Intervention de Didier Guillaume

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 16h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Je vais essayer de répondre le plus précisément possible. Si j'oubliais certaines questions, n'hésitez pas à m'interpeller. Quand j'étais parlementaire, j'avais horreur d'être maltraité par les ministres qui prenaient à peine le temps de répondre aux questions… Je vais m'employer à le faire du mieux possible. Mais je n'ai que deux heures à vous consacrer !

Il y a très peu de différences entre les députés de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire et ceux de la commission des affaires économiques. On sent une réelle conjonction de vues entre vos deux commissions.

L'agriculture n'est pas à la traîne de la demande sociétale, qui est forte et irréversible. Ne pas le comprendre, c'est ne pas comprendre ce que doit être l'agriculture de demain. Cette demande de nos concitoyens, c'est une agriculture qui utilise moins de pesticides, une alimentation saine, sûre et durable, un bien-être animal revendiqué et un modèle de développement acceptable par le plus grand nombre. C'est exactement la démarche de notre agriculture et de nos agriculteurs. Je ne connais pas un seul paysan dans notre pays qui mette des produits phytopharmaceutiques dans le sol pour se faire plaisir, qui cherche à empoisonner les Français avec ses produits, qui veuille polluer l'air et les sols ; tout simplement parce que nos paysans vivent dans l'air et sur les sols, beaucoup plus que nous autres, trop souvent enfermés dans les salles climatisées de l'Assemblée nationale, du Sénat ou des palais ministériels. Tant que l'on montrera du doigt ces agriculteurs, nous n'aurons pas compris à quel point ils sont engagés dans la transition.

Le second sujet général, avant de répondre à chacune des questions de manière précise, c'est celui de notre indépendance alimentaire. C'est une volonté politique que nous avons depuis des années. Soyons-en fiers : la France est indépendante en matière alimentaire, et cela compte beaucoup. Si nous sommes indépendants, c'est parce que nous avons beaucoup produit dans les années qui viennent de s'écouler. Nous préserverons cette indépendance en y ajoutant l'agro-écologie afin que notre indépendance soit totalement conforme à la demande sociétale.

Madame Laurence Maillart-Méhaignerie, vous avez été rapporteure pour avis de la loi « Égalim » et vous avez évoqué les négociations commerciales. Les états généraux de l'alimentation ont été quelque chose de pas du tout ordinaire. L'un de vous l'a dit, c'était le grand débat avant l'heure. C'est la première fois dans notre histoire agricole et économique – et je suis d'autant plus à l'aise pour en parler que je n'y étais pas à cette époque, ce n'est donc pas un plaidoyer pro domo – qu'est venue l'idée de mettre autour de la table tous les représentants de l'amont et de l'aval de l'alimentation française. Ce n'était jamais arrivé. Au bout d'un an et demi de discussions en est sortie la loi « Égalim », qui est loin d'être une occasion manquée, mais qui est sûrement une étape avant d'aller plus loin. C'est exactement ce qui s'est produit pour les négociations commerciales : elles ne se sont pas passées comme les autres années ; en même temps, nous ne sommes pas allés au bout de ce que nous voulions dans ces états généraux et cette loi, force est de le constater.

Il était impossible que les négociations se passent comme avant car les états généraux en avaient décidé autrement. Et à l'exception d'une seule grande enseigne, qui l'a encore revendiqué récemment dans la presse, tout le monde y avait toujours été favorable. Si les négociations ont progressé, c'est parce que vous avez fait un choix d'une intelligence absolue : vous avez décidé qu'il n'était plus possible que les agriculteurs soient étranglés et en arrivent à se suicider – un suicide tous les deux jours –, parce que c'est la seule profession en France à laquelle on impose de vendre des produits en dessous de leur coût de revient. En choisissant d'inverser la construction des prix, vous avez totalement changé les relations commerciales. Et rien ne sera plus jamais comme avant.

Or, cette année, les négociations commerciales ayant démarré avant la mise en application de la loi et les ordonnances, cela n'a malheureusement pas réussi à 100 %, mais c'est le début. Ma conviction est que dans les deux ans qui viennent, nous aurons pris une direction radicalement inverse à ce qui s'est fait depuis trente ans. Dans son discours de Rungis, le Président de la République a demandé des organisations par filière et l'inversion de la construction des prix. Devoir vendre un litre de lait à 32 centimes alors qu'il me revient à 39 centimes, ou un kilo de viande à 3,50 euros alors qu'il me revient à 5 euros, ce n'est plus acceptable. Surtout quand je retrouve ce kilo de viande à 15 euros en grande surface, ou le litre de lait à 1,15 euro !

Les marques de distributeurs ne sont pas dans la loi, mais elles représentent 40 % du volume. Or c'est sur le volume que l'on fait vivre les agriculteurs et pas seulement sur les niches, le bio, les circuits courts. Ceux qui sont sur des niches vivent plutôt très bien. Nous allons avancer et vous avez raison de souligner que c'est le début de quelque chose de nouveau.

Merci aux groupes LREM et UDI, Agir et Indépendants d'avoir lancé une commission d'enquête pour dire la réalité des choses. Elle permettra de voir que les torts ne sont pas toujours là où on le dit. Vous aurez besoin aussi de démontrer que l'organisation par filière ne s'est pas réalisée partout ; les mêmes qui réclamaient des prix différents ne se sont pas organisés en conséquence. Appelons aussi un chat un chat.

Sur le bio, l'objectif d'y consacrer 15 % de la surface agricole utile (SAU) sera difficile à atteindre, mais nous devons y parvenir. Pour ce faire, il faut pousser les filières à avancer dans la transition agro-écologique. J'étais il y a quelque temps à Beauvais, au congrès de l'Association des producteurs de blé et autres céréales (AGPB). Que l'AGPB annonce qu'ils passent en haute valeur environnementale est quelque chose que nous n'aurions pu imaginer il y a deux ou trois ans. C'est pourquoi je défends les filières agricoles et les agriculteurs, car ils avancent. Et on n'imagine pas à quelle vitesse ils le font.

S'agissant de l'étiquetage alimentaire, je ne pas suis sûr que nous soyons totalement d'accord, entre le Gouvernement et votre commission. Je ne rouvrirai pas le débat aujourd'hui, nous aurons l'occasion d'en reparler. Les contraintes sont nombreuses, même si nous avons obtenu une grande victoire au niveau européen avec la poursuite de l'expérimentation sur l'étiquetage, qui est une très bonne chose pour la France.

Vous avez été plusieurs à évoquer la loi « PACTE » et les produits phytopharmaceutiques. La volonté du Gouvernement est évidente : il faut sortir de la dépendance à ces produits. Nous sommes pour le moment sur un échec, monsieur Bertrand Pancher, mais nous allons en sortir. La question est économique. Nous voulons sortir du nucléaire : mettons-nous fin à l'industrie de l'uranium ? Nous voulons la paix dans le monde : arrêtons-nous de produire des armes ? Je pose ces questions sans langue de bois. Les députés qui pourraient avoir de telles idées, sitôt qu'une entreprise sera concernée dans leur circonscription, viendront immédiatement me voir pour m'expliquer que 200 emplois sont en jeu et qu'il n'est pas question de décider son arrêt immédiat… Or c'est souvent ainsi que les choses se passent. Le Parlement, dans sa grande sagesse, en a décidé ainsi ; nous sortirons de ces produits mais je comprends les raisons économiques qui ont conduit à la décision prise pour les trois ans à venir.

L'agro-écologie, c'est deux choses. C'est tout d'abord une approche systémique des exploitations, pour cultiver et produire différemment – et c'est bien la raison pour laquelle je parle d'agro-écologie et non pas d'écologie. M. Bertrand Pancher a évoqué les prairies, nous en avons parlé hier au Conseil des ministres à Bruxelles : si nous ne revenons pas aux rotations de cultures, aux assolements, si nous n'abordons pas la question des prairies permanentes, nous n'avons rien compris à l'agro-écologie. Il faut arrêter avec les grands champs labourés qui restent nus, alors que les champs sont des puits de carbone comme la forêt. Nous avons besoin de capturer du carbone. L'initiative « 4 pour 1 000 » lancée par M. Stéphane Le Foll et reprise par la COP21 reste un des objectifs de ce Gouvernement. Nous devons par ailleurs renforcer les phénomènes de régulation naturelle. C'est cela, l'agro-écologie.

Mais il ne s'agit pas de répéter « agro-écologie, agro-écologie », en laissant nos lycées agricoles se vider ; encore faut-il que des formateurs enseignent aux jeunes ce qu'est l'agro-écologie. C'est pourquoi nous venons de lancer au Salon de l'agriculture, avec M. Jean-Michel Blanquer et Mme Muriel Pénicaud, un immense plan de communication et d'information pour que les métiers de l'agriculture ne soient pas un choix par défaut.

Nous allons pour la première fois introduire l'agro-écologie dans la PAC, dans son deuxième pilier, afin d'assurer ce verdissement de la PAC que vous appelez de vos voeux. Mais n'oublions pas, madame Valérie Beauvais, que l'agriculture s'appuie sur le trépied « compétitivité, innovation, transition ». L'un ne va pas sans l'autre : pas de compétitivité sans innovation, pas d'innovation sans transition agro-écologique. Penser que l'agriculture de demain ne doit pas être une agriculture compétitive est une erreur fondamentale. La balance du commerce extérieur de la France est positive depuis des années, mais nous sommes passés de 10 à 6 milliards d'euros sans nous demander pourquoi nous perdons des parts de marché. L'an dernier, par une chance inouïe, nous avons regagné 1,3 milliard d'euros grâce à la vente de céréales en Algérie, au Qatar et en Arabie Saoudite. Mais, parallèlement, nos exportations ont baissé en Europe. Posons-nous la question de nos échanges intra-européens, qui sont à mon sens essentiels.

L'agriculture est une chance pour notre pays, et son visage de demain doit être celui d'un paysage sans friches, avec des terrains exploités. C'est pourquoi nous travaillons beaucoup sur l'installation des jeunes agriculteurs, dans le cadre français et dans le cadre européen.

Je ne crois pas, madame Valérie Beauvais, que la loi « Égalim » comporte des mesures non compétitives. Vouloir 50 % de produits sous signes d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) et bio dans la restauration collective, ce n'est pas moins de compétitivité, mais c'est une autre compétitivité agricole. Un agriculteur bio n'est pas un agriculteur qui ne serait pas dans la compétitivité, mais dans une autre façon de la pratiquer.

Monsieur Bruno Millienne, vous avez évoqué, et M. Loïc Prudhomme également, le versement des aides à l'agriculture bio. L'État a été défaillant, c'est clair, mais rappelons tout de même où nous en sommes. Je ne peux pas laisser dire que les aides n'ont pas été versées et que des fermes bio ont fermé à cause de cela. Quand j'ai pris mes responsabilités, sur les 4 milliards d'euros d'aides, il restait 200 millions d'euros qui n'avaient pas été versés. Ce sont sûrement 200 millions de trop, mais ce sont 200 millions sur 4 milliards. Et pour ce qui est des aides de 2018, monsieur Loïc Prud'homme, il est normal que le taux de réalisation soit de 0 % : le paiement a toujours lieu avec un an de décalage… On peut le regretter, mais on ne peut pas faire autrement. La défaillance de l'État et de l'ASP ne concerne que les exercices 2016 et 2017. On a procédé par le biais d'avances de trésorerie : sur les 4 milliards, il ne reste plus, je l'ai dit, que 200 millions. Aujourd'hui, 99,56 % des paiements au titre des aides de la PAC ont été réalisés. Il reste quelque 60 millions d'aides bio non encore versées ; elles le seront avant la fin de l'été, je ne me défausse pas. Nous avons passé des consignes auprès des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) et des directions départementales des territoires (DDT) : aucune exploitation ne devra fermer parce que l'État n'aura pas payé les aides.

Madame Sophie Auconie, vous parlez de la perte d'influence au Parlement européen et du départ de M. Michel Dantin – je l'ai rencontré hier soir : il a fait un choix personnel, c'est la vie. Il faut vous tourner vers les parlementaires français qui étaient majoritaires au Parlement européen : jusqu'à preuve du contraire, ceux qui soutiennent l'actuelle majorité n'y étaient pas… Si vous voulez dire que les membres de l'actuel PPE ont perdu de l'influence au Parlement européen, ce n'est pas impossible. Je ne peux prédire qui sera élu aux prochaines élections européennes ; j'ai une petite idée, dans la liste que je soutiendrai, de qui pourrait représenter l'agriculture, mais ce n'est pas moi qui suis chargé d'établir la liste. J'espère qu'il y aura des personnes compétentes dans toutes les listes, car l'enjeu sera de défendre la France.

Pour l'instant, nous n'avons pas beaucoup réussi, pour une raison simple : la politique politicienne prime trop souvent sur l'intérêt de la France. Je lance donc un appel à votre commission. Nous pouvons avoir des visions, des orientations différentes au sujet de l'Europe, mais deux enjeux sont essentiels : nous devons, d'une part, être capables de former un « pacte France » entre le Gouvernement, le Parlement et les organisations professionnelles agricoles pour nous battre afin que le budget de la PAC soit le plus élevé possible et, d'autre part, être capables de former un « pacte France » pour qu'à l'intérieur de ce budget, nous poussions tous ensemble les orientations voulues par la France. Si nous y parvenions, ce serait un changement de paradigme total : les députés français au Parlement européen ne parleraient plus au nom de leur groupe politique mais au nom de leur pays. Ce serait nouveau mais, si on aime l'agriculture française, je pense que c'est dans ce cadre-là qu'il faudra essayer d'avancer.

Monsieur Bruno Millienne, s'agissant des agroéquipements, je vous indique que, les 19 et 20 septembre prochains, se tiendra à Bourg-lès-Valence dans la Drôme le salon mondial Tech&Bio, le premier salon européen des techniques agraires et équipements professionnels alternatifs. Pour l'instant, on y voit plus d'agriculteurs conventionnels que d'agriculteurs bios, mais c'est dans ce cadre-là que nous gagnerons la partie. Il faut mettre en place une filière des agroéquipements, c'est absolument indispensable pour la transition agro-écologique.

Monsieur Loïc Prud'homme, je suis au regret de vous dire que le nouveau modèle agricole, ce n'est pas l'agriculture biologique. L'agriculture biologique, c'est le modèle que nous aurons peut-être dans quinze ou vingt ans. Le modèle que je veux maintenant, c'est un modèle qui en finisse avec la dépendance aux produits phytosanitaires et qui fasse, dans le cadre de la transition agro-écologique, de l'innovation et de la compétitivité des axes économiques majeurs. Nous ne pouvons avoir 100 % d'agriculture bio en France, ce ne serait pas possible.

Enfin, j'assume totalement la défaillance de l'État sur les aides PAC et les aides bio ; mais pour ce qui est du programme LEADER, la défaillance est de la responsabilité des régions. Les groupes d'acteurs locaux (GAL) sont des associations régionales ; pour l'instruction, il faut s'adresser à l'intercommunalité et au conseil régional. Ce n'est pas une attaque envers les régions : tels que sont conçus les programmes LEADER aujourd'hui, nous risquons de nous retrouver avec 500 ou 600 millions d'euros d'apurement, ce qui serait dramatique. Je milite pour que dans la future PAC, on reconcentre les aides et qu'on arrête ces programmes LEADER où l'on finance des concerts de rock et autres en zone rurale. J'en sais quelque chose pour l'avoir pratiqué moi-même, je n'ai pas d'état d'âme là-dessus, mais arrêtons une fois pour toutes une orientation pour les aides européennes de la PAC : veut-on faire de l'aménagement du territoire ou du développement agricole ?

Pour ce qui est de la redevance pour pollutions diffuses (RPD), je suis au regret de vous le rappeler, elle a été votée par le Parlement… Les surplus de taxe par rapport aux objectifs initiaux retourneront intégralement à l'agriculture, pas uniquement au bio mais à l'agriculture biologique et à celle qui s'inscrit dans la transition – haute valeur environnementale et autre. C'est une avancée indispensable.

Monsieur Bertrand Pancher, je vous le dis tranquillement : les plans Ecophyto étaient indispensables, et ils ont été un échec. On s'en est gargarisé, on y a investi beaucoup d'argent, mais malgré les avancées, comme la mise en place du réseau des fermes DEPHY, force est de constater que l'on a consommé davantage de produits phytosanitaires durant ces trois dernières années que lors des trois années précédentes. Je suis d'accord avec vous : on ne peut pas parler d'un succès… Nous devons aller plus loin, prendre le taureau par les cornes et nous poser les questions qui valent : devons-nous continuer de travailler sur la base du NODU – nombre de doses unité – ou procéder différemment ? Je suis, pour ma part, prêt à ouvrir ce chantier. Si nous voulons faire cesser la dépendance aux produits phytosanitaires, il faut aller beaucoup plus vite.

Nous nous sommes beaucoup battus sur la méthanisation et les choses avancent. Comme les biocarburants, elle doit faire partie intégrante de l'exploitation agricole de demain. C'est la raison pour laquelle nous allons travailler avec les territoires sur les biodéchets ; beaucoup d'annonces ont été faites dans ce domaine lors du Salon de l'agriculture.

Enfin, monsieur Guillaume Garot, le décret sur la restauration collective sera publié prochainement. La présentation, la semaine prochaine, des lauréats du programme national de l'alimentation sera l'occasion d'annonces sur les standards et la qualité des aliments.

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