Le 11 octobre 2017, lors d'un discours à Rungis, le Président de la République s'était assigné deux grands objectifs : d'une part, « permettre aux agriculteurs de vivre du juste prix payé », « permettre à tous dans la chaîne de valeur de vivre dignement » ; d'autre part, « permettre à chacune et chacun d'avoir accès à une alimentation saine, durable, sûre ». Ces déclarations venaient conclure les états généraux de l'alimentation, qui avaient associé, depuis le mois de juillet de la même année, représentants des agriculteurs, des industries agroalimentaires, du commerce et de la grande distribution, élus, experts, partenaires sociaux et associations de consommateurs.
Ces annonces avaient suscité beaucoup d'espoir et une certaine attente. D'aucuns, cependant, qui disposaient d'une petite expérience – cela compte, parfois... – , demeuraient circonspects, car ils se souvenaient des précédentes tentatives visant à rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et dont les effets, il faut le dire, étaient restés limités.
Nous le savons, les 450 000 exploitations agricoles de notre pays – leur nombre a diminué de moitié depuis vingt ans – font face à quatre centrales d'achat, lesquelles sont, logiquement, en position de force pour négocier les prix et imposer leurs conditions drastiques. Elles empêchent, ce faisant, la plupart de nos agriculteurs de bénéficier de revenus décents. Les chiffres ont été rappelés : 50 % des agriculteurs avaient un revenu inférieur à 350 euros par mois en 2017 ; leur revenu moyen a quant à lui diminué de 30 % entre 2013 et 2015, avant de remonter à 15 000 euros par an en 2017. Et je ne parle pas des grandes disparités entre filières et exploitations que cachent ces chiffres globaux.
Nos doutes, qui portaient non pas sur la nécessité de rééquilibrer ces relations – un point sur lequel nous sommes évidemment tous d'accord – , mais sur l'efficacité des mécanismes instaurés afin de moraliser les échanges, se sont accrus lors de l'examen par le Parlement de la loi EGALIM. Et ils n'ont pas été dissipés par les ordonnances publiées depuis – notamment celle du 12 décembre 2018.
Souvenons-nous : certaines dispositions visaient à créer des conditions de négociations commerciales plus favorables aux producteurs, comme l'inversion de la construction du prix, l'élaboration et la diffusion d'indicateurs de référence des coûts de production et des indicateurs de marché par les organisations interprofessionnelles, le renforcement des contrôles et des sanctions garantissant le respect de ces dispositions, ainsi que le développement de la médiation.
D'autres dispositifs avaient pour objectif, plus généralement, d'infléchir les relations commerciales entre grande distribution et producteurs pour les rééquilibrer. À cet égard, on peut noter le relèvement du seuil de revente à perte de 10 %, à titre expérimental, pour une durée de deux ans, l'encadrement des promotions, en valeur et en volume, et l'extension de l'interdiction de prix de cession abusivement bas.
Se fondant sur la confiance accordée aux différents acteurs, notamment à ceux de la distribution, le législateur a souhaité par la loi EGALIM qu'une partie de la marge des revendeurs revienne aux producteurs.
Qu'en est-il, cinq mois après, de l'application de la loi ? Certaines organisations ont relevé que plusieurs de ses dispositions n'étaient pas appliquées ou étaient détournées. C'est tout d'abord le cas s'agissant des promotions : alors que la loi les limitent à 34 %, certains rabais atteignent 50 %.
La loi ne semble pas non plus avoir permis d'infléchir la tendance baissière de la rémunération des fournisseurs de produits agroalimentaires. Je veux citer à cet égard une enquête de l'Association nationale des industries alimentaires, l'ANIA, qui nous éclaire sur les pratiques adoptées par la grande distribution. S'appuyant sur les témoignages de ses membres, l'ANIA estime que, depuis l'adoption de la loi, 96 % des 453 entreprises sondées ne perçoivent pas d'amélioration dans leurs relations avec la grande distribution. Par ailleurs, « 77 % des entreprises témoignent de demandes de baisses de prix systématiques » et « 71% des entreprises qui ont formulé des demandes de hausses de prix justifiées par des hausses de coûts de matières premières agricoles déclarent que ces demandes n'ont pas été prises en compte ». Enfin, loin de s'être relâchée, la pression sur les fournisseurs se maintient et conquiert de nouveaux segments : « 68 % des répondants ont été victimes de déréférencements ou menaces de déréférencements, visant à les contraindre à céder aux pressions [... ]. »
Par ailleurs, ces pratiques semblent s'être étendues au secteur du bio. L'observatoire des négociations commerciales du Synabio, qui rassemble 200 entreprises et transformateurs de l'agriculture biologique, fait état de fortes tensions lors des négociations et redoute de subir à son tour la guerre des prix.
Je veux néanmoins, pour être juste, relever que certaines filières semblent tirer leur épingle du jeu, dont la filière laitière, même si la vigilance reste de mise – nous savons les difficultés qu'elle rencontre depuis des années, du fait principalement de prix d'achat du lait tirés vers le bas.
Dans ce sombre tableau, quelques motifs de satisfaction existent cependant, heureusement. Nous avons ainsi appris hier par Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, que les services de Bercy avaient porté plainte en juin 2018 auprès du tribunal de commerce contre une enseigne – Leclerc, pour ne pas la nommer – qui avait imposé des remises à ses fournisseurs ; la sanction pourrait s'établir à plus de 100 millions d'euros au total.
Nous souhaitons que, dans le cadre des travaux de la commission d'enquête, les dirigeants de cette enseigne, et plus globalement des autres grandes centrales d'achat, viennent s'expliquer sur leurs pratiques.