Intervention de Christophe Jerretie

Réunion du mardi 12 mars 2019 à 17h10
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Jerretie, rapporteur d'information :

Comme nous nous y étions engagés lors de la dernière communication du 5 décembre 2018 avec le Président du groupe de travail M. Jean-Louis Bourlanges, nous allons faire le point sur les avancées de la négociation du prochain cadre financier pluriannuel (CFP). Il faut rappeler que le calendrier prévoyait à l'origine l'adoption des perspectives financières avant les élections européennes. L'objectif désormais affiché est de parvenir à une orientation générale et à un projet rationalisé pour le prochain Conseil, en juin 2019. Je rappelle toutefois que le Conseil européen des 13 et 14 décembre derniers confirme qu'un accord doit être finalisé à l'automne 2019.

L'actuelle Présidence roumaine a annoncé lors de la réunion Affaires générales du 19 février 2019 dernier qu'elle entendait parvenir à une version avancée du « cadre de négociation ». Ce document évolutif consignera les points faisant l'objet d'un accord, en vue du Conseil européen de juin 2019. Celui-ci devrait marquer une étape significative, présentant les orientations définitives du cadre à venir. C'est la raison pour laquelle nous devrions, sauf changement de calendrier, rendre notre rapport à l'échéance de la mi-mai. Nous aurons donc fait une année de travail et de consultations sur ce sujet.

La position du Parlement européen en fin de mandat est conforme à la ligne adoptée lors des négociations précédentes. Le Parlement européen s'est prononcé le 14 novembre 2018 sur la proposition de la Commission de mai 2018. Comme lors des négociations précédentes, il se montre favorable à une augmentation de la taille du budget par rapport à la proposition initiale de la Commission. Cela n'est pas surprenant, puisqu'il s'agit de sa position constante. Le niveau proposé pour le CFP est de 1,08 % du RNB de l'Union à 27 (1,11 % après intégration du Fonds européen de développement), soit 1 160 milliards d'euros proposés par la Commission européenne. Selon le Parlement européen, cela ne permet pas à l'Europe de relever les défis à venir et de réaliser les nouvelles priorités.

Les eurodéputés, comme la majeure partie des États membres, s'accordent sur la pertinence des nouvelles priorités et des nouveaux objectifs avancés par la Commission, qu'il s'agisse de la sécurité aux frontières, d'une meilleure gestion des migrations, de la protection du climat ou de l'action en direction de la jeunesse et de l'emploi. Le Parlement européen s'est toujours prononcé pour la non-réduction des politiques dites « traditionnelles », inscrites dans les traités, telles que la politique de cohésion, la politique agricole commune ou la politique de la pêche. Les réductions des fonds alloués à ces politiques sont donc rejetées par les députés européens. En clair : des nouvelles priorités nécessitent des nouveaux moyens financiers. Au-delà de ces éléments, parmi les priorités réaffirmées par le Parlement européen, on notera les suivantes : l'augmentation du Fonds InvestEU (13 milliards d'euros), le doublement du financement spécifique destiné aux PME dans le programme du marché unique (6 milliards d'euros), le maintien du financement de la politique de cohésion en termes réels (on évoque 360 milliards, mais si on cumule l'ensemble cela correspond plutôt à 457 milliards d'euros), le triplement du budget du programme Erasmus+ (41 milliards), la création d'une enveloppe spécifique de près de 5 milliards d'euros. Sur ces points-là, le Parlement européen est en accord avec la Commission européenne.

Concernant les recettes, le Parlement réaffirme sa position officielle selon laquelle il faut en ajouter, et il souhaite établir le cadre financier pluriannuel à 1 324 milliards d'euros aux prix de 2018, soit 1,3 % du revenu national brut de l'Union à 27. Il semble toutefois très peu réaliste d'imaginer que la position finale de l'accord se fasse à ce niveau-là, mais nous le saurons dans les mois à venir. Le Parlement européen a rappelé dans une de ses communications qu'aucun accord ne pourra être conclu sur le CFP en l'absence de progrès correspondant sur les nouvelles ressources proposées de l'Union européenne. Si on note bien le terme de « progrès », il revient au Parlement européen de nous dire ce que signifie ce terme. Est-ce que ce seront de nouveaux financements, ou des orientations différentes ?

Le Parlement européen a également exprimé d'autres inquiétudes, parmi lesquelles l'inclusion dans le cadre de négociation d'éléments financiers relevant normalement de la procédure législative ordinaire (négociation des programmes sectoriels), et l'articulation des négociations entre les différentes institutions. Le Parlement européen marque un élément de construction de ce CFP, comme un élément qui devra être pris en compte et qu'il faudra suivre avec précision.

En complément de ces éléments sur la position du Parlement européen, il me semble important d'ajouter des éléments que l'on retrouve dans le message de la Cour des comptes européenne. Son rôle n'est pas d'évaluer les priorités politiques ou l'affectation du nouveau CFP, mais de faire passer quelques messages. Elle invite à mieux aligner la structure du budget des allocations de ressources sur ses politiques et à centrer ses mesures sur la valeur ajoutée européenne. Elle propose à la Commission et au Parlement de consolider la définition de la valeur ajoutée européenne. Elle précise aussi que les ressources éventuellement basées sur l'ACCIS ne commenceraient que plusieurs années après le début du nouveau CFP. La Cour des comptes européenne considère aussi que la proposition sur la sauvegarde de l'État de droit manque de critères clairs et précis pour être appliquée. J'ai relevé deux autres éléments importants et souvent débattus ici. Sur la politique agricole commune (PAC), la Cour relève que le conditionnement financier de la PAC ne comporte pas d'éléments assez probants attestant le besoin de financement de type « paiements directs ». Enfin, le règlement portant dispositions communes sur la flexibilité est relevé positivement par la Cour, qui n'apporte qu'une seule nuance, en disant qu'il pourra être porteur de nouvelles charges et qu'il faudra donc prêter attention au fonctionnement.

Concernant l'état de la négociation au Conseil, les choses semblent avancer à un rythme soutenu. Il faut avoir en tête que deux processus de négociation se déroulent parallèlement.

Le premier concerne les règlements sectoriels, qui feront l'objet d'une adoption par le biais de la procédure législative ordinaire, en codécision avec le Parlement européen. Pour chacun des textes, on doit d'abord parvenir à une orientation générale partielle au niveau du Conseil, qui permet de lancer ensuite un trilogue, sans que les montants ne soient définitivement arrêtés au niveau du Conseil. Il peut ensuite y avoir un accord partiel avec le Parlement européen, permettant à celui-ci un vote en première lecture. Nous évoquons cela car deux secteurs font déjà l'objet d'un accord partiel : le fonds défense et le fonds concernant le numérique. L'objectif est évidemment d'avancer sur des secteurs clé, pour avoir des votes dès avril au Parlement européen, même si le Parlement nouvellement élu pourra revenir sur ces éléments-là.

Le second processus de discussion concerne la négociation transversale du prochain cadre financier pluriannuel. Là aussi, depuis la présidence autrichienne, le rythme des négociations apparaît soutenu. Fin décembre 2018, le projet de texte appelé « boîte de négociation », soit le document qui sera soumis aux chefs d'État et de Gouvernement pour l'accord final, était déjà avancé voire exhaustif. Ce document présente tous les sujets qui nécessiteront un accord. Le texte auquel était parvenue la Présidence autrichienne avait émis des options sur différents scénarios en raison des divergences entre les États. Il n'est donc pas figé, mais il est important qu'il soit arrivé jusque-là en décembre. Lors de la Présidence roumaine, le travail de simplification de cette boîte de négociation va se poursuivre, afin de la rationaliser en éliminant certaines options, certains scénarios. L'objectif est de parvenir à un texte allégé, avant le Conseil européen de juin. L'objectif prioritaire programmé sera porté au contenu plutôt qu'au calendrier car l'objectif est d'avoir un accord politique pour finaliser les règlements sectoriels ensuite.

L'étape suivante sera de se pencher sur les montants, qui pour l'instant n'entrent pas dans la discussion, même si nous connaissons certains montants évoqués par la commission. Elle sera probablement abordée par la Présidence finlandaise, et pourrait déboucher à l'automne au début de la négociation entre chefs d'États et de gouvernement. Ce n'est qu'une fois les montants actés à ce niveau qu'ils pourront être réintégrés dans les textes sectoriels négociés avec le Parlement européen. Parallèlement, et dès le mois le mois de mars, au niveau du Conseil, les groupes de travail vont se pencher sur des discussions thématiques dont les thèmes ne sont pas encore définitivement fixés, mais pourraient concerner les conditionnalités et les flexibilités. Nous avons donc tout intérêt à ce que l'accord au plus haut niveau se fasse au plus tôt, afin de parvenir à une adoption rapide des programmes sectoriels et d'éviter des retards dans la mise en oeuvre comme en 2014. Toutefois, les points suivants vont peser sur l'avancée des discussions portant sur la boîte des négociations : la fin du Brexit en mai 2019, l'élection du Parlement Européen du 23 au 26 mai, le changement du Président de la Commission à l'automne et la nomination du Gouverneur de la Banque centrale européenne en octobre 2019. Il y a donc beaucoup d'éléments en évolution.

La Présidente de notre Commission a proposé une consultation en ligne sur le prochain CFP. Elle a entraîné moins de réponses que celle sur le changement d'heure: quatre cents dix-huit réponses sur les CFP portant sur les priorités budgétaires et sur l'affectation de 1 200 milliards d'euros. Ce nombre de réponses n'est pas négligeable, sur un sujet technique, avec des priorités peu connues et peu évoquées dans les médias ou par les personnalités publiques. En effet, il faut noter, que chez les personnes ayant répondu à la consultation, seule une petite minorité s'estime suffisamment informée des enjeux liés à la programmation budgétaire pluriannuelle de l'Union européenne (6 %). Par contre, un tiers des répondants évalue correctement son poids dans le revenu des États (1 %). Il est intéressant de relever que la proportion de ceux appelant à une augmentation du budget européen (26,5 %) est très comparable à celle des répondants ne la souhaitant pas (24 %). Le sujet n'est donc pas tranché aussi dans la population, tout comme dans le débat politique.

À la question de savoir si les parlements nationaux devraient être plus investis dans ce débat et dans le processus décisionnel, 44 % se prononcent pour une plus grande implication (12 % contre), et plusieurs commentaires soulignent que cela contribuerait essentiellement à une meilleure information des citoyens sur ces enjeux. Enfin, pour 37 % des répondants, la question du cadre financier pluriannuel sera l'un des sujets majeurs de la campagne des élections européennes. Cela signifie que plus d'un tiers des répondants considère que le CFP représentera un élément de la future élection européenne qui va se jouer en mai 2019.

Pour conclure, il y a peu de déclarations et de positions prises sur le Cadre Financier Pluriannuel, la réserve est clairement de mise sur ce sujet dans la négociation. Ainsi même le Président de la République dans sa tribune n'affiche aucun élément sur ce sujet. La renaissance passera certes par des objectifs clairs, comme ceux énoncés par le Président de la République, mais la modernisation du « mieux dépenser ensemble » en sera un maillon essentiel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.