Intervention de Stéphanie Rist

Séance en hémicycle du lundi 18 mars 2019 à 16h00
Organisation et transformation du système de santé — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphanie Rist, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé est d'abord celui de la transformation. Il s'agit, en particulier, de transformer en profondeur un dispositif de formation aux professions de santé devenu à bien des égards archaïque, cloisonné, jacobin, et surtout incapable de répondre aux besoins de nos concitoyens. Ceux-ci sont très attachés à la qualité de l'offre de soins, mais leurs besoins évoluent sans cesse dans ce domaine. Il nous appartient d'y répondre de façon pragmatique, efficace et ambitieuse.

C'est une transformation en profondeur, plus exactement une mutation, tant les objectifs que nous nous sommes fixés sont majeurs et vont durablement modifier la formation des médecins. Rien d'aussi important n'aura été fait depuis les ordonnances Debré de 1958. Il y aura un avant et un après.

C'est une transformation dans la durée, car nous travaillons aujourd'hui pour plusieurs décennies en refondant des formations d'excellence qui sont longues pour la plupart. De nos décisions d'aujourd'hui dépendra la qualité des réponses apportées aux besoins de nos enfants et de nos petits-enfants en matière de santé. Soyons conscients de notre responsabilité !

Transformer, oui, mais de quoi s'agit-il plus précisément ?

Il s'agit, d'abord, de ceux qui exerceront ces métiers de la santé et qui nous soigneront demain. C'est avec eux que se joue l'avenir.

Chaque année, des milliers d'étudiants en santé se retrouvent broyés par un système absurde, par un concours déshumanisé, un concours guillotine qui ne reconnaît ni le talent ni les compétences, valorisant celui qui sait le mieux apprendre mais pas nécessairement comprendre. Il faut en finir avec le bachotage, les heures interminables à apprendre par coeur des centaines de pages de polycopiés, oubliées sitôt le concours passé. Remettre l'intelligence au coeur de la formation, voilà toute notre ambition. Sur les 60 000 candidats ayant passé le concours en 2018, seuls 22 % ont intégré la deuxième année de formation ; les autres ont été obligés de redoubler ou de changer de filière sans valider d'année universitaire. Quel gâchis, sachant l'investissement qu'exige cette première année ! Pouvons-nous rester passifs devant ces jeunes qui, pendant des nuits entières, Stabilo et fiches à la main, s'astreignent à un rythme de travail rigoureux et à intégrer des connaissances colossales, pour se retrouver abandonnés au couperet du classement ? Supprimer les redoublements et permettre de repasser le concours tout en poursuivant une filière universitaire, c'est supprimer ces situations de gâchis.

Nous ne proposons pas pour autant de former des médecins au rabais. « Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé », écrivait Ernest Renan, et j'ai un profond respect pour les grands précurseurs de la médecine française. Ce projet de loi veut ajouter des têtes bien faites aux têtes bien pleines.

À cet effet, il promeut la diversification des profils. Aujourd'hui, près de 90 % des élèves intégrant la première année sont détenteurs d'un bac S, mention « Bien » ou « Très bien », et possèdent un excellent niveau de mathématiques. Où sont les étudiants des autres filières ? Où sont les étudiants qui aiment l'histoire, l'économie ou le droit ? Ils n'ont aucun moyen d'accès aux filières de santé. La diversification des étudiants est essentielle. Demain, un étudiant féru de philosophie ou d'histoire du bas Moyen Âge pourra, s'il le souhaite – et s'il en a la capacité, bien sûr – intégrer une filière santé. La réforme de l'entrée en troisième cycle des études de médecine porte aussi cette exigence. Il faut, bien entendu, prendre en compte les connaissances et les compétences, mais aussi le parcours personnel des étudiants, enrichi par leurs expériences, et écouter leur projet professionnel lorsqu'ils choisiront une spécialité. Un classement ne devrait pas si facilement briser des ambitions de carrière. Or la loi du concours est impitoyable pour les étudiants : combien de vocations de potentiels grands cardiologues, ophtalmologues ou neurochirurgiens se sont perdues à cause d'une épreuve ratée ?

Il s'agit ensuite, et c'est une transformation non moins profonde, de valoriser la complémentarité, la mise en commun, la transversalité entre les différents professionnels de santé. Cela commence dès la formation. J'ai proposé à la commission des affaires sociales, qui l'a adopté, un amendement en ce sens, qui favorise la transversalité et le développement d'un tronc commun entre filières médicales et paramédicales. Ceux qui se forment ensemble se comprennent mieux et apprennent à travailler ensemble. C'est ainsi que la formation pose les fondements d'une meilleure collaboration interprofessionnelle, pierre angulaire de la transformation de notre système de santé. Le tronc commun des formations des professions de santé permettra de ne pas enfermer les étudiants dans une filière mais, au contraire, de les accompagner tout au long de leurs études ; il favorisera les passerelles entre les formations, donc une orientation progressive, comme c'est le cas dans plusieurs pays étrangers. « Vous devez être le changement que vous voulez voir dans le monde », disait Ghandi.

Transformer pour des décennies, c'est aussi savoir préparer celles et ceux qui se destinent aux professions de la santé aux métiers de demain, car ceux-ci, à n'en pas douter, ressembleront d'assez loin à ce que nous connaissons aujourd'hui : 65 % des écoliers actuels exerceront des professions qui n'ont pas encore été inventées. Dans le domaine de la santé, on croisera peut-être des ambulanciers qui conduiront des drones – des « andronanciens » – , des chirurgiens faisant appel à des assistants robots – des « botirurgiens » – ou des imprimeurs d'organes 3D… Il faut préparer les futurs professionnels à ces métiers de demain, les préparer à s'adapter aux nouvelles techniques et aux nouveaux besoins. Nous ne pouvons deviner comment nous et nos enfants et petits-enfants serons soignés en 2050, mais nous pouvons diversifier les profils des professionnels de santé et les préparer à développer des capacités d'adaptation face à ces transformations.

Outre des compétences cliniques, il faut également intégrer des compétences relationnelles dans les formations. Il s'agit de valoriser l'empathie, par exemple, pour aborder plus sereinement le dialogue avec les patients et mieux recueillir leurs paroles, leurs témoignages. Si le patient est bien au coeur de notre réforme du système de santé, ses besoins et ses expériences sont une richesse que l'on peut exploiter dès la formation. De nombreux pays déjà, comme le Royaume-Uni et le Canada, ont mis en place des pratiques d'enseignement dans ce sens, valorisant les connaissances expérientielles des patients. J'aborderai ce sujet au travers d'un amendement, car il est essentiel, selon moi, que le patient trouve sa place dans les salles de cours, et non plus uniquement dans les salles d'attente.

Toujours dans cette démarche de transformation, le projet de loi prévoit la réforme des statuts des praticiens hospitaliers, car ils sont aujourd'hui trop nombreux et peu attractifs. Cela permettra de lutter contre la désertification médicale, véritable défi pour nos territoires.

Transformer, et c'est peut-être là le volet le plus emblématique de ce projet de loi, c'est aussi supprimer le trop célèbre numerus clausus. La fixation, de façon centralisée et étatique, du nombre d'étudiants qui entrent en deuxième année, ne sera bientôt plus qu'un triste souvenir ! Il s'agit désormais de répondre aux besoins des Français, au regard tant du nombre de professionnels de santé que des spécialités et de la localisation. Mais attention, nous ne substituerons jamais la logique du chiffre à la qualité. L'augmentation du nombre d'étudiants formés ne saurait être synonyme d'une baisse de l'exigence de qualité que les universités et les organismes de formation aux professions de santé se sont fixée depuis bien longtemps et qui est reconnue dans le monde entier.

Le nombre de médecins ne reflétera plus un chiffre inscrit chaque année dans un décret mais il résultera d'un dialogue entre les universités et les agences régionales de santé qui prendra enfin en compte les besoins des territoires.

Afin d'épauler ces agences dans leur démarche d'adéquation entre la nature des besoins de santé et la formation universitaire, nous avons adopté en commission un amendement tendant à prévoir la consultation de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie – CRSA. Les avis de la CRSA concourent déjà à définir la politique régionale de la santé. Cet organe regroupe en effet en son sein des professionnels de santé, des représentants des collectivités territoriales et des représentants d'usagers, sur l'expertise et les connaissances desquels l'élaboration de l'avis de l'ARS pourra véritablement s'appuyer.

Nous ne pouvons continuer à voir se creuser le déficit démographique médical sans rien faire. Les besoins identifiés par les agences et les acteurs de terrain, qui se traduisent par l'ouverture de postes d'internat, doivent être satisfaits. Trop de postes, aujourd'hui, ne sont pas pourvus, les étudiants en médecine ne venant pas s'installer dans des territoires où la démographie médicale est critique mais où il fait pourtant bon vivre. La réduction de ce taux d'inadéquation doit être l'un de nos objectifs.

Mes chers collègues, c'est avec force que ce projet de loi remédie aux situations difficiles de nos territoires, et c'est avec force que je le défends devant vous. Hippocrate l'a dit mieux que je ne saurais l'exprimer : « la force qui est en chacun de nous est notre meilleur médecin ».

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