Intervention de Marie-Pierre Rixain

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Pierre Rixain :

Monsieur le président, chers collègues, je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui pour intervenir sur cette thématique qui me tient particulièrement à coeur. C'est un sujet que je connais bien, puisque le site de Nozay fait partie de ma circonscription. Je souhaiterais à ce titre remercier M. le président Roland Lescure ainsi que M. Éric Bothorel de m'avoir associée aux travaux menés par le groupe de travail de la commission des affaires économiques. Je me félicite que la Représentation nationale se saisisse de ce sujet.

J'aimerais donc à mon tour dire quelques mots sur la situation sociale du groupe Nokia. Nous avons entendu l'intersyndicale, la direction du groupe, mais également les salariés venus manifester – c'est aussi cela notre rôle de parlementaire. Je les remercie tous vivement.

J'insiste sur l'ampleur de ce plan : 408 emplois sont concernés, dont 354 à Nozay. La situation sociale du groupe Nokia se détériore depuis un certain nombre d'années. Elle est le reflet de difficultés financières rencontrées par le groupe, dans le contexte du déploiement d'investissements massifs pour la 5G et d'un environnement fortement concurrentiel. À la suite du nouveau plan d'économie mondial porté par M. Rajeev Suri, un plan social concernant les sites de Lannion et de Nozay a été annoncé le 24 janvier 2019. Le 13 février, la procédure était officiellement lancée devant les syndicats. M. Bothorel l'a rappelé, il s'agit du troisième plan social en trois ans depuis le rachat du groupe Alcatel-Lucent. Il faut d'ailleurs se souvenir qu'avant le rachat, les sites de Lannion et de Nozay avaient déjà souffert de nombreuses mesures de suppression d'emplois.

En 2015, puis en 2017, dans ce contexte difficile pour plusieurs milliers de salariés, Nokia a pris des engagements devant les parlementaires, les organisations syndicales et les pouvoirs publics. Le groupe doit se montrer aujourd'hui à la hauteur des engagements pris hier. Je m'associe à ce titre aux propos tenus par le ministre de l'économie et des finances M. Bruno Le Maire dans notre enceinte. M. Bothorel l'a rappelé avec force, nous ne pouvons transiger sur le maintien des sites et l'objectif d'un niveau global d'emploi fixé à 4 200 salariés, dont 2 500 en recherche et développement. Nous devons également exprimer notre refus de voir des départs contraints. C'est le lien de confiance entre le groupe et ses salariés, déjà fragilisé, qui est ici en jeu. Je regrette le retard pris dans la mise en oeuvre des engagements que j'ai pu constater sur le site de Nozay. Les difficultés financières ne doivent pas faire oublier la nécessité d'une vision stratégique et à long terme pour la branche française de Nokia. À ce titre, je porte une attention toute particulière à la question du maintien des sites, car elle se pose avec une acuité certaine pour le site de Nozay.

Nous savons que le Gouvernement reste présent sur ce dossier, comme il a su l'être par le passé. L'État du XXIème siècle doit être un État stratège, soucieux des enjeux sociaux, économiques et stratégiques dont il est aujourd'hui question.

Quel bilan tirer des précédents plans sociaux ? Une commission est chargée du suivi du parcours des personnes concernées par le premier plan social décidé en 2016. Sur environ 400 personnes, 138 seraient aujourd'hui sans solution pérenne selon les syndicats. Quant au plan social décidé en 2017, il est encore au stade de la mise en oeuvre et le recul reste insuffisant pour analyser ses effets. En tout état de cause, les mesures d'accompagnement et de retour vers l'emploi doivent être solides et soutenues par l'entreprise et les services de l'État, et ce également dans le cadre du nouveau plan à venir.

Autre question centrale, dans quel contexte ont lieu ces nouvelles suppressions d'emploi et à quels objectifs répondent-elles ? C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Pour le groupe, il s'agit, dans un contexte de difficultés économiques, de préserver la compétitivité de l'entreprise en supprimant des postes sur les fonctions supports qui peuvent être automatisés, ou délocalisés.

Dans un contexte de concurrence internationale accrue, et alors que la numérisation de l'économie entraîne une profonde transformation des métiers, comment assurer que nos emplois seront préservés demain ? Nous devons entreprendre une réflexion commune sur les moyens dont nous disposons pour préserver nos emplois.

Je souhaite ici vous livrer plusieurs observations. D'abord, nous ne pouvons passer à côté de la question du « dumping social et fiscal », largement décrié lors de l'audition des syndicats. C'est un fait de l'économie contemporaine : certains de nos emplois industriels, souvent les moins qualifiés, peuvent être exercés ailleurs, et moins chers. Afin d'y répondre, plusieurs leviers existent pour renforcer la compétitivité-prix de la France, et alléger les charges pesant sur les entreprises. Mais cela n'est pas suffisant, et nous devons éviter à tout prix une course au moins-disant social. M. Bothorel l'a rappelé, certaines des suppressions de postes correspondent à des délocalisations en Inde, mais la plupart des délocalisations concernent des pays européens : ce sont des emplois qui partent vers la Roumanie, la Hongrie, et le Portugal. Ici, c'est une réflexion européenne qu'il nous faut mener. L'Europe doit aussi être une Europe qui protège. Si des progrès certains ont été réalisés à l'initiative de la France en matière de lutte contre le travail détaché par exemple, de nouvelles pistes doivent être explorées dans le sens d'une harmonisation fiscale et sociale plus grande entre États membres. L'idée d'un salaire minimum européen, appelé de ses voeux par le Président de la République, me paraît en ce sens tout à fait intéressante.

Ensuite, ce bouleversement des métiers et cette fragilisation des fonctions support doivent nous interroger sur l'efficacité de notre système de formation. C'est d'abord à l'entreprise de mettre en place une gestion prévisionnelle des effectifs (GPEC) à la hauteur des bouleversements à venir. Les syndicats ont à ce titre regretté l'insuffisance voire l'absence de GPEC au sein du groupe Nokia. C'est aussi à l'action publique d'assurer un système de formation continue et de reconversion efficace.

Pour assurer la pérennité des emplois de Nokia sur le territoire français, la France doit se positionner comme une terre d'innovation. La France est déjà traditionnellement un territoire pionnier du groupe en matière de recherche et développement ; le plateau de Saclay est en ce sens un territoire de recherche, d'innovations et le groupe Nokia l'a rappelé au cours des auditions. Toutefois, cela doit aujourd'hui se traduire plus concrètement, dans un contexte où plusieurs récentes décisions (ou absences de décision) du groupe semblent parfois contradictoires avec cette volonté souvent affichée. En 2017, une partie du pilotage de la recherche et développement (les « Bell labs ») a été transférée aux États-Unis. De façon générale, la distance entre les personnes chargées de prendre les décisions, et celles chargées de les exécuter ne me semble pas être le signe d'une bonne gouvernance. Autre exemple : un laboratoire sur l'intelligence artificielle avait été annoncé devant la commission d'enquête parlementaire « Alstom », ce laboratoire est pour l'instant resté lettre morte.

Or, la France doit valoriser ses clusters européens, car les moyens logistiques financiers et humains mis en oeuvre créent un climat particulièrement propice à l'innovation. Rappelons qu'à Nozay travaillent 1 600 ingénieurs spécialisés et que le campus de Paris-Saclay est le plus grand centre d'expertise mondial Nokia en 5G. Je crois profondément aux retombées positives que l'on peut attendre de ce travail mené en réseau entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise. C'est pourquoi nous attendons du groupe Nokia des décisions concrètes et fortes en faveur de l'innovation sur les territoires français.

Quelques mots pour conclure. La situation sociale du groupe Nokia constitue un enjeu essonnien déterminant, mais les préoccupations qui nous animent concernent la Nation tout entière. Nokia couvre un secteur d'activité particulièrement stratégique pour la France, avec des enjeux économiques et sociaux que j'ai évoqués, mais également des enjeux sécuritaires prégnants qui ont été soulignés par mon cher collègue Éric Bothorel. Nous nous engageons tous deux à suivre de très près les évolutions à venir de ce dossier.

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