, et ce sont encore elles qui décident des partenariats. Le contrôle parlementaire doit donc être effectué par les nations. En revanche, l'assemblée de l'OTAN a certainement à jouer un rôle de diplomatie parlementaire.
Le sujet du Grand Nord est abordé par l'OTAN. Dans cette région, il faut distinguer la partie arctique de la partie Grand Nord. Le rôle de l'OTAN n'est pas de s'occuper de la première. C'est celui des nations qui font partie de cette zone – et qui, même si nombre d'entre elles sont membres de l'OTAN, ne souhaitent pas que l'Alliance vienne s'en occuper, et c'est normal. En revanche, pour la partie Grand Nord, il convient d'assurer une cohérence avec la notion de défense collective. Dès lors que l'OTAN renoue avec la défense collective, il est cohérent de considérer qu'elle doit être capable de lutter contre une menace potentielle, en l'occurrence la Russie – qui n'est pas un adversaire, mais une menace potentielle. L'OTAN étudie d'ailleurs une mission qu'elle avait complètement délaissée depuis la fin de la guerre froide : la protection des navires et des sous-marins dans les voies de l'Atlantique. Pour ce faire, elle a créé un commandement, en renouant en quelque sorte avec certaines des missions de l'ancien commandement stratégique pour l'Atlantique (SACLANT). Nous devons être capables, en toute logique, de renouer avec cette mission. Aussi l'OTAN a-t-elle créé un noyau d'état-major à Norfolk, complètement séparé du SACT, chargé de cette question. Il s'agit d'un commandement américain, qui relève donc de la structure de force. Ce noyau étant multinational, je pense qu'il comptera quelques officiers français. Il permet de débattre de la protection des voies de communication dans le Nord et dans l'Atlantique, mais n'a pas besoin d'être totalement armé en permanence. Il est chargé de faire du renseignement et de se préparer. Au SACT, nous avons beaucoup pesé pour éviter de récréer l'usine à gaz qu'aurait été un grand commandement pour une mission qui ne se justifiait pas.
Par ailleurs, je crois que nous n'avons pas besoin d'avoir de pré-positionnement en Islande. En tout cas, ce n'est pas le rôle de l'OTAN. Nous avons simplement des rôles nationaux à jouer dans ces voies qui s'ouvrent, avec le rôle extrêmement important de la Chine et de la Russie. Mais je ne crois pas que ce soit le rôle de l'OTAN. En revanche, le noyau pour la protection des voies de communication en Atlantique fait sens.
Le rôle de l'OTAN dans la défense européenne est-il un impératif nécessaire ? L'une des différences majeures qui existent entre les deux organisations, et qui expliquent beaucoup les différences entre les processus capacitaires, vient du fait que tous les quatre ans, l'OTAN adopte une directive politique qui fixe son niveau d'ambition. La rédaction de la politique 2019 porte de forts enjeux. Les directives politiques sont approuvées par 29 pays avant d'être traduites en termes militaires par les commandements stratégiques, qui font ensuite de la recommandation en fonction des capacités militaires des nations et des besoins. Dans l'Union européenne, il existe la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et de grands objectifs – mais il manque cette directive politique. Il est donc extrêmement difficile pour un militaire de déterminer des recommandations capacitaires sur la base de directives qui n'existent pas. De ce fait, dans l'Union européenne, les recommandations capacitaires sont beaucoup plus génériques – et sources d'un certain nombre d'incompréhensions. Si l'on voulait aller plus loin dans une Europe plus intégrée, qui ressemble à l'OTAN – mais à mon avis, mieux vaut travailler sur les complémentarités –, la première question à poser est celle de la capacité des États membres à fixer une directive politique actualisée. C'est sur cette base que nous pourrions dessiner les contours d'une force européenne. À défaut, nous resterons dans des considérations très génériques. Lors de mes différentes fonctions, j'ai beaucoup travaillé avec l'Agence européenne de défense, et j'ai constaté que le contenu du catalogue de forces de l'Union européenne correspond aux forces déclarées par les nations à l'UE. L'OTAN, en revanche, dispose d'une vision globale de toutes les forces qui existent dans les pays. C'est une différence majeure. Tant que nous n'aurons pas résolu ce point, nous aurons toujours des problèmes pour avancer entre nations européennes. Mais ce qui est important est que les priorités capacitaires définies dans l'OTAN soient cohérentes de celles définies dans l'Union Européenne.
Je vous remercie pour votre question sur le champ informationnel. Ce sujet est extrêmement sensible. Il n'existe pas de consensus des nations pour le prendre sérieusement en compte et étudier sa capacité offensive d'influence – aussi bien de nos propres populations que des populations adversaires, y compris les groupes terroristes. Pour autant, ce n'est pas pour cela que nous n'avons pas avancé. Nous avons considéré que nous devions au moins être capables, avec les technologies modernes qui existent, d'effectuer un « scan » de la façon dont un message est perçu, et quels sont les leaders de sa perception. Lorsque j'étais SACT, nous avons fait un test sur la base de reprogrammation des outils qui existent déjà dans le marketing. Certes, il n'existe aujourd'hui aucun consensus pour aller plus loin, mais c'est déjà un pas important, qui permet d'utiliser des sources ouvertes. Les Russes sont maîtres dans ce domaine. Nous devrions sans doute aller plus loin. Je pense que nous ne parviendrons jamais à nous mettre d'accord à 29 pays, mais qu'il faudrait commencer à réfléchir avec quelques-uns. En tout cas, c'est un sujet sensible parce qu'il touche à la manipulation. En résumé, il n'existe pas encore de doctrine dans le domaine du champ informationnel, si ce n'est la capacité à scanner ce qui existe pour mieux analyser les perceptions.
J'en viens à la question sur les effectifs. La France est membre du Conseil de sécurité des Nations unies, membre de l'Union européenne et membre de l'OTAN. C'est aussi une grande nation nucléaire. Elle a donc un rôle à jouer. Elle dispose, ainsi que je vous l'ai dit, de composantes terrestre, navale et aérienne crédibles. Elle a un rôle à jouer à travers elles. Nous pouvons beaucoup utiliser davantage l'OTAN pour renforcer notre influence, comme le font le Royaume-Uni, l'Allemagne et d'autres pays. Au travers de mon commandement, j'ai observé une forte relation entre les positions françaises dans l'OTAN et les répercussions dans l'Union européenne. En l'occurrence, les positions françaises dans l'OTAN sont parfois uniques et mal comprises – ce qui crée des conflits dans l'Union européenne. Et pour cause, 22 pays appartiennent à ces deux organisations. C'est sous cet angle qu'il nous faut réfléchir, me semble-t-il, à la position que nous pouvons avoir. C'est ce que font les Allemands, qui ont développé le concept de nation-cadre qui permet d'agréger des nations européennes autres que les nations OTAN, comme la Finlande. La quasi-totalité des pays européens « pensent OTAN » avant de « penser Union européenne ». Ma vision ne consiste pas à être pro-OTAN, mais à ne surtout pas dissocier les deux organisations et à toujours travailler en complémentarité. Et, une fois de plus, la France a un rôle majeur à jouer dans cette complémentarité.
Vous m'avez également interrogé sur la Turquie dans l'OTAN. Je vais le dire un peu crûment, mais je crois que la Turquie est un partenaire difficile. D'abord, elle bloque beaucoup de choses dans l'Union européenne malgré sa volonté plus ou moins affichée de la rejoindre. Le pire aujourd'hui serait d'avoir une Turquie qui ne soit pas dans l'OTAN. Nous disposons d'un vrai forum de discussion politique qu'il convient d'utiliser, d'autant que la Turquie est un pays clé de l'environnement stratégique de l'Europe atlantique. Même si ce partenaire n'est pas facile, l'OTAN est un magnifique forum politique pour parler avec la Turquie d'un certain nombre d'enjeux clés.
Concernant le piratage, l'OTAN a décidé lors du sommet de Varsovie de considérer le cyberespace comme un domaine à part entière, et mon commandement a été chargé de mettre en oeuvre cette décision. Aussi avons-nous développé une stratégie cyber. Nous avions deux grandes options : le « tout-otanien » ou la fédération des capacités cyber de plusieurs pays. Ceux qui étaient favorables à la première considéraient qu'il fallait créer un commandement cyber, comme il existe un commandement terrestre à Izmir, un commandement aérien à Rammstein et un commandement maritime à Northwood en Angleterre. Mais, sous mon commandement, nous avons fait la démonstration que la seconde option était la meilleure. Nous l'avons démontré dans le cadre d'une expérimentation visant à regrouper les capacités cyber de l'Allemagne et du Portugal avec le centre d'entraînement cyber que nous avons développé dans le centre d'excellence qui se trouve à Tallinn, en Estonie. Nous avons montré que la détection à plusieurs est plus forte que la détection tout seul et qu'ainsi, avoir un commandement cyber dans l'OTAN ne faisait pas sens. Ce qui fait sens, c'est un meilleur échange d'informations et un meilleur partage de données entre les différents pays de l'Alliance, qui doivent pouvoir agir ensemble. Aujourd'hui, au sein du commandement opérationnel de l'OTAN – Supreme Headquarters Allied Powers Europe (SHAPE) – à Mons, le centre opérationnel cyber n'est qu'un centre de coordination des capacités qui peuvent être apportées par les nations. Cela signifie que les nations n'ont pas déclaré leurs capacités à l'OTAN – qui peut les utiliser si elles le souhaitent, car elles restent souveraines. L'Union européenne peut les utiliser également, de même que d'autres nations. Nous sommes bien dans la continuité de ce que nous avons promu : les nations doivent rester souveraines, mais elles doivent pouvoir agir ensemble si la situation l'exige.
L'OTAN a indiqué que nous pouvions avoir des capacités dans le cyber offensif. Mais il ne s'agit pas des capacités de l'OTAN. Si le SHAPE veut utiliser des capacités offensives, il se tourne vers un pays qui sait le faire pour demander un effet. Le pays en question fournit l'effet, mais ne partage pas la façon dont il l'a effectué. Comme vous le savez, ce sujet est extrêmement sensible. C'est très bien car, une fois de plus, nous sommes dans la pleine souveraineté des nations.
Suis-je « pro-OTAN » ? Je suis persuadé de la pertinence de cette organisation, tout comme je suis persuadé de la pertinence de continuer à développer une Europe de la défense. Je ne suis pas pro-OTAN par principe ni parce que j'ai commandé dans l'OTAN. Certains sujets nécessitent d'être réaliste. À titre personnel, je ne suis pas sûr de la pertinence de la sortie des États-Unis du traité FNI. Mais, une fois de plus, l'OTAN est un forum politique dans lequel il est possible d'avoir une discussion politique sur ces questions – discussion que l'on n'a pas à l'ONU ou dans l'Union européenne. Certes, il existe des forums plus petits, comme les formats « Quad ».
Concernant Trident Juncture, l'OTAN a renoué depuis 2015 avec de grands exercices dont le but est d'entraîner l'interopérabilité des forces en grandeur réelle. Une fois que l'on a tout testé, il faut mettre des forces réellement sur le terrain. L'on pourrait penser que l'exercice effectué en Norvège en 2018 était provocateur vis-à-vis de la Russie. Ce n'était pas du tout le cas. Le premier exercice majeur que nous avons refait depuis 2002 a été le Trident Juncture de 2015. Il s'est déroulé en 2015 au Portugal et en Espagne, avec à peu près le même niveau de forces, suivant un scénario de maîtrise des crises. L'OTAN a décidé d'alterner scénario de maîtrise des crises et scénario de type « article 5 » – en l'occurrence, de façon réaliste, dans un pays où il fait froid. Ce n'était donc pas du tout une provocation. De son côté, la Russie mène des exercices Zapad avec des dizaines de milliers de personnes et s'entraîne aussi. La seule différence est que l'OTAN respecte les traités : lorsqu'un exercice engage plus de 13 000 hommes, il donne lieu à une déclaration et des observateurs doivent être présents. Tel n'est pas le cas de la Russie et c'est dommage, car il ne coûtait rien d'avoir des observateurs de l'OTAN dans l'exercice Zapad, dont nous avons estimé qu'il avait mobilisé beaucoup plus que 13 000 hommes. Donc, Trident Juncture, c'est la suite des grands exercices de l'OTAN. Ce n'est pas du tout une provocation. Ces exercices coûtent cher, mais sont intéressants. Compte tenu du degré d'emploi des forces, je pense que nous en ferons de plus petits à l'avenir.
Concernant le budget militaire à hauteur de 2 % du PIB, il existe en fait une triple règle, dite la règle des « trois C » : cash, capacités, contribution. Les États-Unis insistent, et ils ont raison, quant au fait que les pays européens ne peuvent pas dépendre du parapluie américain et doivent investir sur le cash – ce sont les 2 % – qui correspondent au niveau d'ambition de l'OTAN traduit en termes militaires. Mais cela ne suffit pas. Le budget ne fait pas tout. Ainsi, certains pays ont des budgets de défense supérieurs à celui de la France, mais investissent tout dans les salaires du personnel. Ce faisant, ils ne modernisent pas leurs capacités. Le deuxième C correspond donc aux capacités, ou capabilities. Cette règle prévoit qu'a sein des 2 %, 20 % soient consacrés à la modernisation des capacités militaires. Mais cela ne suffit encore pas. En effet, il existe un pays qui investit les 2 %, y compris pour sa modernisation, mais qui conserve le tout pour sa défense personnelle et ne met rien à disposition des coalitions menées par l'OTAN. D'où le troisième C, pour commitment. Il faut donc à la fois investir au moins 2 % pour le budget de défense, moderniser ses forces et être capable de les mettre à disposition de coalitions quand la situation l'exige. Telle est la règle, et elle me semble saine.
Comment, après les annonces américaines et russes concernant le traité FNI, faire en sorte de ne pas revenir à une course à l'armement nucléaire intermédiaire massif, notamment russe ? Croyez-vous que la décision américaine était la bonne ? Pensez-vous que les Russes saisiront l'opportunité du délai des deux mois qui courent à compter du 2 février pour se retirer du traité afin de se mettre en conformité avec leurs obligations ?
La France, comme le rappellent régulièrement le président de la République et la ministre des Armées, doit préserver son autonomie stratégique ainsi que ses capacités propres d'analyse et d'action. Pour autant, l'ensemble des pays européens s'accorde sur la complémentarité entre la défense européenne et l'OTAN. La suspension de la participation de la Russie au traité FNI, hier, renforce l'importance de l'Alliance pour garantir la sécurité en Europe. Cependant, la dépendance de certains membres de l'OTAN, comme la Bulgarie envers la Russie concernant son énergie ou la Pologne vis-à-vis des États-Unis concernant sa défense militaire, montre les limites de cette coopération. Dans ce contexte, quels sont les moyens pour la France et d'autres pays européens de développer l'initiative d'intervention européenne, voire une armée européenne ?
Vous avez rappelé les origines de la création de l'Alliance atlantique, à l'époque de la Guerre froide et de la menace soviétique. Vous nous avez indiqué les évolutions de l'OTAN et les quatre périodes qui l'ont amenée à exercer des missions différentes et multiples. Pensez-vous que l'OTAN doit jouer un rôle face à l'émergence de nouvelles puissances militaires comme la Chine, qui travaillent sur la mise au point d'armements menaçant nos intérêts vitaux, ou qui ont des velléités territoriales, notamment en mer de Chine mais aussi sur le continent africain ? Certes, ces menaces sont éloignées de notre continent. Mais les enjeux sont importants.
Vous avez indiqué que chaque pays de l'Alliance devait avoir son armée propre et mettre en commun son savoir-faire avec les autres dans le cadre d'exercices réguliers. Mais la Turquie a acquis des systèmes russes S400. En outre, les Russes ont annoncé que les Turcs pourraient être un très bon partenaire pour le développement d'un avion de cinquième génération. Dans ce contexte, comment envisager de mettre en commun certaines de nos compétences lors d'exercices ? Ces deux pays ne sont pas qualifiés d'ennemis, mais ils sont potentiellement belliqueux.
L'OTAN a été créée dans le but de faire face au pacte de Varsovie. Aujourd'hui, elle fait face à la Russie dont le PIB se situe entre celui de l'Espagne et celui de l'Italie, et qui est totalement dépendante économiquement de ses ventes de gaz, de pétrole et de charbon à l'Union européenne – soit un pays très faible, économiquement. Certes, son armée provoque nos côtes et nos espaces aériens. Certes, le président Poutine fait de temps en temps de rodomontades sur ses missiles hyper véloces et ses nouvelles armes. Mais la Russie représente-t-elle encore un enjeu suffisant au regard de l'importante machine qu'est l'OTAN aujourd'hui ?
Par ailleurs, les intérêts des États-Unis ne pousseront-ils pas ce pays à créer une sorte d'OTAN du Pacifique pour protéger le Japon, la Corée, Taïwan, Singapour, l'Indonésie, les Philippines et l'Australie face à un pays qui représente un quart de la population mondiale et qui a des ambitions techniques et militaires particulièrement importantes ?
À la fin de l'année 2018, le secrétaire général de l'ONU s'est inquiété de l'avancée technologique de l'armée chinoise. La Chine a également fondé l'Organisation de coopération de Shanghai, qui avait à l'origine des objectifs militaires et policiers. Or elle est la deuxième puissance économique mondiale et la troisième puissance militaire. Comment pensez-vous que l'OTAN peut s'adapter à ce nouveau contexte concurrentiel ? L'une des réponses pourrait-elle être son élargissement, notamment en Asie avec des pays en concurrence directe avec la Chine ?
Vous avez cité trois règles non écrites, dont celle selon laquelle il n'y aura pas d'armée européenne – ce qui va à l'encontre de ce que l'on peut parfois entendre dans les discours. Est-ce à dire que demain, une Union européenne qui créerait une armée se verrait en contradiction avec les principes de l'OTAN ?
Le retrait du traité FNI, décidé de manière unilatérale, peut-il engendrer une course aux armements nucléaires ? Malheureusement, oui. C'est la raison pour laquelle cette décision est extrêmement engageante pour le monde, et n'est pas une bonne décision. J'ignore quelle sera la position de la Russie. En tout cas, c'est l'illustration que la culture du nucléaire n'est pas encore bien renouée dans l'OTAN. Je pense que cette question est vraiment bien comprise par trois pays dans l'Alliance, mais s'avère complexe pour les autres. Nous mesurons aujourd'hui les conséquences de la perte de cette culture après la Guerre froide. Même si nous le faisons dans des forums plus petits, il importe que la France continue à faire de la pédagogie sur le nucléaire. C'est un enjeu de compréhension.
Sur l'autonomie stratégique, la complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne et la question d'une armée européenne, je tiens à préciser que l'OTAN et l'Union européenne considèrent qu'il n'y aura pas d'armée européenne au sens d'une armée qui serait complètement sous commandement de l'Union européenne et que l'OTAN ne pourrait plus utiliser. Je crois que nous aurions raison de continuer à faire dans l'Union européenne ce que l'on fait dans l'OTAN – la pleine souveraineté des nations, tout en faisant en sorte que les forces nationales puissent être mises à disposition de l'une ou l'autre organisation.
Par ailleurs, si nous voulons que la France pèse dans ce domaine et joue un rôle d'influence, nous devons être capables d'organiser des exercices internationaux – ce que nous ne faisons plus en France depuis longtemps, et c'est dommage. Je comprends très bien, pour avoir été chef d'état-major de l'armée de l'air, que les déploiements usent beaucoup nos forces armées et altèrent la capacité à mener des grands exercices. Cependant, je crois à la vertu de mener ces grands exercices – également de manière à faire des démonstrations et à montrer toute la capacité des différentes organisations à mener des opérations internationales, y compris au travers des pays et pas seulement sous le commandement de l'OTAN. Lorsque j'étais SACT, je me suis beaucoup intéressé à un exercice suédois – la Suède étant un pays partenaire –, que nous avons ensuite valorisé. Il mettait en jeu trois organisations multinationales : l'OTAN, l'ONU et l'Union européenne. La plus-value de pays qui mènent eux-mêmes des exercices en invitant des organisations internationales est réelle. Si l'on veut développer l'idée européenne, je crois que c'est ce qu'il faut que nous fassions, en incitant les nations qui ont des capacités à mener elles-mêmes des exercices.
Plusieurs questions ont porté sur l'émergence de nouvelles puissances et de la Chine. L'OTAN est une organisation euroatlantique. Pour autant, les imbrications des menaces et la globalisation du monde font que l'on ne peut pas regarder la zone euroatlantique sans s'intéresser à ce qui se passe ailleurs, notamment dans la zone pacifique et en Chine. Cela implique d'avoir du renseignement et d'analyser les tendances. Mais cela ne signifie pas changer de concept stratégique. Je crois qu'il faut que l'OTAN reste dans sa zone euroatlantique, notamment en termes de renseignement car l'on retrouve des navires chinois dans l'Atlantique et des forces chinoises en Afrique. Avoir une vision globale est indispensable. En revanche, commencer à s'ouvrir à des nations pour les intégrer constituerait une escalade. Mais comme je vous l'ai dit, il existe 42 pays partenaires – parmi lesquels le Japon, l'Australie ou des pays du Conseil de coopération du Golfe. L'OTAN développe donc déjà des critères d'interopérabilité. Par ailleurs, cinq pays partenaires ont accès à des informations classifiées : la Suède, la Finlande, la Jordanie, la Géorgie et l'Australie. Nous pouvons donc avoir des échanges d'informations et une veille mondiale. Mais je ne crois pas que ce soit la vocation de l'OTAN d'aller au-delà, en tout cas aujourd'hui.
Concernant la Turquie et les missiles russes, l'OTAN s'est très clairement prononcée en faisant savoir à la Turquie qu'il était impossible de connecter des systèmes russes à celui de l'OTAN. Si la Turquie veut avoir de tels systèmes, elle ne les connectera jamais car l'OTAN le refusera. Certes, on ne peut pas empêcher un pays souverain d'acquérir des systèmes – même si l'OTAN a fortement découragé la Turquie de continuer à acquérir des systèmes russes. Mais une chose est sûre : ces systèmes ne seront jamais connectés au système de défense aérienne de l'OTAN. Cela a été clairement affirmé.
La Russie est-elle économiquement faible ? Dans une certaine mesure, oui. Mais ses provocations sont réelles, dans tous les domaines, et vont souvent très loin. Depuis l'Ukraine, l'OTAN réaffirme régulièrement le droit international – de même que l'Union européenne et l'ONU. Cela étant, elle a toujours voulu maintenir ouvertes les voies de communication avec la Russie. Ainsi, le Conseil annuel OTAN-Russie existe toujours, même s'il n'est plus au niveau des chefs d'État mais des ambassadeurs. En outre, les militaires de l'OTAN et les militaires russes sont encouragés à se parler, notamment de manière à dissiper les malentendus. Ce dialogue existe. Il n'est pas rompu. Et comme je vous le disais, la Russie n'est pas un ennemi, mais une menace – compte tenu de ses provocations sur le droit international ou, comme nous l'avons vu avec l'utilisation d'armes chimiques sur le sol britannique par exemple.
Concernant le poids des armées russes, il convient de citer deux éléments qui concernent tous les pays. Certes, le budget de la défense russe est loin d'être celui de la défense américaine ou chinoise. Mais le fait que la Russie investisse dans des capacités d'avenir est une vraie menace. C'est le choix qu'a fait la Russie. Les autres pays, dont la France, doivent à leur tour s'interroger : faut-il consolider ses armées ou investir dans des capacités qui seront de vraies game changers demain ? La Russie a montré sa volonté de le faire. La Chine aussi. Nous devons suivre ce sujet de très près.
Enfin, les normes d'interopérabilité que développe l'OTAN sont ouvertes à tous les pays partenaires. Cela signifie que demain, s'il devait y avoir une opération, ils les utiliseraient. C'est ce que nous avons vu en Afghanistan. L'Union européenne les utilise aussi. Ces normes sont donc très importantes et représentent une plus-value de l'OTAN.
Environ 95 % des citoyens européens vivent dans des pays qui font partie de l'Alliance. Ce n'est pas anodin. Il ne serait donc pas pensable de prendre des chemins opposés dans le renforcement d'une défense européenne. Cela va de soi. Néanmoins, n'existe-t-il pas une contradiction entre les déclarations du président Trump, qui visent souvent à remettre en cause l'automaticité du déclenchement de l'article 5 en cas d'agression – et qui devraient être une forte incitation à construire l'Europe de la défense – et la tentation inverse de certains pays, notamment en Europe de l'Est, d'assurer leur sécurité en obtenant le positionnement de troupes américaines sur leur territoire et en les finançant indirectement par l'acquisition d'armements américains ?
Depuis 2009, à la suite du général Mattis issu du corps des Marines américains, quatre anciens chefs d'état-major de l'armée de l'air française se sont succédé comme SACT. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Par ailleurs, ce n'est pas à vous que je vais apprendre l'insuffisance de nos capacités en matière de transport aérien stratégique. Quel est votre avis concernant la possibilité d'y remédier dans le cadre d'un partenariat entre l'OTAN et le commandement européen du transport aérien – European Air Transport Command (EATC) ? Pensez-vous qu'une solution existe ?
Cette question du transport stratégique me semble essentielle. L'entreprise Volga-Dnepr s'est récemment retirée du contrat Salis. Il ne resterait plus qu'une entreprise – Antonov Logistics Salis. Doit-on recourir à des C5 et C17 américains ?
Par ailleurs, concernant la mobilité militaire en Europe, les armées de l'Alliance rencontrent des obstacles techniques et juridiques de nature à fragiliser l'efficacité de notre force de réaction rapide. Un projet de « Schengen militaire » existe au sein de la Coopération structurée permanente, à l'initiative des Pays-Bas. Où en sommes-nous ? Quel bilan tirez-vous de cette initiative et quelles perspectives pouvez-vous en donner ?
Pour protéger ses 29 alliés contre les cyber-attaques, l'OTAN a mis en place le Cyber Security Operations Center. Quels sont les pays qui mettent des capacités de cyberdéfense à sa disposition ? Le personnel qui participe aux missions est-il uniquement militaire ou fait-on aussi appel à des analystes civils ?
Une attaque dans l'espace exo-atmosphérique aurait des conséquences très importantes, tant pour nos capacités de défense collectives que pour nos concitoyens qui utilisent chacun, sans le savoir, une dizaine de satellites par jour. Le sujet a-t-il déjà été abordé dans le cadre otanien ? À l'image de la police du ciel de l'OTAN, pourrait-on un jour imaginer une police de l'espace de l'OTAN ? Par ailleurs, une attaque de l'espace serait-elle susceptible d'entraîner une application de l'article 5 ?
Vingt-deux pays appartiennent à la fois à l'OTAN et à l'Union européenne. Cela justifie bien la complémentarité que l'on peut rechercher entre les deux organisations. Si le président Trump a pu faire des déclarations remettant en cause l'article 5, qui constitue un « parapluie » pour un certain nombre de pays, celui-ci reste un article fort du traité de Washington, fondement de la défense collective. Je ne crois pas qu'il sera remis en cause. L'Union européenne a même plutôt reconnu qu'en cas de réelle défense collective, notamment contre un adversaire étatique, l'OTAN serait certainement l'organisation la mieux armée. Les Américains jouent leur jeu en essayant d'utiliser toutes les voies pour encourager les pays européens à acheter des capacités américaines. Mais, je l'ai dit, certains pays européens utilisent aussi l'Alliance atlantique pour favoriser l'achat de leurs capacités. Je crois qu'en France, nous avons des progrès à faire dans ces domaines.
Seuls quelques pays ont des moyens de simulation permettant de déterminer la pertinence de certains armements – par exemple en ce qui concerne l'utilisation du F35 pour percer des défenses de déni d'accès modernes. Certains se sont déclarés volontaires pour le faire, en partageant les données d'entrée et de sortie, mais pas la manière dont elles sont faites. Avec mon homologue américain, nous avons ainsi remis en cause les résultats d'une première étude trop « orientée », qui donnait trop la part belle à la solution F35. En revanche, je regrette que la France, qui a des simulateurs très performants à la direction générale de l'armement (DGA), n'ait pas la volonté de les faire tourner. Les États-Unis jouent leur jeu. Pourquoi ne faisons-nous pas de même, alors que nous sommes l'un des rares pays à pouvoir le faire ? Nous y avons même tout intérêt pour donner plus de réalisme à ces questions.
Pourquoi y a-t-il eu quatre SACT anciens chefs d'état-major de l'armée de l'air ? Une chose est sûre, pour avoir ce niveau de poste, mieux vaut avoir été chef d'état-major. Or le cycle de rotation est tel qu'il n'en sort pas tous les ans. Par ailleurs, dans l'armée de l'air comme dans la marine, la culture multinationale est extrêmement forte. Pour autant, le SACT n'est pas du tout un poste par nature dédié aux anciens chefs d'état-major de l'armée de l'air.
Les insuffisances des capacités de transport stratégiques sont réelles. C'est un vrai sujet de dépendance aux Américains. Pour réduire cette dépendance et disposer d'une véritable vision européenne, il doit être traité très sérieusement. L'EATC est une première réponse. C'est un formidable vecteur d'utilisation des soutes de toutes les capacités de transport qui volent. Mais ce n'est pas l'Union européenne. C'est un memorandum of understanding entre pays européens. Demander pourquoi l'OTAN, avec l'accord de l'Union européenne, ne l'utilise pas a été l'un de mes chevaux de bataille, mais nous n'avons pas réussi à trouver d'accord politique. Mais je pense que nous pouvons en rechercher un. Cela ferait sens. Une fois de plus, ce sont les mêmes capacités des mêmes nations.
La mobilité militaire en Europe est également un vrai sujet. Après le sommet du pays de Galles, l'OTAN a créé une brigade de réaction très rapide. Nous avons fait un exercice, durant lequel il a fallu moins de 48 heures pour la mobiliser, mais 23 jours pour franchir toutes les frontières ! Aussi chaque pays a-t-il négocié des accords relatifs aux frontières. En outre, une initiative néerlandaise a permis de fixer un cadre, car si l'OTAN est fondée à développer les normes d'interopérabilité opérationnelle, les normes sur les espaces relèvent de l'Union européenne. Elles sont développées au sein de l'Agence européenne de défense, et l'OTAN les utilise. C'est un autre exemple de la bonne complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne.
Dans ce domaine, qui plus est, on a beaucoup focalisé sur la mobilité terrestre. La mobilité aérienne est un peu plus facile, même si le problème de franchissement des frontières peut se poser. Par ailleurs, une mobilité essentielle doit être considérée de la même façon : celle des données. Aujourd'hui, le vrai échange est celui des données – dans le domaine du renseignement comme dans celui des capacités militaires. L'Union européenne a un véritable rôle à jouer dans ce domaine. Faire passer une donnée sensible d'un pays à l'autre nécessite des accords politiques. La problématique est la même que pour les autres mobilités.
En effet. Mais le franchissement des données entre les pays serait une véritable plus-value.
En effet. Le Royaume-Uni est un pays européen. Cela étant, nous pouvons commencer sans eux.
Une question portait sur la capacité cyber de l'OTAN. La quasi-totalité des nations de l'Alliance se dotent actuellement de capacités cyber très performantes. Les Américains et la France ont des capacités importantes. Le pays phare en la matière est l'Estonie, où se trouve le centre d'excellence cyber pour l'OTAN et où a été développé un champ d'entraînement pour les capacités cyber. Un deuxième pays a joué un rôle clé : le Portugal, qui accueillera en 2019 l'école pour les experts des systèmes d'information – actuellement en Italie. Cette école formera à l'entraînement individuel. La vraie capacité cyber n'est pas de savoir protéger des données, mais de pouvoir apprécier efficacement la fiabilité des données.
Par ailleurs, l'OTAN fait appel à des analystes civils. ACT compte une forte proportion de civils. Le centre d'excellence de Tallinn compte même plus de civils que de militaires. La question n'est pas de choisir entre militaires ou civils, mais d'avoir des personnes compétentes.
Enfin, l'espace est un sujet très important. Nous savons que les États-Unis, la Chine et la Russie sont capables de désorbiter des satellites ou de les détruire. Certains de ces pays l'ont prouvé. Je suis persuadé que si un conflit voyait le jour, il commencerait par l'espace. Comment nous rendre résilients par rapport à des capacités satellitaires que nous n'aurions plus, ce qui dégraderait très significativement nos capacités militaires ? L'OTAN a longtemps laissé ce sujet de côté. Mais au sommet de Bruxelles, elle a décidé de s'occuper de l'espace militaire. ACT est ainsi en train de développer une stratégie, qui reposera sur les capacités des nations, avec une vision globale.
Pour répondre à une dernière question, un conflit dans l'espace pourrait, à l'instar d'une attaque cyber, déclencher l'article 5.
Mon général, nous avions demandé sans succès, lors d'une précédente audition, la liste des pays disposant d'une capacité offensive dans l'espace. Merci d'y avoir répondu.
Information relative à la commission
La commission a procédé à la désignation de membres des missions d'information suivantes :
Mission d'information sur la politique immobilière du ministère des Armées :
– Mmes Patricia Mirallès et Sereine Mauborgne, membres ;
Mission d'information sur le continuum sécurité-développement :
– M. Stéphane Baudu, Mme Françoise Dumas, MM. Bastien Lachaud, Joaquim Pueyo et Stéphane Travert , membres ;
Mission d'information sur l'action aérospatiale de l'État :
– M. Yannick Favennec Becot, Mme Séverine Gipson, MM. Bastien Lachaud, Fabien Lainé, Joachim Son-Forget et Stéphane Trompille, membres.
La séance est levée à dix-neuf heures quinze.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Louis Aliot, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, Mme Patricia Mirallès, Mme Bénédicte Pételle, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joachim Son-Forget, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, M. Patrice Verchère
Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Didier Baichère, M. Sylvain Brial, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. Olivier Faure, M. Philippe Folliot, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jacques Marilossian, M. Franck Marlin, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Josy Poueyto, Mme Sabine Thillaye, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Charles de la Verpillière