Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du vendredi 15 mars 2019 à 21h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 61 quinquies

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Je tiens à souligner à quel point le groupe Socialistes et apparentés tient à l'idée d'un label public pour la RSE. Quelques mots d'histoire. La RSE n'est pas née avec ce texte, on en trouve les traces les plus anciennes au XIXe siècle dans les sociétés de philanthropie et, plus concrètement, dans le droit, en 1992 à la suite du sommet de Rio. Une autre année à retenir est 2012, après la crise des subprimes : une directive européenne impose de faire du reporting extra-financier. C'est au terme de cette trajectoire que les petites et moyennes entreprises, et surtout les grandes, ont une responsabilité sociale et environnementale. Des sociétés, de même qu'un système d'entreprise à entreprise, évaluent les efforts fournis en la matière.

Tout cela part d'un bon sentiment. Je ne dénie à personne son engagement éthique, je ne nie pas les progrès accomplis, mais la vérité oblige à admettre que le texte n'est ici pas à la hauteur des enjeux et que certains pourront toujours avoir des comportements quelque peu douteux et se payer de mots.

Pour faire simple, on pourrait dire que, sans le reporting, on a une vision borgne de l'entreprise – parce qu'elle est uniquement court-termiste, financière et économique – , mais que le RSE, tel qu'il existe aujourd'hui, en donne une vision floue, car les documents, illisibles par le grand public, ne sont pas capables de dire la vérité de l'entreprise à nos concitoyens.

Nous estimons qu'aujourd'hui la RSE ne donne qu'une vision floue des choses. Si elle en est encore à son âge de pierre, nous croyons qu'il faut bâtir le nouvel âge de la RSE.

Nous avons animé, avec M. Boris Vallaud, un groupe de travail qui s'est inspiré des travaux du collège des Bernardins, à l'origine des textes dont nous discutons et de l'idée de nouvelle entreprise. Notre réflexion nous amène à penser que la RSE doit se fonder sur des principes publics : la puissance publique doit établir la norme. C'est encore plus vrai au XXIe siècle, marqué par une d'accélération des mutations techno-scientifiques, et une mondialisation souvent sans foi ni loi.

Aujourd'hui, la puissance privée envahit le monde entier et conquiert les normes. On constate une sorte de privatisation des normes. Le monde de l'argent nous dit ce qu'est une bonne entreprise ou une bonne vie. Pour notre part, nous pensons que, dans une démocratie, c'est à la puissance publique qu'il revient de dire ce que sont une vie bonne et une bonne entreprise.

Cette idée de créer un label public ne vient pas de nulle part. Elle prend naissance dans l'expérience du paysan que je suis qui, avec d'autres, au sein d'une coopérative, a adopté un label de l'agriculture biologique. Ce n'est pas le géant du lait, connu de tous, qui a établi l'agriculture biologique, ni le géant de la grande distribution auquel nous pensons tous, ni un syndicat majoritaire ou minoritaire du monde agricole ; c'est la puissance publique. Grâce à cela, il y a pu y avoir un contrat qui réunisse tous les opérateurs de la filière : producteurs, transformateurs, consommateurs… La puissance publique a dit ce qu'était l'agriculture biologique, elle a établi un contrat qui a permis à la puissance privée de se déployer, sur un principe de liberté et de confiance, et de prospérer : l'agriculture biologique qui représentait, à une autre époque, 3 % du secteur, vise les 30 % d'ici à 2030. Elle aura transformé notre société.

Il en va de même pour l'économie sociale et solidaire. Sous l'autorité de Benoît Hamon, nous avions mis en place le label « entreprise solidaire d'utilité sociale » : ESUS. Dans ce cadre, par exemple, une grande banque au statut coopératif ne pouvait pas prétendre aux mêmes privilèges de collecte de l'épargne ou d'image de marque qu'une SCOP ou qu'une coopérative respectant une échelle des salaires raisonnable. Les labels publics sont des garanties pour la puissance privée et pour la liberté d'entreprise, et non une entrave à cette dernière.

Dans le monde fragmenté et dangereux dans lequel nous vivons, nous pensons, sans nous payer de mots, que le processus d'accélération de la participation au bien commun des entreprises doit passer par une montée en puissance des citoyens, et que cette montée en puissance est impossible sans un indicateur clair et net.

Quelle forme pourrait-il prendre ? Nous pouvons imaginer, par exemple, qu'une centaine de critères seraient définis par un débat entre le Parlement et la puissance publique. Cela permettrait d'établir un classement en trois couleurs : l'entreprise rouge serait très loin du compte, l'entreprise orange serait en mouvement, et les entreprises vertes auraient atteint, par exemple, deux tiers des cent critères.

L'égalité entre les hommes et les femmes, dont nous venons de parler, la prise en compte du handicap, la contribution au-delà de la loi au recyclage des déchets et à la diminution des émissions de gaz à effet de serre, tout cela serait pris en compte. Autrement dit, il faut que la puissance publique qui fixe des limites et adopte une loi, soit aussi capable de reconnaître, et même, un jour, de récompenser les efforts consentis par une entreprise au-delà de ce que la loi prescrit.

Avec un tel outil, nous ne sommes plus dans l'univers de la propagande, qui peut être celui du mensonge ou de la falsification : nous disposons d'un repère donné par la puissance publique. Cette dernière permet ainsi à chaque citoyen de mesurer selon ses capacités de consommateurs, de collaborateurs, ou d'épargnants, s'il veut favoriser l'entreprise rouge, l'entreprise orange ou l'entreprise verte. Nous apportons de la clarté.

Cette pensée est, somme toute, libérale, au sens philosophique et étymologique du terme. Elle donne la capacité à chaque citoyen de participer à la vie du monde, et de s'émanciper. Tout le reste est mensonges et propagande. Le nouvel âge de la RSE est le monde de la clarté. Il n'enlève rien à la liberté d'entreprise, il fait au contraire progresser les citoyens dans leur capacité à transformer l'économie.

Je pense profondément, comme tous les chercheurs, tous les entrepreneurs, tous les syndicalistes, et toutes les ONG, avec lesquelles nous avons parlé, que nous avons véritablement affaire à une nouvelle frontière. Si nous savons montrer un peu d'audace avec ce projet de loi, et que l'on ne se paye pas seulement de mots, nous ne pourrons pas refuser ma proposition qui constitue un outil de changement authentique. Elle ne coûte rien, et elle permet une expérimentation à la main de l'État. Nous avons sacrément besoin de ce type d'instrument pour transformer le monde et le rendre habitable.

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