Intervention de Pierre-Antoine Molina

Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 17h10
Commission des affaires étrangères

Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France au ministère de l'intérieur :

Tout à fait. C'est parce que la coopération européenne vient en soutien de la volonté politique des autorités nigériennes que l'on a pu obtenir ces résultats.

Le soutien que la France apporte à cette action est de nature politique. Notre pays appuie l'action du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), et de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ; le Président de la République a annoncé l'an dernier le versement de contributions exceptionnelles à ces organisations. Nous soutenons également, dans le cadre du FFU, les actions d'opérateurs comme Civipol, Expertise France, ainsi que l'Agence française de développement (AFD).

D'autre part, la France soutient les actions de réinstallation, c'est-à-dire de mise en protection légale, des personnes accueillies dans les pays de la région. Notre pays s'est engagé à accueillir 10 000 personnes sur 2018-2019, en provenance des zones de conflit, dont 3 000 personnes en provenance du Sahel. Nous avons déjà enregistré 300 arrivées depuis le Tchad et un peu moins du Niger, où il s'agit essentiellement de personnes évacuées de Libye.

S'agissant ensuite des pays de transit, l'Union européenne attend non seulement une coopération consulaire, mais surtout un contrôle des frontières. Elle a apporté un soutien considérable en Libye aux actions du HCR et de l'OIM aux migrants, aux garde-côtes libyens qui ont intercepté et secouru 14 000 personnes depuis le début de l'année, et au développement des capacités locales de sauvetage en mer. Le FFU, dans le cadre d'un programme intégré de gestion des frontières en Afrique du Nord, a débloqué récemment 55 millions d'euros en faveur du Maroc et de la Tunisie.

Le deuxième horizon est l'action aux frontières de l'Union, qui porte sur les deux rives de la Méditerranée. Je viens d'évoquer l'intérêt qu'il y a à soutenir les pays de la rive Sud pour éviter les départs et éviter les naufrages, secourir et donner l'asile aux migrants. Sur la rive nord, la France a pris sa part de l'accueil des personnes secourues en mer. Elle en a accueilli plus de 280 depuis le début de l'été, débarquées par des navires comme l'Aquarius à plusieurs reprises, et dans des situations humanitaires difficiles où des personnes avaient subi un voyage en mer plus long que prévu et que nécessaire, elle est venue en aide à ses partenaires qui avaient ouvert leurs ports. Au-delà de ces actions au cas par cas, la France souhaite que la prise en charge des arrivants sur la rive nord se fasse de façon digne, solidaire et structurée.

À cette fin, le Conseil européen des 28 et 29 juin derniers a mis en avant dans ses conclusions la notion d'arrangement de débarquement – qui a soulevé des craintes au sud, mais nous avons tous intérêt à améliorer les conditions d'accueil et de sauvetage sur la rive sud de la Méditerranée – et celle de centres contrôlés. Lors de la crise de 2015, on avait mis en place les hotspots. Les entrées illégales se faisaient jusque-là sans enregistrement ni contrôle sécuritaire, grâce à eux, ce n'est plus le cas pour la majorité. En revanche, les hotspots ont échoué pour ce qui est de la répartition des demandeurs d'asile dans l'Union. En effet, les arrivants ayant le choix, peu d'entre eux s'engageaient dans le système de relocalisation. Les centres contrôlés seront plus directifs pour répartir les demandeurs d'asile au sein de l'Union. Dans cet esprit, la Commission européenne, répondant aux suggestions de la France, a présenté le 12 septembre un ensemble de propositions législatives pour renforcer le rôle du Bureau européen d'appui en matière d'asile – European Asylum Support Office (EASO), qui deviendra l'Agence européenne de l'asile – en lui permettant d'intervenir plus dans les centres contrôlés et d'assister les pays concernés ainsi que pour un nouveau règlement de l'agence Frontex afin qu'elle dispose d'une réserve opérationnelle de 10 000 hommes, conformément à l'objectif qui a été exprimé par le Président de la République. La Commission a également proposé une révision de la directive « Retour », pour mettre en place des procédures à la frontière pour les personnes qui se verraient refuser l'entrée sur le territoire de l'Union européenne.

Au-delà de l'action aux frontières, il importe que la réforme de la législation européenne rende plus robustes nos systèmes d'immigration face aux crises migratoires. C'est l'objet des négociations sur un régime d'asile européen commun. La Commission a présenté sept textes, actuellement en discussion, pour refondre cette législation. Un assez large accord s'est dégagé sur celui relatif au règlement de réinstallation, sur la future Agence européenne de l'asile, sur le projet de règlement qualification. Sur deux éléments clés d'un régime d'asile européen commun, les négociations sont plus difficiles : la réforme du règlement « Dublin », pour passer à « Dublin IV », et le projet de règlement des procédures. Enfin, dans le même sens, il faut aussi réviser la directive « Retour ».

La France cherche à favoriser l'aboutissement de ces négociations, en particulier la réforme du règlement « Dublin », pour rendre le système moins vulnérable au détournement de procédure et diminuer les mouvements secondaires. 60 % des demandeurs d'asile qui s'adressent aux guichets uniques sont déjà connus, selon le fichier Eurodac, dans un autre État membre de l'Union. Certains déposent jusqu'à cinq ou six demandes, alors que nous appliquons les mêmes critères de définition de la protection et les mêmes procédures d'examen. Il faut pouvoir déterminer plus clairement quel pays est responsable de l'examen d'une demande d'asile. Les intérêts des uns et des autres divergent : les pays de première entrée estiment que le système « Dublin » fait peser sur eux une charge trop importante ; certains pays ont une faible tradition d'accueil et ne veulent pas se faire imposer des obligations d'accueil par l'Union européenne. Nous entendons faire progresser la négociation en définissant plus clairement la responsabilité des pays d'entrée et en instituant une solidarité plus effective. Deux éléments récents sont susceptibles de permettre une percée : les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin, grâce aux centres contrôlés et la négociation en cours sur les secours en mer, sont des éléments appréciables pour les pays d'entrée. D'autres peuvent apprécier l'idée, soutenue par la présidence du Conseil, que la solidarité peut s'exprimer d'une autre manière que par la relocalisation obligatoire. Si l'accord se fait, il faudra ensuite négocier avec le Parlement européen sur ce sujet.

J'en viens, plus rapidement, au troisième horizon, l'action interne. Un objectif de la politique migratoire est de réduire les délais de traitement des demandes d'asile, pour assurer une meilleure protection aux personnes qui y ont droit et pour éviter que le système ne soit utilisé pour prolonger un séjour, d'abord régulier puis irrégulier, sur notre territoire. L'an dernier, on s'était beaucoup ému des délais d'accès à la procédure de demande d'asile. De fait, avant que leur demande soit enregistrée, les personnes n'ont ni hébergement ni allocation. En début d'année, le délai moyen d'accès aux guichets uniques était de 25 jours ; il est désormais de trois jours, et inférieur à dix jours, durée fixée dans les textes européens, pour la quasi-totalité des guichets uniques. Le délai d'examen des dossiers par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est passé de 185 jours en 2016 à 160 jours fin 2017 et l'effort se poursuit pour parvenir à notre cible de 60 jours, afin de respecter le délai global de six mois pour toute la procédure fixé par le Président de la République.

À la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), les grèves du printemps ont fait chuter le nombre de décisions. Des moyens importants ont été dégagés. La Cour pourra recruter dès cette année 28 rapporteurs en plus des 51 postes qui lui avaient été affectés dans le PLF pour 2018, et 70 rapporteurs l'an prochain, soit la création de sept chambres supplémentaires, dans le cadre d'un plan de déstockage des dossiers pour résorber l'effet de la grève d'ici la fin de 2019. Pour réussir à réduire les délais de la procédure d'asile, il faut, en premier lieu, mieux mettre en oeuvre le règlement « Dublin », car la France est très affectée par les demandes secondaires de personnes ayant déjà fait une demande ailleurs. Les transferts dans le cadre du règlement « Dublin » ont augmenté de 35 % depuis le début de l'année. La procédure étant très complexe pour les préfectures, nous avons décidé de créer plutôt treize pôles régionaux. Et toujours pour réduire les délais, il faut mieux différencier les demandes en fonction du besoin de protection. Si l'on traite tout le monde de la même manière, le débouté qui, après le premier refus de l'OFPRA, va devant la CNDA reçoit plus d'allocation et pèse davantage sur le système d'hébergement que le réfugié. La bonne gestion consiste à traiter en priorité les demandes qui, manifestement, ne donneront pas droit à l'accueil. La loi du 10 septembre 2018 module les recours contentieux, de sorte qu'il sera désormais possible de prendre une mesure d'éloignement et de cesser les aides dès la décision de l'OFPRA, notamment pour les demandeurs issus de pays d'origine sûrs. Nous nous rapprochons, ce faisant, de l'Allemagne qui procède déjà ainsi.

En ce qui concerne la lutte contre l'immigration irrégulière, outre l'effort de contrôle aux frontières et pour démanteler les filières, grâce à la mobilisation des préfectures, les mesures d'éloignement ont augmenté de 30 % par rapport à l'an dernier à la même époque, les laissez-passer consulaires demandés aux pays de retour de 20 %, et les assignations à résidence ont aussi augmenté. Nous soutenons ce mouvement, par le pilotage des préfectures et des forces de l'ordre ; par l'extension du parc des centres de rétention administrative – selon les préfectures, leur insuffisance est la principale cause d'échec de l'éloignement – avec un plan d'augmentation de 480 places d'ici fin 2019, soit 35 % de plus qu'en 2017, avec près de 40 millions d'euros inscrits au PLF 2019 contre 5 millions au PLF 2018. S'agissant de la coopération consulaire, nous faisons beaucoup d'efforts pour la réadmission, dans les contacts diplomatiques – les plus hautes autorités de l'État font en sorte que l'on obtienne plus de reconnaissance et de documentation pour ces personnes à réadmettre. Depuis le début de l'année, nous avons obtenu 30 % de laissez-passer en plus dans les temps utiles à l'éloignement par rapport à 2017.

Enfin la troisième orientation de notre politique migratoire porte sur l'effort d'intégration des personnes admises au séjour, en particulier du flux croissant de réfugiés, plus vulnérables. Le Comité interministériel à l'intégration du 5 juin dernier a pris un certain nombre de mesures, que nous sommes en train d'appliquer. Il s'agit d'un véritable redimensionnement de la politique d'intégration. Dans la mission « Immigration, asile et intégration », les crédits du programme 104 augmentent de 46,9 % pour financer les mesures prises par le Comité interministériel, soit le doublement des heures de formation linguistique, avec des forfaits de 100, 200 et 400 heures selon le niveau linguistique détecté lors de l'entretien d'arrivée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), voire de 600 heures pour les non-lecteurs non-scripteurs les plus éloignés de la langue française. La formation civique va passer de douze heures sur deux jours consécutifs à vingt-quatre heures réparties tout au long de l'année du contrat d'intégration républicaine. On ajoute à celui-ci une dimension d'insertion professionnelle, avec orientation vers les services compétents et une palette d'actions adaptées à différents publics. Pour favoriser ces différents objectifs, les moyens des services déconcentrés sont renforcés.

Le PLF pour 2019 traduit ces différents objectifs avec une hausse de plus de 22 % des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », à périmètre courant. Il y a en effet une petite modification du programme 303 « Immigration et asile », dont les crédits augmentent de 16 %, ceux de l'action 2 consacrés à l'asile augmentant de 13 %. Ils couvrent l'extension du parc d'hébergement des demandeurs d'asile, avec la création de 3 500 places en 2019, ainsi que l'intégration au programme 303 de 9 000 places d'hébergement en Ile-de-France, financées jusqu'alors sur le programme 177. Comme ces places sont destinées à des étrangers, il est plus logique de les prendre en charge au titre du programme 303.

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