Intervention de Nicolas Démoulin

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Démoulin, rapporteur :

M. Nury, nous n'avons pas les mêmes chiffres quant au nombre de places d'hébergement créées pendant la période hivernale : on a créé 15 000 places et non 4 800. L'an dernier, 5 000 places ont été pérennisées. On ne connaît pas encore le nombre de places qui seront pérennisées cette année : j'espère que ce chiffre sera au moins aussi élevé que l'an dernier.

Les raisons pour lesquelles les sans domicile fixe refusent des places en hébergement d'urgence sont nombreuses : il y a du découragement, de la méconnaissance ainsi que des expériences douloureuses en centre d'hébergement. Certains se sentent plus en sécurité dans la rue que dans certains centres d'hébergement, en raison des vols et de la violence ; certaines personnes qui vivent dans la rue sont des personnes « cassées » souffrant de troubles psychologiques et qui ont du mal à vivre en communauté dans un centre d'hébergement d'urgence. Malheureusement, les centres d'hébergement, c'est un peu la « roulette russe » : en appelant le 115, vous pouvez aussi bien vous retrouver dans un dortoir avec quatre cents personnes que dans une structure avec une chambre individuelle...

Mme Rixain, sur la question des sans-abri et des femmes, le film « Les invisibles » explique bien les choses. Le commun des mortels ne s'imagine pas qu'il y a autant de femmes dans la rue car on ne les voit pas. Elles sont souvent dans les transports en commun, circulent à pied et passent d'un hébergement à un autre le soir. Elles ont des besoins spécifiques. Beaucoup d'associations font un travail remarquable pour la condition des femmes dans la rue ; je pense notamment à « Féminité sans abri » qui propose des kits d'hygiène. Il faut néanmoins que ces acteurs discutent entre eux. Il y a beaucoup de solidarité et d'énergie en France mais il faut davantage de dialogue et de synergie. Par exemple, j'ai ouvert une bagagerie dans un centre d'hébergement ; on pourrait y mettre tous les matins un kit d'hygiène. C'est pour cela que je préconise des réunions très régulières entre services de l'État, centres d'hébergement et associations pour permettre une mutualisation des moyens.

M. Cinieri, effectivement, il existe, aujourd'hui encore, des sans-abri qui appellent le 115 mais n'ont pas accès à un centre d'hébergement. Nous pouvons optimiser le budget, ceci ne doit pas être un tabou. Ces 2 milliards d'euros sont des fonds publics : ils peuvent être utilisés plus efficacement. Nous sommes pris dans un système où nous pallions l'urgence. Or les places d'urgence, que nous ouvrons généralement en décembre, coûtent de temps en temps beaucoup plus chers que les places en CHRS, pour deux raisons : d'une part, l'ouverture se fait dans la précipitation, d'autre part, ces places sont souvent implantées dans des lieux qui conditionnent des dispositifs de sécurité supplémentaires obligatoires. En centre d'hébergement d'urgence classique, une nuitée coûte environ 25 €. Dans les centres créés en urgence en décembre, une nuitée peut coûter jusqu'à 80 €, en raison des coûts des services de sécurité, qui peuvent multiplier la facture par deux. Il nous faut davantage d'anticipation, pour ne pas avoir à ouvrir en décembre, à la va-vite, des centres dont les coûts de sécurité seront importants. C'est l'objet de mes premières préconisations. Il y a beaucoup d'économies à réaliser sur ce point.

D'autres économies peuvent être faites au niveau des hôtels, dont le budget représente plus de 320 millions d'euros par an. Il y a, dans ces hôtels, des aberrations : il n'y a pas d'accompagnement, de système d'alimentation, de lieu de convivialité, alors même qu'ils abritent souvent des familles. On y retrouve même des marchands de sommeil ! Certains directeurs d'hôtels font aujourd'hui leur « business » sur ces places-là, qui sont par ailleurs saturées. Dans les métropoles, il n'y a ainsi plus de chambres d'hôtel disponibles, parce qu'elles sont récupérées par les services de l'État qui y placent des sans-abri. Cela représente 1 200 places d'hôtel tous les soirs à Strasbourg, 500 à Montpellier. Il faut supprimer ces structures, qui n'ont rien à faire dans ce dispositif.

S'agissant de la loi SRU, il existe un dispositif équivalent pour les centres d'hébergement : la loi dite « Boutin ». Cette loi n'est pas très connue, car elle n'a tout simplement jamais été appliquée. Elle oblige pourtant théoriquement les communes, en fonction de leur nombre d'habitants, à ouvrir des centres d'hébergement. Il est prévu des sanctions financières pour les communes qui ne respectent pas leurs obligations en matière d'ouverture de places. Il faut jeter un oeil attentif sur ce dispositif, car il y a une piste à exploiter.

M. Dive, s'agissant des réquisitions par les maires, je suis relativement sceptique. Je vois depuis 18 mois, sur les territoires qui ont répondu à l'appel à manifestation d'intérêt sur le Logement d'abord, que ce sujet des sans-abri n'est pas pris à bras-le-corps par certains maires, pour plusieurs raisons : des raisons politiques d'abord, mais aussi une volonté de cacher la misère. Seules trois métropoles ont réalisé des « nuits de la solidarité », pourtant préconisées dans tous ces territoires. J'aimerais vous croire sur la volonté et la capacité des maires à faire de la réquisition sur les territoires pour permettre de créer des centres d'hébergement. Je pense, pour ma part, qu'il faut plutôt créer une structure, une forme d'agence immobilière pour lutter à armes égales avec les acteurs de l'immobilier, pour faire de la prospection, du diagnostic dans les territoires et trouver des locaux… C'est l'objet de l'une de mes préconisations. Nous avons aujourd'hui trop d'amateurisme : ce n'est pas aux associations d'aller négocier avec des bailleurs ou des propriétaires ni d'aller chercher du foncier. Beaucoup essayent pourtant de trouver des bâtiments vacants et y consacrent beaucoup de temps. Elles doivent être dans leurs centres, avec les travailleurs sociaux, pour oeuvrer à l'amélioration du quotidien des sans-abri… J'ai vraiment ressenti, vis-à-vis de certains maires, une petite défiance et beaucoup estiment que cette responsabilité relève davantage de l'État.

M. Lagleize, la trêve hivernale est un paradoxe : elle rend visible des sans-abri que personne ne voit pendant l'été. Le début de la trêve semble marquer l'éveil des consciences : les sans-abri apparaissent en novembre uniquement… Pour beaucoup de sans-abri, la fin de la trêve hivernale est source d'inquiétude, car ils craignent d'être abandonnés, de n'être plus « dans les radars ». Il n'y a pas de solution miracle. J'avais pensé, un temps, à adapter les trêves hivernales selon les territoires, mais c'est assez compliqué. Il faudrait les adapter en fonction du climat, ce qui se fait déjà, il me semble, à Strasbourg notamment, mais aussi en fonction des situations, car selon les régions, il y a des vraies inégalités sur le nombre de places d'hébergement : à Montpellier, elles sont inférieures de 30 % à celles disponibles à Toulouse. Nous devons avoir un regard vigilant sur ce sujet : il faut plus d'équité sur les territoires, c'est essentiel.

M. Adam, sur l'accueil des sans-abri et de leurs animaux de compagnie, un amendement a été adopté dans le cadre de la discussion de la loi dite « ELAN » : les centres d'hébergement doivent désormais prendre en compte les spécificités des sans-abri et notamment la présence d'un animal de compagnie. Il est compliqué d'obliger par la loi tous les centres d'hébergement à avoir un dispositif d'accueil des animaux de compagnie, en raison de la grande diversité des centres et de leurs bâtis. J'espère toutefois que cet amendement symbolique permettra une prise de conscience : aujourd'hui, un sans-abri avec un chien n'appelle plus le 115. On ne peut pas le contraindre à se séparer de son chien, il faut absolument le comprendre. J'ai senti, à travers les auditions menées pendant quatre mois, que cela commençait à être pris en compte. Cela peut faire partie du cahier des charges du futur plan d'humanisation, je vais le proposer. Mais il y a aussi des spécificités selon les territoires, pour lesquelles je n'ai pas d'explication : à Strasbourg, par exemple, il y a très peu de sans-abri avec des chiens.

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