La réunion

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Présidence

La commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité, qu'il s'agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou de la police municipale entend, sous forme d'audition commune : l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), représentée par M. Thomas Nesle, président, M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de la police, vice-président, Mme Audrey George, brigadier-chef, officier de police judiciaire (OPJ), et M. Dominique Brancher, gardien de la paix en service à la compagnie républicaine de sécurité (CRS) 40 ; le syndicat France Police-Policiers en colère, représenté par M. Michel Thooris, secrétaire général, et M. Éric Roman, secrétaire national.

L'audition commence à neuf heures.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant ce matin l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), ainsi que le syndicat France police-Policiers en colère.

Avant de commencer cette réunion, je voudrais, au nom de tous mes collègues, saluer l'engagement des forces de l'ordre, présentes sur le terrain depuis dix-huit semaines et confrontées à des faits de violence d'une extrême gravité, comme nous avons pu le déplorer samedi dernier. Nous saluons les policiers et les gendarmes qui ont été blessés durant ces mouvements. Nous avons également une pensée émue pour tous les policiers et gendarmes qui ont commis un acte désespéré en se donnant la mort.

Avant de commencer notre réunion, je rappelle que conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment.

Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.

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Madame, messieurs, je souhaiterais en savoir un plus sur les élections qui se sont déroulées au mois de décembre et pour lesquelles le syndicat France Police-Policiers en colère a recueilli 3,12 % des voix, tandis que l'UPNI ne s'est pas présentée. Pouvez-vous nous parler du contexte de ces élections et en analyser les résultats ? Ensuite, mes questions porteront principalement sur les conditions de travail, l'immobilier et les équipements – notamment dans le cadre du maintien de l'ordre.

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Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère

Mesdames et messieurs les députés, je suis le secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère, et je suis accompagné d'Éric Roman, secrétaire national du syndicat, en charge, en tant que capitaine de police, de la branche « officiers ». Je suis pour ma part, brigadier de police, officier de police judiciaire.

Des élections professionnelles se sont déroulées du 30 novembre au 6 décembre. Plusieurs scrutins se sont tenus, le plus important étant celui du comité technique ministériel (CTM), qui regroupe l'ensemble des personnels du ministère de l'Intérieur, qu'ils soient actifs ou sédentaires. Le corps électoral comptait quelque 185 000 électeurs et le taux de participation a été de plus de 80 %. Le syndicat France Police-Policiers en colère, organisation indépendante, non affiliée à une confédération ou une fédération, a recueilli un peu plus de 4 500 voix, soit 3,12 %.

Depuis, la validité de ces élections professionnelles a été attaquée devant le tribunal administratif (TA) par plusieurs organisations syndicales, un grand nombre d'irrégularités ayant été constatées. Je vous citerai par exemple la mise en place d'un vote électronique pour lequel les syndicats majoritaires ont récupéré les codes et votés pour leurs collègues, ou encore la distribution de chèques-cadeaux durant la campagne électorale. Tous ces faits ont été portés à la connaissance du juge administratif et nous attendons sa décision.

Notre syndicat qui est indépendant et autonome – nous ne percevons aucune subvention de l'État, alors qu'Alliance Police nationale, par exemple, touche 400 000 euros –, s'est tout de même positionné devant la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la Confédération générale du travail (CGT), la Fédération syndicale unitaire (FSU) et l'Union syndicale Solidaires SUD. Nous considérons donc, même si nous ne pesons que 3,12 %, avoir remporté un certain succès, compte tenu du contexte très particulier de la police nationale et des méthodes employées par les syndicats majoritaires, très puissants sur le plan à financier et humain. Notre syndicat ne dispose que de 3,17 équivalents temps plein (ETP) contre plusieurs centaines pour les syndicats majoritaires.

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir dans le cadre de cette commission et, ainsi, de donner la parole aux policiers de terrain que nous sommes, afin de nous permettre de contribuer à l'amélioration de l'exercice de notre profession, de manière pragmatique et constructive.

L'UPNI est une union d'associations et de collectifs informels, apolitique et hors syndicat. Je suis accompagné de Mme Audrey George, policière exerçant en investigation, de M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, policier en charge de la formation à Clermont-Ferrand et de M. Dominique Brancher, CRS en poste à Dijon. Je suis pour ma part en poste à la brigade anticriminalité (BAC) départementale de banlieue.

Nous souhaitons, tout d'abord, comme vous l'avez fait, monsieur le président, rendre hommage aux nombreux policiers qui se sont suicidés : trente-cinq policiers se sont donnés la mort l'année dernière, et une vingtaine déjà depuis le 1er janvier. Nous pensons également à nos camarades gendarmes, dont des collègues qui se sont également suicidés. Ce constat terrible se répète chaque année.

Nous avons, enfin, une pensée pour tous nos collègues blessés et morts en service, ainsi que pour leurs familles qui sont durement touchées.

Notre constat est clair : la police nationale doit, non plus être réformée, mais transformée, même si nous assistons, depuis quelques années, à une modernisation de certains de nos moyens, ce qui, nous l'espérons, n'est qu'un début.

Cette transformation est nécessaire, mais elle doit se faire après consultation de la base et de manière participative, afin que chacun d'entre nous retrouve ce sentiment d'appartenance, cet esprit de corps qui disparaît année après année.

Les réformes précédentes ont, pour la plupart, échoué, pour la simple raison qu'elles ont été impulsées par des carriéristes en bonne place dans les hautes sphères de notre ministère, qui avaient une vision parcellaire et court-termiste, empêchant ainsi l'évolution et l'anticipation des besoins.

Elles ont pu aussi être maladroitement orientées par une hiérarchie qui embellissait la réalité du terrain, soit lors de visites dans nos locaux, refaits la semaine précédente afin d'exposer des matériels neufs qui repartaient le lendemain, soit en vantant l'efficacité accrue d'une statistique en baisse, comme les cambriolages, biaisée par une adroite pirouette qui transforme, par exemple, la tentative de vol par effraction en dégradation de biens privés.

Nous avons listé différents facteurs qui nous paraissent jouer un rôle majeur dans le malaise policier que nous vivons actuellement. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive : manque d'effectifs ; moyens insuffisants ou inadaptés par manque de concertation ; cycles inadaptés rendant la vie sociale difficile ; lourdeurs et complexités procédurales dues aux réformes réalisées sans tenir compte des demandes des exécutants ; carriérisme hiérarchique et syndical oubliant l'esprit de corps et poussant à l'individualisme, que les différentes réformes internes ont accentué, notamment par l'obligation de mobilité des officiers et des patrons ; clientélisme syndical, concernant notamment les mutations et les évolutions professionnelles en interne ; perte de sens, la justice mettant parfois deux ans pour juger un individu, ou rendant des décisions remettant notre parole en cause bien que nous soyons assermentés et que nous rédigeons des procès-verbaux engageant notre responsabilité – par exemple dans le cas de cambrioleurs que nous avons interpellés – ; manque de courage hiérarchique qui ne veut pas de vagues ; sentiment d'abandon par le peu de retours positifs de notre action quotidienne, que ce soit en interne ou en externe ; manque d'espaces de convivialité, les cafétérias et les restaurants administratifs ferment les uns après les autres, les amicales ayant, quant à elles, disparu depuis des années ; réactions politiques contraires à la morale ; traitement médiatique à charge et souvent à sens unique.

Nous avons le sentiment d'être seuls contre tous. Nous vous demandons de sanctuariser notre profession et de nous protéger. Les individus qui portent atteinte à notre intégrité physique doivent être punis fermement, systématiquement et sans aménagement de peine. Il y a urgence, car sachez qu'après nous ils s'attaqueront à vous.

Il est temps de rétablir les valeurs qui ont fait notre force et de veiller à la logique de sanctions. Plus largement, il conviendrait de sanctuariser d'autres professions et de les protéger ; je pense aux urgentistes, aux pompiers et aux agents de l'administration pénitentiaire, que nous côtoyons régulièrement et qui sont, eux aussi, de plus en plus exposés.

Vous nous définissez comme les garants de la démocratie, le dernier rempart, alors même que personne de notre institution, même pas un responsable communication, ne nous défend lorsque nous – ou l'institution – sommes jetés en pâture et traînés dans la boue par les médias.

Certes, il s'agit aussi du rôle des syndicats. Malheureusement, lorsqu'ils interviennent, ils se présentent en civil, ce qui atténue l'impact de leur intervention. Or la symbolique est importante.

Personne ne s'intéresse concrètement à la question du suicide dans notre profession ; personne ne veut redonner du sens à ce beau métier que nous exerçons, le plus souvent, par vocation ; personne ne s'attache à régler les causes, plus complexes, plutôt que les conséquences. L'heure est grave car le temps, chez nous, c'est de l'humain.

Constamment soumis à une grosse pression, depuis plusieurs années maintenant, du fait d'attentats meurtriers et de tension sociale inédite, ce sont de sérénité, de cohérence et surtout de respect dont les policiers de ce pays ont besoin.

Pour exercer notre métier, nous exposons nos familles et notre intégrité physique régulièrement, jusqu'à sacrificier nos vies. Nous avons choisi de servir notre pays avec les risques que ce métier comporte, et nous en sommes fiers.

Nous nous présentons devant vous, aujourd'hui, car nous voulons mieux servir notre pays, donner un avenir meilleur à nos enfants et faire en sorte que la nation des droits de l'homme devienne aussi le pays de l'homme droit, pour mieux vivre ensemble.

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Messieurs, je vous remercie.

Vous avez reconnu la modernisation de certains de vos moyens ; pouvez-vous nous en dire davantage ?

De même, vous avez évoqué l'échec de plusieurs réformes ; quelles sont les réformes qui ont échoué ?

Vous jugez les effectifs insuffisants – et c'est bien ce que nous entendons souvent –, alors qu'un ratio police-gendarmerie au niveau national démontre que la France est l'un des pays les plus dotés en policiers et en gendarmes : 3,7 pour 1 000 habitants, loin devant le Royaume-Uni par exemple. Devons-nous recruter ou envisager des réformes visant à supprimer les doublons et à remettre des effectifs sur la voie publique ?

S'agissant des cycles, j'imagine que vous vouliez évoquer la vacation forte ; pouvez-vous nous en dire davantage ?

Vous avez également évoqué des « réactions politiques contraires à la morale » ; à quoi pensez-vous exactement ?

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

S'agissant de la modernisation de nos moyens, je puis vous citer le nouvel équipement opérationnel (NEO) de la police nationale, dont je suis doté, et qui est une avancée non négligeable qui nous simplifie la vie au quotidien. Certes, il est perfectible, mais il est cohérent et utile. Dans le cadre de la lutte contre les attentats, nous avons été dotés d'armes et d'équipements lourds qui ont été bien pensés, contrairement à l'aménagement des véhicules qui pourraient être mieux équipés.

Concernant les effectifs, il est vrai que nous sommes parfois nombreux mais comme nous sommes très mal utilisés, nous perdons en efficience. Je ne vous citerai qu'un exemple : l'importance des tâches administratives contraint un grand nombre d'agents à rester dans les locaux, alors que nous en aurions besoin sur la voie publique.

En évoquant des « réactions politiques contraires à la morale », je pensais à M. Guéant qui a été condamné pour avoir puisé dans une enveloppe destinée aux frais d'enquête et à la surveillance des policiers, et à notre ancien Président de la République qui s'était rendu au chevet d'un individu blessé par une action de police – nous le déplorons, bien évidemment – et pas à celui de nos collègues de Viry-Chatillon, gravemenent brûlés.

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Tous nos collègues ne connaissent pas la notion de « vacation forte ». Pouvez-vous nous l'expliquer ?

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

La vacation forte consiste à créer une quatrième brigade qui viendrait chevaucher les trois premières, qui tournent selon le principe des 3 fois 8 – pour assurer une présence 24 heures sur 24 sur la voie publique –, le mercredi et le vendredi, afin que les fonctionnaires puissent bénéficier d'un mercredi et d'un week-end sur deux de repos, repos nécessaires à leur vie sociale.

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Les policiers nous disent qu'ils n'ont actuellement qu'un week-end de repos sur six.

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

Oui, sur un cycle de quatre jours de travail et deux jours de repos.

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Un cycle qui permet à la police d'être présente sur la voie publique 24 heures sur 24, 365 jours par an. Cette vacation forte a déjà été testée dans différents commissariats, et vous en demandez la généralisation. Elle vous permettrait d'avoir plus de week-ends libérés et donc une vie de famille.

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

Tout à fait. Et quand je parlais « d'utiliser mieux » les agents, je pensais au jour où l'on faisait jouer au foot la police de proximité avec des individus des quartiers, pour « acheter » la paix sociale. Cela n'a pas fonctionné. Nous souhaitons donc que les effectifs de terrain soient consultés pour élaborer des plans cohérents et efficaces.

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Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de police, vice-président de l'UPNI

La plupart des réformes qui ont été réalisées dans la police nationale, comme la création de la police de proximité, ont été décidées par des hauts fonctionnaires et le ministre en place, en toute bonne foi. L'erreur, c'est que personne n'en attend les effets, chacun voulant faire sa propre réforme, de sorte qu'il est à craindre que, comme pour la police de proximité, on n'attende pas les effets de la vacation forte avant de passer à autre chose.

Or, la vacation forte permettrait, non seulement d'aménager des week-ends avec des cycles plus humains, mais également, grâce au chevauchement des brigades, de suivre des formations. Parce que nous le savons tous, dans la police, quand les responsables veulent plus de fonctionnaires sur la voie publique ou gagner en opérationnalité, ils prennent sur le temps de formation des agents. On se tire alors une balle dans le pied, car il n'est pas recommandé de mettre des agents sur la voie publique sans les former – aux matériels, aux techniques à employer… Sans formation, les agents sont moins efficaces.

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Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère

Évidemment, les cycles horaires sont importants, et aujourd'hui le cycle de la vacation forte est celui qui conviendrait le mieux à nos collègues de la voie publique. Sa mise en place nécessiterait 20 % d'effectifs supplémentaires – à recruter ou à sortir des bureaux.

Cependant, les nombreux suicides ne sont pas uniquement liés au rythme de travail. La difficulté de notre métier, c'est la confrontation permanente avec la criminalité, la délinquance et la mort, mais également un sentiment d'abandon – plus personne ne soutient les policiers.

La hiérarchie de la police nationale est très carriériste. Le système qui a été mis en place, que ce soit chez les officiers ou chez les commissaires, ne fonctionne qu'avec des chiffres, des statistiques et des résultats. Or la police nationale n'est pas une entreprise qui doit produire des dividendes ; elle est là pour répondre à une situation bien précise à un instant T. La voie que la police nationale a empruntée depuis une vingtaine d'année a totalement oublié le coeur de notre métier.

Nos collègues ont le sentiment de travailler pour rien. Certains, dans les services judiciaires, ont jusqu'à 500 dossiers à traiter ! Comment voulez-vous qu'un policier gère 500 dossiers judiciaires ! Ce n'est pas possible. Alors, ils choisissent les trois ou quatre affaires qu'ils estiment être les plus importantes et laissent les autres jusqu'à leur prescription.

Par ailleurs, lorsque les services de la police judiciaire (PJ) montent de belles affaires et qu'elles sont renvoyées par la justice, aucune sanction n'est appliquée. Loin de moi l'idée de faire du « magistrat bashing » : je suis parfaitement conscient des difficultés que rencontre la justice, notamment du fait que le parc carcéral est totalement saturé. De sorte que les magistrats, qui ne peuvent plus mettre toutes les personnes jugées coupables en prison, prennent, lorsqu'ils jugent X affaires par jour, une mesure ferme uniquement à l'encontre de l'affaire qu'ils jugent être la plus grave – même si toutes les affaires sont graves.

Notre organisation syndicale porte des revendications sociales, mais surtout sociétales. Les conditions de travail des policiers ne pourront pas être améliorées sans une série de réformes sociétales. Or ces réformes passent notamment par une réponse judiciaire adaptée. Nous militons pour l'arrêt des confusions de peines et pour le passage à un cumul de peines – un individu arrêté a commis, en général, plusieurs infractions –, qui permettrait de prononcer des sanctions plus adaptées. Nous souhaitons également un accroissement important du parc carcéral pour que les réponses pénales soient adaptées.

Par ailleurs, une réforme de l'ordonnance de 1945, relative à l'enfance délinquante, est nécessaire. Aujourd'hui, nos services sont saturés par les infractions commises par les mineurs délinquants, auxquelles la justice ne peut apporter aucune réponse. Le mineur est envoyé dans un centre, qui le laisse sortir le jour même.

De plus, la réforme de la légitime défense qui a été mise en place n'en ait pas une. En effet, cette réforme a maintenu deux notions qui sont sujettes à toutes les interprétations jurisprudentielles possibles : d'une part, la notion d'absolue nécessité, et d'autre part, la notion de stricte proportionnalité. Ces deux notions abstraites permettent au juge d'interpréter les faits de la façon qu'il le souhaite de sorte que les collègues sont dans une situation d'insécurité juridique. Cette insécurité les amène à prendre le risque, nous l'avons vu lors des mouvements des gilets jaunes et à Grenoble, d'y laisser leur vie plutôt que de se défendre.

Toutes ces réformes sont extrêmement importantes et urgentes. Faire du social, disposer de plus beaux véhicules et de locaux, bénéficier d'une augmentation de salaire, c'est bien. Mais ce que nous demandons en urgence, ce sont des réformes qui mettent un terme aux agressions contre nos collègues, afin qu'ils puissent rentrer chez eux en sécurité, sans craindre de se faire immoler ou assassiner.

Vous êtes des députés et vous avez la possibilité de transformer la loi ; les 130 000 policiers actifs attendent des réformes urgentes pour mieux travailler. Des réformes que vous serez obligés de conduire si vous ne souhaitez pas que le pays sombre dans le chaos. Car, comme l'avait dit M. Gérard Collomb, le ministère de l'intérieur sortant, aujourd'hui deux France s'affrontent. Dans certains quartiers la police n'a même plus accès ; 600 quartiers sont aujourd'hui perdus. Ce sont des gangs de narcotrafiquants qui en ont pris le contrôle. De même, des gangs sont en train d'infiltrer les politiques, notamment dans des petites communes, via la politique des grands frères.

Si l'État ne réagit pas, le pays va sombrer, car sera mis en place un système à la sud-américaine, avec une corruption endémique chez les politiques comme dans la police ; ce sera la loi du plus fort qui régnera. J'attire vraiment votre attention sur ces questions qui sont tout aussi essentielles que les questions budgétaires.

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Vous n'avez pas indiqué le nombre d'adhérents que comptent vos organisations ; pouvez-vous nous le préciser ?

Monsieur Nesle, vous avez insisté sur le fait que personne ne soutenait la police. D'abord, il ne faut pas faire de généralités, et puis « tout ce qui est excessif est insignifiant ». Vous ne devez pas être sans savoir qu'un grand nombre de personnes, à commencer par les élus, soutiennent quotidiennement les forces de l'ordre – police et gendarmerie.

Concernant l'ordonnance de 1945, le Gouvernement souhaite la réformer et, effectivement, les policiers et les gendarmes que j'ai rencontrés dans ma circonscription s'interrogent sur ce texte. Selon vous, que devrons-nous modifier pour répondre au problème que posent les mineurs, dans le respect des droits de l'homme, bien entendu, et sans oublier que ce sont, justement, des mineurs ?

Monsieur Thooris, vous êtes auditionnés par la commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces armées qui, comme son intitulé l'indique, balaie un spectre assez large. Une commission d'enquête du Sénat a déjà rendu un rapport sur la crise constatée au sein des forces de l'ordre et le taux élevé de suicides. Notre commission d'enquête se veut plus pragmatique en s'intéressant aux missions et aux moyens des forces de l'ordre. En effet, quand les moyens sont satisfaisants et que les missions sont conformes au métier que vous exercez, un mieux-vivre s'installe qui est favorable à tout le monde.

Concernant les équipements, quels sont les manques que vous identifiez en matière d'équipements individuels des personnels – des CRS et des policiers de la voie publique ? Les équipements actuels sont-ils adaptés aux nouvelles menaces, notamment en matière de terrorisme et de maintien de l'ordre – je pense bien entendu aux manifestations de plus en plus violentes que nous vivons depuis plusieurs semaines ?

Par ailleurs, quel est votre avis sur l'état du parc immobilier de la police nationale – notamment pour les CRS ? Le plan d'investissement triennal annoncé par le ministre de l'Intérieur est-il à la hauteur de vos ambitions ?

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Audrey George, brigadier-chef, membre de l'UPNI

Mesdames et messieurs les députés, je suis officier de police judiciaire et je travaille depuis quatorze ans dans les quartiers Nord de Marseille.

L'ordonnance de 1945 protège les mineurs en les considérant comme des victimes. Dans les faits, certains mineurs sont très agressifs, voire dangereux ; ils sont un véritable fléau pour les citoyens. Or la réponse policière, face à ces mineurs, n'est plus adaptée.

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Que faudrait-il changer à l'ordonnance de 1945, selon vous, pour mieux sanctionner les mineurs délinquants ?

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Audrey George, brigadier-chef, membre de l'UPNI

Nous avons besoin de réponses plus fermes de la part de la justice, les mineurs n'étant pas tous des victimes. La maison d'arrêt pour mineurs de Marseille compte très peu de places, ce n'est pas suffisant, d'autant que nous avons des exemples de réinsertion réussis, car nous les accompagnons ; tout un volet social et éducatif leur est destiné.

Une action doit également être menée en amont, à l'école, et auprès des familles, afin de redonner du sens à leur vie, leur expliquer les règles de la vie en société. J'ai affaire à des jeunes de 16 ans qui ne savent ni lire ni écrire, ni même nouer leurs lacets. Il y a donc une réponse autre que policière à apporter, et ce n'est pas à nous de le faire : notre rôle est d'appliquer la loi et de les amener devant la justice.

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Je comprends bien pourquoi vous remettez en cause l'ordonnance de 1945, mais nous devons être pragmatiques avec des propositions concrètes.

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Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère

Nous estimons, pour notre part, que les mineurs de 16 à 18 ans doivent passer sous le régime du droit commun – les 13-15 ans restant sous le régime dérogatoire. Aujourd'hui, des jeunes de 16 ans sont de vrais adultes, déterminés et violents. Ils doivent être traités comme dans adultes, car la société a évolué et il ne s'agit plus des mêmes jeunes qu'il y a trois ou quatre générations. Si la réponse pénale n'est pas adaptée à ces mineurs, ils s'endurcissent et quand ils deviennent majeurs, nous nous retrouvons face à des caïds.

Par ailleurs, nous « usons » nos gardes à vue qui ne servent à rien, car plus un jeune passe du temps entre les mains du judiciaire, plus il connaît le système et nos techniques d'investigation, et moins nous sommes efficaces. Sur des jeunes de 18-20 ans qui ont déjà fait X gardes à vue quand ils étaient mineurs, nos techniques policières pour parvenir à la « manifestation de la vérité » n'ont plus aucune efficacité. La victime ne récupère jamais ses affaires et le mineur n'est jamais sanctionné.

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Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de police, vice-président de l'UPNI

Une procédure engagée contre un mineur est la procédure la plus chronophage qui soit ! Un OPJ qui met un mineur en garde à vue ne commencera l'enquête, la première audition, qu'au dixième procès-verbal ; les deux premières heures de l'enquête ne sont qu'administratives. Ces deux heures de tâches administratives sont deux heures d'enquête perdues ou deux heures de voie publique en moins.

Par ailleurs, je souhaitais rappeler que la France est l'État européen qui attribue le moins d'argent à la justice. Les conséquences du manque de suivi judiciaire sont importantes.

Nous le savons, les prisons sont saturées, et nous ne pouvons pas accuser la magistrature de ne pas faire son travail, les magistrats français étant moins nombreux que leurs collègues européens.

Pour ce qui est de la police, vous l'avez indiqué, monsieur le président, il y a davantage de policiers en France que dans les autres pays européens – par rapport à la population. Mais la France est aussi le pays le plus étendu de l'Europe de l'Ouest et celui qui compte le plus de communes – 36 000. De plus, de nombreuses tâches occupent les policiers et les gendarmes alors qu'elles ne sont pas de leur ressort. Il existe une occupation structurelle du temps de la police qui est incompressible et qui est une réelle perte de temps.

S'agissant du regard que pose la société sur la police, j'ai lu dans l'excellente revue de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qu'aujourd'hui, 60 % à 70 % de la population âgée de plus de 14 ans a une bonne image de l'action judiciaire de la police. Mais ce chiffre est inversé pour ce qui est de la justice. Il existe donc un gros problème, celui de la chaîne police-justice, qui n'est pas réglé.

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éric Roman, secrétaire national du syndicat France police-Policiers en colère

S'agissant des équipements, sachez que les détachements d'action rapide et de dissuasion (DARD), créés pour intervenir lors des mouvements des Gilets jaunes à Paris, n'ont reçu aucun équipement spécifique. Je suis présent tous les samedis à Paris pour soutenir les collègues et faire un retour des événements, j'ai donc pu constater que certains d'entre eux avaient leur propre casque de moto pour se protéger.

Les DARD ont été créés dans l'urgence et la plus grande majorité des personnels n'a suivi aucune formation ; seuls 10 % du personnel ont suivi une formation d'une demi-journée consistant à regarder le formateur lancer une grenade.

Concernant l'immobilier, je travaille au commissariat du 4e arrondissement de Paris, et nous avons des souris jusqu'au deuxième étage. À la troisième direction de la police judiciaire (DPJ) du 14e arrondissement de Paris, l'eau de pluie traverse l'immeuble, finissant au second sous-sol, mouillant tous les fils électriques à tous les étages.

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

Effectivement, lorsque nous avons été envoyés en tant que DARD sur Paris, l'administration ne nous a fourni ni coquille, ni de masque de protection pour les yeux – simplement des lunettes prises au stand de tir. Nous avons dû nous équiper avec nos propres moyens. Par ailleurs, aucun panier à repas n'était prévu, malgré les seize heures de vacations continues que nous avons assurées les premiers week-ends.

Enfin, si certains de nos équipements sont adaptés aux menaces terroristes, les véhicules ne le sont pas. La BAC est le couteau suisse de la police nationale, nous devons assurer sur tous les fronts : anticriminalité, antiterrorisme… Cela nécessite beaucoup d'équipements pour nos petits véhicules. Nous avons donc besoin d'un véhicule ressource qui contiendrait tous nos équipements et nous rejoindrait sur le théâtre des opérations.

Lorsque nous sommes quatre fonctionnaires dans un véhicule, nous ne pouvons prendre que deux gilets lourds et notre fusil G36 qui est au fond du coffre, sécurisé avec un cadenas à un code – c'est-à-dire inatteignable.

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Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère

Les policiers ne veulent plus de leur tenue de service général, qui est totalement inadaptée aux missions de police. Nous militons pour une tenue d'hiver de maintien de l'ordre traditionnelle, identique à celle des CRS – ignifugée –, et une tenue légère pour l'été, dans l'esprit de celle des gendarmes. En effet, si nous devons intervenir avec nos tenues actuelles – courir, maintenir un individu au sol –, c'est juste catastrophique.

J'attire également votre attention sur le fait que la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI), sous prétexte qu'il existe une protection fonctionnelle, rejette systématiquement les demandes des agents. Or, rien n'interdit un fonctionnaire de saisir un juge administratif pour obtenir la protection fonctionnelle et dans le même temps percevoir une indemnisation de la CIVI.

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Ces problèmes sont, bien entendu, importants et ne pourront pas tous retenus par notre commission, certains n'étant pas de sa compétence. Je vous propose donc d'en faire la liste et de nous l'envoyer, de manière à ce que nous les transmettions à qui de droit.

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Monsieur Nesle, vous avez dénoncé le clientélisme en cours dans la police. Pourriez-vous être plus précis ? Et avez-vous des solutions pour l'éviter ?

Concernant le nombre de suicides et de tentatives de suicide des policiers, une manifestation était organisée le 12 mars à Paris, notamment par les femmes de policiers. Avez-vous pu vous entretenir avec le ministère depuis cet appel à manifestation ? Que préconisez-vous pour améliorer la prévention des risques psychosociaux dans votre profession ?

Enfin, en décembre dernier, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, M. Nuñez, confirmait que les discussions avec les syndicats sur le retard de paiement des heures supplémentaires devaient aboutir à la définition d'un calendrier pour le versement de quelque 274 millions d'euros. Avez-vous des informations sur ce sujet – connaissez-vous le calendrier ?

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Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de police, vice-président de l'UPNI

S'agissant du clientélisme syndicale, nous en revenons à une question récurrente : la somme d'intérêts particuliers peut-elle être cohérente avec l'intérêt général ? La réponse est non. Quand un délégué syndical siège en commission, il a tout intérêt à attribuer un poste à une personne qui a voté pour lui et qui a adhéré à son syndicat plutôt qu'à une personne dont la compétence serait un plus pour le service et donc pour l'administration. Le clientélisme syndical est très proche du clientélisme politique.

Concernant les risques psychosociaux, il nous a été promis que la vague de suicides dans la police nationale serait enrayée, que nous serions reçus et écoutés. Nous avons à déplorer 35 suicides en 2018, nous en sommes à une vingtaine depuis le début de l'année ; pensez-vous que cette vague de suicide ait été enrayée ? Pensez-vous que des psychologues ont été envoyés dans les commissariats pour soutenir les agents ?

Pensez-vous par ailleurs que des psychologues assistent aux concours afin de détecter les individus les plus fragiles ? Non. Les candidats étant peu nombreux – la police ne fait plus rêver –, les recruteurs ne sont pas regardants sur les individus recrutés.

Les effectifs ne sont pas renforcés, les policiers sont de plus en plus fragiles, les mouvements sociaux depuis dix-huit semaines et la couverture médiatique de toutes les supposées bavures, qui ne seront jamais démenties par les médias, contribuent à une mise sous pression de chaque fonctionnaire. Une pression qui n'a pas de soupape : aucun débriefing, aucun soutien, aucune prévention des risques psychosociaux.

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

Et pour répondre à votre question, madame la députée, non, nous n'avons pas été reçus par le ministre depuis l'appel du 12 mars.

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Dominique Brancher, gardien de la paix en service à la compagnie républicaine de sécurité (CRS)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la question des suicides dans la police nationale me soulève le coeur. Nous devons absolument penser accompagnement et soutien en proposant des initiatives, et notamment une protection médico-psychosociale. D'autant que la police nationale dispose de professionnels – assistantes sociales, psychologues, médecins du travail, professionnels qui doivent absolument bénéficier d'une formation continue.

Je puis témoigner en tant que CRS. Ce qui nous manque, c'est bien d'être accompagnés, assistés sur le plan de la protection juridictionnelle et soutenus quand nous sommes blessés. Un collègue a eu un accident de moto, mais personne ne l'accompagne, au motif qu'il n'y avait pas d'auteur d'infraction ; il est seul pour gérer sa situation. Notre directeur est le seul à prendre de ses nouvelles et à essayer de faire avancer son dossier.

S'agissant des équipements, le gilet tactique nous sert de protection, en maintien de l'ordre. Comme vous pouvez le constater, c'est un peu juste pour faire du maintien de l'ordre – quelques poches pour les grenades, des lunettes tactiques, des petites protections pour les épaules. Voilà ce qui fait office de protection, en 2019 ! Si jamais vous pouviez faire quelque choses, mesdames et messieurs les députés, pour que l'on nous attribue de véritables gilets de protection, nous vous en serions reconnaissants.

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Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère

Concernant le clientélisme, nous sommes les premiers à dénoncer la mainmise des syndicats de police sur la carrière des fonctionnaires. Au sein de la police nationale, c'est quasiment un système mafieux – et je pèse mes mots – qui a été mis en place par les syndicats. Vous ne pouvez plus, aujourd'hui, si vous n'êtes pas syndiqué dans un syndicat représentatif, obtenir votre grade. Même si vous réussissez vos examens pour devenir brigadier-chef, si vous n'êtes pas soutenu par un syndicat, vous pouvez attendre des années pour changer de grade.

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Je vous remercie, nous avons bien compris que vous n'étiez pas représentés et que vous en souffriez au point de qualifier le système de mafieux.

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Vous dressez un décor sombre et dégradé de la police. Nous avons bien compris que le moral n'y était plus et que des décisions devaient être prises de façon urgente. Pourtant, l'image que les Français – et nous aussi – ont de la police est beaucoup moins dégradée que celle que vous nous présentez. Votre comportement depuis la crise des gilets jaunes est à mettre à votre crédit.

Ma question porte sur l'évolution de la doctrine proposée par le Premier ministre : est-ce pour vous une assurance que votre sécurité et votre travail seront davantage préservés ?

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Quand M. Thooris évoque les quartiers urbains gangrénés par la délinquance, il a raison. Et il faudra bien qu'un à moment donné les pouvoirs publics prennent cette problématique à bras-le-corps, même si cette question a souvent été évoquée par les gouvernements et dans l'hémicycle.

Lors des manifestations, différents services des forces de l'ordre sont présents : CRS, gardes mobiles, policiers en civil, BAC, etc. Comment se passe, d'une part, la coordination de tous ces différents corps, et, d'autre part, la communication ? Avez-vous des recommandations à faire sur ces deux points ?

Contrairement à des manifestations plus traditionnelles, cadrées par des responsables, le maintien de l'ordre dans le cadre des mouvements des gilets jaunes est bien plus compliqué pour les forces de l'ordre. Quelles remontées pouvez-vous nous faire en vue de mieux coordonner les forces sur le terrain ?

Par ailleurs, êtes-vous formés au maintien de l'ordre pour cette meilleure coordination des services sur le terrain ?

Enfin, le Premier ministre vient de prendre des dispositions – que je soutiens, en tant qu'élu socialiste – au vu des événements qui se sont déroulés depuis des semaines. Qu'en pensez-vous ?

Madame, messieurs, vous exercez un métier extrêmement difficile. Sachez que les députés vous soutiennent, quel que soit leur courant politique.

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Tel le tonneau des Danaïdes, nous sommes face un puits sans fond. Or pour arrêter cette hémorragie, nous devons, selon moi, nous attaquer au problème principal qui est celui de la justice. Mais ce n'est pas le sujet.

S'agissant de la vacation forte, une estimation du coût a-t-elle été réalisée ?

Lors des événements de samedi, un motard a été pris à partie et a sorti son arme de service qu'il a pointé sur les manifestants. Aux Etats-Unis, dans une telle situation, peut-être aurait-il tiré ?

Enfin, avez-vous des consignes strictes pour éviter les courses-poursuites de scooters, comme nous avons pu le voir à Grenoble – ce qui arrange les affaires des délinquants ?

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Quel est votre sentiment concernant la police de sécurité du quotidien (PSQ) – les moyens, les espoirs que vous y mettaient ?

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J'ai rencontré vos collègues de Loire-Atlantique, qui ont évoqué le manque d'uniformité au sein de la police pour porter les revendications des policiers. Ils ont également proposé, s'agissant du manque de considération que certains peuvent ressentir, que des récompenses – des médailles – soient distribuées en interne ; qu'en pensez-vous ?

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

La nouvelle doctrine annoncée par le Premier ministre concernant les gilets jaunes va, effectivement, nous faciliter la vie. Nous étions dans un immobilisme sidérant. Samedi dernier, la situation étant dite sous contrôle, les BAC territoriales sont restées dans leur département.

Le préfet de police n'a pas jugé judicieux, dès le début des mouvements, d'utiliser les drones que nous avons à disposition. Les effectifs gérant les drones ont été utilisés pour le transport des individus interpellés, ce qui n'est pas leur mission.

Les DARD sont intervenues sur le terrain de manière indépendante, et deux directions coordonnaient les forces sur place : l'une, le maintien de l'ordre – CRS et gendarmes mobiles – et l'autre, les effectifs de voie publique.

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Vous parlez bien de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) et de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) ?

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

C'est exact. Les ordres provenaient de la salle de commandement vers le terrain, alors qu'il conviendrait de procéder de façon inverse. Ce sont les agents sur le terrain qui doivent faire remonter les informations et dire ce qu'il convient de mettre en place. La salle de commandement nous donnait l'ordre de ne pas bouger et de tenir notre périmètre, alors même que des individus cassaient des vitrines à 100 mètres de nous ; nous n'avons jamais reçu l'ordre d'intervenir.

Concernant les courses-poursuites, effectivement, la salle de commandement nous intime l'ordre de ne pas poursuivre les délinquants, quel que soit le motif – sauf pour les vols à main armée ou autres crimes. En tout état de cause, nous ne devons pas poursuivre des individus pour refus d'obtempérer, de sorte que le sentiment d'impunité est grandissant.

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Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère

Je n'évoquerai pas le maintien de l'ordre dans le cadre des mouvements des gilets jaunes, car ils ont varié d'un samedi sur l'autre. En revanche, je puis indiquer que le mélange entre CRS et sécurité publique est catastrophique. Aussi catastrophique que de demander à un médecin généraliste de procéder à une transplantation cardiaque !

Les agents de la sécurité publique ne sont pas formés au maintien de l'ordre ; ils n'ont rien à faire sur de tels dispositifs. Mais le ministère de l'intérieur, pour pallier au manque d'effectifs, envoie ces agents faire du maintien de l'ordre ; d'où les bavures avec les lanceurs de balles de défense (LBD). Si le ministère veut envoyer ces agents faire du maintien de l'ordre, une formation est indispensable.

Concernant le refus d'obtempérer, les délinquants sont complétement informés du fait que nous ne pouvons pas les poursuivre. Les courses-poursuites ne sont pas autorisées, car si un accident est provoqué, nous serons tenus pour responsables – sachant que personne ne veut couvrir la police. Ainsi une impunité s'est mise en place.

Alors les médailles, nous n'en voulons pas. Je pense qu'aucun de nos collègues ne souhaite une médaille. Nous voulons simplement faire notre travail de manière anonyme. L'anonymat, nous la revendiquons, car il assure notre sécurité.

S'agissant de la police de sécurité du quotidien (PSQ), il aurait fallu attendre les résultats de la mise en place de la police de proximité sous le gouvernement Jospin. Aujourd'hui, la situation dans certains quartiers est trop dégradée pour pouvoir faire de la prévention.

Concernant le collègue qui a sorti son arme, cela renvoie à la problématique que j'évoquais tout à l'heure sur la légitime défense ; les agents sont dans une insécurité juridique. Il conviendrait de préciser les textes et de définir quand nous sommes, ou pas, en état de légitime défense.

Enfin, en ce qui concerne la vacation forte, elle nécessiterait 20 % d'effectifs supplémentaires.

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Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de police, vice-président de l'UPNI

Je souhaiterais revenir sur la question de la coordination et des entraînements. Alors qu'une psychologue de la formation a publié des travaux visant à accroître la réactivité et la compétence collective, rien n'est fait. Et sans entraînement, sans ce que nous appelions à une époque les « grandes manoeuvres », qui consiste à emmener la moitié d'une direction départementale de la sécurité publique – toute la chaîne hiérarchique, du commissaire au gardien de la paix – s'entraîner sur une base militaire, nous ne parviendrons pas à nous coordonner. Ceux qui sont envoyés faire du maintien de l'ordre sans être formés ne sauront jamais ce que cela fait de charger des manifestants au milieu des gaz lacrymogènes.

Enfin, quand nous n'avons pas le temps de faire appel aux CRS et que nous envoyons des agents de la sécurité publique faire du maintien de l'ordre, le minimum est de les équiper. Je ne sais pas combien coûte une journée d'hospitalisation, plus de 1 000 euros je suppose ; or 1 000 euros, c'est le prix d'un équipement standard pour un fonctionnaire de sécurité public pour aller faire du maintien de l'ordre.

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éric Roman, secrétaire national du syndicat France police-Policiers en colère

S'agissant de la nouvelle doctrine, il ne faut surtout pas sous-estimer la peur des collègues d'avoir affaire à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Si lors de nos interventions, il y a de la casse, ce qui va nous être reproché systématiquement, c'est : « vous n'avez pas fait preuve de discernement » ; le discernement étant le premier manquement dans le guide de l'enquête administrative disciplinaire de l'IGPN.

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Thomas Nesle, président de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI)

Je souhaiterais revenir sur les images du policier qui met dans un sac à dos des maillots du Paris-Saint-Germain (PSG). Il s'agit d'une pièce à conviction après l'interpellation de deux individus. Un fait qui est devenu une fake news. Or cela arrive souvent : une partie de vidéo est postée sur les réseaux sociaux qui ne reflète pas la réalité de nos interventions.

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éric Roman, secrétaire national du syndicat France police-Policiers en colère

S'agissant de la PSQ, il ne s'agit en réalité que du changement d'une lettre dans nos intitulés ; de service de sécurité de proximité (SSP), nous sommes devenus service de sécurité du quotidien (SSQ).

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Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de police, vice-président de l'UPNI

Nous n'avons pas évoqué la caméra-piéton dont le rôle est très important dans le regard que portent les forces de l'ordre sur leurs interventions, et sur le regard que porte la population sur les forces de l'ordre. Elle doit être étendue, car la plupart des bavures dénoncées n'existent pas.

J'en ai fait l'expérience avec un individu, lors d'une garde-à-vue, qui m'insultait, moi et toute ma famille. Lorsque j'ai sorti mon téléphone pour le filmer, il s'est aussitôt arrêté alors que si je l'avais fermement empoigné par le col pour le plaquer au sol, j'aurais certainement fait l'objet d'une plainte,

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Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère

Nous sommes favorables à la caméra-piéton sur la voie publique, mais pas pour le maintien de l'ordre. En effet, elle ne tourne pas de manière permanente et peut donc ne pas couvrir certains actes. Prenons l'exemple du LBD : si son usage n'est pas enregistré par la caméra, il sera reproché à l'agent de ne pas avoir actionné la caméra.

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Audrey George, brigadier-chef, membre de l'UPNI

Concernant les interpellations et les procédures liées à la voie publique, je rappellerai qu'elles sont traitées par des services judiciaires. Or l'état actuel de ces services est catastrophique : nous manquons d'OPJ, d'enquêteurs, nous sommes submergés par les dossiers que nous ne pouvons pas traiter. Nous ne disposons pas de moyens suffisants, les bureaux de plaintes ne disposent de voitures, etc.

Chaque matin, quand j'allume mon ordinateur, je me demande quelle femme je vais tenter de sauver des violences conjugales, ou quel enfant battu… Et je ne vous parle pas des flagrants délits que nous sommes censés gérer – nous n'avons pas de visioconférence, le médecin ne se déplace pas, les cellules ne sont pas adaptées, les locaux sont dans un état déplorable…

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Je vous remercie pour tous ces éléments. Je voudrais néanmoins rappeler, puisque j'étais, ces deux dernières années, rapporteur du budget police-gendarmerie, que nous avons voté une augmentation du budget de l'immobilier et des véhicules. Y compris à Marseille, où des véhicules ont été livrés.

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Dominique Brancher, gardien de la paix en service à la compagnie républicaine de sécurité (CRS)

S'agissant de la formation, une consigne a été donnée par notre direction centrale : profiter des déplacements des CRS pour programmer des formations – tirs et autres. Or bien qu'il s'agisse d'une consigne, la grande majorité des commandants d'unité rechignent à organiser des formations, jugeant l'opérationnel prioritaire.

L'audition se termine à dix heures vingt.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 9 heures

Présents. - M. Jean-Claude Bouchet, M. Rémi Delatte, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Sandrine Josso, Mme Brigitte Kuster, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Nicole Trisse

Excusé. - Mme Josy Poueyto