Intervention de Cyrille Isaac-Sibille

Réunion du mardi 5 mars 2019 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCyrille Isaac-Sibille :

Mesdames les ministres, je souhaite vous remercier au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés pour ce projet de loi ambitieux en faveur de l'organisation et de la transformation de notre système de santé. Ce moment est historique : comme on le voit à travers le grand débat national, la santé est devenue la première préoccupation de nos concitoyens. Les Français, les acteurs de terrain, les responsables politiques partagent le même constat et les mêmes objectifs : ils sont d'accord sur la nécessité d'un changement profond. Ce changement profond irrigue ce projet de loi qui porte en lui une réforme structurelle d'envergure indispensable à l'heure où notre système de santé doit faire face à des défis contemporains : forte prévalence des maladies chroniques, vieillissement de la population, raréfaction de l'offre de soins dans certains territoires.

Un large consensus sur les objectifs de ce projet de loi se dessine parmi les acteurs. Comment ne pas être favorable à la fin du numerus clausus, à une meilleure sélection et formation des étudiants, à un meilleur accès aux soins, rendant l'exercice de la médecine plus collectif et en rémunérant l'ensemble des professionnels de santé au parcours plutôt qu'à l'acte ? Comment ne pas être favorable à un décloisonnement ville-hôpital, à un virage numérique, à une meilleure utilisation des données de santé ? Vos intentions sont louables et généreuses ; mais pour que cette belle mécanique s'enclenche – projet de loi, négociations conventionnelles, nouveaux modes de rémunération, comme le propose le rapport Aubert –, nous avons besoin, vous avez besoin et de l'adhésion et de la participation de tous les acteurs de santé, et de sortir d'une logique administrative où tout est décidé d'en haut.

Ainsi, après vous avoir exprimé nos félicitations, permettez-nous d'exprimer nos craintes, en tout cas nos réserves.

Tout d'abord, pourquoi légiférer par ordonnances ? Comme vous l'avez rappelé, sur vingt-trois articles, six habilitent le Gouvernement à légiférer par ordonnances. Je vous pose la question, mais nous savons déjà au final qui fera la loi. Nous pensons que le Parlement est le lieu à égale distance entre l'administration, les acteurs et les citoyens où le débat peut et doit avoir lieu et où la délibération peut se prendre en toute transparence. En agissant par ordonnances, nous craignons que cette réforme ne soit écrite par une technostructure sans l'adhésion de l'ensemble des professionnels de santé. Cependant, j'ai bien entendu et pris acte de la réponse que vous avez faite à M. le rapporteur général.

L'autre fragilité de cette belle mécanique concerne la faiblesse de la démocratie sanitaire dans votre projet. Vos intentions sont louables en souhaitant partir du besoin des patients et encourager les initiatives locales. Cependant, votre projet de loi renforce le rôle des agences régionales de santé. Le risque d'un dirigisme administratif est grand et nous craignons de voir appliquer les directives données depuis le siège de très grandes régions, sans concertation avec les acteurs de terrain. Or ce n'est pas sous la contrainte que les initiatives locales qui ont déjà fait preuve de leur efficacité proliféreront sur le territoire. Bien au contraire, nous souhaitons laisser l'initiative aux élus locaux, à l'ensemble des acteurs de terrain et aux patients qui connaissent le mieux les spécificités de leur territoire.

Enfin, si le titre de votre texte est « projet de loi relatif à l'organisation de la santé », il manque une pièce maîtresse – les choses les plus évidentes sont souvent les plus omises. Comment organiser en effet le système de santé en laissant de côté tout un pan de la santé, je veux parler de la prévention ? La santé est un tout. Quid de la médecine scolaire, quid de la protection maternelle et infantile, quid de la médecine du travail ? Comment expliquer une telle mise à l'écart alors que la prévention est la priorité du Gouvernement ?

Si votre projet de loi permet de fluidifier la médecine de ville et la médecine hospitalière, il aurait pu réconcilier Hygie et Panacée, l'organisation et de la prévention et du soin. La terminologie employée est d'ailleurs éclairante à ce sujet. L'ensemble des lois et codes s'évertuent à parler d'accès aux soins ; j'aimerais que l'on parle maintenant d'accès à la santé dans sa globalité. C'est ici même que réside le coeur du problème, trouvant ses racines depuis 1945 et les ordonnances associées qui ont segmenté le soin et la santé. Soixante-dix ans plus tard, nous nous devons de réconcilier ces deux branches de la santé.

Pour conclure, votre projet de loi est ambitieux. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés vous accompagnera en commission et dans l'hémicycle, tout en proposant des amendements pour rendre l'initiative aux professionnels de santé de terrain et de première ligne et éviter une suradministration de la santé, pour repositionner le rôle des élus locaux dans l'organisation de la santé, pour donner leur autonomie aux hôpitaux de proximité, lieux qui donnent des convergences entre médecine de ville et médecine hospitalière, et pour replacer la médecine sociale et préventive dans un système de santé qui ne doit plus être seulement un système de soins.

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