J'ai eu l'occasion d'assister aux obsèques d'Abel Chennouf, un militaire victime de Mohamed Merah. J'étais à l'époque l'avocat de sa famille. Aux obsèques étaient présents l'imam et le rabbin, tous deux militaires. Le prêtre célébrant les obsèques a mentionné à plusieurs reprises la « fraternité d'armes ». À ce moment, dans le silence du cimetière, une sorte de transcendance s'est emparée de chacun. Nous n'étions plus juifs, nous n'étions plus musulmans, nous n'étions plus chrétiens, nous étions dans une sorte d'au-delà de la fraternité. Je crois qu'il s'agit d'une particularité extraordinaire de l'armée que les « ronds de cuir », dans lesquels je m'inscris, ont du mal à vivre. Ce que l'on écrit, on le fait grâce à un stylo. Eux l'écrivent dans la poussière et avec leur sang. Il est vrai que cela donne une force transcendante, même dans le quotidien, à leur existence. Ils ne sont ni juifs, ni musulmans, ni chrétiens, ils sont avant tout militaires et frères d'armes. Je crois que cette cohésion dépassant les identités ne survient que parce qu'il y existe la puissance mélangée d'une tradition. Évidemment, l'armée a évolué : comme l'évoque Alexis Corbière, nous avons pu perdre certaines traditions. L'on peut le regretter ou s'en féliciter. Que l'armée soit contrôlée, surveillée et rappelée à des choix plus subtils me semble normal, mais l'on ne peut abîmer par idéocratie cette difficile construction de siècles et de siècles, de sang et de sang, par la théorisation d'une époque. Au moment où je me permets de prononcer cela, j'ai encore en mémoire les émotions de l'imam, du rabbin et du prêtre des obsèques d'Abel Chennouf.