Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France au Ministère de l'intérieur.
La séance est ouverte à dix-sept heures dix.
Nous retrouvons aujourd'hui notre salle de réunion et je remercie tous ceux qui ont travaillé à sa rénovation.
Nous y recevons, dans le cadre de nos auditions budgétaires, M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France au ministère de l'intérieur. Je le remercie de s'être rendu disponible pour nous en cette après-midi particulière pour le ministère.
La question migratoire est un thème de travail important pour notre commission. J'ai moi-même rédigé un avis au nom de la Commission sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, et Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », effectue un travail substantiel, dont je le remercie.
Les migrations vers l'Union européenne sont à la baisse ; en France, en revanche, les demandes d'asile sont en augmentation. Des divergences se font jour sur la politique migratoire européenne et sur la réforme du règlement « Dublin ». Plus précisément, la migration diminue vers l'Italie mais se renforce en Méditerranée occidentale et par la Grèce, ce qui soulève des questions sur l'accord conclu avec la Turquie en mars 2016. Nous ne cessons de le répéter, je l'ai écrit dans mon avis, ce dont nous avons besoin, c'est d'une feuille de route pour une politique migratoire commune de l'Union. Nous serons donc très intéressés, monsieur le directeur, par votre exposé sur la situation actuelle et sur les marges de manoeuvre dont dispose la France pour faire progresser ses propositions, en particulier suite aux conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin dernier.
Au-delà de l'Europe, nous devons, bien entendu, nous tourner vers les pays d'origine et de transit des migrants. La question demande un dialogue approfondi avec les pays tiers et la mobilisation de tous nos outils – l'aide au développement, mais aussi l'assistance financière et technique en matière de contrôle aux frontières et de lutte contre les trafics d'êtres humains ainsi que l'amélioration de la délivrance des laisser-passer consulaires.
Je vous donne la parole.
Je vous remercie de votre invitation et, en cette journée d'importance pour le ministère de l'Intérieur en effet, je suis heureux d'intervenir dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2019. Je m'efforcerai de présenter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » à la lumière des objectifs assignés à notre ministère par le Gouvernement, sous réserve des directives que nous donnera le nouveau ministre de l'intérieur. Ces orientations, le Gouvernement les a exprimées notamment dans la communication du 12 juillet 2017, puis à l'occasion de la présentation de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, le 10 septembre 2018. Je procède à cette présentation en tant que technicien du ministère de l'intérieur. Un certain nombre de sujets que vous venez d'évoquer sont pilotés par d'autres administrations. Je m'efforcerai de les aborder, mais dans la limite des attributions qui sont les miennes.
Vous avez décrit le contexte global. Les flux de migrants irréguliers à l'entrée dans l'Union sont en diminution depuis le paroxysme atteint au deuxième semestre 2015. Cette année-là, l'agence Frontex avait détecté près de deux millions d'entrées irrégulières. En 2016, le chiffre est retombé à 500 000, notamment sous l'effet de l'accord entre l'Union et la Turquie en mars. Ce fut une année record pour la route de la Méditerranée centrale, entre la Libye et l'Italie. La baisse s'est poursuivie en 2017, avec 200 000 entrées, grâce à l'effet en année pleine de l'accord avec la Turquie et l'amorce d'une diminution sur la route entre la Libye et l'Italie. Le mouvement se poursuit en 2018, le nombre d'entrées irrégulières étant inférieur de 30 % à ce qu'on constatait pour la même période en 2017. Il couvre cependant des différences importantes : baisse très forte des arrivées en Italie – 80 % de moins qu'à la même période de 2017 –, rebond en Méditerranée orientale – plus 60 % en Grèce, même si l'on est loin de retrouver le rythme de fin 2015 et début 2016 –, augmentation de 140 % des arrivées par l'Espagne. La hiérarchie entre les routes migratoires vers l'Union européenne s'est modifiée. L'Espagne est devenue le premier pays d'entrée, devant la Grèce et l'Italie.
Parallèlement, les demandes d'asile dans l'Union ont diminué de 45 % en 2017 et encore de 14 % cette année par rapport à la même période l'an dernier.
Pour sa part, la France reste soumise à une forte pression. Les non-admissions et interpellations à la frontière avec l'Italie sont en baisse de 38 % par rapport à la même période de l'an dernier. A la frontière avec l'Espagne, elles diminuaient depuis le début de l'année mais ont recommencé à augmenter fortement depuis le début de l'été. La demande d'asile, elle, est orientée à la hausse, en particulier en raison des demandes secondaires provenant de migrants arrivés dans un autre pays de l'Union européenne. Le contingent le plus important de demandeurs sont des Afghans qui sont en Europe depuis de nombreux mois, voire plusieurs années et Ils ont déjà déposé des demandes d'asile dans d'autres pays membres, ce qui pose, j'y reviendrai, le problème de l'application du règlement « Dublin ».
Face à cette situation, le Gouvernement a défini une politique qui se décline selon plusieurs orientations.
La première orientation est d'engager une action plus dynamique à l'échelle européenne et internationale. Elle se déploie selon trois horizons : la coopération avec les pays d'origine et de transit des migrants ; les frontières de l'Union ; et à l'intérieur de l'Union, par le renforcement de la capacité à faire face aux flux migratoires.
La France soutient l'effort européen de coopération avec les pays d'origine et de transit, pour lequel le sommet de La Valette en novembre 2015 avait identifié trois types d'instruments à utiliser : le dialogue, qui se traduit par la proposition de « paquets » sur mesure pour chacun des principaux partenaires ; un plan d'investissement externe de plus de trois milliards ; la création du Fonds fiduciaire d'urgence (FFU), comme véhicule de la coopération entre l'Union et ces pays. Ce Fonds est doté de plus de 4 milliards d'euros, dont 3 milliards ont déjà été affectés.
L'Union attend des pays d'origine une amélioration de la coopération consulaire pour favoriser les retours et surtout, ce qui est plus efficace, prévenir les départs. A cette fin, plusieurs actions sont menées : à court terme, la plus susceptible d'être efficace est d'améliorer le contrôle des frontières, lutter contre les trafics et démanteler les filières de traite des êtres humains ; à moyen terme, le développement de l'état civil, et de stratégies migratoires globales de ces pays ; à long terme, le développement des capacités d'emploi.
Ces actions de coopération sont financées par le Fonds fiduciaire d'urgence. Celui-ci se répartit en « fenêtres » géographiques et nous sommes particulièrement attentifs à la fenêtre « Sahel et lac Tchad », dotée de 1,5 milliard d'euros. Des accords sur des procédures standard de retour ont été signés avec la Côte d'Ivoire et la Guinée. Les négociations sont en cours avec le Nigeria. Au Niger, l'aide en équipements et pour démanteler les filières d'immigration irrégulière grâce à la mission civile de l'Union européenne au Mali, EUCAP Sahel Mali, dont la France est premier contributeur, l'action de l'équipe conjointe d'investigation de policiers espagnols, français et nigériens ont abouti à une forte baisse des flux vers la Libye – alors que 40 % des flux transsahariens passaient par le Niger. Ainsi, les départs de bus de Niamey vers Agadès ont diminué de 40 % depuis le début de l'année.
Tout à fait. C'est parce que la coopération européenne vient en soutien de la volonté politique des autorités nigériennes que l'on a pu obtenir ces résultats.
Le soutien que la France apporte à cette action est de nature politique. Notre pays appuie l'action du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), et de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ; le Président de la République a annoncé l'an dernier le versement de contributions exceptionnelles à ces organisations. Nous soutenons également, dans le cadre du FFU, les actions d'opérateurs comme Civipol, Expertise France, ainsi que l'Agence française de développement (AFD).
D'autre part, la France soutient les actions de réinstallation, c'est-à-dire de mise en protection légale, des personnes accueillies dans les pays de la région. Notre pays s'est engagé à accueillir 10 000 personnes sur 2018-2019, en provenance des zones de conflit, dont 3 000 personnes en provenance du Sahel. Nous avons déjà enregistré 300 arrivées depuis le Tchad et un peu moins du Niger, où il s'agit essentiellement de personnes évacuées de Libye.
S'agissant ensuite des pays de transit, l'Union européenne attend non seulement une coopération consulaire, mais surtout un contrôle des frontières. Elle a apporté un soutien considérable en Libye aux actions du HCR et de l'OIM aux migrants, aux garde-côtes libyens qui ont intercepté et secouru 14 000 personnes depuis le début de l'année, et au développement des capacités locales de sauvetage en mer. Le FFU, dans le cadre d'un programme intégré de gestion des frontières en Afrique du Nord, a débloqué récemment 55 millions d'euros en faveur du Maroc et de la Tunisie.
Le deuxième horizon est l'action aux frontières de l'Union, qui porte sur les deux rives de la Méditerranée. Je viens d'évoquer l'intérêt qu'il y a à soutenir les pays de la rive Sud pour éviter les départs et éviter les naufrages, secourir et donner l'asile aux migrants. Sur la rive nord, la France a pris sa part de l'accueil des personnes secourues en mer. Elle en a accueilli plus de 280 depuis le début de l'été, débarquées par des navires comme l'Aquarius à plusieurs reprises, et dans des situations humanitaires difficiles où des personnes avaient subi un voyage en mer plus long que prévu et que nécessaire, elle est venue en aide à ses partenaires qui avaient ouvert leurs ports. Au-delà de ces actions au cas par cas, la France souhaite que la prise en charge des arrivants sur la rive nord se fasse de façon digne, solidaire et structurée.
À cette fin, le Conseil européen des 28 et 29 juin derniers a mis en avant dans ses conclusions la notion d'arrangement de débarquement – qui a soulevé des craintes au sud, mais nous avons tous intérêt à améliorer les conditions d'accueil et de sauvetage sur la rive sud de la Méditerranée – et celle de centres contrôlés. Lors de la crise de 2015, on avait mis en place les hotspots. Les entrées illégales se faisaient jusque-là sans enregistrement ni contrôle sécuritaire, grâce à eux, ce n'est plus le cas pour la majorité. En revanche, les hotspots ont échoué pour ce qui est de la répartition des demandeurs d'asile dans l'Union. En effet, les arrivants ayant le choix, peu d'entre eux s'engageaient dans le système de relocalisation. Les centres contrôlés seront plus directifs pour répartir les demandeurs d'asile au sein de l'Union. Dans cet esprit, la Commission européenne, répondant aux suggestions de la France, a présenté le 12 septembre un ensemble de propositions législatives pour renforcer le rôle du Bureau européen d'appui en matière d'asile – European Asylum Support Office (EASO), qui deviendra l'Agence européenne de l'asile – en lui permettant d'intervenir plus dans les centres contrôlés et d'assister les pays concernés ainsi que pour un nouveau règlement de l'agence Frontex afin qu'elle dispose d'une réserve opérationnelle de 10 000 hommes, conformément à l'objectif qui a été exprimé par le Président de la République. La Commission a également proposé une révision de la directive « Retour », pour mettre en place des procédures à la frontière pour les personnes qui se verraient refuser l'entrée sur le territoire de l'Union européenne.
Au-delà de l'action aux frontières, il importe que la réforme de la législation européenne rende plus robustes nos systèmes d'immigration face aux crises migratoires. C'est l'objet des négociations sur un régime d'asile européen commun. La Commission a présenté sept textes, actuellement en discussion, pour refondre cette législation. Un assez large accord s'est dégagé sur celui relatif au règlement de réinstallation, sur la future Agence européenne de l'asile, sur le projet de règlement qualification. Sur deux éléments clés d'un régime d'asile européen commun, les négociations sont plus difficiles : la réforme du règlement « Dublin », pour passer à « Dublin IV », et le projet de règlement des procédures. Enfin, dans le même sens, il faut aussi réviser la directive « Retour ».
La France cherche à favoriser l'aboutissement de ces négociations, en particulier la réforme du règlement « Dublin », pour rendre le système moins vulnérable au détournement de procédure et diminuer les mouvements secondaires. 60 % des demandeurs d'asile qui s'adressent aux guichets uniques sont déjà connus, selon le fichier Eurodac, dans un autre État membre de l'Union. Certains déposent jusqu'à cinq ou six demandes, alors que nous appliquons les mêmes critères de définition de la protection et les mêmes procédures d'examen. Il faut pouvoir déterminer plus clairement quel pays est responsable de l'examen d'une demande d'asile. Les intérêts des uns et des autres divergent : les pays de première entrée estiment que le système « Dublin » fait peser sur eux une charge trop importante ; certains pays ont une faible tradition d'accueil et ne veulent pas se faire imposer des obligations d'accueil par l'Union européenne. Nous entendons faire progresser la négociation en définissant plus clairement la responsabilité des pays d'entrée et en instituant une solidarité plus effective. Deux éléments récents sont susceptibles de permettre une percée : les conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin, grâce aux centres contrôlés et la négociation en cours sur les secours en mer, sont des éléments appréciables pour les pays d'entrée. D'autres peuvent apprécier l'idée, soutenue par la présidence du Conseil, que la solidarité peut s'exprimer d'une autre manière que par la relocalisation obligatoire. Si l'accord se fait, il faudra ensuite négocier avec le Parlement européen sur ce sujet.
J'en viens, plus rapidement, au troisième horizon, l'action interne. Un objectif de la politique migratoire est de réduire les délais de traitement des demandes d'asile, pour assurer une meilleure protection aux personnes qui y ont droit et pour éviter que le système ne soit utilisé pour prolonger un séjour, d'abord régulier puis irrégulier, sur notre territoire. L'an dernier, on s'était beaucoup ému des délais d'accès à la procédure de demande d'asile. De fait, avant que leur demande soit enregistrée, les personnes n'ont ni hébergement ni allocation. En début d'année, le délai moyen d'accès aux guichets uniques était de 25 jours ; il est désormais de trois jours, et inférieur à dix jours, durée fixée dans les textes européens, pour la quasi-totalité des guichets uniques. Le délai d'examen des dossiers par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est passé de 185 jours en 2016 à 160 jours fin 2017 et l'effort se poursuit pour parvenir à notre cible de 60 jours, afin de respecter le délai global de six mois pour toute la procédure fixé par le Président de la République.
À la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), les grèves du printemps ont fait chuter le nombre de décisions. Des moyens importants ont été dégagés. La Cour pourra recruter dès cette année 28 rapporteurs en plus des 51 postes qui lui avaient été affectés dans le PLF pour 2018, et 70 rapporteurs l'an prochain, soit la création de sept chambres supplémentaires, dans le cadre d'un plan de déstockage des dossiers pour résorber l'effet de la grève d'ici la fin de 2019. Pour réussir à réduire les délais de la procédure d'asile, il faut, en premier lieu, mieux mettre en oeuvre le règlement « Dublin », car la France est très affectée par les demandes secondaires de personnes ayant déjà fait une demande ailleurs. Les transferts dans le cadre du règlement « Dublin » ont augmenté de 35 % depuis le début de l'année. La procédure étant très complexe pour les préfectures, nous avons décidé de créer plutôt treize pôles régionaux. Et toujours pour réduire les délais, il faut mieux différencier les demandes en fonction du besoin de protection. Si l'on traite tout le monde de la même manière, le débouté qui, après le premier refus de l'OFPRA, va devant la CNDA reçoit plus d'allocation et pèse davantage sur le système d'hébergement que le réfugié. La bonne gestion consiste à traiter en priorité les demandes qui, manifestement, ne donneront pas droit à l'accueil. La loi du 10 septembre 2018 module les recours contentieux, de sorte qu'il sera désormais possible de prendre une mesure d'éloignement et de cesser les aides dès la décision de l'OFPRA, notamment pour les demandeurs issus de pays d'origine sûrs. Nous nous rapprochons, ce faisant, de l'Allemagne qui procède déjà ainsi.
En ce qui concerne la lutte contre l'immigration irrégulière, outre l'effort de contrôle aux frontières et pour démanteler les filières, grâce à la mobilisation des préfectures, les mesures d'éloignement ont augmenté de 30 % par rapport à l'an dernier à la même époque, les laissez-passer consulaires demandés aux pays de retour de 20 %, et les assignations à résidence ont aussi augmenté. Nous soutenons ce mouvement, par le pilotage des préfectures et des forces de l'ordre ; par l'extension du parc des centres de rétention administrative – selon les préfectures, leur insuffisance est la principale cause d'échec de l'éloignement – avec un plan d'augmentation de 480 places d'ici fin 2019, soit 35 % de plus qu'en 2017, avec près de 40 millions d'euros inscrits au PLF 2019 contre 5 millions au PLF 2018. S'agissant de la coopération consulaire, nous faisons beaucoup d'efforts pour la réadmission, dans les contacts diplomatiques – les plus hautes autorités de l'État font en sorte que l'on obtienne plus de reconnaissance et de documentation pour ces personnes à réadmettre. Depuis le début de l'année, nous avons obtenu 30 % de laissez-passer en plus dans les temps utiles à l'éloignement par rapport à 2017.
Enfin la troisième orientation de notre politique migratoire porte sur l'effort d'intégration des personnes admises au séjour, en particulier du flux croissant de réfugiés, plus vulnérables. Le Comité interministériel à l'intégration du 5 juin dernier a pris un certain nombre de mesures, que nous sommes en train d'appliquer. Il s'agit d'un véritable redimensionnement de la politique d'intégration. Dans la mission « Immigration, asile et intégration », les crédits du programme 104 augmentent de 46,9 % pour financer les mesures prises par le Comité interministériel, soit le doublement des heures de formation linguistique, avec des forfaits de 100, 200 et 400 heures selon le niveau linguistique détecté lors de l'entretien d'arrivée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), voire de 600 heures pour les non-lecteurs non-scripteurs les plus éloignés de la langue française. La formation civique va passer de douze heures sur deux jours consécutifs à vingt-quatre heures réparties tout au long de l'année du contrat d'intégration républicaine. On ajoute à celui-ci une dimension d'insertion professionnelle, avec orientation vers les services compétents et une palette d'actions adaptées à différents publics. Pour favoriser ces différents objectifs, les moyens des services déconcentrés sont renforcés.
Le PLF pour 2019 traduit ces différents objectifs avec une hausse de plus de 22 % des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », à périmètre courant. Il y a en effet une petite modification du programme 303 « Immigration et asile », dont les crédits augmentent de 16 %, ceux de l'action 2 consacrés à l'asile augmentant de 13 %. Ils couvrent l'extension du parc d'hébergement des demandeurs d'asile, avec la création de 3 500 places en 2019, ainsi que l'intégration au programme 303 de 9 000 places d'hébergement en Ile-de-France, financées jusqu'alors sur le programme 177. Comme ces places sont destinées à des étrangers, il est plus logique de les prendre en charge au titre du programme 303.
Monsieur le directeur général, vous parlez en spécialiste. Mais tous ceux qui regardent cette audition ne sont pas aussi initiés. Plutôt que les numéros des programmes, mieux vaudrait dire de quoi ils parlent.
a. Les crédits de l'action 3 de ce même programme, « Lutte contre l'immigration irrégulière », augmentent de 66 %, essentiellement pour assurer l'extension du parc de centres de rétention administrative : l'investissement passe de cinq à trente-neuf millions, et les coûts de fonctionnement vont augmenter puisqu'il y aura plus de personnes en rétention et de frais de billetterie. Quant au programme 104 « Intégration », ses crédits augmentent de 46,9 % pour tirer les conséquences des décisions du comité interministériel à l'intégration. Il s'agit d'améliorer l'accès des réfugiés au logement, grâce à la poursuite du programme des centres provisoires d'hébergement, destinés à favoriser le passage des plus vulnérables d'entre eux, vers le logement de droit commun, auquel ils ont parfois du mal à avoir accès en raison de la tension sur le marché mais aussi du manque de garanties pour le bailleur. Enfin dans le cadre de ce programme, les moyens de l'OFII seront renforcés.
Vous voudrez bien me pardonner d'avoir été parfois un peu technique, mais je vais répondre à vos questions sur des points qui auraient pu rester obscurs.
Je vous remercie. Avant de donner la parole aux représentants des groupes, je laisse Pierre-Henri Dumont s'exprimer en tant que rapporteur pour avis.
Nous avons déjà échangé sur ce sujet, et je souhaite ne pas l'aborder d'un point de vue très technique. Mais plusieurs questions me viennent à l'esprit.
D'abord, les demandes d'asile déposées en France augmentent – de 17 % en 2017, d'environ 12 % cette année – et le système est fragilisé par la durée de traitement et la saturation des capacités d'accueil. L'OFPRA a effectivement fait des efforts pour réduire les délais de traitement, passés de 183 jours en 2017 à 140 jours au premier semestre. L'automatisation de la convocation des demandeurs d'asile a été mise en place et doit être généralisée d'ici la fin de l'année. L'objectif de traiter les dossiers en deux mois, annoncé par le Gouvernement, ne sera pas atteint en 2018, de toute évidence, et pour 2019 la dotation de l'OFPRA, à 70,6 millions d'euros, n'augmente que de 1 %. Le Gouvernement justifie cette évolution par une stabilisation des demandes d'asile. Or, malgré la diminution des arrivées dans l'Union européenne, le nombre de demandeur d'asile en France a continué à augmenter. Rien ne laisse penser que la tendance va s'inverser. De plus cette augmentation du nombre de demandes se traduit dans les frais de fonctionnement, par exemple d'interprétariat, et la simple hausse des frais incompressibles de l'OFPRA pourrait atteindre le million d'euros. Considérez-vous que cette hypothèse d'une non croissance des demandes d'asile est réaliste et donc, puisqu'elle fonde le budget de l'OFPRA, si celui-ci est tenable ?
Ce budget fait un effort pour l'hébergement : après les 4 000 places crées en 2018, 3 500 sont prévues en 2019. Mais même en intégrant les 9 000 places des centres d'hébergement d'urgence pour migrants en Ile-de-France, on constate que la fluidité ne s'améliore pas, au contraire. Selon l'OFII, au 31 août 2018, 12 003 déboutés seraient toujours dans le dispositif national d'asile : 13 % des places sont donc occupées par des personnes qui ne devraient pas y être, avec les coûts supplémentaires que cela implique, par exemple sur l'allocation pour demandeur d'asile. Quels moyens consacrez-vous à fluidifier le dispositif national d'asile, ce qui permettrait aussi des économies ?
Ensuite, les procédures de non-admission sont en forte hausse, passant de 15 000 en 2015 à 64 000 en 2016 et 87 000 en 2017. Mais l'implication de Frontex et du corps de garde-côtes européen exigera le basculement de 370 postes à temps plein de la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) vers Frontex en 2020. Faute de crédits supplémentaires, les effectifs aux frontières risquent donc de diminuer, ce qui signifiera moins de non-admission et plus d'irréguliers sur notre territoire.
Enfin, l'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) se dégrade année après année : de 17 % en 2015, on est passé à 14,3 % en 2016, 13,5 % en 2017 et 12,6 % au premier semestre 2018 – et ce malgré la délivrance de plus de laissez-passer consulaires. Comment l'expliquer et quelles sont les pistes d'amélioration ?
Vous m'interrogez en premier lieu sur la gestion du système d'asile. Nous avons construit le PLF sur l'hypothèse d'une stabilité des demandes en 2019. Prévoir cette demande n'est pas chose facile. Il n'y a aucune raison de penser qu'elle sera en augmentation perpétuelle. Au contraire, il y a tout lieu de penser que la forte baisse des demandes dans l'Union européenne se répercutera en France. Ce n'est pas encore le cas car la France a été une destination de rebond pour des personnes ayant déjà fait une demande dans un autre pays. Pour infléchir cette tendance, nous voulons mettre en oeuvre de la façon la plus effective le règlement « Dublin », aux termes duquel les demandes secondaires ne relèvent pas de nos obligations. C'est donc sur cette base qu'a été calculée la dotation de l'OFPRA pour 2019.
Mais les moyens de l'Office ont été très renforcés ces dernières années, avec 80 % d'officiers de protection en plus sur trois ans. Il a la capacité de faire face à la demande en 2018. Et il est cohérent avec la prévision d'une stabilisation, de ne pas augmenter ses crédits. Pour atteindre l'objectif d'un délai global de deux mois de traitement, on attend plutôt que l'OFPRA améliore les méthodes, par exemple une amélioration pour les convocations et les notifications. La loi du 10 septembre 2018, qui entrera en application au 1er janvier prochain, supprime l'obligation de délivrer les notifications par recommandé avec accusé de réception.
Ce que vous dites du parc d'hébergement des demandeurs d'asile renforce ce que j'avançais : il faut traiter en priorité les dossiers des demandeurs qui, d'évidence, n'ont pas besoin de protection. A ne pas le faire, on compromet la fluidité. Or elle est nécessaire : cela suppose d'améliorer d'une part le départ des réfugiés vers le logement et d'autre part celui des déboutés par l'éloignement. Sur le premier objectif, la circulaire du 12 décembre 2017 relative au relogement des personnes bénéficiaires d'une protection internationale mobilise 20 000 logements pour ce public en 2018 et on compte aussi sur les centres provisoires d'hébergement dont j'ai parlé. Sur le deuxième objectif, nous demandons aux préfectures d'assurer un suivi attentif des déboutés et nous mettons en oeuvre la sortie d'hébergement grâce au référé « mesures utiles » et un système automatisé d'alerte des préfectures à propos des déboutés permet de mieux mettre en oeuvre les OQTF et les mesures d'éloignement.
Cela me conduit à votre deuxième question, sur le taux d'exécution des OQTF. Je ne me fie pas beaucoup à cet indicateur qui est hétérogène. Au dénominateur, on utilise le nombre d'OQTF prises par les services préfectoraux. Il y en a eu 103 000 en 2017, ce qui est beaucoup plus que tous nos partenaires. Ainsi l'Allemagne a traité l'an dernier 400 000 demandes d'asile et débouté 200 000 demandeurs, mais a pris moins d'OQTF que nous. Forcément, cela leur donne un meilleur taux d'exécution. On pourrait faire augmenter le taux d'exécution en demandant aux préfectures de prendre moins d'OQTF, mais ce ne serait pas justifié du point de vue de la lutte contre l'immigration irrégulière. Nous donnons au contraire instruction de délivrer systématiquement une OQTF quand une personne est arrêtée en situation irrégulière ou quand la demande d'asile ou de titre de séjour est rejetée. Quant au numérateur de ce taux d'exécution, il additionne les éloignements contraints, les éloignements aidés et les retours spontanés, trois catégories qui n'ont pas le même sens pour l'immigration irrégulière.
Enfin, les hommes de la police aux frontières sont, en effet, fortement mis à contribution puisqu'on leur demande d'être plus aux frontières, plus dans les centres de rétention, et de démanteler davantage de filières. Ce qu'a obtenu la police aux frontières (PAF) dans le cadre du renforcement des effectifs de la police nationale ne suffit pas – c'est le point de vue du responsable de la direction des étrangers, qui n'est pas en charge de cette question. Mais la montée en puissance de Frontex ne me semble pas susceptible d'avoir l'effet que vous dites. En effet, reste à négocier au niveau européen quels effectifs seront demandés à chacun, sous quelle forme, à quel rythme, quels agents seront affectés à Frontex en propre… Nous nous assurerons donc que cette montée en puissance, que nous souhaitons, se fasse de façon conciliable avec nos objectifs nationaux.
Nous passons aux questions, forcément plus brèves que l'intervention du rapporteur pour avis.
Pour m'en tenir à votre champ de compétences, qui ne couvre pas tous les aspects politiques de la question, que pouvez-vous nous dire de la sortie des décrets d'application de la loi du 10 septembre 2018 relative à l'asile et à l'immigration ?
Sur les sujets européens, je vous invite à relire le rapport pour avis remis en mars par Mme de Sarnez au nom de notre commission sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif. Elle y fait un rapport circonstancié sur les points de négociation à prendre en compte dans l'agenda de négociation à propos du règlement « Dublin », mais aussi des dispositifs d'urgence, qui n'ont pas été mis en oeuvre. C'est un travail important, à prendre en compte. Je vous invite aussi à lire le dernier rapport Conseil européen des relations internationales – European Council on Foreign Relations (ECFR) – intitulé « Vers une approche plus globale pour stabiliser le Sahel ? » Ce document d'une trentaine de pages pointe l'empilement des modes d'approche de l'Union européenne, avec EUCAP Sahel Niger, EUCAP Sahel Mali, le groupe d'action rapide surveillance et intervention au Sahel (GAR-SI). On ne pourra comprendre les dynamiques de migration qu'en ayant une approche commune de tous ces éléments, or on en dispose en ordre dispersé. Ce rapport est utile pour les négociations à venir.
Sur le plan budgétaire, on observe que les retours volontaires vers les pays d'immigration sont passés de 3 400 en 2018 à 4 800 en 2018. Vous avez dit que l'objectif est d'alimenter cette aide au retour dans la limite de la soutenabilité de cette démarche. Effectivement, elle coûte cher et peut provoquer un effet de noria. Quelles leçons tirez-vous de cette dynamique d'augmentation ? Enfin, vous avez repris un amendement parlementaire donnant à l'OFII la possibilité d'accompagner ces retours volontaires pas seulement à partir du territoire national, mais aussi d'un pays de transit vers le pays d'origine. Est-ce un élément que vous avez à l'esprit quand vous parlez de renforcer l'action de l'OFII ?
Les dispositions de la loi du 10 septembre entreront en application en deux vagues, soit le 1er janvier 2019 pour les dispositions relatives à l'asile et à l'immigration irrégulière, et le 1er mars pour les dispositions relatives au séjour et à l'intégration. Les textes d'application pour la première vague sont bien avancés. Je viens de signer la saisine du Conseil d'État. Il y aura trois décrets en Conseil d'État plus un décret simple et quelques arrêtés. Nous serons dans les bonnes conditions pour l'application au 1er janvier et sans doute pour permettre aux services qui seront en charge d'appliquer ces dispositions de se les approprier. Je suis intervenu hier devant les directeurs de l'immigration des préfectures et nous aurons encore deux sessions de formation, laquelle est obligatoire pour les services des étrangers des préfectures.
J'avais, bien entendu, pris connaissance du rapport pour avis de Mme la présidente sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et une intégration réussie. Je dois avouer que je ne saurais dire pourquoi on n'a pas utilisé le dispositif d'alerte du règlement « Dublin ». La question n'a tout simplement pas surgi…
Il y a deux mécanismes dont l'Union européenne ne s'est pas saisie au moment de la crise migratoire : le mécanisme d'alerte rapide et le mécanisme de « protection temporaire ». En tout cas on n'a pas présenté les choses sous cet angle aux opinions publiques.
Sur la protection temporaire, nous nous sommes interrogés avec le HCR notamment, mais nous avons conclu que ce n'était pas efficace. Faute d'articulation avec la demande d'asile, les bénéficiaires de la protection temporaire pouvaient en déposer une dans le même temps. Sur le mécanisme d'alerte précoce, en effet, le débat n'a pas eu lieu.
S'agissant de la cohérence de notre action au Sahel, nous essayons de l'assurer en lien avec notre ambassadeur pour le Sahel pour les migrations, puisqu'il est rattaché à la fois au ministère de l'intérieur et au ministère des affaires étrangères, donc au carrefour pour le volet migratoire et les autres volets de notre action dans cette région, à laquelle le Gouvernement est très attentif.
Enfin, l'aide au retour volontaire se développe beaucoup. L'an dernier, 7000 personnes en ont bénéficié soit deux fois plus qu'en 2016. Elles devraient être 12 000 cette année. Pour éviter l'effet de noria que vous avez mentionné, l'aide doit profiter à des personnes issues de pays où des visas sont émis, sinon le retour en France peut se faire trop facilement. C'est pourquoi nous avons abandonné le retour volontaire pour les ressortissants de l'Union européenne. Nous avons aussi beaucoup diminué le montant de l'aide au retour pour les pays non soumis à visa, notamment ceux des Balkans. En revanche, il est intéressant de l'utiliser pour des pays comme l'Afghanistan et le Soudan, vers lesquels l'éloignement contraint est très délicat.
Vous souhaitez que l'on favorise le retour d'un pays de transit vers le pays d'origine ; le mandat de l'OFII a été modifié à cet effet. On lui demande de travailler avec l'OIM qui mène une action massive dans ce domaine, avec plusieurs dizaines de milliers de retours de Libye vers le pays d'origine. L'OFII peut, par ses représentations à l'étranger, mettre à disposition son savoir-faire en matière d'aide à la réinsertion, que l'OIM assure ou non selon les lieux.
Madame la présidente, je vous félicite du soin apporté à la rénovation de la salle. Elle est réussie et nos conditions de travail en sont meilleures.
Monsieur le directeur général, je voudrais parler de l'Europe. La question migratoire préoccupe beaucoup ses citoyens et est un facteur de divisions. J'ai le sentiment que, parfois, notre Gouvernement les entretient. Ce n'est pas la meilleure des attitudes car en la matière il faut essayer de rassembler plutôt que d'opposer. Sur les migrations, l'asile, ce qu'on fait des déboutés, l'Europe ne trouve pas de position commune. On a donc besoin de tout le monde, et il ne s'agit pas de lancer des anathèmes contre tel ou tel gouvernement qui, même s'il ne vous convient pas, est issu d'une élection démocratique. Alors, quelles sont, de votre point de vue, les chances que l'Europe aboutisse à une politique d'immigration commune, quelles sont les chances réelles de réforme du règlement « Dublin III » ?
Le Gouvernement mène une politique qui ne vise pas à diviser mais, au contraire, à trouver sur ces questions délicates, un consensus suffisant. L'épisode de 2015 a été traumatisant. Le Conseil européen avait alors émis un vote à la majorité qualifiée sur la relocalisation des arrivants. Le gouvernement polonais, différent à l'époque, avait voté pour la relocalisation obligatoire. Mais une législation européenne a contraint des pays à accueillir des demandeurs d'asile contre leur volonté. Certains l'ont contestée, la Cour de justice européenne les a déboutés. Il en est résulté un sentiment de division qu'aucun gouvernement européen ne veut revivre. Pour parvenir à un consensus suffisant, il faut continuer à négocier en s'appuyant sur un certain nombre d'éléments – d'autres sont plus délicats. L'accord s'est fait, pas seulement dans les pays les plus exposés de la façade sud, pour dire que la priorité est de prévenir les départs. Il y a aussi un large consensus sur la nécessité de rendre les retours plus efficaces – nous l'avons constaté avec la ministre Jacqueline Gourault la semaine dernière à Luxembourg.
Il en va de même pour l'amélioration des systèmes d'asile. En revanche, les états membres n'ont pas les mêmes traditions, ni le même contexte démographique et socioéconomique, donc pas la même perception de leurs intérêts quant à l'accueil. Sur les migrations légales et la répartition des demandeurs d'asile, les différences sont fortes dans l'Union.
Pour obtenir un consensus, plutôt que d'imposer une politique migratoire unique, il faut sans doute laisser aux états membres le choix de politiques qui peuvent varier d'un état membre à l'autre. Mais sur l'asile, la législation est largement unifiée. La négociation la plus délicate porte donc sur le règlement « Dublin ». C'est aussi l'une des plus importantes pour nous et nous n'épargnons pas nos efforts, sur des points qui comptent pour les pays d'entrée, comme le sort des personnes secourues en mer. Même si la France est attachée au principe de la responsabilité du pays le plus proche, elle leur manifeste sa solidarité. Quant aux pays d'Europe centrale et orientale dont les traditions d'accueil peuvent être différentes, la France est prête à exprimer de multiples manières sa solidarité. Sur ces bases, sans nous cacher la difficulté de la tâche, nous espérons parvenir à un accord. La présidence autrichienne a d'ailleurs annoncé vendredi dernier qu'elle ferait de nouvelles propositions.
La question migratoire est un enjeu international dont les dirigeants européens ont à présent pris toute la mesure. L'instabilité des pays d'origine fait des flux migratoires un élément structurant de notre politique nationale mais aussi de notre politique extérieure et de son articulation avec la politique européenne. Pour ce qui est de l'accueil des migrants, la France mène une politique volontariste, notamment en renforçant de façon importante dès cette année l'aide au développement. Les crédits consacrés à la mission « Immigration, asile, intégration » témoignent aussi de cette volonté. D'autre part, l'Europe veut enfin se doter des outils à la mesure de ces enjeux avec le plan européen de contrôle aux frontières, de retour des déboutés et de responsabilité européenne en matière d'asile. Le futur cadre financier pluriannuel intègre pleinement ces priorités. Comment vos services et ceux de l'Union collaborent-ils en la matière et comment une montée en puissance de l'investissement européen pourra-t-elle compléter l'effort budgétaire de la France et garantir une meilleure coordination des services et leur efficacité ?
En effet, le gouvernement français est en faveur d'un investissement plus important de l'Europe dans la gestion des flux migratoires, qu'il s'agisse du contrôle extérieur ou de l'asile, et nous attendons plus de moyens dans le prochain cadre financier pluriannuel.
Il est important de rétablir les contrôles aux frontières extérieures de l'Union si l'on souhaite que l'espace Schengen fonctionne correctement. Actuellement, cinq états membres, dont la France pour des motifs sécuritaires, ont rétabli les contrôles aux frontières intérieures. Pour des motifs du même ordre comme face aux flux migratoires, il importe de se montrer plus efficaces aux frontières extérieures. C'est l'une des fonctions des centres contrôlés dont nous demandons la mise en place, et une raison pour réviser la directive « Retour ». Lorsqu'une personne ne remplit pas les conditions d'entrée dans l'espace Schengen, le code « Frontières » se borne à dire que l'état membre concerné doit faire en sorte que la personne n'entre pas dans l'espace Schengen. Mais s'agissant des entrées irrégulières par voie maritime et même aérienne, la législation européenne ne détaille pas davantage les obligations des États membres. Dans la proposition de révision de la directive retour que la Commission a présentée le 12 septembre, figurent des éléments qui s'apparentent à la procédure française de la non-admission et du placement en zone d'attente, alors que ces instruments juridiques font défaut à certains de nos partenaires.
Outre le cadre juridique, nous voulons renforcer nos capacités opérationnelles avec une réserve de 10 000 hommes pour l'agence Frontex, développer nos systèmes d'information des contrôles aux frontières – avec le système d'entrée-sortie, l'European Travel Information and Authorization System (ETIAS) et l'interopérabilité des fichiers qui donne lieu à des négociations sur les législations.
L'investissement européen doit se renforcer dans le domaine de l'asile, et c'est l'objet des négociations sur le paquet asile, ainsi que du renforcement des prérogatives de l'Agence européenne de l'asile (EASO), afin qu'elle veille à ce que chacun remplisse effectivement ses obligations et que les États rapprochent des pratiques nationales qui divergent beaucoup. Dans ses propositions pour le cadre financier pluriannuel, la Commission prévoit une augmentation de 255 %, à 35 milliards d'euros, des fonds de la rubrique 4, « L'Europe dans le monde », qui portent essentiellement sur la politique migratoire.
Les reconductions hors du territoire provoquent des polémiques récurrentes. Le 7 septembre dernier, une famille albanaise en situation irrégulière est expulsée par la France en jet privé. Au-delà du caractère brutal de l'expulsion, cette procédure a coûté 100 000 euros d'après un collectif associatif des Vosges. Ne mentionnons pas le contrat de 1,5 million d'euros par an pour transporter des migrants de Calais vers des centres de rétention. J'aimerais avoir la garantie que l'expulsion de cette famille albanaise, qui n'appelle pas de question sur le fond, est bien une opération isolée. On imaginerait qu'on utiliserait un vol régulier, pas un jet privé. Mais il semblerait que ce soit souvent le cas.
Vous évoquiez aussi la prévention des départs depuis les pays d'origine. Mais on pense que de 300 000 à 800 000 personnes seront déplacées par les derniers grands combats menés par la Russie et les troupes syriennes dans le nord de la Syrie. Tous ne choisiront pas la France comme destination, mais leur nombre risque d'être important. A-t-on imaginé une stratégie avec nos partenaires européens ou, comme pour l'accueil de l'Aquarius, allons-nous agir dans l'urgence et sous la contrainte médiatique ?
S'agissant de l'éloignement des familles, la plupart des vecteurs utilisés sont des vols commerciaux. Il arrive que nous utilisions des vols dédiés – de là à parler de « jet privé » comme on l'entend, je récuse le terme ! En fait, nous avons un marché privé pour un aéronef…
… que nous louons coque nue, la police aux frontières fournissant les équipages. Il permet de procéder à des éloignements particulièrement difficiles. Cet aéronef est à disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, et son immobilisation a un coût. Il procède pour l'essentiel à des vols d'éloignement des personnes, mais peut, de manière marginale, accomplir d'autres missions. Nous utilisons aussi des vols de Frontex et des aéronefs de la sécurité civile, hors période de feu, pour réaliser des éloignements groupés. L'appareil Beechcraft que nous louons sur des crédits du programme 303 consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière a réalisé, en 2017, 450 éloignements. Ce n'est pas une mauvaise manière d'utiliser l'argent public. Le coût par personne éloignée, soit 5 300 euros, est comparable à celui d'un vol commercial. Déduction faite du coût de l'immobilisation de l'appareil, on est à 2 300 euros par personne. Il nous arrive en effet d'utiliser le Beechcraft pour procéder à des éloignements de familles, qui sont particulièrement délicats car il y a de jeunes enfants.
Pour un éloignement aérien, il faut deux escorteurs par personne. Si l'on éloigne plusieurs personnes en même temps, il peut être difficile de trouver assez de places libres sur des vols commerciaux. Enfin, la famille concernée peut résider assez loin de l'aéroport, il faut aller la chercher et la placer en centre de rétention en attendant le vol commercial qui ne partira que le lendemain ou le surlendemain. Le Beechcraft donne plus de souplesse. Nous utilisons donc ce moyen aérien dans un cadre normal, sans dommage pour les finances publiques.
Sur votre deuxième question, en effet la Turquie fait face à une forte pression migratoire à sa frontière avec la Syrie et on peut redouter qu'à court terme l'évolution dans ce dernier pays se traduise par de nouveaux mouvements migratoires vers la Turquie. Au moment de l'accord de 2016, celle-ci comptait sur son sol trois millions de réfugiés – pas au sens juridique du terme – en majorité des Syriens et aussi des Afghans. Depuis lors, il y a davantage de Syriens et surtout beaucoup plus d'Afghans. C'est pourquoi le FFU finance des actions importantes en faveur des réfugiés, qui ne bénéficient pas au gouvernement turc. Sans outrepasser mes fonctions, je dirai que l'Union européenne mène une véritable action de coopération tout en restant très exigeante avec son partenaire turc.
Je fais écho à Alain David. La presse – notre seule source d'information – nous dit que cette opération d'éloignement d'une famille de Mirecourt, composée de deux parents et deux enfants, a coûté 100 000 euros… Nous confirmez-vous que c'est bien le prix ?
Je ne confirme pas le coût de ce vol, je ne dispose pas ici de l'information. Je confirme qu'avec le marché du Beechcraft, en 2017 nous avons éloigné 448 personnes, pour un coût moyen de 5 300 euros. Il faut tenir compte aussi du coût de l'escorte, qui est très important puisqu'il couvre les frais depuis la récupération des personnes jusqu'au retour. Ce n'est pas hors de proportion avec les vols commerciaux. Au passage, M. David ayant fait allusion à des transports de migrants depuis Calais, des moyens dédiés ont pu être utilisés pour emmener des personnes vers des centres de rétention à l'automne 2015, mais ce n'est plus le cas : 97 % des opérations du Beechcraft sont des missions d'éloignement.
Vous avancez un coût moyen de 2 300 ou de 5 300 euros. Qu'il y ait quatre ou huit passagers, cela ne change pas le coût de l'avion. Vous nous direz peut-être – pas immédiatement, mais dans les jours qui viennent – si ce type d'opération est récurrent. Cela intéresserait beaucoup notre commission, et je vous en remercie par avance.
Vous nous avez parlé des déboutés et de ceux auxquels on accorde l'asile. J'interviens plutôt à propos de ce qui se passe entre les deux.
Vous avez donné des chiffres intéressants. Avec Jacques Toubon, le Défenseur des droits, que j'ai auditionné ce matin, nous nous disions qu'on manquait de chiffres ; en particulier j'aimerais connaître, préfecture par préfecture, le nombre d'attributions de titres de séjour et de mises en centre de rétention.
Mon propos concerne « le pilotage de l'insertion professionnelle », termes repris d'un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de novembre 2017. Il existe des métiers en tension, qui ont des problèmes de recrutement et sont ouverts à tous les étrangers, pas seulement aux ressortissants de l'Union européenne, de l'espace économique européen ou de la Suisse. Contrairement à ce qui se passe pour les autres métiers, les travailleurs étrangers qui sollicitent auprès de l'administration une autorisation de travail pour l'une de ces professions ne peuvent se voir opposer l'absence préalable de recherche de candidats déjà présents en France. En 2008, une liste de trente métiers en tension a été officialisée. En 2011, le nombre a été divisé par deux et actuellement la liste comprend quatorze professions. Encore ne comprend-elle pas les besoins à la personne ni le secteur de la santé. Ne pensez-vous pas que cette liste devrait être actualisée très régulièrement pour que ces métiers en tension soient accessibles aux migrants économiques ? Le rapport de l'OCDE recommandait de le faire sur une base annuelle.
D'un mot, j'explique la différence entre le coût moyen de 2 300 euros et de 5 300 euros par étranger en situation irrégulière éloigné : elle tient au coût de l'immobilisation de l'appareil, soit 1,3 million d'euros sur les 2,3 millions d'euros du marché en 2017. Sur le vol précis dont vous parlez, nous chercherons le coût pour vous le communiquer.
S'agissant des statistiques, Madame Clapot, la direction des étrangers est à votre disposition. Un certain nombre de données ont été fournies dans les questionnaires parlementaires relatifs aux lois de finances. On pourra vous communiquer les chiffres de délivrance des titres par préfecture. Au plan national, nous avons délivré, en 2017, 242 000 titres de séjour, soit une augmentation de 5,3 %. Les titres pour étudiants atteignent leur plus haut niveau historique et ceux pour les réfugiés et protégés subsidiaires augmentent de 20 %.
Il faut remettre en perspective la question des métiers en tension. On applique cette notion lorsque la personne a besoin d'une autorisation de travail. La quasi-totalité des étrangers en situation régulière a accès normalement au marché du travail. Très peu d'entre eux n'y ont pas accès, notamment les étudiants qui n'ont pas le droit de consacrer plus de 60 % de leur temps au travail – 50 % pour les étudiants algériens. L'autorisation de travail sert essentiellement pour les personnes qui viennent pour un motif professionnel, sachant que les celles qui entrent au titre de l'immigration familiale ont, dans la majorité, le droit de travailler sans avoir besoin d'autorisation. Je comprends votre observation sur le fait que la liste des métiers en tension a été établie il y a un certain temps et qu'on pourrait la revoir. Mais cela suppose un travail interministériel avec le ministère du travail et une concertation avec les partenaires sociaux.
Je le mentionne dans mon rapport, cette liste n'a pas été réactualisée depuis 2008. Elle mériterait de l'être. En France, nous avons 10 % d'immigration du travail, contre 25 % en Europe. Il y a là une spécificité qu'il faudra bien traiter.
Monsieur le directeur général, je suis député du Nord. Dans certains stades de football, des supporters ont douté des facultés de compréhension des populations de notre région. Pour ma part, j'essaye de m'adapter au langage énarchique. Ce n'est pas facile. Dites-moi si je me trompe : « aéronef » veut bien dire avion, « vecteur », moyen de transport et « vol d'éloignement » voyage de retour ? Il semble que jusque-là je ne me trompe pas.
Dans le Nord, on sait aussi un peu compter. Je me dis que si, puisque le marché vous donne l'avion nu, en plus des accompagnants, les pilotes aussi sont payés, cela doit faire encore monter le coût. Vous savez que cette question des migrants a des effets terribles sur l'opinion, avec tous les fantasmes qu'elle suscite et tous les risques que cela comporte politiquement. On en traite ici avec une aridité totale, c'est terrible. Certains nous regardent. On mentionne le coût d'immobilisation d'un appareil. Ils se disent que ce n'est pas normal, que si on loue un appareil, il faut qu'il serve. Je comprends que, pour le voyage que nous avons fait à Djibouti par exemple, l'appareil devait être révisé. Mais celui dont nous parlons doit fonctionner tout le temps. Il faut – et je m'excuse du terme, car c'est d'hommes et de femmes qu'il s'agit – le rentabiliser.
En second lieu, j'ai un autre défaut que d'être du Nord, je suis chevènementiste ! Vous avez été responsable d'un programme intitulé « frontières intelligentes ». Je vois ce qu'est une nation intelligente – je pense tout de suite à la France, même s'il y en a d'autres. Mais une frontière intelligente, qu'est-ce que c'est ? Pour moi, rien de plus bête, de plus borné qu'une frontière. Je sais qu'il y a une expérimentation à Cherbourg. Quel en a été le résultat ?
Troisième question au directeur général chargé des étrangers. Dans quelques mois de nouveaux étrangers vont arriver en France, en raison du Brexit. Ce sera aussi un problème pour des centaines de milliers de Français installés au Royaume-Uni, et ce sera un problème pour le Dunkerquois, le Calaisis et le Boulonnais. Je ne pense pas que le Brexit change grand-chose aux accords du Touquet, qui sont bilatéraux – mais je me trompe peut-être. En tout cas, se prépare-t-on à ce qui va arriver ? Ce sont mes questions – je pense avoir traduit à peu près tout ce que vous nous avez dit.
Je constate que vous m'avez parfaitement compris.
Je reviens donc sur les avions. Nous utilisons des vols commerciaux, mais nous avons aussi des avions dédiés – ceux de la sécurité civile par exemple – ou nous en louons. Nous pouvons les louer ponctuellement – les affréter – mais nous en louons un, le Beechcraft, sur la durée. C'est que nous voulons l'avoir à disposition pour transporter, pour une partie minoritaire de ses vols, des groupes d'intervention des forces de l'ordre. Cela n'a rien à voir avec les missions d'éloignement, qui n'exigeraient pas, en effet, une location permanente. Le fait de l'utiliser pour des missions d'urgence nous coûte beaucoup plus cher. Voilà pour l'aéronef.
Les frontières intelligentes, maintenant. Le contrôle aux frontières est en train d'être réinventé. Depuis 2015, on opère un contrôle systématique des ressortissants européens. On enrichit les bases de données consultées aux frontières et nous incitons nos partenaires à verser leurs fiches au système d'information Schengen. Et l'augmentation du trafic va entraîner une très forte augmentation de la charge de contrôle. Pour l'absorber, nous allons devoir, dans les années qui viennent, utiliser les possibilités de la technologie, la biométrie. J'ai mentionné le système ETIAS qui permet un contrôle avant le passage à la frontière pour les personnes non soumises à visa. Le système entrée-sortie permettra aussi de garder la mémoire des passages aux frontières, ce que nous ne faisons pas actuellement. Demain, lorsqu'un détenteur de visa passera la frontière, on gardera la date en mémoire et s'il excède la durée de son visa, on le saura automatiquement. C'est l'objet des expérimentations qui ont été conduites à Cherbourg. Plus largement, il faut nous interroger sur les contrôles qui pourront être faits en amont de la ligne de frontière, faute de quoi il y aura des problèmes de fluidité, et il faudra beaucoup de temps y compris pour sortir d'un aéroport. Nos équipes travaillent sur des solutions innovantes.
Nous travaillons aussi, et l'ensemble du Gouvernement le fait, sur le Brexit, pour nous préparer à toutes les éventualités, y compris l'absence d'accord. Pour notre Direction, la question se pose de l'entrée des Britanniques devenus ressortissants d'un pays tiers. Le contrôle à la frontière pose problème à la gare du Nord et à Saint-Pancras, ainsi que dans les ports, de façon différente selon qu'on a affaire à un bureau de contrôle juxtaposé comme à Calais et Dunkerque ou à un bureau classique. Enfin, les contrôles douaniers, qui ne relèvent pas de notre Direction, sont un enjeu essentiel pour la fluidité. Nous travaillons avec la police aux frontières et avec la direction des droits indirects pour être prêts à toute éventualité.
Notre commission consacrera une audition au Brexit. Il sera aussi de sa responsabilité de travailler le moment venu sur le partenariat entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne. Nous nous sommes rendus à Calais. On sait très bien qu'en cas de « no deal », demain la file de camions atteindrait trente kilomètres. Nous n'y sommes pas encore préparés.
Vous avez évoqué une forte hausse des crédits consacrés à l'intégration et l'amélioration de la formation linguistique. Mais pour les personnes qui demandent un titre de séjour, sa délivrance peut coûter jusqu'à 600 euros, alors qu'elles n'ont pas le droit de travailler. Leur situation est donc très précaire. La nouvelle loi va entrer en application progressivement. En tant que nouveau député, je ne comprends pas trop bien pourquoi on ne connaît pas le calendrier de l'entrée en application de toutes les parties du texte. Mais est-il prévu, pour que l'intégration soit plus réussie, que le coût d'un titre de séjour ou d'une autorisation de travailler soit plus accessible pour les demandeurs ?
S'agissant de la loi du 10 septembre dernier, c'est justement pour donner de la visibilité que nous avons inscrit dans la loi elle-même des dates d'entrée en vigueur différée, 1er janvier et 1er mars. Cela donne une obligation de résultat aux services. Sinon, la loi serait entrée en vigueur quand on aurait pris les décrets. Nous avons donc eu obligation de prendre les décrets suffisamment tôt, et nous le faisons.
Je comprends qu'on soit sensible au fait que la délivrance d'un titre de séjour soit l'objet de taxes. Mais celles-ci sont régies par des plafonds européens, que nous respectons pleinement. D'autre part, elles sont très largement inférieures au coût des prestations dont l'obtention d'un titre de séjour va déclencher le bénéfice, notamment les prestations d'intégration. Auparavant ces taxes étaient affectées au budget de l'OFII, opérateur de l'intégration. Le lien entre les taxes et les prestations était visible sur le plan budgétaire. Il l'est moins maintenant qu'elles sont versées au budget général, mais il existe cependant sur le plan économique. Nous sommes sensibles au fait que certaines personnes sont en situation de vulnérabilité. Il existe déjà un tarif réduit pour les étrangers qui ont le moins de ressources. Paient le plein tarif ceux qui ont accès au marché du travail et ceux dont le titre de séjour a été attribué sous conditions de ressources, par exemple les visiteurs. Dans le cadre de la nouvelle loi, il me semble que le Gouvernement a déposé un amendement pour faire bénéficier du tarif réduit des publics pour lesquels ce serait justifié.
Vous avez indiqué que les crédits supplémentaires consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière seraient affectés à l'augmentation du nombre de places en centre de rétention administrative. Pouvez-vous évaluer quelle part correspond à l'augmentation de la durée de détention ?
Ensuite, à la page 12 du document budgétaire concernant votre mission, vous mentionnez, parmi les moyens de lutter contre l'immigration irrégulière, « la dynamisation de la politique d'éloignement ». Qu'est-ce que cela signifie exactement ? Pour avoir une appréciation juste de la situation, il manque, dans le budget du ministère de l'intérieur, la mention des moyens consacrés par les préfectures à l'éloignement. Sans doute faudrait-il aussi, dans le budget du ministère de la justice cette fois, mesurer le coût du travail de la justice administrative. Si seulement 18 % des OQTF sont exécutées, la vaste majorité des décisions prises par des juges représentent un coût sans effet réel. On embolise les tribunaux, mais je ne vois guère où est la « dynamisation ».
J'ajoute que beaucoup d'OQTF ne sont pas remises en mains propres, contrairement à ce qui se passe en Scandinavie où les personnes sont dans des centres ouverts, donc plus accessibles. Cela change bien sûr le sens des statistiques. Dans l'avis que j'ai remis en mars, je mentionnais un taux de 50 % d'OQTF notifiées. Confirmez-vous ce chiffre ?
Je comprends qu'on veuille déterminer le coût d'un éloignement. C'est difficile, car ce coût est réparti entre plusieurs programmes. Le coût de la billetterie, les coûts hôteliers et des centres de rétention, celui de la préparation au retour dans des centres ouverts, figurent au programme 303 ; le coût des forces de l'ordre affectées à ces missions est inscrit au programme 176 qui concerne la police, celui des personnels de préfecture, au programme 307 retraçant les crédits de l'administration territoriale ; le coût juridictionnel du contentieux est en partie sur le programme 216 relatif à l'administration centrale du ministère et en partie sur le programme justice, pour les personnels qui en relèvent. Etablir un total nécessite des connaissances budgétaires approfondies. Néanmoins, je peux affirmer que l'éloignement volontaire est moins couteux que l'éloignement forcé.
C'est pour cela que nous sommes en faveur de la complémentarité entre les deux.
L'augmentation du budget des centres de rétention administrative recouvre plusieurs objectifs. Dans l'étude d'impact du projet de loi, nous avions évalué à 1,5 million d'euros la part de l'augmentation correspondant à l'allongement de la durée de rétention, fixée par la loi du 10 septembre 2018 à 90 jours au maximum. Mais il ne s'agit pas de retenir l'ensemble des personnes pendant ces 90 jours, bien au contraire. Nous cherchons à ce que la rétention dure le moins possible, et c'est un aspect de la dynamisation de la politique d'éloignement. Cette extension à 90 jours a pour objet de réussir à procéder à des éloignements que, pour l'instant, nous ne réussissons pas à opérer et même que nous ne tentons pas. Or, contrairement à ce qui serait une politique du chiffre – procéder aux éloignements faciles –, nous cherchons à faire des opérations qui ont un impact sur la politique migratoire, même si elles sont difficiles. Outre l'allongement de la durée moyenne de rétention, l'augmentation du budget des centres de rétention administrative tient à la nécessité d'améliorer les conditions d'accueil, par exemple pour les mineurs qui accompagnent leurs parents et pour les personnes qui vont rester 90 jours. On y consacre 5 millions d'euros. Enfin, la troisième composante de l'augmentation est l'extension du parc.
Pour revenir au coût de l'éloignement, nous ne souhaitons pas augmenter les charges des juridictions, administrative ou judiciaire. Simplifier les procédures et réduire le nombre de décisions, contre lesquelles le taux de recours est très élevé sont les moyens de diminuer le contentieux. Outre les dispositions qui figurent dans la loi du 10 septembre, il nous faudra réfléchir aux façons d'aller plus loin dans ce domaine.
S'agissant enfin des OQTF, on pourrait certes, dans une perspective purement comptable, adopter une approche stratégique visant à diminuer leur nombre, afin d'utiliser à d'autres taches les moyens de l'État. Mais ce ne serait pas le bon choix pour lutter contre l'immigration irrégulière. Sur le chiffre de 50 % de notifications, nous vérifierons.
Il faut distinguer deux types d'OQTF. Dans le premier cas, « à froid » si je puis dire, après le rejet d'une demande d'asile ou de titre de séjour, la préfecture, avisée, prend une OQTF sans que la personne concernée soit directement à disposition. Cette obligation lui est notifiée par courrier et comporte, le plus souvent, un délai pour rendre possible un départ volontaire. Cette catégorie d'OQTF est très peu exécutée, il faut le reconnaître, car les personnes concernées sont peu coopératives. Il y a ensuite les OQTF qui suivent une interpellation pour un motif judiciaire ou lors d'un contrôle d'identité. Cela en représente 30 000 OQTF sur les 100 000 prononcées l'an dernier. Si l'on diminuait le nombre des autres – les 70 000 –, cela allégerait la charge des services des préfectures mais serait moins efficace en ce qui concerne la lutte contre l'immigration irrégulière. En effet, ce n'est pas une bonne gestion des flux migratoires que de laisser les personnes dans l'incertitude : Il faut qu'elles sachent si elles ont ou non un droit au séjour. Pour exécuter les OQTF, il faut d'abord les prendre. Si on ne les prend pas, on est sûr qu'elles ne seront jamais exécutées. C'est pourquoi nous demandons aux préfectures de les prendre chaque fois que c'est justifié.
Nous n'allons pas ouvrir un débat à ce sujet, mais dans les pays d'Europe du nord, cela se passe mieux, coûte moins cher et il y a aussi plus de retours volontaires. C'est une gestion différente.
Les gouvernements français et albanais ont signé fin 2017 un accord de coopération, qui prévoit notamment la présence en France de policiers albanais, à Lyon et Paris me semble-t-il. Quels sont les effets de cette coopération sur les politiques de départ et de retour ? Quelles sont les actions concrètes mises en place par les deux pays ? Pouvez-vous également préciser les contours de l'accord de coopération sur la gestion des frontières que l'Union européenne a signé avec l'Albanie le 8 octobre dernier ?
Sur l'accord conclu avec l'Union européenne, je n'ai pas les éléments à ma disposition. La coopération bilatérale a donné lieu à la visite de Bruno Le Roux, alors ministre de l'intérieur, puis de Gérard Collomb, en Albanie, et à celle du ministre de l'intérieur albanais en France. Elle ne s'est pas traduite par un accord international formel, mais par un certain nombre d'actions qui concernent d'une part la police judiciaire et la lutte contre les trafics, et d'autre part de la prévention et la lutte contre l'immigration irrégulière. Le gouvernement albanais effectue un certain nombre de contrôles à la sortie de son territoire, en conformité avec les normes internationales ; il mène une action attentive pour éviter et réprimer l'abandon des mineurs par leur famille. Des mineurs isolés se trouvaient sur notre territoire, tout en restant en lieu avec leur famille au pays, ce qui résultait d'une stratégie migratoire qui n'était pas dans l'intérêt de ces enfants. Cette coopération a permis que les demandes d'asile des Albanais en France diminuent de 40 % par rapport à 2017.
Je ne peux donner le chiffre exact, mais les Albanais sont la nationalité qui a donné lieu au plus grand nombre d'éloignements contraints en 2017. Le retour volontaire a aussi progressé, même si les Albanais ne bénéficient que du taux réduit de l'aide.
Je vous remercie, ainsi que ceux qui vous accompagnent, pour cet échange très sincère. Nous avions invité le ministre Gérard Collomb pour une audition budgétaire, il y a plusieurs semaines. Voyant qu'il ne serait pas là aujourd'hui, je me suis tournée vers vous et je vous remercie encore de votre grande disponibilité.
C'est notre devoir que d'être à la disposition du Parlement.
Encore faut-il que ce soit de façon aussi approfondie que ce que nous venons de faire pendant près de deux heures. La Commission vous en sait gré.
La séance est levée à dix-huit heures cinquante-huit.
Membres présents ou excusés
Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 17 h 10
Présents. - Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, M. Pierre-Henri Dumont, M. Bruno Fuchs, M. Michel Herbillon, M. Christian Hutin, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Sonia Krimi, M. Jean Lassalle, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye, M. Sébastien Nadot, M. Jean-François Portarrieu, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Valérie Thomas
Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Clémentine Autain, M. Bruno Bonnell, M. Moetai Brotherson, Mme Samantha Cazebonne, M. Bernard Deflesselles, Mme Laurence Dumont, Mme Anne Genetet, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferriere, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Monica Michel, Mme Bérengère Poletti, M. Hugues Renson, M. Bernard Reynès, M. Joachim Son-Forget, M. Sylvain Waserman