Intervention de Thomas Campeaux

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 9h05
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Thomas Campeaux, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l'intérieur :

En l'occurrence, un fil avec des posts – modérés ou non ; dans l'exemple que vous donniez, ils ne l'étaient pas, a priori, et le service a fini par être interrompu – dans lesquels des individus, presque toujours sous couvert d'anonymat, évidemment, profèrent des propos qui, s'ils pouvaient être imputés directement à une personne physique, seraient tout à fait susceptibles d'être poursuivis, en particulier sur le fondement de la loi de 1881, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, ne permet pas de caractériser l'existence d'un groupement. Je pense d'ailleurs que, dans la plupart des cas, il s'agit vraiment d'expressions individuelles : il n'y a pas de groupement constitué derrière. Un groupement a toutes les apparences d'une association mais sans être doté de la personnalité morale, parce qu'il n'y a pas eu la démarche de déclaration en préfecture. Il suppose un groupe de personnes, une structure, un responsable – ou un chef –, un objectif commun et des actions collectives : autant d'éléments qui se démontrent par un faisceau d'indices. Il est plus aisé de caractériser un groupement de fait lorsqu'il dispose d'un site internet, ou encore d'une page Facebook, avec des symboles, une bannière, un slogan ou d'autres signes d'appartenance visibles. Dans le cas de commentaires individuels, de surcroît anonymes, comment relier leurs auteurs à un groupe, quand bien même celui-ci existerait ? Je ne dis pas que ce soit impossible, mais je ne crois pas que cela soit approprié.

Quelles mesures faut-il prendre pour faire cesser le phénomène ? C'est toute la question du contrôle, lequel ne peut être que très prudent s'agissant de la liberté d'expression. Il existe d'ailleurs des différences d'attitude très marquées en fonction de l'endroit où l'on se trouve. Les États européens sont plus sensibles aux excès. Les fournisseurs, les éditeurs et les grands groupes américains, eux, ont une conception de la liberté d'expression plus large que la nôtre – en tout cas, elle tolère moins de restrictions que notre droit national, voire que le droit européen, s'agissant de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. C'est un sujet extrêmement compliqué et très délicat. Certaines considérations techniques et pratiques limitent effectivement l'efficacité des dispositions juridiques existantes. Il est probablement possible d'améliorer le dispositif, même s'il tend, depuis une dizaine d'années, à être de plus en plus fourni et complexe. La complexité, le foisonnement, les différences entre les régimes juridiques et leur juxtaposition ne facilitent pas forcément leur mise en oeuvre.

Les propos tenus sur Internet relèvent d'abord de la responsabilité individuelle. Par ailleurs, il s'agit d'un fait de société : l'existence d'Internet, les réseaux sociaux et les contenus en ligne font qu'il est beaucoup plus facile qu'avant de s'exprimer. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, il fallait trouver un éditeur ou un rédacteur en chef qui accepte de publier vos idées ; dorénavant, n'importe qui peut clamer à la face du monde ses opinions, quels que soient leur nature et leur caractère haineux. C'est un fait de société ; je ne crois pas qu'on puisse le contrer dans son existence. On peut essayer d'en limiter les conséquences, mais c'est un des sujets les plus difficiles auxquels nous soyons confrontés collectivement.

S'agissant spécifiquement de la dissolution, comme je le disais, il arrive que nous ne puissions pas utiliser certains éléments pour caractériser un groupement de fait. En ce qui concerne la reconstitution de ligue dissoute, j'ai dit que je n'avais connaissance que d'un nombre réduit de condamnations : c'est peut-être aussi parce qu'il y a peu de cas, même si je ne saurais l'affirmer – je n'ai pas suffisamment d'éléments pour porter un tel jugement. Certains individus essaient, effectivement, de contourner les décisions de dissolution. Lors du procès que j'évoquais à l'instant, l'un des prévenus a ouvertement dit qu'il contestait la légitimité de la décision qui avait été prise de dissoudre son groupe et qu'il continuerait donc à essayer de le reconstituer. Avec de tels individus, on n'est plus dans le registre de la prévention : on entre dans celui de la répression, qui n'est absolument pas le mien.

Monsieur Touraine, vous m'avez interrogé, me semble-t-il, sur le montant des sanctions pour injures raciales.

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