À vous entendre, en revanche, vous mèneriez une politique nouvelle en France, quasi révolutionnaire, pour reprendre le terme d'un récent livre jupitérien. Je vous invite à ne faire table rase du passé qu'avec la plus extrême prudence.
Sur le long terme, c'est bien la même politique de l'offre qui est appliquée, comme toujours en faveur du capital et au détriment du travail.
Les chiffres de l'INSEE sont d'ailleurs sans équivoque. En trente-cinq ans, pas moins de sept points de la valeur ajoutée ont été versés au profit des dividendes, les revenus du travail en perdant quasi autant, soit 150 milliards d'euros par an, alors même que, contrairement à ce que vous affirmez, la richesse nationale n'a jamais cessé de croître.
Ce n'est pas le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, le CICE, de François Hollande – ce dernier vous ayant largement facilité le travail – , qui nous convaincra du contraire. Près de cent milliards en quatre ans, pour 100 000 emplois créés ou sauvegardés, au mieux, là où le MEDEF en promettait un million. Dois-je rappeler que vous parliez déjà, à l'époque, de relance de l'investissement productif, en échange de ces cadeaux offerts sans aucune condition ? Je vise la majorité précédente, mais qui est, pour partie, la même qu'aujourd'hui. De toute façon, vous vous proposez de prolonger le CICE encore un an, avant de le rendre définitif en le transformant en exonération, ce qui contribuera, là encore, à l'accumulation de la rente.
Il faut alimenter le capital, dites-vous, il manquerait d'argent. Ah bon ? Où cela ? La France détient le record d'Europe des dividendes, elle se place au troisième rang mondial, en nombre de millionnaires, derrière les États-Unis et le Japon, au septième rang mondial et au troisième rang européen pour l'investissement étranger. Allons, le capital n'est pas malheureux ici !
Vous prétendez que tout le monde profitera de ce budget. C'est faux ! Si vous baissez directement l'imposition des riches de 9 milliards, vous proposez aux autres un jeu de bonneteau, dont personne ne sortira gagnant. Tout d'abord, les hausses d'impôts sont immédiates, comme celle de la contribution sociale généralisée, la CSG, alors que la taxe d'habitation disparaîtra en trois ans et que les cotisations seront allégées en deux fois.
Ensuite, vos cadeaux sont un jeu de dupe. Prenons le transfert des cotisations sociales sur le salaire net, une idée empruntée à Mme Le Pen, la première à l'avoir énoncée durant la campagne présidentielle. C'est en réalité du salaire socialisé que vous prenez à l'ensemble des salariés via la fiscalisation rampante des cotisations. Bref, vous donnez aux salariés ce que vous leur prenez dans l'autre poche.
Il y a même ceux qui perdront de suite, en n'étant ni exonérés de la taxe d'habitation, comme 20 % des plus défavorisés, ni concernés par la baisse des cotisations, comme les retraités. Tout juste accordez-vous quelques mesures de charité aux très pauvres. Vous les mettez en avant, mais on réalise en général assez vite qu'il ne s'agit que d'un vase communicant, puisque vous leur donnez l'argent que vous aurez pris à ceux qui sont un peu moins défavorisés. Vous finissez ainsi par dresser les Français les uns contre les autres.
Même votre taxe carbone est injuste en ce qu'elle pénalise les seuls particuliers et ne taxe ni les entreprises les plus polluantes, ni le kérosène des avions.
S'agissant des recettes, le projet de loi de finances renforcera les inégalités puisque le nouveau tiers-état – ces cyniques, ces fainéants, ces jaloux, ces envieux – devra supporter le fardeau toujours plus lourd des nouveaux privilèges de l'argent. D'ailleurs, vos mots ne trompent pas : vous parlez taxation, confiscation, en oubliant la dimension redistributive de l'impôt.
C'est ce que nous voulons remettre en vigueur pour l'avenir, et nous avons déposé plusieurs amendements en ce sens : un impôt sur le revenu réparti en quatorze tranches, la baisse de la TVA, l'impôt universel pour permettre à nos concitoyens partis à l'étranger de participer à la solidarité nationale en payant la différence d'impôt si celui du pays d'accueil est moindre – comme le pratiquent les États-Unis, et comme s'y soumettent nos députés européens.
Le budget le plus inégal et injuste de la Ve République est aussi le plus austère. Les 15 milliards en moins touchent aussi les ministères chargés de répondre aux principaux soucis des Français : 1,8 milliard de moins pour le logement, 1 milliard de moins pour l'emploi, 4,2 milliards de moins pour la santé, 2,8 milliards de moins pour les collectivités territoriales.
Et M. Darmanin, en commission, de considérer qu'il ne s'agit pas d'une baisse, mais d'une « moindre dépense supplémentaire » ! Je ne sais s'il s'agissait d'humour ou de second degré, mais ce trait d'esprit est peu apprécié des associations de fédérations et d'élus locaux, qui se dressent vent debout contre cette réforme. À la clef, on peut prévoir 120 000 suppressions de fonctionnaires, dont 70 000 dans les territoires, alors que les besoins sont criants partout.
En tout, en cinq ans, vous nous proposez une purge de 80 milliards de baisses des dépenses publiques, autant d'argent qui manquera à l'économie française, car – faut-il le rappeler ? – , la dépense publique est aussi une recette dans le PIB. Entre 2012 et 2016, d'ailleurs, le pays serait entré en récession si la dépense publique n'avait pas remplacé un marché privé atone. C'est ce feu de l'activité économique que vous voulez encore baisser aujourd'hui, ce qui pourrait nous priver des effets du rebond cyclique de l'économie mondiale.
Enfin, tordons le cou à l'un de vos contre-feux : non, il n'y aura pas un grand plan de 57 milliards d'investissements. Il ne sera que de 24 milliards, soit moitié moins que les promesses d'Emmanuel Macron, une fois retirés le redéploiement de crédits existants ou la mise à disposition d'instruments financiers.
Chers collègues, au cours de ce débat, nous espérons convaincre le plus grand nombre d'entre vous de la nocivité de ce texte et du bien-fondé de nos amendements. L'article 40 nous empêchant de faire toute la démonstration que nous aurions voulue, nous présenterons un contre-budget le 2 novembre.
Mais il est un autre carcan, pire encore. Après avoir obéi à Bruxelles et Berlin en dérégulant toujours plus le marché du travail avec vos ordonnances, vous soumettez les intérêts du pays à la règle d'or des traités de l'Union européenne.