L'engagement de la Ligue des droits de l'homme contre l'extrême droite découle de son attachement à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Nous luttons contre toutes les idéologies qui reposent sur l'idée d'une inégalité – des étrangers, des femmes, etc. –, ce qui dépasse la question des groupuscules d'extrême droite. Nous pouvons également intervenir contre des prises de position de l'extrême droite « classique », celle qui ne rejette pas le système électoral. Il nous arrive par exemple de combattre les décisions de certaines équipes municipales, ce qui aboutit souvent à leur annulation par le tribunal administratif.
Nous concevons notre stratégie d'une manière assez globale : notre but n'est pas seulement de gagner devant les tribunaux – par exemple sur la question des crèches de Noël –, mais de faire preuve de pédagogie en expliquant pourquoi la défense des droits fondamentaux est la garantie du vivre ensemble. Le fait que l'extrême droite classique s'allie parfois avec les groupuscules d'extrême droite nous oblige également à avoir une stratégie globale. Le problème des contentieux, ce sont les délais: pour prendre l'exemple des violences survenues à la faculté de droit de Montpellier, nous avons soutenu les victimes dès le début, en les accompagnant au commissariat, mais la question de la recevabilité de notre constitution en partie civile ne sera probablement examinée qu'au moment du procès.
Nous avons également une action pédagogique : nous intervenons dans les lycées, les collèges et les écoles primaires sur la question de la défense des droits fondamentaux. Nous expliquons aux jeunes pourquoi la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est un texte fondamental. Nous évoquons avec eux la lutte contre le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie.
S'agissant de la lutte contre les groupuscules d'extrême droite à proprement parler, nous ne travaillons pas seuls : nous collaborons avec les autres organisations de Montpellier et appartenons à des collectifs, au sein desquels nous examinons l'évolution de ces groupuscules, afin de définir la meilleure stratégie possible, d'abord en termes d'information. Le contentieux, c'est l'échec de la pédagogie, et nous n'allons au contentieux que lorsque c'est nécessaire.
Nous avons encore déposé une plainte contre les Brigandes auprès du parquet de Paris et n'avons, à ce jour, reçu aucune réponse, pas même un classement sans suite. Au total, ce doit être notre dixième plainte sans suite contre les Brigandes. Lorsqu'il y a un classement sans suite, il est possible de saisir le doyen des juges d'instruction. Si le parquet traîne des pieds et refuse de prendre des réquisitions, il faut faire appel. Ce sont, vous le voyez, des procédures extrêmement longues et lourdes à prendre en charge. Nous essayons de le faire, mais ce serait une bonne chose que le procureur, qui a le pouvoir d'engager des poursuites, le fasse.
Sur l'affaire de l'association RAIH, le parquet est allé extrêmement vite et n'a pas retenu la qualification d'incitation à la haine raciale. Dès lors, il était difficile pour nous de nous constituer partie civile, dans la mesure où ce qui aurait pu nous donner intérêt à agir n'avait pas été retenu. Vous voyez que l'on retombe toujours sur la même difficulté qui est l'absence de prise en compte de l'incitation à la haine raciale.
Vous m'interrogez sur la question de la dissolution administrative. Je ne suis pas spécialiste de cette question, mais je relève que certains alinéas de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont peu appliqués, notamment l'alinéa 6, qui concerne les groupes qui « provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Quand on voit la teneur des tracts diffusés par la Ligue du Midi, qui incitent clairement à la haine contre les jeunes migrants isolés qui viennent demander le statut de réfugié en France, on peut se demander pourquoi cet article du code de la sécurité intérieure n'est pas appliqué. Avant d'envisager de réformer notre droit, commençons par l'appliquer.
Faut-il réformer le droit pour mieux l'adapter aux besoins du jour ? Des réformes sont certainement nécessaires, notamment sur la question du numérique et des sites miroirs en particulier, car notre société doit se mettre en phase avec la réalité d'aujourd'hui. Mais je pense qu'il faudrait commencer par appliquer le droit existant : si nous le faisions, nous aurions déjà des résultats.
Vous me demandez par ailleurs si la dissolution de ces groupes dessert la capacité de la police à les cerner. J'ai envie de vous répondre par une autre question : à quoi bon les cerner si on continue de les laisser agir ? Ma conviction, c'est qu'il faut faire des choix clairs en matière de politique pénale et mettre davantage de moyens. Si l'on veut réellement poursuivre ces groupuscules, il faut disposer d'un personnel mieux formé. La dissolution intervient toujours quand il est trop tard pour faire autre chose : une dissolution n'apporte pas grand-chose si elle n'est pas accompagnée d'un effort de pédagogie, d'un travail de fond pour déconstruire le discours de l'extrême droite et analyser l'usage qu'elle fait de la violence. La violence légitime appartient à l'État : le fait que ce principe juridique fondamental ait été bafoué à l'intérieur même d'une faculté de droit, par ses plus hautes autorités, pose par exemple question.
En résumé, il faut procéder à des dissolutions, mais il faut faire beaucoup plus. Il faut s'attaquer au substrat dont se nourrissent ces groupuscules. Tant que nous ne ferons pas cela, nous ne pourrons pas venir à bout de l'hydre.