Intervention de Frédéric Plan

Réunion du mardi 12 mars 2019 à 18h15
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Frédéric Plan, délégué général de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C) :

Je vous remercie de votre invitation. Peut-être n'aurai-je pas besoin de temps supplémentaire puisque vous avez présenté nos activités en insistant sur le maillage territorial que nous assurons. J'ajoute simplement que nos entreprises entretiennent quelque 2 000 dépôts d'hydrocarbures secondaires, en complément des stocks pétroliers primaires, pour assurer la sécurité d'approvisionnement du territoire pour l'ensemble des usagers des produits que vous avez cités – plus, à titre anecdotique, le gazole pêche, le fioul fluvial et pour partie la plaisance.

Je précise encore que nous représentons très peu de stations-service, à savoir un millier de stations dites rurales. Ces stations à très faible débit, souvent automatiques, desservent des territoires abandonnés par les grands réseaux. Souvent, ce sont les municipalités qui ont demandé à nos entreprises de les recréer afin d'éviter aux habitants de faire des kilomètres inutiles au prétexte d'un prix d'appel alléchant.

Enfin, outre 1 500 entreprises qui ont ce type d'activité principale, il existe d'autres distributeurs, comme un certain nombre de coopératives agricoles qui font de l'approvisionnement en produits pétroliers, des entreprises de matériaux ou des fournisseurs de produits phytosanitaires et d'entrants agricoles.

Organisation représentative de ce secteur de la distribution, la FF3C représente 15 000 emplois directs et un nombre d'emplois indirects que je ne suis pas en mesure de chiffrer. Le secteur fait, en gros, un chiffre d'affaires annuel de seize milliards d'euros, soit approximativement 5 milliards d'euros de taxes intérieures directes et une charge indirecte de l'ordre de 500 millions d'euros par an, toutes activités confondues : fioul domestique, carburants pour les stations rurales, approvisionnement en vrac des transporteurs publics, des collectivités territoriales, fiscalité indirecte des certificats d'économie d'énergie (CEE). Je n'inclus pas ici diverses redevances dont on ne sait si on peut les qualifier de taxes, telle que la redevance sur les stocks stratégiques ou la taxe incitative relative à l'incorporation de biocarburants (TIRIB) qui est l'ancienne taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) biocarburants.

La fiscalité énergétique, directe ou indirecte, est devenue au fil des années le principal souci des distributeurs indépendants, loin devant les questions de logistique ou les questions commerciales. En effet, en raison des incertitudes sur le montant de la TIRIB et des CEE, le coût, pour un certain nombre d'opérateurs qui achètent à des raffineurs ou qui importent le produit, peut dépasser leurs marges opérationnelles. Donc toute erreur sur ces questions, quasiment exogènes à l'activité normale de l'entreprise, peut entraîner des déséquilibres de trésorerie mais aussi, potentiellement, de concurrence.

Au-delà des entreprises soumises aux CEE ou à cette fiscalité directe, le réseau des 1 500 distributeurs est constitué essentiellement de TPE : 90 % ont moins de dix salariés, et elles ont parfois des activités secondaires à titre de complément. Elles sont néanmoins impliquées dans la gestion de la fiscalité pétrolière parce que c'est sur elles que reposent les déclarations de balance des taux sur les différents montants régionaux de taxe intérieure sur les carburants. En effet, l'Île-de-France, la Corse et Auvergne-Rhône-Alpes ont des taux différents des autres régions. Chaque fois qu'une taxe augmente, on demande à ces entreprises de reverser la fiscalité sur les 2 000 stocks qu'elles entretiennent. De façon anecdotique, c'est aussi le cas dans les régions du nord, où subsiste une faible demande de charbon, pour le versement de la taxe intérieure sur ces produits. Ces entreprises subissent aussi les effets de la complexité fiscale, qui fait que tous leurs clients ne sont pas traités de la même façon : le transport fluvial a accès à du gazole non routier (GNR) totalement détaxé ; certains clients comme ceux qui disposent de groupes électrogènes peuvent utiliser du fioul domestique sans payer de taxe, car ce sont des équipements de sécurité.

À ce propos, nous sommes inquiets d'un retour éventuel du projet de faire passer les travaux publics et tout le secteur du bâtiment du GNR au gazole tout court. La date d'application initiale, qui était le 1er janvier 2019, a été repoussée. En effet – et c'est un message que nous vous adressons –, les adaptations logistiques nécessaires pour ce changement de produit demandent au moins un an de préparation à nos entreprises. Il serait aussi question de créer pour les transporteurs publics un gazole spécifique, moins cher que le gazole que paye l'automobiliste, pour éviter d'avoir à leur rembourser une partie de la taxe comme c'est le cas actuellement.

Mais pour nous, vendre un même produit avec deux taxes différentes, alors que nous payons la même taxe à l'achat poserait un problème énorme de trésorerie ; il nous faudrait avancer la partie de la taxe que ne paieraient plus les transporteurs publics pour nous la faire rembourser ensuite par les services de l'État. Il faut savoir que ce marché du gazole en vrac est de 6 à 7 millions de mètres cubes chaque année, contre trente-deux à trente-trois millions de mètres cubes distribués en station-service.

J'en profite pour donner d'autres ordres de grandeur. Pour le gazole non routier, plus faiblement taxé que le gazole, car il bénéficie aux utilisateurs dans l'agriculture et les TPE, le marché est de 5 millions de mètres cubes. Le marché du fioul domestique pour le chauffage est de 7 millions de mètres cubes. Les marchés du fluvial et du gazole pêche sont pour mémoire.

S'agissant de fiscalité, nous nous permettons de faire quelques observations par type de produits ou d'usage.

La taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) – devenue taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) – avait fini par poser moins de problèmes au fil du temps, toutes les régions s'étant progressivement calées sur le taux maximum. Mais pas de chance : à peine la région Poitou-Charentes, la dernière à le faire, s'était-elle « normalisée », que l'Île-de-France puis, récemment, la région Auvergne-Rhône-Alpes fixaient de nouveau un taux différent. Pour l'uniformisation, c'est raté ! Certes, nous n'avons pas à discuter pour savoir si une part du produit de la taxation des produits pétroliers doit aller aux régions. Mais y a-t-il un intérêt véritable à ce que cette part soit modulable ? C'est une procédure compliquée, lourde, qui mobilise nos entreprises pour remplir des déclarations et les services des douanes pour les gérer, et c'est une source potentielle de fraude.

Sur les biocarburants, les entreprises indépendantes demandent vraiment une visibilité pluriannuelle. Le dispositif change trop souvent – moins que pour les CEE, certes. De plus, le risque de déstabilisation de la concurrence existe. C'est, accessoirement, une curiosité fiscale. C'est, à ma connaissance, la seule énergie renouvelable qui ne reçoit aucune subvention de l'État ni des régions. On impose aux opérateurs d'incorporer le coût, qui ne pèse en rien sur les fonds publics. Mais par ailleurs, cette partie renouvelable du carburant est taxée comme si c'était un produit pétrolier. Le procédé échappe à la logique, en tout cas à la nôtre.

Quant au fioul domestique, à usage de chauffage pour l'essentiel, il supporte à due proportion une taxation « contribution climat énergie », autrement dit la taxe carbone. Mais avant qu'il ne soit question de taxer les effets climatiques, ce produit l'était déjà à hauteur, TVA incluse, d'environ cinq centimes du litre. Le maintien de cette taxe historique n'est pas justifié. À ce jour, le fioul domestique intègre 7 % d'énergies renouvelables, mais c'est comme si ces 7 % n'existaient pas : tant que cette partie renouvelable du fioul domestique sera considérée comme du pétrole 100 % fossile, il n'y aura pas d'énergies renouvelables dans le fioul domestique. C'est un point de blocage, car, suite aux tests sur la substitution du fioul domestique par un combustible liquide renouvelable, sont actées des incorporations progressives de 30 % puis de 50 % à l'horizon 2030. Pour une fois qu'une énergie renouvelable n'a pas besoin de subventions, pourquoi attendre ?

Un mot sur le bois énergie : il bénéficie d'une aide fiscale directe avec une TVA réduite, et indirecte, puisque cette TVA n'est pas recouvrée, à peine 20 % du bois passant par le marché. De plus, ce marché ne peut pas être normalisé, alors que la qualité du bois brûlé influe considérablement sur les performances des appareils et surtout sur les rejets de CO2 ou de polluants atmosphériques.

J'en viens enfin – mais peut-on ici parler de fiscalité indirecte ? – aux certificats d'économie d'énergie. Je confirme les chiffres donnés par l'UFIP, que nous avons en effet entendus. Toutes énergies confondues, et à prix inchangés, le dispositif coûte 4 milliards d'euros par an aux consommateurs, 5 milliards avec la TVA. Mais il pourrait encore augmenter.

En effet, les « obligés » – les vendeurs d'énergie obligés de réaliser des économies – ne parviennent plus à produire ce qui leur est demandé. Nous sommes en cours de quatrième période – elle s'achève en juin, et pour l'instant, si sur les CEE précarité la production égale l'obligation, sur les CEE classiques, le déficit est de 50 %. S'il se maintient, il y aura donc des pénalités sur 50 %. Hypothèse, dira-t-on, mais elle est inquiétante. Car ces pénalités seront de 9 milliards d'euros hors TVA, soit près de 11 milliards d'euros en plus pour le consommateur. Pour tenter de rattraper la dérive actuelle, l'administration propose des actions sous engagement, sous charte, qui ont pour effet la création d'économies fictives – ce qui attire toujours les aventuriers.

La situation est difficilement gérable pour les obligés, qui ne savent pas, au moment où ils mettent leur produit sur le marché, quel est le coût réel des CEE qu'ils ont à supporter. Au surplus, ils sont exposés aux sanctions pour les malfaçons d'opérations dont la mise en oeuvre leur échappe. Certes, un comité de pilotage entre l'administration et les acteurs se réunit, mais le dialogue y est limité. Certes, le Conseil supérieur de l'énergie voit passer les textes réglementaires mais in fine, l'administration en dispose.

Aussi ne serait-il pas inutile, de notre point de vue, que le Parlement étudie la possibilité, ouverte par la directive européenne, de proposer aux obligés un versement libératoire auprès d'un organisme public ou parapublic qui puisse à la fois mieux organiser les actions, les contrôler et accessoirement – je vous renvoie au dernier rapport de TRACFIN – limiter la déperdition en ligne entre ce que cela coûte aux obligés, donc aux consommateurs, et ce qui revient réellement aux bénéficiaires.

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