Présenté en conseil des ministres le 6 mars 2019, ce projet de loi relatif à la taxation des grandes entreprises du numérique a donc pour objectif de renforcer la justice fiscale, dans l'attente de l'éventuelle mise en place d'une taxe au niveau européen ou mondial. En premier lieu, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n'ait pas réussi à obtenir un accord européen sur la taxation des géants du numérique, que l'on connaît mieux sous le nom de GAFA.
Pour faire un peu d'histoire, la question de la juste taxation des GAFA fait l'actualité depuis plusieurs années et a été l'objet de nombreux rapports. Celui de la mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique de 2013 soulignait d'ailleurs : « Les gains de productivité générés par l'économie numérique ne se traduisent donc pas par des recettes fiscales supplémentaires pour les grands États. Cette situation est sans précédent historique ». En effet – cela a été dit tout à l'heure –, alors que le taux d'imposition moyen d'une entreprise dans l'Union européenne est de 23,2 %, il est de seulement 9,5 % pour les entreprises du numérique. On mesure bien, au regard des chiffres d'affaires cumulés des sociétés visées, l'enjeu que revêt la question dont nous débattons.
Face à cet enjeu, la Commission européenne avait présenté deux propositions de directive. La première visait à introduire la notion de « présence numérique significative » en complément de celle d'« établissement stable », afin d'améliorer les règles de taxation des bénéfices dans les États où ils étaient réalisés. La seconde, issue d'une initiative de septembre 2017 de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne, visait à créer une taxe sur les services numériques, qui devait cibler les services dont la valeur principale était créée par les données de l'utilisateur et les services d'intermédiaires numériques permettant aux utilisateurs d'interagir avec d'autres utilisateurs et facilitant la vente entre eux de biens et de services. Cette proposition a finalement été enterrée en raison de l'opposition persistante de pays comme l'Irlande, le Danemark, la Finlande ou la Suède. Le 22 janvier 2019, 127 pays – dont les États-Unis, l'Inde et la Chine – représentant 90 % de l'économie mondiale ont donné leur accord de principe pour la mise en place d'une réforme de la fiscalité des entreprises du numérique et plus largement de toutes les multinationales, avec l'objectif de parvenir à un accord en 2020. Le projet de loi que le Gouvernement nous présente aujourd'hui s'inscrit dans cette dynamique.
L'article 1er prévoit une taxation des entreprises qui encaissent des sommes en contrepartie de la fourniture de services numériques d'intermédiaire entre internautes et de fourniture de services de ciblage publicitaire. Sont concernées les entreprises ayant réalisé un chiffre d'affaires mondial d'au moins 750 millions d'euros, dont au moins 25 millions d'euros correspondent à celui qui peut être rattaché à la France. Le taux de la taxe serait de 3 %. L'assiette retenue nous semble poser une véritable difficulté car elle exclut la fourniture directe de contenus numériques – vidéos, applications, etc. –, la vente de biens en ligne et les services de messagerie, de paiement, de stockage de données en ligne, de publicité non ciblée en ligne ou encore les services financiers réglementés.
Cette taxe GAFA ne touche donc que le sommet de l'iceberg de l'activité de ces entreprises. Quant au taux retenu, même si 3 %, c'est mieux que rien, il nous semble insuffisant : le Parlement européen avait proposé 5 %, ce qui aurait porté le produit attendu de la taxe à 800 millions d'euros. Il convient également de souligner que le produit de cette taxe est déductible de l'impôt sur les sociétés, dont j'ai évoqué tout à l'heure la faiblesse. Enfin, elle repose sur un système déclaratif, alors même que l'administration fiscale reconnaît les difficultés importantes qu'elle a à contrôler la réalité du chiffre d'affaires réalisé en France par ces sociétés. Tout cela nous semble mériter des précisions et des aménagements. Pour ces raisons, à ce stade, et dans l'attente des débats ici même et en séance, au cours desquels nous espérons enrichir le texte dans le sens de ce que notre collègue Boris Vallaud avait proposé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, le groupe Socialistes et apparentés s'abstiendra.