Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du lundi 18 mars 2019 à 16h00
Organisation et transformation du système de santé — Présentation

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Alors que nous entamons l'examen, en première lecture, du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, je sais que nous sommes tous animés d'un profond sentiment de responsabilité face aux attentes des Français, et que nous avons tous une exigence commune. Cette exigence, c'est de permettre à notre système de santé de tenir demain les promesses qu'il a toujours tenues. C'est l'enjeu de ce projet de loi, et c'est ce que les Français attendent de nous.

S'il demeure, par bien des aspects, synonyme d'excellence, notre système de santé est confronté, comme dans d'autres pays, à des défis structurels qui nécessitent une évolution profonde de ses organisations, des prises en charge qu'il propose, et des modes d'exercice des professionnels. Ces tendances lourdes, vous les connaissez : le vieillissement de la population, l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques, la persistance des inégalités territoriales en santé.

Les travaux préparatoires au lancement de la stratégie, à la suite du discours du Président de la République du 18 septembre dernier, ont confirmé l'inadaptation de nos organisations. Les patients, tout d'abord, sont confrontés à des difficultés toujours plus grandes pour accéder à un médecin traitant ou même aux soins dans certains territoires, notamment en cas de soins non programmés. Les professionnels de santé, ensuite, font état de la lourdeur des tâches administratives, de la multiplication, parfois, de certains actes non pertinents, du manque de temps dédié à la personne malade ou encore de la faiblesse des évolutions et d'un manque de reconnaissance. Enfin, notre organisation et nos modes de financement ne valorisent pas la qualité et la pertinence des soins ni ne favorisent la coopération entre acteurs de santé.

Ce diagnostic avait été établi dès mon arrivée avec les acteurs de la santé, qu'ils soient usagers, professionnels ou élus. Personne, je crois, ne le remet en cause aujourd'hui. Les citoyens confirment également ce diagnostic. Chacun sur ces bancs, et avant même que le grand débat national ne le confirme, a partagé leurs attentes d'un meilleur accès à des soins de proximité. Nous sommes confrontés à un système trop cloisonné entre ville, hôpital, médico-social ou entre public et privé, entre professionnels de santé eux-mêmes ; un système qui ne permet pas la fluidité des parcours, la coordination entre professionnels, la qualité et la prévention.

Ces lacunes, il faut les regarder en face et prendre conscience qu'un changement de modèle est nécessaire. C'est tout le sens de la politique défendue par le Gouvernement, à travers le plan « Ma santé 2022 ». Notre stratégie repose sur trois axes : la qualité des prises en charge, pour placer l'usager au centre du dispositif ; une offre mieux structurée, pour renforcer l'accès aux soins par un maillage territorial de proximité ; des métiers, des modes d'exercice et des pratiques professionnelles repensés, pour être en phase avec les besoins d'aujourd'hui et de demain, qui ne sont pas ceux d'hier.

Néanmoins, j'ai eu l'occasion de le rappeler, mais je le répète, notre action ne se réduit pas au projet de loi. Nous entendons activer l'ensemble des leviers et jouer sur toutes les composantes du système de santé pour proposer une nouvelle donne aux usagers et aux professionnels. Et j'entends être très claire : ma priorité est de tout faire pour répondre à l'angoisse de la désertification médicale et au besoin de reconnaissance et de valorisation de nos professionnels de santé.

Ma réponse à ces inquiétudes ne s'accommode d'aucune ambiguïté. Tout ce qui peut être fait pour libérer du temps médical et faciliter l'accès à la bonne compétence et au bon moment doit être fait. C'est d'ailleurs tout le sens de la négociation conventionnelle en cours sur les assistants médicaux et la structuration des soins de proximité au sein des communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS. C'est aussi tout l'esprit des mesures en matière de télémédecine et de délégation de tâches, dont certaines sont inscrites dans le projet de loi. Notre méthode, vous la connaissez : tout doit être fait pour que les initiatives viennent des territoires, pour libérer les projets, pour donner confiance aux professionnels de santé.

Cette réforme sera aussi complétée par une réforme profonde du mode de financement, en s'appuyant sur le rapport que vient de me remettre Jean-Marc Aubert, le directeur de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques – DREES. Des premières réalisations ont d'ores et déjà été apportées par la loi de financement de la sécurité sociale de 2019. Je pense, en particulier, à la mise en place de financements forfaitaires pour la prise en charge hospitalière du diabète et de l'insuffisance rénale chronique, ou le développement de la dotation valorisant la qualité dans les établissements de santé. Les travaux se poursuivent et de nouvelles avancées seront proposées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Tout l'enjeu est maintenant de passer d'un système favorisant la course à l'activité à un système incitant à plus de prévention, c'est-à-dire qui soutienne la coopération entre professionnels et qui fasse de la qualité le premier objectif de la prise en charge.

D'autres leviers, réglementaires, conventionnels, financiers mais aussi d'animation territoriale et d'appui aux acteurs, prolongeront la loi. C'est notamment le cas pour plusieurs mesures emblématiques comme le déploiement de 400 postes de médecins généralistes dans les territoires les plus en difficulté du point de vue de la démographie médicale, comme la définition et le déploiement des fonctions d'assistant médical qui rapidement devront permettre de libérer du temps médical pour soigner un plus grand nombre de patients et mieux les accompagner, ou encore comme le développement, en matière d'organisation, des communautés professionnelles territoriales de santé, qui amèneront une meilleure coordination des professionnels de santé pour améliorer l'accès aux soins de la population dans les territoires.

Le présent projet de loi est volontairement « resserré » autour d'un nombre limité de dispositions pour enclencher des dynamiques. Il vise donc l'essentiel. Il a été produit en concertation avec les principales parties prenantes dans des délais brefs qui se justifient par les engagements relatifs à la réforme des études en santé. Du fait de ce calendrier, plusieurs modifications législatives prennent la forme d'habilitations à légiférer par voie d'ordonnances. J'ai entendu les critiques sur le recours à l'article 38 de la Constitution mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler lors de l'examen en commission, ces ordonnances doivent permettre de construire avec l'ensemble des acteurs un modèle robuste et durable. C'est un choix assumé par le Gouvernement afin d'engager dès aujourd'hui les réformes dont notre système a besoin.

Comme je m'y étais engagée, le Gouvernement a soumis à l'examen de la commission des affaires sociales un amendement transcrivant dans le projet de loi les missions des hôpitaux de proximité, qui devaient être initialement définies par ordonnances. Vous avez pu également voter un amendement transcrivant dans la loi les mesures relatives à l'Agence régionale de santé de Mayotte. Je me suis, par ailleurs, engagée à pleinement associer les parlementaires, et cet engagement sera tenu. Nous réaliserons une étude d'impact afin que les députés et les sénateurs soient éclairés sur les conséquences des mesures envisagées et retenues dans les ordonnances. J'ai également exprimé le souhait de venir devant les commissions des affaires sociales de l'Assemblée et du Sénat pour présenter chacune des ordonnances avant la discussion du projet de loi de ratification.

La place qui est faite aujourd'hui aux élus en amont des décisions en matière de santé doit être renforcée. Je suis convaincue que les mesures que nous prenons en matière de santé commande d'être exemplaires dans la préparation des décisions, l'organisation de la concertation et l'accompagnement sur le terrain. L'examen en commission a déjà permis plusieurs avancées qu'il faudra certainement consolider lors de l'examen en séance.

J'ai également entendu les remarques sur l'absence de mesures concernant la prévention dans ce projet de loi. Je pense que mon engagement sur ce sujet n'est plus à prouver et chacun sait que j'en ai fait la première de mes préoccupations depuis mon premier jour au ministère. J'aurai l'occasion de présenter de nouveaux objectifs lors du conseil interministériel de la santé, le 25 mars prochain, et de nouveaux jalons seront posés lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS. La prévention tient à coeur à de nombreux députés et je sais pouvoir compter sur eux pour accompagner chacune des mesures que nous prenons. Il nous faudra d'ailleurs aller plus loin et compléter les initiatives déjà prises dans le cadre de la petite enfance, du suivi des enfants admis à l'aide sociale à l'enfance, de la prévention du handicap psychique ou encore pour prévenir la dépendance de la personne âgée.

Pour ce qui est désormais du projet de loi proprement dit, laissez-moi en résumer les principales dispositions.

Conformément aux engagements pris, la première année commune aux études de santé – PACES – et le numerus clausus, qui existent depuis 1971, seront supprimés dès septembre 2020. La PACES cédera la place à un système qui demeurera sélectif et exigeant, mais en faisant une meilleure place aux compétences, au projet professionnel, à la qualité de vie des étudiants, et en diminuant le coût social associé. En développant les passerelles et une entrée via Parcoursup, la diversité des profils sera également privilégiée.

Le deuxième cycle des études médicales sera également rénové, avec la suppression des épreuves classantes nationales. Il s'agira de créer une procédure d'orientation prenant en compte les connaissances mais aussi les compétences cliniques et relationnelles, et qui soit respectueuse des projets professionnels des futurs médecins. Frédérique Vidal reviendra plus en détail sur ces deux dispositions.

Nous étendons le dispositif de médecin adjoint, c'est-à-dire la possibilité, pour un interne en médecine en fin de formation, de venir soutenir un médecin installé. Ce dispositif, actuellement réservé aux zones touristiques, sera étendu aux zones sous-denses ou en cas de carence ponctuelle constatée par le conseil départemental de l'ordre des médecins.

Une autre ambition du projet de loi, objet du titre II, est de structurer des collectifs de soins de proximité dans les territoires. Pour cela, au-delà du soutien déjà évoqué au développement des CPTS, la création de projets territoriaux de santé doit aider à mettre en cohérence les initiatives de tous les acteurs des territoires, quel que soit leur statut – libéral, en exercice regroupé ou coordonné, hospitalier, du secteur social ou médico-social, privé ou public – , en associant évidemment les élus et les usagers. Ces projets territoriaux formalisent le décloisonnement, qui est la pierre angulaire du projet « Ma santé 2022 ». Le statut des hôpitaux de proximité sera, par ailleurs, revisité pour être mieux adapté aux soins du quotidien et ouvert sur la ville et le médico-social. Les missions socles ont été inscrites dans le texte tandis que les modalités de financement seront définies par les prochaines lois de financement de la sécurité sociale.

Le projet de loi et la stratégie dans son ensemble visent à soutenir une offre hospitalière de proximité qui constitue un pilier de l'offre de soins de premier recours dans les territoires. Les hôpitaux de proximité doivent faire l'objet d'un accompagnement particulier et disposer d'une gouvernance et de modalités de financement adaptés à leurs activités. C'est d'ailleurs en cohérence avec ces enjeux que sera conduite la réforme des autorisations des activités, afin d'accompagner la gradation des soins dans une recherche de qualité, de sécurité et de pertinence des prises en charge.

Un chapitre sera consacré à l'acte II des groupements hospitaliers de territoire. Le projet médical doit être désormais le centre de gravité de ces groupements. La gestion des ressources humaines médicales sera mutualisée, et la gouvernance médicale sera adaptée et renforcée en conséquence dans les établissements de santé.

Dernier pivot du projet de loi : l'innovation et le numérique. On connaît le dynamisme et le gisement de progrès pour la santé, pour la clinique et pour la science médicale que représentent les usages numériques, la dématérialisation des pratiques et l'exploitation adéquate des données de santé. L'ambition est ici de donner à la France les moyens d'être en pointe sur ces sujets. Les débats en commission autour du « Health Data Hub » et de l'espace numérique en santé ont été particulièrement riches et je ne doute pas qu'il en sera de même cette semaine.

La dématérialisation des pratiques passera, quant à elle, par le renforcement de la télésanté. Le télésoin sera ainsi créé : pendant de la télémédecine pour les paramédicaux et les pharmaciens, il permettra la réalisation de certains actes à distance, par voie dématérialisée, en orthophonie par exemple.

Enfin, et il s'agit d'un objectif transversal à toutes les politiques publiques, des mesures diverses de simplification, d'harmonisation et de sécurisation juridiques sont regroupées dans les titres IV et V.

Mesdames, messieurs les députés, je mesure combien l'attente est grande dans cette assemblée et dans notre pays. J'espère que nous arriverons à trouver l'adhésion la plus large pour garantir un meilleur accès aux soins sur le territoire à tous nos concitoyens.

Dans la détresse qui a éclaté avec fracas ces derniers mois, nous avons tous senti une société dominée par la peur de l'avenir. Notre système de santé est l'un des plus beaux outils pour rassurer, apaiser, et pour redonner à chacun la fierté d'appartenir à une grande et belle nation. Un pays qui sait soigner est un pays qui peut guérir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.