Je vous remercie de votre invitation.
La fédération de l'Hérault de la Ligue des droits de l'homme dispose d'informations transmises par ses diverses sections, de Saint-Pons-de-Thomières, des Hauts cantons, de Béziers, de Sète et de Montpellier.
Depuis plusieurs années, nous observons une montée des groupuscules d'extrême droite qui est relativement limitée à Béziers puisque la place qu'occupe Robert Ménard se suffit à elle-même et explique l'absence de développement spécifique de groupuscules dans le Biterrois.
Les modes d'action diffèrent selon les groupuscules. Nous nous intéressons plus spécialement à la Ligue du Midi et au site internet qui relaie ses idées, lengadoc-info.com, à Génération identitaire et aux Brigandes à La Salvetat-sur-Agoût.
Le groupuscule Génération identitaire est assez présent sur les réseaux sociaux. Ce groupuscule compte 650 amis sur le réseau de son animateur qui se fait appeler Johan Teissier. Il y a quelques années, la presse avait fait état d'une agression au parc du Peyrou à Montpellier qui aurait été imputable à Génération identitaire selon les personnes qui auraient été agressées. Mais aujourd'hui, son mode d'action passe essentiellement par la communication, notamment à l'occasion de certains faits divers. Nous sommes en particulier préoccupés par les entraînements au close combat qu'il organise soit en ville soit en forêt. Quant à son implication dans les violences commises à la faculté de droit de Montpellier, j'y reviendrai plus en détail. Nous avons fait part au préfet de l'Hérault de nos inquiétudes quant à l'essor de ce groupuscule.
La Ligue du Midi organise chaque année un rassemblement dont la fréquentation a augmenté pour passer d'une petite centaine de personnes à environ 500. Elle utilise aussi beaucoup les réseaux sociaux, la communication sur des faits divers mais emploie des méthodes plus violentes que Génération identitaire. Plusieurs de ses membres ont été condamnés pour des faits de violence.
Je m'attarderai ici sur l'affaire RAIH. Cette association d'accueil des mineurs étrangers isolés a pour vocation d'accueillir les mineurs à la rue avant toute prise en charge par les pouvoirs publics et a mis en place les premiers outils d'évaluation de la minorité, qui ont été repris ensuite dans un cadre plus structuré. Leurs locaux ont été investis le 30 juin 2017 par des militants de la Ligue du Midi qui se sont filmés en train de dégrader les lieux, de disperser les dossiers et d'invectiver les personnes sur place, dont les salariés de l'association. Des plaintes ont été déposées en particulier par le département qui apportait des subventions à l'association RAIH dans le cadre de sa politique d'aide sociale à l'enfance et par les membres de l'association. Elles ont donné lieu à une condamnation de quatre mois pour l'un des fils Roudier et à une relaxe pour le père.
Ce qui nous a surpris, c'est la qualification pénale retenue : « dégradation ou détérioration du bien d'autrui aggravée par deux circonstances » dont l'une était la délégation de service public. Nous avons été très étonnés de l'absence de qualification pénale sur les faits d'incitation à la haine raciale. La Ligue du Midi a en effet distribué en marge de son action contre les locaux de l'association RAIH des tracts rédigés de la manière suivante : « Depuis bientôt un an, la ville de Montpellier est gangrénée par des bandes d'immigrés clandestins qui, la nuit tombée, agressent les Montpelliérains – vols à l'arraché, passages à tabac, viols – au centre-ville, sur l'axe Esplanade-Comédie-Saint-Roch. Renommés pudiquement “mineurs isolés” par l'État et les médias, ce sont en réalité de véritables prédateurs qui jouissent d'une impunité totale. À peine arrêtés pas la police, ils sont immédiatement relâchés par les juges car jugés trop jeunes pour être pénalement responsables. (…) La Ligue du Midi entend sensibiliser les Montpelliérains à ce problème et dissuader cette racaille de commettre ces méfaits. »
Ces faits, selon la jurisprudence habituellement observée en matière d'incitation à la haine raciale, pourraient donner lieu à une qualification pénale et être poursuivis spécifiquement. Pourtant il n'y a pas eu de poursuites fondées sur ces éléments ni d'aggravation de la qualification pénale. Les poursuites pénales qui sont engagées se limitent à un délit de dégradation, qui peut être rattaché à un délit de droit commun. Or inciter à la haine raciale ne relève pas de la liberté d'expression mais constitue bel et bien un délit autonome lié au droit de la presse et il n'y a pas de poursuite de ce délit-là. Le fait de tracter ce type de document me semble pourtant constituer une infraction spécifique. Nous sommes un peu déconcertés par le choix de la politique pénale mise en oeuvre par le parquet.
Même si j'entends les difficultés liées aux poursuites concernant des supports numériques, nous nous étonnons aussi de l'absence de réaction des pouvoirs publics et d'action autonome à l'encontre du site lengadoc-info.com, où demeurent des articles consultables en ligne qui présentent les dégradations commises, pour lesquelles une sanction pénale a été arrêtée, comme une simple visite des locaux de l'association RAIH et de manière favorable. Il s'agit d'un site qui insulte régulièrement des personnes, y compris des membres de cette commission d'enquête.
S'agissant de La Salvetat-sur-Agoût, nous n'avons pas les mêmes retours que le préfet. Ce village d'environ 1 200 habitants a connu une forte augmentation du vote pour le Front national, qui est passé de 14 % en 2010 à 35 % en 2015, ce qui reflète une tendance générale à l'Hérault. Une quarantaine de personnes appartenant à l'extrême droite sont venues s'installer dans le village en 2015, investissant le hameau du Gazel, où vivent d'autres habitants avec lesquels les frictions sont récurrentes, et deux autres lieux-dits rattachés à la commune.
Nous avons relevé que plusieurs plaintes pénales ont été classées sans suite. Les personnes qui souhaitent déposer plainte ne peuvent le faire à la gendarmerie de La Salvetat où elles se voient opposer un refus systématique. Elles sont donc obligées de se rendre à celle de Saint-Pons-de-Thomières pour que leurs plaintes soient enregistrées.
Citons en octobre 2016, une plainte adressée au sous-préfet qu'il a transmise au procureur de la République et à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) ; en juillet 2017 une plainte pour injures, menaces et courrier anonyme menaçant et une autre pour intrusion au domicile et attitude menaçante à l'encontre d'un mineur ; une autre en août 2017 ; en novembre 2017, une plainte pour menaces ; en mars 2018, pour menaces de mort, en avril 2018, pour menaces, et à l'été 2018, une main courante pour menaces par drone. En 2018, une pétition adressée au procureur pour solliciter l'intervention des pouvoirs publics a recueilli sur change.org 15 000 signatures. En outre, il y a eu une saisine de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour protester contre l'impossibilité de déposer plainte à la gendarmerie de La Salvetat mais elle a été classée au motif que la gendarmerie de Saint-Pons avait enregistré les plaintes. L'ensemble de ces plaintes a été classé sans suite. Je tiens à la disposition de votre commission la copie de ces diverses plaintes.
Nous avons été informés d'un climat extrêmement lourd dans le village et de ce que le maire semblerait être de parti pris, du fait de l'enjeu attaché à la scolarisation des enfants des Brigandes, scolarisation toutefois aléatoire car ils ne sont inscrits qu'une année sur deux. Lorsque les enfants sont scolarisés, le maire envoie un courrier à l'ensemble des parents d'élèves pour préciser qu'il ne faut pas discriminer ces enfants, au risque de faire l'objet d'une plainte. Ce positionnement est relativement particulier. S'il dit ne pas souscrire aux thèses d'extrême droite des Brigandes, il affirme que celles-ci relèvent de la liberté d'expression. Elles tournent leurs clips dans le village, y exercent des activités, y animent des associations, Les Pommes d'or et Barka Productions, dont certaines sont subventionnées par la mairie. Barka productions aurait fait les affiches d'un événement de poésie organisé par la mairie en août 2017. Le logo de Barka était même apposé sur les affiches annonçant un festival ayant pour thème la poésie africaine et a dû être retiré face aux protestations. La mairie a aussi co-organisé avec l'association Les Pommes d'or une exposition de peintures consacrée aux « Vikings, peuple de la mer » qui reprend toute l'iconographique nordique chère aux Brigandes et à d'autres groupes d'extrême droite. Le dessin de cette affiche est d'ailleurs repris dans les concerts des Brigandes en fond visuel. Le positionnement systématique dans le journal municipal, par courrier spécifique du maire, en soutien à l'installation des Brigandes interpelle. Le préfet de l'Hérault, qui a fait son travail, a demandé au maire ce qu'il en était et celui-ci lui a répondu que tout allait bien.
Lorsque les voisins des Brigandes se plaignent à lui de difficultés, le maire prétend qu'il n'est pas dans son rôle d'intervenir. Lorsqu'une grange située en zone inconstructible est transformée en bâtiment constructible avec baies vitrées, il ne fait rien. Lorsqu'il est alerté du fait que des panneaux publicitaires illégaux pour les Brigandes sont affichés, il ne fait rien non plus. Notre association l'a interpelé à plusieurs reprises mais nos moyens ne sont pas immenses. La Ligue des droits de l'homme a moins de dix salariés au niveau national et son action repose sur le travail des bénévoles. Nos alertes sont restées sans effet, y compris celles que nous avons transmises à la sous-préfecture.
Un climat extrêmement lourd règne dans le village. Les habitants sont confrontés à des manoeuvres d'intimidation. Des individus sont de faction devant le domicile de certaines personnes isolées dans des hameaux où le téléphone ne passe pas, tiennent des propos menaçants, accélèrent en voiture lorsqu'un piéton passe. La pétition sur change.org demandait l'aide de l'État mais celle-ci ne vient toujours pas.
Au mois d'août, une rixe en pleine rue a eu lieu avec les Soldats d'Odin à la Salvetat. La gendarmerie est venue et a relevé les noms. Des membres d'associations antifascistes, comme le collectif M, étaient présents. Le maire de La Salvetat aurait porté plainte, mais on ne sait pas précisément contre qui : les Soldats d'Odin, les Brigandes ou les militants antifascites. Une enquête préliminaire serait ouverte ou en cours selon un des courriers du maire. Il faut savoir que les Soldats d'Odin organisent par ailleurs les services d'ordre des concerts des Brigandes, proximité qui a de quoi inquiéter.
Il existe des connexions entre les divers groupes d'extrême droite dans l'Hérault.
Nous avons pu les constater au moment du procès pour l'affaire du saccage des locaux de l'association RAIH. Les Brigandes y ont assisté pour soutenir publiquement les Roudier père et fils.
Les violences à la faculté de droit ont révélé d'autres connexions. Quand des étudiants proches de la Corpo droit – les « Zélus » – sont venus manifester contre la fermeture administrative décidée par le président de l'université, nous avons repéré dans leur service d'ordre des membres de la Ligue du Midi et des proches de Génération identitaire. On peut voir là un début de connexion.
Ce que nous trouvons presque plus inquiétant encore, ce sont les tentatives d'intellectualiser et de développer la pensée de l'extrême droite, notamment à travers le cercle Guilhem V. Même s'il donne très peu d'éléments d'information sur sa localisation, on peut légitimement penser qu'il est proche de juristes. Certains des thèmes choisis pour ses conférences sont éloquents : épuration ethnique pendant la guerre en ex-Yougoslavie, les « révoltés du 6 février » en référence aux putschistes d'extrême droite du 6 février 1934, « Carl Schmitt, un juriste dans la tourmente ». Rappelons qu'il s'agit d'un théoricien du droit du IIIe Reich qui a pensé la possibilité de structurer la société par le droit constitutionnel sous l'autorité d'un Führer considéré comme seul à même de garantir l'ordre social, bref un théoricien de la puissance et non de la règle de droit.
Ce cercle est connecté avec les « gros bras » de l'extrême droite capables de verser dans la violence. Nous savons qu'il est en lien avec Martial Roudier, condamné plusieurs fois pour faits de violence, et qu'il a invité des membres du Bastion social qui tente de s'implanter à Montpellier. Il y a de quoi s'inquiéter quand on sait quelle vision de la société les anime tous : une société structurée en différents groupes auxquels les individus sont assignés – les étrangers, les femmes –, marquée par des rapports de domination fondés sur le racisme, l'antisémitisme, le sexisme, le nationalisme, le traditionalisme et l'autoritarisme. Les fils Roudier ont eu de multiples condamnations pour violences. Ce rapprochement entre ceux qui mettent en oeuvre des techniques violentes et ceux qui pensent l'extrême droite est assez inquiétant.
En outre, les actions des groupuscules ne sont pas déconnectées des partis légaux. En effet, au moment où la Ligue du Midi intervenait dans les locaux de l'association RAIH, le Front national, qui n'était pas encore le Rassemblement national, demandait lors d'une séance du conseil départemental la suppression des subventions à cette association, qui était la justification de l'action menée par le groupuscule. Il y a donc une action concertée à ce moment-là. Nous pensons qu'il y a des ramifications ou en tout cas un travail en connexion assez important. Le cercle Guilhem V a invité en octobre 2017 le Bastion social à une conférence. Le Bastion social cherche à s'implanter à Montpellier puisqu'une de ses figures, Gamin, y a été repérée, de même que d'autres de ses membres.
Ce qui s'est passé à la faculté de droit a été pour nous un électrochoc. Je ne peux oublier la discussion que j'ai eue avec un étudiant qui se trouvait dans le hall au moment des faits et qui était plutôt pour la réforme et donc opposé au blocage. Il s'effondrait en larmes toutes les cinq minutes : il m'a dit n'avoir pas supporté d'être exposé à une violence pure qui lui semblait appartenir au passé. Voir des gens armés, cagoulés, tapant sur le sol pour faire du bruit, frappant les étudiants sous le regard du corps professoral qui n'intervient pas a été un bouleversement pour lui. Cela renvoie à notre incapacité collectivité à prendre en compte cette résurgence de l'extrême droite, cette montée des groupuscules d'extrême droite qui n'hésitent pas à avoir recours à la violence.
Qu'il s'agisse des plaintes déposées à La Salvetat, de l'absence de poursuite pénale sur le fondement de l'incitation à la haine raciale dans l'affaire de l'association RAIH ou d'autres contentieux dont la Ligue des droits de l'homme s'est occupée, nous constatons qu'il y a de réelles difficultés à ce que le parquet engage des poursuites. Cela tient peut-être aux choix faits par les gouvernements successifs en matière de politique pénale : aucun garde des sceaux n'a fixé parmi ses priorités la lutte contre les idées de l'extrême droite. Cela tient sans doute aussi à la formation des magistrats. Nous avons pu constater que le parquet s'était heurté pour la qualification juridique à de grandes difficultés s'agissant d'une matière très technique. Le manque de moyens de la justice explique que les magistrats n'aient que cinq heures de formation par an. Les avocats bénéficient, quant à eux, de vingt heures de formation, qui n'ont rien de superflu au regard du nombre de réformes à intégrer et de la complexité de matières aussi spécifiques que le droit de la presse. À Paris, je crois qu'il existe une chambre dédiée à ces contentieux : les poursuites sont beaucoup plus précises et techniquement plus abouties. Il serait bon que ce type de juridiction dédié soit généralisé.
Nous avons alerté le directeur de cabinet du préfet de l'Hérault, Mahamadou Diarra, sur la montée de ces groupuscules d'extrême droite et leurs pratiques. À la suite de la réforme des renseignements généraux et de la réorganisation des services, peut-être y a-t-il eu un problème de moyen ou un changement dans le suivi de ces formations sur l'ensemble du territoire. C'est une question qui se pose.