Intervention de Didier Guillaume

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 16h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Je ne le crois pas, mais nous vérifierons. Le seul accord que nous avons trouvé avec les Américains porte sur l'entrée du boeuf sans hormones. Comme l'a rappelé le Président de la République au Salon de l'agriculture, nous n'importons pas de boeuf aux antibiotiques, d'où qu'il vienne – à moins qu'il n'y ait tricherie. De ce point de vue, les accords conclus avec le Canada sont très clairs. De même, nous ne signerons pas d'accord avec le MERCOSUR pour cette raison et je l'ai rappelé récemment à mon homologue argentin : non, nous n'importerons pas de viande argentine ne respectant pas nos standards. Il faut tout à la fois contrôler les fraudes éventuelles et, dans le même temps, se garder de faire peur en répandant ce que l'on appelle en patois drômois des fake news (Sourires).

Comme je l'ai annoncé aux assises de l'eau, monsieur Adrien Morenas, la France va remettre à l'ordre du jour les retenues d'eau destinée à l'agriculture, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, avec le réchauffement climatique, l'agriculture de demain aura besoin d'eau – beaucoup moins qu'aujourd'hui, du reste. Il faut savoir que les agriculteurs français consomment 30 % de moins que ce qu'ils utilisaient il y a dix ans : c'est proprement extraordinaire. Cela étant, on ne peut pas regarder l'eau tomber du ciel pendant six mois pour en chercher pendant les six autres mois, et faire payer 200 ou 300 millions d'euros d'aides sécheresse. Il faut trouver une solution. Il est hors de question de construire de grands barrages ; en revanche, nous lançons une réflexion sur la création de retenues collinaires qui serviront à l'agriculture, à condition qu'elles soient intégrées dans des plans territoriaux en accord avec les associations et les collectivités locales. Et que l'on ne raconte pas que je veux empêcher les Français d'avoir de l'eau potable à volonté au robinet ! Nous devons néanmoins agir dans l'intérêt de l'agriculture car si nous voulons conserver notre indépendance agricole et alimentaire, il faut un peu d'eau pour l'agriculture – sans créer pour autant des conflits d'usage : on peut récupérer de l'eau sur les toits ou en recyclant les eaux usées. Tous les acteurs ou presque sont favorables aux retenues collinaires à part la fédération France Nature Environnement – ce qui n'est pas négligeable. Nous sommes en discussion avec elle et je crois que nous pourrons parvenir à un compromis, étant entendu, je le répète, que ces retenues ne pourront se faire que si elles s'inscrivent dans le cadre de plans territoriaux.

Pour ce qui est des produits phytopharmaceutiques, nous devons, je l'ai dit, trouver des mesures alternatives. Le biocontrôle n'est pas assez développé en France ; il faut avancer en ce sens. Le glyphosate est certes un sujet important et désormais symbolique, mais la question de la dépendance à l'égard des produits phytopharmaceutiques est tout aussi prioritaire et la France sera à la pointe de cette action en Europe, en réduisant sa consommation de 25 % en 2020 et de 50 % en 2025. Pour atteindre ces objectifs, il va falloir accélérer ! Nous avons tous pris du retard, monsieur Bertrand Pancher : ce n'est ni de la faute des gouvernements qui se sont succédé, ni de celle du monde agricole, mais de notre faute à tous.

S'agissant de la méthanisation, madame Florence Lasserre-David, vous m'interrogez sur la baisse à 7 %, dans le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie, de l'objectif relatif à la part du biogaz dans la consommation totale de gaz en 2030, qui devait s'établir à 10 % conformément à la loi sur la transition énergétique. Entre 10 et 7, ma position est claire : le seuil de 10 % reste l'objectif à atteindre.

M. Stéphane Demilly me pose une question importante. Les responsables de Saint-Louis Sucre prétendent qu'il est contradictoire d'appliquer la loi « Égalim », d'introduire le Nutri-Score et de prôner la réduction de la consommation de sucre tout en déplorant la fermeture de leurs sites de production en raison de l'effondrement de la consommation. Voilà ce que c'est que le cynisme – car il n'y a pas que le savoir-faire allemand ; il y a aussi le cynisme allemand. Là-dessus, nous ne céderons pas. La direction allemande – on peut le comprendre – favorise les sites allemands au détriment de ceux de sa filiale française et de sa filiale polonaise, comme me l'a confirmé hier mon homologue polonais à Bruxelles. C'est une forme de patriotisme et nous agirions peut-être de la même manière. Ce qui ne va pas, c'est que Südzucker, l'entreprise mère, contourne le droit en ne fermant pas réellement ses sites français, comme on le croit souvent. Le maintien de cinq personnes dans la filiale lui permet d'éviter les plans de sauvegarde de l'emploi. Cela, nous ne l'acceptons pas. Nous examinerons toutes les mesures que nous pouvons prendre pour nous assurer que les montants très élevés que cette entreprise doit toucher au titre du CICE parce qu'elle a embauché et investi au cours des années précédentes ne lui soient pas versés. Elle nous opposera que ses engagements d'embauche et d'investissement ont été respectés : peut-être, mais un an plus tard, ils n'investissent plus et ils licencient ! Le ministère du travail nous fournira des informations précises sur cette situation et nous sommes en contact régulier avec les présidents de région et de département et les parlementaires. Sachez-le : nous ne laisserons pas faire, car ces pratiques sont scandaleuses. Nous avons laissé une semaine de réflexion aux intéressés pour qu'ils revoient leur plan ou, à défaut, permettre que nous rachetions les entreprises. Ce que Südzucker refuse, au motif que les entreprises en question deviendraient dès lors des concurrentes… Nous nous réunirons à nouveau la semaine prochaine avec les parlementaires concernés pour envisager comment procéder.

Il est indispensable, monsieur Paul Molac, que les acteurs industriels contribuent à l'émergence de solutions alternatives aux produits phytopharmaceutiques. Les instituts de recherche – notamment l'INRA et l'Institut du végétal Arvalis – multiplient les travaux sur ces sujets, mais l'industrie agro-alimentaire doit s'y consacrer elle aussi, car la fin de la dépendance à l'égard des produits phytopharmaceutiques est inéluctable.

S'agissant des agro-équipements, monsieur Jean-Claude Leclabart, j'ai proposé avec M. Bruno Le Maire de monter un contrat de filière stratégique dans ce domaine. Aujourd'hui, en l'absence d'une telle filière, il faut agir d'amont en aval. J'ai en effet vu au salon international des machines agricoles (SIMA) des machines permettant de réduire de 70 % à 80 % la consommation de produits phytopharmaceutiques grâce à de nouvelles techniques utilisant des radars et des caméras notamment, qui permettent d'analyser les plantes à l'échelle la plus précise. Le problème, c'est que ces machines ne sont pas dimensionnées pour la petite agriculture : pour être rentables, elles doivent être grandes. Il faut donc que les start-up – par exemple dans le cadre de la Ferme digitale – qui travaillent sur le sujet parviennent à dimensionner correctement ces agro-équipements, faute de quoi nous aurons beau nous réjouir d'être les premiers en Europe à les fabriquer, ils n'entreront pas dans nos champs. D'où l'idée d'un contrat de filière stratégique : la filière des agro-équipements recèle un potentiel de milliers d'emplois pour les années qui viennent.

Ce sujet en appelle un autre : les données. Les radars et autres GPS produisent des données en nombre croissant ; tout le problème est de savoir qui les détient et comment elles sont utilisées. J'ai créé un groupe de travail associant les professionnels, car prenons garde : c'est un enjeu qui représente plusieurs millions de dollars.

La position de la France sur la pêche est très claire, monsieur Stéphane Buchou : il n'est pas question que ce secteur soit la variable d'ajustement des négociations sur le Brexit – et c'est d'ailleurs le cas jusqu'ici. Ensuite, j'ai répété hier avec mes homologues européens qu'il n'est pas non plus question que certains pays jouent aux petits malins en négociant directement avec les Britanniques, comme le font déjà certains pavillons et certaines pêcheries privées. Si l'Europe parle d'une seule et même voix – celle de M. Michel Barnier – et si la pêche n'est pas une variable d'ajustement, alors de nouvelles négociations s'ouvriront assez rapidement. Les côtes britanniques ne sont qu'à vingt-deux kilomètres de Boulogne-sur-Mer : il va de soi que des accords économiques devront être conclus. En cas d'interdiction de pêche dans les eaux territoriales du Royaume-Uni, nous prendrons naturellement des mesures, arrêt temporaire et autres – j'ai récemment réuni l'ensemble des acteurs de la filière sur cette question –, mais nous n'en sommes pas là. À ce stade, les Britanniques n'envisagent pas cette option, comme l'a dit mon homologue britannique M. Michael Gove.

Nous sommes néanmoins face à une autre difficulté : la plupart des poissons venus du Royaume-Uni sont transformés dans des entreprises françaises, ce qui nous pose un autre problème. Nous sommes donc mobilisés. Notre responsabilité collective nous commande de tout faire pour éviter le pire, c'est-à-dire qu'il se fasse tout et n'importe quoi au point que des conflits éclatent entre pêcheurs français et pêcheurs britanniques.

Je rappelle que sur la question de la pêche électrique, nous avons gagné. En revanche, pour ce qui est de l'obligation de débarquement, à laquelle cette commission est favorable, les pêcheurs ne sont absolument pas d'accord. Nous avons cependant mené une réflexion l'hiver dernier sur les totaux admissibles de captures (TAC) et les quotas de pêche avec les pêcheurs français.

À l'évidence, monsieur Vincent Descoeur, le premier cycle de négociations annuelles sur les relations entre producteurs et distributeurs n'est pas entièrement satisfaisant. Nous abordons la question des marques de distributeurs : il va falloir se bagarrer et je m'en occuperai personnellement. Ensuite, il faudra que les négociations de l'année prochaine se passent le mieux possible. C'est pourquoi il est important que la mission d'information de votre Assemblée sur l'application de la loi « Égalim » – dans les travaux de laquelle je ne m'immisce aucunement – rende son rapport avant le démarrage du deuxième cycle de négociation, c'est-à-dire en octobre.

Le ruissellement n'a jamais été évoqué en tant que tel, monsieur Vincent Descoeur, bien au contraire. Les négociations ne visent pas au ruissellement : c'est précisément l'inverse. Car si nous attendons que, par ruissellement, la hausse du prix du Coca-Cola fasse arriver de l'argent dans les cours de ferme, nous allons attendre longtemps, c'est moi qui vous le dis !

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