Intervention de Paul Christophe

Séance en hémicycle du lundi 18 mars 2019 à 16h00
Organisation et transformation du système de santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe :

Au cours des dernières années, nous avons assisté au développement, dans l'esprit collectif, d'un sentiment de dégradation de notre système de santé. À présent, celui-ci est malade – de ses dysfonctionnements, de ses errements, de son immobilisme, de n'avoir pas su se transformer quand il le fallait.

Nous entendons s'exprimer la souffrance de certains praticiens, qui ne disposent plus des moyens nécessaires pour soigner dignement nos malades, et celle de certains patients, qui ne parviennent pas à trouver un médecin à proximité de leur domicile.

La pénurie de médecins dans le secteur libéral et leur inégale répartition sur le territoire résultent d'erreurs passées, ainsi que d'une politique de gestion de la démographie médicale à courte vue. La fracture médicale a également des conséquences désastreuses sur le secteur hospitalier, frappé par la pénurie.

Les services d'urgence constituent la partie la plus visible de ces difficultés. Ils sont de plus en plus engorgés, notamment dans les zones sous-dotées en médecine de ville. Nombreux sont ceux qui aspirent à de véritables changements de pratiques et à une réforme en profondeur de notre système de santé.

Telle est toute l'ambition du plan « ma santé 2022 », présenté par le Président de la République au mois de septembre dernier. Nous avions accueilli avec bienveillance ses annonces. L'élan donné était le bon. Toutefois, sa traduction législative nous laisse partiellement sur notre faim.

En effet, le projet de loi que vous présentez aujourd'hui, madame la ministre, comporte – à notre grand regret – de nombreuses habilitations à légiférer par ordonnances. Comme vous le savez, en tant que parlementaires, nous n'apprécions guère ce genre de pratiques, qui permettent de faire l'impasse sur le débat parlementaire.

Toutefois, vos interventions en commission des affaires sociales, la semaine dernière, ont permis d'apporter quelques éclairages, notamment au sujet des objectifs poursuivis et de la méthode retenue.

Ainsi, vous vous êtes engagée à modifier le texte en fonction de l'avancée des débats, comme nous avons pu le constater lorsque vous y avez intégré, par le biais d'un amendement du Gouvernement, la création d'une agence régionale de santé à Mayotte. Notre groupe a apprécié votre présence en commission ainsi que votre disponibilité.

Vous vous êtes également engagée à associer les parlementaires à la rédaction des ordonnances. Même si je connais votre honnêteté intellectuelle, j'indique que nous serons extrêmement vigilants à ce que tel soit le cas.

Par le biais du présent projet de loi, vous vous attaquez à la réforme des études de santé. Nous partageons vos objectifs en la matière. Aucune réforme du système de santé ne peut se dispenser d'une réforme de la formation.

Le concours d'entrée, dans sa forme actuelle, constitue un véritable gâchis humain. Il ne valorise que les étudiants capables de mémoriser des connaissances et de les restituer. La suppression de la première année commune aux études de santé – PACES – devra permettre de recruter, sur la base de leur excellence académique, des étudiants aux profils plus diversifiés.

Si nous approuvons également la suppression du numerus clausus, nous appelons à nouveau votre attention sur les difficultés que pourraient rencontrer les universités, lorsqu'il s'agira d'intégrer correctement un nombre croissant d'étudiants. Certes, les cours magistraux peuvent être suivis par visioconférence, mais les salles de travaux pratiques et de travaux dirigés ne sont pas extensibles. Nous craignons la saturation des capacités d'accueil, qui pourrait fragiliser la qualité de la formation.

Il y a également un problème s'agissant des terrains de stage disponibles. L'accroissement du nombre d'étudiants doit aller de pair avec l'accroissement des possibilités de stage. Malheureusement, de nombreux médecins renoncent à s'entourer de stagiaires, faute de temps et de moyens à leur consacrer. Tel est notamment le cas des médecins exerçant en cabinet.

Comme vous le savez, madame la ministre, la médecine libérale, en France, souffre d'un véritable problème d'attractivité. D'après l'Ordre des médecins, cinq ans après l'obtention de leur diplôme, seuls 25 % des médecins choisissent l'exercice libéral. Or les projets professionnels des étudiants mûrissent grâce aux stages. Il est donc primordial de développer les terrains de stage en médecine de ville, afin d'améliorer l'appétence des étudiants pour cette spécialité.

L'accroissement des stages disponibles supposera également de procéder à un assouplissement du statut de maître de stage, lequel, en raison des nombreuses contraintes qu'il impose, décourage certains praticiens, comme nous l'avons souvent entendu au cours des auditions que nous avons menées.

S'agissant de la réforme du deuxième cycle, il faut également tendre vers un cycle de formation plus professionnalisant, se concentrant davantage sur la pratique, et sortir du « tout CHU », afin d'amener les étudiants à travailler au sein des centres hospitaliers situés en périphérie.

Enfin, le volet formation comporte également un enjeu de collaboration des étudiants en santé. Afin d'améliorer l'exercice partagé de la médecine entre ces futurs professionnels de santé, il faut les former ensemble. La coordination doit être inscrite dans l'ADN de la formation initiale. Pour ce faire, il faut développer les enseignements mutualisés.

Par ailleurs, le projet de loi nourrit l'ambition de décloisonner les pratiques et d'encourager l'exercice partagé de la médecine. Il y a là un objectif que notre groupe soutient. Paradoxalement, la France n'a jamais compté autant de médecins en activité, alors même que la période la plus critique, en matière de démographie médicale, est attendue entre 2021 et 2025. Or la suppression du numerus clausus ne produira pas d'effets avant une dizaine d'années. D'ici là, il faut donc offrir aux patients une solution de prise en charge rapide et efficace, ce qui supposera nécessairement de procéder à un partage des tâches entre professionnels, lesquels y sont prêts – beaucoup nous l'ont confié.

Nous soutenons donc les propositions de M. le rapporteur, notamment celle visant à autoriser le pharmacien à dispenser, sous conditions, certains médicaments destinés à soigner des pathologies mineures. Plus généralement, tout dispositif permettant de libérer du temps médical consacré à la « bobologie » au profit du traitement des affections plus graves sera favorablement accueilli par notre groupe.

Le décloisonnement supposera également d'assurer la fluidité des carrières entre la ville et l'hôpital, ainsi que l'exercice mixte de la médecine. Toutefois, celui-ci devra bénéficier d'une équivalence des statuts en vue de le rendre véritablement attractif.

L'exercice partagé de la médecine aura également lieu au sein des communautés professionnelles territoriales de santé que vous souhaitez développer, madame la ministre. Si nous partageons cet objectif, nous appelons néanmoins votre attention sur la nécessité de ne pas rigidifier ni suradministrer ces structures.

En effet, le formalisme de leur gestion ne doit pas empiéter sur le temps médical utile aux professionnels. L'Agence régionale de santé doit continuer à participer au processus de construction des pratiques de la médecine, tout en laissant aux acteurs une certaine latitude pour s'organiser.

À ce propos, j'appelle votre attention sur la nécessité de passer à la deuxième étape de la réforme des ARS, dont le fonctionnement a fait l'objet de nombreuses critiques. Trop souvent, elles s'apparentent à des structures technico-financières, dont le directeur général concentre tous les pouvoirs, sans véritable outil de démocratie autour de lui. Il faut donc recréer un partenariat entre les ARS et les acteurs de santé du territoire, afin que ces structures puissent véritablement adopter une approche régionale des problèmes en la matière.

L'aide du fonds d'intervention régional ne suffit pas à combler les disparités entre les territoires. À terme, nous devrons tendre vers la création d'objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie – ORDAM – , chers à notre collègue Francis Vercamer.

Nous le constatons nettement à l'échelle de la région Hauts-de-France, et plus particulièrement à l'échelle des départements du Nord et du Pas-de-Calais. Les indicateurs de santé ne cessent de s'y dégrader et l'espérance de vie y demeure moins élevée qu'ailleurs, alors même que l'ARS affirme que tout va bien ! Vous en avez été témoin lors de notre dernière rencontre à Lille, madame la ministre.

Votre réforme prévoit également une gradation des soins à l'hôpital, avec le développement des hôpitaux de proximité. Nous espérons que cette réforme, dans son état actuel, contribuera à maintenir la proximité là où elle est nécessaire, et à consolider les soins plus techniques en vue d'améliorer leur qualité et leur efficience.

Par ailleurs, si l'acte médical demeure avant tout une relation humaine, notre système de santé ne doit pas manquer le virage numérique, comme vous le rappelez souvent. Selon un sondage Opinion way, sept Français sur dix espèrent obtenir davantage d'informations au sujet de leur santé.

L'espace numérique de santé peut devenir un véritable outil permettant d'améliorer leur diffusion auprès des professionnels de santé et du patient. Quant au dossier médical partagé, il constitue un levier idéal pour ce faire, sous réserve qu'il ne demeure pas une coquille vide. L'enjeu est d'assurer son remplissage par les patients et les professionnels.

En outre, l'espace numérique de santé doit être capable d'envoyer des rappels au patient, notamment en matière de vaccination. Peu de Français sont véritablement au fait du calendrier vaccinal. De nos jours, vous recevez – c'est paradoxal – des alertes sur votre téléphone portable vous informant du calendrier vaccinal de votre animal de compagnie, mais rien sur votre propre santé. Le DMP devrait y remédier.

L'espace numérique de santé a également vocation à devenir un vecteur d'information performant en cas d'alerte sanitaire portant sur un produit de santé. En effet, s'il existe un dispositif efficace permettant le rappel du produit, aucun dispositif ne permet celui du patient.

Depuis le scandale du Mediator, la France, en matière d'outils de communication et de diffusion de l'information, n'a pas vraiment progressé. La récente crise du Levothyrox a démontré que le rappel du patient a lieu, malheureusement, par voie médiatique, avec toutes les erreurs d'information que celle-ci peut comporter. L'espace numérique de santé doit donc devenir un outil capable d'améliorer les actions de rappel des patients.

Enfin, le volet numérique de votre projet de loi aborde le domaine de la e-prescription. Malheureusement, la France a pris beaucoup de retard à ce sujet. Son développement permettra d'éviter la délivrance de fausses ordonnances, grâce auxquelles certains organisent un juteux trafic, tel que celui du Subutex, dont notre pays est devenu le premier dealer.

J'aimerais également évoquer la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne – PADHUE. L'article 21 de votre projet de loi instaure un dispositif ad hoc et temporaire de résorption des problèmes soulevés par la situation de certains PADHUE exerçant au sein d'établissements de santé. Il ne permet pas de régulariser la situation de l'ensemble des personnes concernées.

En effet, votre texte valorise ceux qui ont exercé la médecine en contournant le système de santé, dans des hôpitaux adoptant une lecture souple de la réglementation. Quid de ceux n'ayant pas pu le faire ?

Il est très difficile d'expliquer aux Français que nous manquons de médecins, mais que ceux ayant obtenu leur diplôme à l'étranger ne peuvent pas travailler. En conséquence, je proposerai, dans le cadre de nos débats, un amendement visant à améliorer leur intégration.

Notre groupe a examiné avec beaucoup de sérieux le projet de réforme du système de santé, que beaucoup de nos concitoyens attendent. Nous avons mené de très nombreuses auditions, auprès d'un large panel d'acteurs concernés par ces enjeux. Nous espérons que certaines de nos propositions recueilleront un avis favorable de la majorité.

Madame la ministre, nous avons bien compris que votre texte est essentiellement structurel. Il vise à réorganiser le système de santé au profit du patient. Toutefois, s'il traite bel et bien de la prise en charge du patient, nous regrettons qu'il ne soit fait mention des outils de la prise en charge, tels que le médicament ou même la prévention. Sur ces deux sujets, il reste encore du chemin à parcourir.

Nous voulons à tout prix éviter le développement d'une France à deux vitesses en matière de santé – une France fracturée entre ceux qui ont les moyens de se soigner et ceux qui ne les ont pas. Par le biais du présent texte de loi, nous souhaitons que chaque patient accède aux meilleurs soins le plus rapidement possible.

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