Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir dans le cadre de cette commission et, ainsi, de donner la parole aux policiers de terrain que nous sommes, afin de nous permettre de contribuer à l'amélioration de l'exercice de notre profession, de manière pragmatique et constructive.
L'UPNI est une union d'associations et de collectifs informels, apolitique et hors syndicat. Je suis accompagné de Mme Audrey George, policière exerçant en investigation, de M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, policier en charge de la formation à Clermont-Ferrand et de M. Dominique Brancher, CRS en poste à Dijon. Je suis pour ma part en poste à la brigade anticriminalité (BAC) départementale de banlieue.
Nous souhaitons, tout d'abord, comme vous l'avez fait, monsieur le président, rendre hommage aux nombreux policiers qui se sont suicidés : trente-cinq policiers se sont donnés la mort l'année dernière, et une vingtaine déjà depuis le 1er janvier. Nous pensons également à nos camarades gendarmes, dont des collègues qui se sont également suicidés. Ce constat terrible se répète chaque année.
Nous avons, enfin, une pensée pour tous nos collègues blessés et morts en service, ainsi que pour leurs familles qui sont durement touchées.
Notre constat est clair : la police nationale doit, non plus être réformée, mais transformée, même si nous assistons, depuis quelques années, à une modernisation de certains de nos moyens, ce qui, nous l'espérons, n'est qu'un début.
Cette transformation est nécessaire, mais elle doit se faire après consultation de la base et de manière participative, afin que chacun d'entre nous retrouve ce sentiment d'appartenance, cet esprit de corps qui disparaît année après année.
Les réformes précédentes ont, pour la plupart, échoué, pour la simple raison qu'elles ont été impulsées par des carriéristes en bonne place dans les hautes sphères de notre ministère, qui avaient une vision parcellaire et court-termiste, empêchant ainsi l'évolution et l'anticipation des besoins.
Elles ont pu aussi être maladroitement orientées par une hiérarchie qui embellissait la réalité du terrain, soit lors de visites dans nos locaux, refaits la semaine précédente afin d'exposer des matériels neufs qui repartaient le lendemain, soit en vantant l'efficacité accrue d'une statistique en baisse, comme les cambriolages, biaisée par une adroite pirouette qui transforme, par exemple, la tentative de vol par effraction en dégradation de biens privés.
Nous avons listé différents facteurs qui nous paraissent jouer un rôle majeur dans le malaise policier que nous vivons actuellement. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive : manque d'effectifs ; moyens insuffisants ou inadaptés par manque de concertation ; cycles inadaptés rendant la vie sociale difficile ; lourdeurs et complexités procédurales dues aux réformes réalisées sans tenir compte des demandes des exécutants ; carriérisme hiérarchique et syndical oubliant l'esprit de corps et poussant à l'individualisme, que les différentes réformes internes ont accentué, notamment par l'obligation de mobilité des officiers et des patrons ; clientélisme syndical, concernant notamment les mutations et les évolutions professionnelles en interne ; perte de sens, la justice mettant parfois deux ans pour juger un individu, ou rendant des décisions remettant notre parole en cause bien que nous soyons assermentés et que nous rédigeons des procès-verbaux engageant notre responsabilité – par exemple dans le cas de cambrioleurs que nous avons interpellés – ; manque de courage hiérarchique qui ne veut pas de vagues ; sentiment d'abandon par le peu de retours positifs de notre action quotidienne, que ce soit en interne ou en externe ; manque d'espaces de convivialité, les cafétérias et les restaurants administratifs ferment les uns après les autres, les amicales ayant, quant à elles, disparu depuis des années ; réactions politiques contraires à la morale ; traitement médiatique à charge et souvent à sens unique.
Nous avons le sentiment d'être seuls contre tous. Nous vous demandons de sanctuariser notre profession et de nous protéger. Les individus qui portent atteinte à notre intégrité physique doivent être punis fermement, systématiquement et sans aménagement de peine. Il y a urgence, car sachez qu'après nous ils s'attaqueront à vous.
Il est temps de rétablir les valeurs qui ont fait notre force et de veiller à la logique de sanctions. Plus largement, il conviendrait de sanctuariser d'autres professions et de les protéger ; je pense aux urgentistes, aux pompiers et aux agents de l'administration pénitentiaire, que nous côtoyons régulièrement et qui sont, eux aussi, de plus en plus exposés.
Vous nous définissez comme les garants de la démocratie, le dernier rempart, alors même que personne de notre institution, même pas un responsable communication, ne nous défend lorsque nous – ou l'institution – sommes jetés en pâture et traînés dans la boue par les médias.
Certes, il s'agit aussi du rôle des syndicats. Malheureusement, lorsqu'ils interviennent, ils se présentent en civil, ce qui atténue l'impact de leur intervention. Or la symbolique est importante.
Personne ne s'intéresse concrètement à la question du suicide dans notre profession ; personne ne veut redonner du sens à ce beau métier que nous exerçons, le plus souvent, par vocation ; personne ne s'attache à régler les causes, plus complexes, plutôt que les conséquences. L'heure est grave car le temps, chez nous, c'est de l'humain.
Constamment soumis à une grosse pression, depuis plusieurs années maintenant, du fait d'attentats meurtriers et de tension sociale inédite, ce sont de sérénité, de cohérence et surtout de respect dont les policiers de ce pays ont besoin.
Pour exercer notre métier, nous exposons nos familles et notre intégrité physique régulièrement, jusqu'à sacrificier nos vies. Nous avons choisi de servir notre pays avec les risques que ce métier comporte, et nous en sommes fiers.
Nous nous présentons devant vous, aujourd'hui, car nous voulons mieux servir notre pays, donner un avenir meilleur à nos enfants et faire en sorte que la nation des droits de l'homme devienne aussi le pays de l'homme droit, pour mieux vivre ensemble.